...Et le Chevalier sauva la Dame Blanche et eut une belle mort

plumedesang

Courte nouvelle horrifique que je viens de terminer.

On dit que l'amour rend aveugle. Je crois aussi qu'il rend indéniablement fou. Allongé là, sur le pavé du trottoir, baignant dans la marre de mon propre sang, ce sont les dernières pensées qui me viennent à l'esprit, alors que j'agonise, sombrant peu à peu dans une mort certaine.


Jusque là j'avais pourtant été un homme sain d'esprit. Apprécié de tous pour sa joie de vivre, sa bonne humeur, sa vivacité d'esprit et son physique agréable à regarder, toutes les personnes me côtoyant me tenaient en respect et en haute estime. Toutes les jeunes femmes étaient à mes pieds. J'aurai pu prendre n'importe laquelle d'elle pour femme, mais seulement voilà, il y avait ce fichu trajet quotidien me menant de ma demeure à mon lieu de travail, qui était venu tout gâcher.


J'occupais un poste dans une maison d'édition qui venait d'ouvrir il y a peu. Étant moi-même un grand féru de littérature, c'est avec enthousiasme que j'avais posé ma candidature, et avec une joie plus folle encore lorsque j'avais appris que j'obtenais le poste tant espéré. La maison d'édition n'était pas très loin de ma demeure, aussi je faisais le trajet à pied. Sur le chemin se trouvait une vielle tour, surement d'un ancien donjon, désormais en ruines. Au début, je n'y prêtait guerre attention, mais peu à peu, au fil des semaines, je m'arrêtai pour la contempler de plus en plus. Et chaque fois, je restai planté là, à l'admirer un peu plus longtemps que la veille. Cette tour m'intriguait au plus haut point.


Cependant, ce n'était rien comparé à l'obsession qui m'envahit quelques semaines plus tard, lorsque dans ma contemplation, je découvris avec stupéfaction que dans la plus haute partie de la tour était enfermée une jeune femme, bien vivante. Accoudée à une fenêtre, elle regardait avec une infinie tristesse le monde s'activer tout en bas. Je la dévisageai, tout en elle me frappait: de ses traits délicats, à la mélancolie de son regard. Tout, dans mon être, souhaiter la délivrer. Grand amateur de contes de fées, voilà que moi-même je me prenais pour le chevalier à l'armure rutilante, lancé au galop sur son fidèle destrier afin de sauver la princesse des griffes du terrible dragon. Non tout cela était trop ridicule.


Pourtant plus les jours passaient et plus le besoin de secourir la jeune femme se faisait violent. Je m'étais alors approché de la tour et même risqué à rentrer à l'intérieur. Hélas mon entreprise s'avérait impossible: les escaliers s'étaient effondrés, condamnant ainsi l'accès aux parties hautes de la tour, et avec lui, à la femme dont j'étais terriblement tombé amoureux. Car oui ce sentiment qui me prenait aux tripes désormais était bien de l'amour.


C'est ainsi qu'un jour je commis l'impensable. Je me rendis à la tour et entreprit de l'escalader à mains nues, jusqu'à la fenêtre de ma bien aimée. L'ascension fut pénible et me demanda de fournir des efforts physiques surhumains. Mais ni la roche écorchant mes mains jusqu'au sang, ni les douloureux élancements parcourant mes bras et mes jambes ne me faisaient renoncer. Parvenu à la fenêtre, je fis basculer tout le poids de mon corps et atterrit dans la pièce où était détenue mon amour. L'apercevant, je me jetai alors dans ses bras... et ne rencontrait que le vide. Surpris, je constatai alors avec stupeur que sa peau était totalement translucide et qu'elle n'avait que pour jambes une brume grisâtre. Ainsi, je m'étais épris d'un fantôme mort depuis plusieurs années! Le spectre, comme en réponse à mon horrible découverte, me toisa, et se mit à pousser des hurlements stridents à me percer les tympans. Dans une dernière tentative désespérée, je me ruai vers l'unique fenêtre, sautai, et m'écrasai dans une gerbe d'éclaboussures écarlates sur les pavés en contrebas. On dit que l'amour rend aveugle. Je crois aussi qu'il rend indéniablement fou.

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