Douze femmes apparemment calmes

hamsterjovial

Douze femmes apparemment calmes

de Marc Lepage

ISBN : 978-2-9533716-3-5

BNF : DLE-20100510-25233

Andrée 75 ans, acariâtre et méchante au premier abord. Elle est la mère de 4 filles. Elle n'a gardé des contacts fréquents qu'avec une seule d'entre elles : Béatrice.

Béatrice C'est une des 4 sœurs, celle qui, contre vents et marées, s'occupe de sa mère. Aujourd'hui, elle marie son unique enfant : sa fille Sonia. Elle est divorcée et a élevé Sonia toute seule.

 Sonia Fille de Béatrice, ce devrait être le plus beau jour de sa vie.

Laurence L'aînée des 4 sœurs. Toute sa vie est une réussite totale, en apparence, aussi bien professionnelle que familiale malgré deux divorces. Elle a également deux filles.

 Françoise Fille d'Andrée. Françoise a également élevé seule sa fille Sacha.

 Sacha Fille de Françoise. Révoltée, elle cherche à sortir de l'étouffement dans lequel la confine sa mère. Elle sait que sa mère a eu recours à une fécondation in vitro et que son père est un donneur anonyme.

 Geneviève La cadette des 4 filles d'Andrée. Sa vie est chaotique. Célibataire.

 Carole Amie fidèle de Béatrice. Elles se sont connues en travaillant pour la même société. Vit seule.

Isabelle Amie de fac et témoin de Sonia.

Anne Amie d'enfance de Béatrice. Entièrement dévouée aux autres.

Suzanne La mère du futur marié.

Dorothée La voisine curieuse d'Andrée.

La pièce se déroule dans l'appartement d'Andrée, juste avant la cérémonie. La décoration est simple, assez moderne pour une personne de son âge. Une ou deux fenêtres donnent sur la place de la mairie d'arrondissement. Nous sommes à Paris, c'est le début de l'été.

12 femmes apparemment calmes

Pièce en une scène et quelques flash-backs

 Flash-back

Béatrice- au téléphone Maman, tu peux bien faire cet effort, non ? C'est quand même le mariage de ta petite-fille ! ... Oui, je sais parfaitement ce que tu penses du mariage, là n'est pas la question... C'est plus simple de venir chez toi, admets-le... Écoute maman, elle se marie à Paris, c'est bien pour toi, non ? ... Éric vit à Paris, ils vont habiter à Paris, elle se marie à Paris, je n'y peux rien, c'est normal. ... Parce que tu habites juste en face de la mairie ... Écoute, j'ai tout organisé au mieux pour toi, nous venons juste pour qu'elle puisse s'habiller, c'est l'affaire d'une heure et demie, c'est pas la mort tout de même ? C'est réglé comme ça, tu vas me faire le plaisir d'accepter et d'être contente pour une fois. Allez, je te rappelle, la semaine prochaine. Au revoir maman.

On sonne. Andrée va ouvrir.

Andrée- Je ne veux pas que tout le monde débarque ici.

Béatrice- Commence par nous dire bonjour, ça nous fera plaisir.

Sonia- Bonjour mamie.

Andrée- Je déteste quand tu m'appelles comme ça.

Sonia- Bonjour !

Andrée- Oui, bonjour.

Anne- Bonjour Andrée, vous avez l'air en forme, Béatrice me disait que vous aviez quelques soucis de santé.

Andrée- On se connaît ?

Anne- Anne, l'amie d'enfance de Béa ! Vous me connaissez depuis le primaire, ça commence à dater hein ?

Andrée- Un, ne me parlez pas comme si j'étais sénile, deux, je sais parfaitement qui vous êtes et c'est justement pour ça que je vous demande si on se connaît et, en quelque sorte, si cela vous donne le droit d'évoquer mon mal de foie ou mes hémorroïdes !

Anne- Très bien, Je vois que vous êtes en forme finalement. Moi, je suis là pour aider Sonia à vivre la plus belle journée de sa vie, et vous ne m'en empêcherez pas ! Bien, où peut-on s'installer ?

Béatrice- Dans la chambres d'amis.

Andrée- J'ai pas d'amis.

Béatrice- Maman ! T'es vraiment...

Anne sort pour déposer robe et sacs dans la chambre d'amis.

Sonia- Je ne pourrais pas avoir un petit café, s'il-te-plaît ?

Andrée sort vers la cuisine.

Béatrice- Bon, tu as encore un peu de temps avant de mettre ta robe. J'espère que tu n'as rien oublié à l'hôtel. C'est le moment de vérifier parce qu'après, nous ne pourrons....

Sonia- Maman, j'ai vérifié et Anne a re et rerevérifié huit fois que nous n'avions rien oublié. Et nous n'avons rien oublié. Je suis assez nerveuse comme ça, s'il te plaît, n'en rajoute pas.

Béatrice- Pardon ma chérie. Je suis tellement...

Anne revient de la chambre d'amis.

Anne- Elle ne s'arrange pas ta mère. Dans les souvenirs que j'en ai, elle n'était pas aussi ronchon quand nous étions petites.

Béatrice- Depuis que toute la famille est partie pour Lyon, elle est comme ça. Tu vois, ça remonte quand même à loin.

Anne- Oui, enfin, cela n'a pas d'importance, du moment que tu le supportes.

Béatrice- Je l'appelle une fois par semaine, c'est bien suffisant comme corvée.

Andrée entre juste à ce moment là.

Andrée- J'ai entendu.

Béatrice- Et bien, comme ça au moins, nous savons que tu n'as pas encore besoin de sonotone.

Andrée- Tiens.

Sonia- Merci mam... merci.

Béatrice- Tu n'en as pas fait pour tout le monde ?

Andrée- On ne m'en a demandé qu'un. Et je te rappelle que je ne suis pas d'accord pour voir une armée de bonnes femmes débarquer ici. Je ne transformerai pas mon appartement en salon de thé où l'on cause de la dernière technique pour raffermir les fesses.

Anne- Et si je m'occupe de tout ?

Andrée- Non.

Béatrice- Maman, t'es vraiment...

Sonia- S'il te plaît, c'est un jour important, ne me le gâche pas.

Andrée- Bon, pour toi, je ferai un effort.

Anne- Alors, je peux ?

Andrée secoue la tête et Anne disparaît dans la cuisine.

Sonia- Qui doit venir au fait ?

Béatrice- Tes tantes,...

Sonia- Oui, ça je sais.

Andrée- Les trois ?

Béatrice- Tu as promis. Donc, tes tantes, Sacha vient avec Françoise, Carole et Isabelle.

Sonia- Carole, c'est ça, je savais que j'oubliais quelqu'un. Ça me fait tout drôle de revoir Isabelle, depuis tout ce temps.

Andrée- C'est pas ton amie qui est partie au Canada ?

Sonia- Oui, elle vient exprès pour mon mariage. C'est une de mes témoins. Elle m'a dit qu'elle me réservait une petite surprise. La connaissant, je suis certaine qu'elle va débarquer au dernier moment dans un costume incroyable.

Béatrice- J'espère que ça restera correct tout de même.

Sonia- On s'en fiche maman, du moment qu'on rigole.

Anne revient.

Anne- Et voilà, déjà un premier pour toi. C'est vachement bien cette cafetière avec thermos intégré. Ça reste chaud longtemps ?

Béatrice- Tu n'en prends pas ?

Anne- C'est tout ce qui restait. Je vais en refaire pour les autres.

Béatrice- Anne, tu ne vas pas encore passer ta journée à courir pour tout faire à ma place. Tu es invitée avant tout.

Anne- Mais non, mais non, je fais juste ça et après j'arrête, promis.

Béatrice- Oui, comme d'habitude.

Anne ressort. Pendant ce temps, discrètement Andrée "dérange" son appartement mettant les tableaux de travers et le bibelots sans dessus dessous.

Béatrice- Maman, mais qu'est-ce que tu fais ?

Andrée- Je redécore.

Béatrice- Quoi ?

Andrée- Je fais une décoration qui pourrait faire penser qu'une folle vit dans cet appartement, comme ça les autres auront peut-être envie de repartir avant l'heure.

Béatrice- N'importe quoi.

Andrée- Je ne voulais pas que tu m'imposes ...

Béatrice- C'est bon maman, je crois qu'on a compris que tu ne voulais pas que nous venions ici. Je te répète que c'était la solution la plus pratique pour tout le monde.

Andrée- Je suis ici chez moi.

Béatrice- Et dans moins d'une heure et demie, on ne sera plus chez toi. C'est bon maintenant. Vraiment, tu es...

Andrée- Est-ce qu'un jour, tu finiras par me le dire ?

On sonne, Andrée se dirige vers la porte mais ne va pas ouvrir. Béatrice se lève et va accueillir Carole.

Béatrice- Coucou ma chérie ! Toujours aussi ponctuelle !

Carole- Tu ne pensais quand même pas que je prendrais le moindre risque de manquer un événement comme celui-là ! Bonjour. Bonjour madame.

Andrée- Sans la regarder. Bonjour.

Carole- Bonjour toi.

Sonia- Ça va ?

Carole- Alors la petite puce, prête pour le grand saut dans l'inconnu !

Andrée- Dans le connu plutôt.

Sonia- Ben on va dire que maintenant, c'est un peu trop tard pour faire demi-tour.

Carole- Dis-moi, que je ne fasse pas de gaffes, l'élu est bien ce garçon que j'ai croisé une ou deux fois l'année dernière chez ta mère ?

Béatrice- Éric ? Oui, bien sûr.

Carole- Son boulot ici, ça marche ?

Sonia- Tellement bien qu'il achète, plutôt que nous achetons un appartement.

Carole- Ta mère m'a dit oui, alors tu deviens parisienne ?

Sonia- Ouais m'dame !

Anne- revenant de la cuisine avec un plateau. Coucou la copine.

Carole- Je me disais aussi, Anne n'est pas déjà au travail ? Bonjour. Tu vas bien ?

Anne- Moi, les journées comme celle-là me mettent dans une forme !

Sonia- Je devrais peut-être commencer à me préparer moi ?

Anne- Je vais t'aider.

Béatrice- Anne, ...

Anne- Laisse, tu ne sais pas où sont les affaires. Et puis, ce n'est pas du travail !

Sonia- Si j'ai besoin de toi, je t'appellerai.

Anne et Sonia sortent.

Carole- Tu te fais à l'idée ?

Béatrice- De ?

Carole- Que ta fille se marie.

Béatrice- Je ne sais pas, je crois que je ne me rends pas bien compte, mais après tout, ça doit être normal non ?

Carole- Je ne sais pas. Je pense, oui.

Béatrice- Un peu de café ? Dis-moi, quoi de neuf ?

Carole- Pas grand-chose en fait depuis la semaine dernière.

Béatrice- C'est vrai que tu es venue à la maison la semaine dernière. Ce mariage m'obsède plus que je ne pense finalement. Excuse-moi.

Carole- De quoi ?

Béatrice- Mais si, tu m'as dit que tu avais un rendez-vous. Alors, tu ne m'as même pas téléphoné pour me raconter.

Carole- Un rendez-vous ? Ah oui. Aussi vite oublié que rencontré. Ça ne valait même pas la peine de te raconter. Crois-moi, je me fais doucement à l'idée que je préfère rester célibataire.

Béatrice- On peut rencontrer quelqu'un n'importe quand. Ne désespère pas. Tu croiseras un jour la personne que ton cœur attend.

Carole- Je l'ai déjà rencontrée cette personne, il y a longtemps, longtemps. Et je vais rajouter avant que tu ne me poses la moindre question que ce n'était pas possible entre elle et moi.

Béatrice- Mais tu ne m'as jamais dit ça cachottière, tu vas tout me raconter.

On sonne.

Carole- Une autre fois.

Andrée- Je vais ouvrir.

Béatrice- Sois aimable.

Grimace d'Andrée.

Laurence- Bonjour maman. Bouh, à chaque fois j'oublie combien la conduite dans Paris est chiante. Je me suis garée sur les clous, ils ne verbalisent pas dans ton quartier ?

Andrée- J'en sais rien et je m'en fous.

Laurence- Parfait, je vois que tu es en pleine forme. Bonjour ma chérie. Alors, c'est le second grand jour de ta vie ?

Béatrice- Bonjour. C'était quoi le premier ?

Laurence- Et bien, ton mariage !

Béatrice- Alors, c'est le premier grand jour.

Laurence- Bonjour...

Carole- Carole.

Laurence- Carole, oui bien sûr. Je suis Laurence.

Carole- La sœur de Béa, je sais.

Sonia sort en petite tenue.

Sonia- Bonjour ma tata.

Laurence- Bonjour ma puce. Je ne suis pas vieux jeu, mais si c'est ça, ta robe, je la trouve un peu trop légère quand même.

Sonia- Mais non, c'est pas ma... je marche en plus.

Laurence- Tiens, les filles m'ont demandé de te transmettre ce cadeau avec toutes leurs félicitations.

Sonia- Elles vont bien ?

Laurence- Parfaitement bien. Elles ne veulent plus quitter New-York. Diane fait des piges pour le Herald et Stella entame une thèse, ne me demande pas de quoi ça parle, je n'ai rien compris. Enfin, elles ont quitté les nids de leurs pères respectifs définitivement je pense.

Anne- Alors ?

Sonia- Excuse-moi. mamie, il est où ton nécessaire de couture ? Anne veut refaire un point sur ma robe.

Andrée- C'est à côté. Viens.

Andrée et Sonia sortent.

Laurence- Ah café ! Tu as l'air vannée Béa. Je me trompe. Je vais te donner une adresse. C'est un cours qui mélange le taï-chi et un autre truc chinois, avec un soupçon de yoga. C'est relaxant au possible. En plus le professeur est une type incroyable, vraiment formidable. Vraiment. Quelques séances et tu auras une autre tête.

Béatrice- Merci mais,...

Laurence- Tu peux y aller sans craintes, je n'y mets plus les pieds. Super professeur mais amant tellement minable. Par contre apparemment pour lui, je suis une rareté. Bref, il me tannait tellement que j'ai été obligée de disparaître !

Béatrice- Je ne pense pas avoir les moyens.

Carole- Si tu veux on peut y aller ensemble, j'essaierai de négocier un prix pour un essai de quelques séances. Il y a beaucoup de demandes ?

Laurence- C'est très couru. Tu sais c'est le genre de nouveauté qui attire toujours ! Dis-lui que tu es ma sœur, il te fera un prix.

Béatrice- C'est gentil.

Laurence- Ah au fait, je te laisse le 4x4 ce soir, on viendra me chercher.

Béatrice- Tu ne restes pas pour la soirée ?

Laurence- Mais si bien sûr. Je partirai vers deux heures. Un petit dimanche dans un relais château quatre étoiles, ça ne se refuse pas. Tu pourras rentrer à Lyon avec la voiture. Les papiers sont dans la boîte à gants.

Béatrice- Je ne sais pas si je pourrais conduire ton engin.

Laurence- Tu peux le casser, je veux en changer de toutes façons. C'est trop gros, je préfère les coupés, c'est plus sympa.

Carole- Toujours dans la haute couture ?

Flash-back

Laurence- Antonio, tu ne peux pas les laisser faire ça ? Ça fait vingt ans que je m'occupe de la communication de cette maison !

Antonio- On a été rachetés Laurence. Nous sommes les petits dans l'affaire. Ils ont leur service de comm', tu fais doublon, tu dégages à la fin du mois, ce sont eux qui décident.

Laurence- Mais je me suis grillée dans le milieu à force de me battre pour Karl. J'ai hurlé partout que les autres couturiers n'étaient que des copieurs, des retoucheurs et je ne sais plus quoi. Tu crois vraiment qu'il y en a un seul qui va me faire confiance ?

Antonio- Je sais ! Mais franchement, je n'y peux rien. Que veux-tu que je fasse ?

Laurence- Merde ! Tu es quand même le directeur financier de cette boîte !

Antonio- D'une boîte qui n'a plus un fifrelin, directeur sans aucun pouvoir. Et qu'est-ce que tu crois ? Tu penses que je suis assez naïf pour ne pas savoir qu'il ne me reste pas longtemps avant d'être éjecté moi aussi ? C'est le monde dans lequel nous vivons Laurence, il est cruel et injuste. Même si tu as été prédateur pendant vingt ans, une seule journée suffit pour être croquée lorsque tu deviens la proie. Je ne peux plus rien faire. Je suis désolé.

Béatrice- Laurence ?!

Laurence- Euh oui, bien sûr. Je suis tellement débordée que je me demande parfois si ce monde là pourrait se passer de moi !

Carole- J'ai toujours rêvé de voir un défilé de mode en étant au pied du podium.

Béatrice- Tu ne pourrais pas arranger ça pour Carole ?

Laurence- Bien sûr. Dès la prochaine fois même. Excusez-moi, je dois passer un coup de fil.

Laurence s'éclipse

Carole- Est-ce que je peux te dire un truc pas trop sympa ?

Béatrice- A propos de ma sœur ?

Carole- Oui. Je n'ai jamais trop apprécié son genre.

Béatrice- Moi non plus je t'avoue. Mais que veux-tu, c'est ma sœur, elle a tout pour elle, travail vie amoureuse, déjantée certes mais choisie...

Carole- Es-tu vraiment certaine qu'elle ne souffre pas de vivre seule ?

Béatrice- J'espère pour elle que c'est vraiment son choix. Sinon, trois mariages dont trois divorces, ça fait un sacré paquet d'échecs à traîner.

Carole- Tu n'en as jamais parlé avec elle ?

Béatrice- Parler avec Laurence d'autre chose que de sa réussite, mais il faudrait que je sois un bourreau et que je la torture.

Brouhaha à la porte d'entrée

Laurence- C'est par ici. Au téléphone. Demande-lui de me rappeler. Merci. Bye.

Suzanne- Bonjour madame, je suis la maman d'Éric, vous vous rappelez, on s'est vues au repas de fiançailles.

Béatrice- Oui bien sûr. Vous allez bien ?

Suzanne- Oui bien merci. Je suis vraiment désolée de débarquer comme ça à l'improviste mais nous avons un gros problème. Ouhlala, oui un gros, un énorme problème. Enfin quand je dis nous, j'ai...

Béatrice- Oui ? ... Si vous n'en dites pas plus, on ne va pas pouvoir faire grand-chose.

Suzanne- J'étais à la maison en train de préparer une petite surprise pour la soirée. Oui, j'avoue que j'ai un petit timbre de voix qui me permet de chanter du Piaf sans trop de difficultés. Et à chaque réunion de famille, vous verrez, on me réclame à cors et à cris,...

Laurence- Permettez-moi de vous interrompre. On s'en fout. Ma sœur attend le problème en question.

Suzanne- Donc je me préparais ... J'ai égaré les alliances. Je suis vraiment désolée de venir vous embêter ici. C'est Éric qui m'a donné l'adresse. J'ai fouillé partout dans la maison, je ne les retrouve pas. Éric me les a confiées hier, ça j'en suis sûre, mais je ne les retrouve pas.

Béatrice- Mais, pourquoi pensez-vous qu'elles sont ici ? Éric ne les a jamais confiées à Sonia, comment auraient-elles pu atterrir ici ?

Suzanne- Oui, c'est vrai c'est un peu n'importe quoi, mais j'ai fouillé partout, je ne les trouve plus. Je suis désespérée.

Carole- Éric les a peut-être reprises pour les donner à son témoin ?

Suzanne- Non, je lui ai demandé discrètement. Il m'a dit : "Tu les gardes jusqu'à la cérémonie".

Béatrice- En fait, il ne sait pas que vous ne les avez plus.

Suzanne- C'est idiot oui. Je ne sais pas, je ne l'ai pas dit à Éric, il est tellement comme son père, quand il se met en colère, ça devient...

Un temps

Laurence- Bon, vous vous rappelez le moment où il vous les as données ?

Suzanne- Oui.

Laurence- Vous en avez fait quoi ?

Suzanne- Je les ai mises dans mon sac à main.

Laurence- Celui-là ? Hochement de tête Et après ?

Suzanne- Pas touchées.

Laurence- C'était des alliances avec des petites pattes ? Hochement de tête Elles sont parties toutes seules ? Et bien vérifiez.

Suzanne- J'ai déjà regardé vingt fois, je ne suis pas stupide au point de ne pas les avoir vues. Les voilà ! Je me sens idiote.

Laurence- Franchement, vous l'êtes.

Béatrice- Laurence, je t'en prie.

Suzanne- Oh non, elle a raison. Je suis désolée de vous avoir dérangées. Je retourne à la maison, vraiment je me sens idiote. Tout se passe bien pour vous ?

Béatrice- Parfaitement bien.

Suzanne- Tant mieux, tant mieux. A tout à l'heure alors, à la mairie.

Béatrice- A tout à l'heure.

Elle repart.

Béatrice- Elle m'a foutu les jetons cette... Elle ne trouve pas le mot. Silence un moment.

Le téléphone sonne, Andrée entre.

Andrée- Allô ? ... Oui... B128 ... Tout le monde l'a sauf toi. Au premier. Oui, c'est ça. Elle raccroche. C'est Françoise et sa fille. Elles sont en bas.

Laurence- Tu ne peux pas dire Sacha au lieu de sa fille ?

Andrée- Chacha. J'arrive pas à le dire, alors je ne le dis pas, point.

Laurence- Ça doit faire au moins dix ans que je ne l'ai pas vue, Sacha.

Béatrice- Depuis si longtemps ? Comment ça se fait ?

Laurence- Les turpitudes de la vie. Quel âge a-t-elle maintenant ?

Béatrice- Dix-huit.

Laurence- Tant que ça !

Carole- Ça ne nous rajeunit pas, hein ?

Béatrice- Mais enfin, c'est ta nièce ! Tu aurais pu faire un effort !

Laurence- Oh, mais pour te rassurer, j'ai envie de te dire qu'elle est bien plus que ma nièce !

Béatrice- Ben alors ?

Laurence hausse les épaules. On sonne, Béatrice va ouvrir.

Françoise- Bonjour. J'ai égaré le code, je ne sais pas ce que j'en ai fait. Pourtant, je me rappelle parfaitement qu'il était noté sur le ...

Béatrice- Ça n'a aucune importance, tu es arrivée, non ?

Françoise- Bonjour maman.

Béatrice- Où est ton petit monstre ?

Sacha entre dans une tenue gothique provocante.

Sacha- Là il est le petit monstre.

Toutes sont muettes.

Andrée- C'est quoi ça ?

Françoise- C'est gothique, il paraît.

Andrée- Gothique ? Non. Grotesque. Oui ! On t'a vue entrer chez moi comme ça ?

Sacha- Non, j'ai rampé sous le tapis de l'escalier. Elle branche son mp3 à fond et se vautre sur le canapé.

Françoise- J'ai abandonné. Elle fait ce qu'elle veut avec sa dégaine. De toutes façons, plus je lui dis quelque chose, plus elle s'enlaidit.

Andrée- Pourquoi, elle peut faire pire ?

Françoise- T'imagines même pas !

Andrée- Je préfère pas. On dirait qu'il y a une grosse tâche sur mon canapé. Tiens, j'ai envie de cafter à la mariée. Elle sort.

Françoise- Je suis vraiment désolée, mais ce n'est pas la peine de dire quoi que ce soit. Il faudra juste faire attention pour qu'elle ne soit pas trop sur les photos. Mais bon, comme elle ne bouge que rarement, ça ne devrait pas trop poser de problèmes.

Laurence- Ce n'est pas grave, après tout elle a le droit de s'exprimer, c'est l'âge qui veut ça.

Béatrice- L'âge ou les emmerdes ?

Françoise- ... L'âge. Tout va bien. Je vous assure.

Sacha- Enlevant une oreillette. Est-ce que je vais être le sujet de discussion de toute la soirée ? Sinon, vous me le dites tout de suite. Je tâcherai d'être à la hauteur.

Laurence- Un sacré caractère ! Tout moi quand j'étais jeune.

Françoise- On ne s'occupe plus de toi. Tu ne nous intéresses pas plus que ça.

Sacha- Merci.

Sonia déboule en trombe dans la pièce. Mais, en franchissant le pas de porte, sa robe s'accroche et se déchire.

Sonia- Sacha, tu ne peux pas me faire ça ! Aahh ! Ma robe ! Merde, merde ! Elle est foutue. T'as vu ce que tu as fait ? Sacha se désigne du doigt d'un air étonné, elle n'a rien entendu. Merde, c'est foutu. Anne a déboulé.

Béatrice- Ma chérie, attends avant de t'affoler, fais voir plutôt.

Anne- Ce n'est qu'un volant, ce n'est rien, ça a fait plus de bruit que de mal. Je vais le recoudre et on n'y verra que du feu.

Béatrice- Je vais le faire.

Anne- S'il-te-plaît, laisse-moi recoudre ce truc, je suis un peu moins stressée que toi, tu as d'autres choses à faire.

Béatrice- Ah oui ? Et quoi ?

Anne- Trouve. Viens ma puce. Bonjour à toutes celles que je n'ai pas encore vues.

Sonia- Sacha, j'ai à te parler.

Elles ressortent.

Françoise- Sonia veut te dire quelque chose.

Sacha- Quoi ?

Françoise- SONIA VEUT TE DIRE QUELQUE CHOSE !

Sacha- Elle est où ?

Françoise désigne la chambre à côté. Sacha sort.

Françoise- Elle m'épuise. Comme si je n'avais que ça comme problèmes...

Laurence- T'as voulu faire cette gosse parce que tu en avais marre de ne rien faire de ta vie, parce que tu voulais réaliser quelque chose d'exceptionnel. C'est fait, alors s'il-te-plaît maintenant, arrête de te plaindre.

Françoise- Tu exagères ! Je ne me plains pas tout le temps !

Laurence- Ça ne fait pas cinq minutes que tu es arrivée, que la litanie commence déjà !

Françoise- Moi au moins, je n'ai pas eu peur.

Laurence- Tu veux bien dire de quoi s'il-te-plaît ?

Béatrice- On se calme. Ce n'est pas une journée pour faire votre show toutes les deux... Un café ?

Laurence- Un café pour se calmer les nerfs, excellente idée.

Béatrice- Ah, il faut en refaire.

Françoise- J'y vais.

Sacha entre.

Françoise- Ça va ?

Sacha- Très bien. Sonia ne veut pas que j'assiste à la cérémonie dans cet "état", je cite, je lui ai répondu que ça tombait bien parce que je n'avais pas l'intention d'y assister, que j'étais là parce que ma "mère" m'y a traîné de force et que mis à part un ou deux petits fours, je ne mangerai rien. Et aussi, que je resterai dehors plutôt que d'écouter la danse des canards. Bref nous sommes tombées d'accord sur tous les points.

Françoise- Je ne voudrais pas... Sacha a rebranché son mp3 et va s'affaler dans le canapé. Ouh, je vais la tuer. Elle sort.

Un temps.

Carole- Tu crois que ta mère accepterait que je fasse quelques photos ici ?

Béatrice- C'est ça ! Je savais bien que j'avais oublié quelque chose. J'ai oublié l'appareil photo.

Carole- Où ça ?

Béatrice- A l'hôtel. Je l'ai laissé sur le comptoir. J'espère qu'ils l'ont encore. Oh lala, toutes les photos que j'ai faites hier...

Carole- Ne t'affole pas, je vais y retourner. J'irai directement à la mairie.

Laurence- Il est où votre hôtel ?

Béatrice- Porte de Bagnolet.

Laurence- L'aller-retour, c'est l'affaire de vingt minutes, je vous emmène. Comme ça, j'en profiterai pour t'expliquer quelques trucs sur le 4x4.

Béatrice- S'il y a des bouchons ?

Laurence- Je roulerai sur les trottoirs. Dépêche-toi.

Béatrice- Je vais prévenir Sonia.

Elle sort.

Carole- Je me suis toujours demandée pourquoi, les jours du mariage, les mères étaient aussi nerveuses, voire plus, que leurs filles. Après tout, peu de temps avant, la mère n'a qu'une envie, s'en débarrasser, exemple : Françoise avec Sacha. Alors, pourquoi ne sont-elles pas soulagées de les voir partir ?

Laurence- Vous n'avez pas d'enfant ?

Carole- Non. J'imagine que c'est peut-être simplement ça qui m'empêche de comprendre.

Laurence- On va dire ça comme ça.

Béatrice revient.

Béatrice- Voilà, on y va.

Carole- Cool, Béa, ça va aller.

Les trois partent. Sacha reste seule dans le salon.

Flash-back

Sacha- C'est quoi ?

Françoise- Tu as fouillé dans mes papiers ?

Sacha- Je t'ai demandé ce que ça veut dire !

Françoise- Tu n'as pas à fouiller dans mes papiers et tu n'as pas à me donner d'ordres que je sache.

Sacha- Je savais déjà que je n'avais pas de père, mais là, apprendre que tu n'es pas non plus ma mère, tu crois que ça me pousse à t'obéir ?

Françoise- Mais je suis ta mère !

Sacha- Mon père est une paillette congelé, ma mère un don d'ovocyte, mes vrais parents se sont croisés dans une éprouvette pendant la fécondation in vitro, toi, tu n'interviens qu'après tout ça ! Tu n'es qu'une porteuse qui se prend pour une mère !

Françoise- C'est ma volonté qui t'a fait venir au monde.

Sacha- Je n'ai pas eu le choix moi, de venir au monde dans ces conditions. Pourquoi ? Pourquoi je suis née comme ça ? Parce que tu n'avais rien, il te fallait une poupée pour t'occuper ? Un jouet à montrer ? Comment veux-tu que je vive avec ça ? Tu ne t'es même pas posé la question avant de m'acheter en kit ? Qui est ma vraie mère ?

Françoise- Je ne sais pas.

Sacha- Tu mens, il n'y a pas de nom dans ce dossier, mais c'est écrit que le don d'ovocyte n'est pas forcément anonyme. El y a un pseudonyme dans la case donneuse : blaireau. Qui est ma vraie mère ?

Françoise- C'est moi ta vraie mère !

Sacha- Non, ce n'est pas toi !

Andrée entre.

Andrée- C'est vraiment laid tu sais.

Sacha- Quoi ?

Andrée- C'est vraiment laid.

Sacha- Ça me passera. Jamais tu ne dis des trucs sympas ?

Andrée- J'ai du mal.

Un temps.

Sacha- Tu savais que ma mère n'est pas ma mère ?

Andrée- Elle te l'a dit ?

Sacha- Non, je l'ai découvert par hasard. C'est pire.

Andrée- J'imagine.

Sacha- Alors ? Andrée hoche la tête pour dire quoi ? Tu le savais ?

Andrée- Oui. Mais je ne sais pas qui lui a donné un œuf.

Sacha- Un oeuf. C'est drôle comme mot.

Andrée- C'est celui que j'utilise. Il est simple et compréhensible non ?

Sacha- Oui. Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

Andrée- Parce que ce n'était pas à moi de te le dire. Réfléchis, pense à ce que ça veut dire pour moi, avouer ou démontrer que tu n'es pas "génétiquement" ma petite fille. Remarque, ça me permet de te parler, ça fait partie des mystères de l'humain sans doute. Aux autres, je ne peux plus. Cette famille me sort par les yeux. Elle ne devrait pas mais je ne peux pas lutter avec moi-même. Je leur en veux, à toutes.

Sacha- Je ne comprends rien.

Andrée- Mon mari m'a foutue à la porte au lendemain de la naissance de Geneviève. Il était officier, dans la Marine, il voulait tellement un garçon. A la quatrième fille, il n'a pas supporté, il a jeté femme et enfants par dessus bord. Depuis, mes filles n'ont eues que des filles, je crois parfois que c'est une malédiction. J'ai du mal à le supporter. Toi, tu es un peu différente, si tu es là, ce n'est pas à cause de la "malédiction".

Sacha- Plus j'ouvre les yeux, plus je me demande si quelque part il existe une vie normale, simple et sans douleurs cachées profondément.

Andrée- Si tu ne veux pas être déçue, referme les yeux tout de suite. T'es vraiment une horreur comme ça. Elles rient au moment où Françoise revient de la cuisine. Les rires stoppent immédiatement. Heureusement, on sonne.

Françoise- J'y vais. Bonjour. Tu vas bien ?

Geneviève- Oui et toi ? Comme d'habitude j'imagine. Bonjour maman. J'espère... Elle aperçoit Sacha... que je ne suis pas trop en retard. J'ai eu du mal à te reconnaître tu sais. C'est nouveau ou c'est juste pour agacer Sonia ?

Sacha- Je sors de mon œuf !

Geneviève- Je ne suis pas certaine de tout comprendre mais si tu le dis. C'est quoi aujourd'hui ? Y'a un de ces mondes dans les magasins. En plus je ne sais pas si les gens ont oublié ce que c'était de se laver pendant l'hiver, mais au début du printemps, t'as toujours un relent d'aisselle pas fraîche qui vient te narguer les narines. Je voulais acheter un truc rigolo, des fois que Sonia veuille faire la jarretière. Je déteste ça la jarretière, c'est atrocement humiliant. Bref, je cherchais des jetons pour machines à sous, tu sais un truc qui au premier abord ressemblerait à des boutons de culottes mais qui leur permettrait d'aller jouer quelque part. J'y connais rien, c'est standard les jetons ou les casinos ont chacun les leurs. Parce que si c'est ça, moi, mon idée je me la remets derrière l'oreille. Elle va la faire ou pas alors ? Pendant son monologue Andrée et Françoise sont sorties. Bon, ben, il n'y a plus que toi. Tu supportes mon charabia ?

Sacha- Montrant son mp3. Quoi ?

Geneviève- Je disais : tu supportes mon charabia ?

Sacha- Pas écouté.

Geneviève- Je me disais aussi.

Sacha- Tu parles toujours autant.

Geneviève- Oui, le silence me rappelle la mort.

Sacha- La mort de qui ?

Geneviève- La mienne.

Sacha- La tienne ?

Geneviève- Oui. Peu importe, laisse tomber les divagations de tata. Je suis déjà morte une fois. Tout le monde se fout de ma gueule quand je dis ça, mais bon. Alors, comme j'ai pas envie que ça me surprenne une autre fois, parce que c'est tellement désagréable, je déblatère, comme ça j'entends que je suis toujours vivante. Même si ça emmerde autour de moi. Dis-moi, c'est un déguisement ou tu as réellement un faible pour le gothique ?

Sacha- Tu sais ce que c'est ?

Geneviève- Ne pense pas que je suis une attardée sociale. Je sors plus que tu ne crois. En général, je vais dans les endroits où le bruit ou la musique sont tellement forts que ça m'empêche de parler. C'est reposant pour moi en quelque sorte. Tu deviens une vraie femme toi, tu réponds à une question par une autre question.

Sacha- T'essaye de ne pas mourir, j'essaye de naître.

Geneviève- OK. Voilà une réponse qui a le mérite de l'énigme. J'aime, je vais y réfléchir. Bon, je vais aller quand même faire un bisou à la puce qui se pend aujourd'hui. Tu ne lui répéteras pas hein ?

Sacha- Je ne pense pas qu'elle m'adressera la parole de la journée.

Geneviève- Tant mieux, tant mieux. Elle est à côté, je présume ?

Sacha fait oui de la tête.

Geneviève- en entrant dans la cambre d'amis Alors la puce, prête pour le grand saut ? Tu vois, je me suis toujours dit qu'il fallait des inconscients pour que ce monde puisse tourner normalement...

A peine a-t-elle disparue dans la chambre d'amis qu'Andrée et Anne reviennent dans le salon.

Andrée- Elle me saoule à parler tout le temps, c'est insupportable.

Anne- Celui qui vivra avec elle un jour n'aura pas besoin d'acheter une télé.

Andrée- Je ne sais pas si elle trouvera quelqu'un. Il faudrait qu'elle cherche déjà. C'est pas avec la vie de débauche qu'elle a que ça va arriver de sitôt.

Anne- Je croyais que vous ne parliez plus qu'à Béatrice. Comment vous savez tout ça ?

Andrée- C'est Béatrice qui me raconte. Je l'écoute... Bon, je vais aller faire un tour. Allez toi, accompagne la vieille.

Sacha- T'as pas peur qu'on te voit en ma compagnie ?

Andrée- Au moins, les pigeons viendront pas me demander à bouffer.

Sacha- On va faire un tour. Geste de Anne "OK", elles sortent.

Anne- Au téléphone. Béa ? C'est moi. ... Y'a pas de bouchons ? .. Sonia s'inquiète... Un quart d'heure. Ok, je lui dis...Non, je ne fais pas tout.... Oui. Allez, à toute.

Françoise entre.

Françoise- Où est Sacha ?

Anne- Partie faire un tour avec Andrée.

Françoise- Avec ma mère ? Je crois qu'aujourd'hui fait partie de ces journées où tout m'échappe.

Anne- Ça arrive.

Sonia- Faisant une apparition. Tu l'as eu ? Y'a pas de bouchons ?

Anne- Non, elles seront là dans un quart d'heure environ.

Sonia- Tu veux bien m'aider pour la finition du maquillage. Geneviève me dit qu'à part les maquillages de drag-queen, elle sait pas trop faire.

Anne- Ne t'affole pas tu as encore le temps, je prends un café et j'arrive. Deux minutes.

Sonia- Merci.

Françoise- Je crois que je ne suis pas prête de vivre un jour comme celui-là moi.

Anne- C'est à dire ?

Françoise- Sonia est un peu plus âgée que Sacha, mais je ne peux pas imaginer ma fille en train de se marier. Surtout quand on la voit grimée comme en ce moment.

Anne- Sans doute.

Françoise- Vous avez des enfants ?

Anne- Non.

Françoise- C'est un choix ?

Anne- Pas vraiment non. J'aurai voulu en avoir douze, quinze, deux-cents. Je crois que j'ai tout essayé. La moindre bêtise que pouvait me dire un rebouteux du fin fond de la Creuse, je l'essayais. J'ai claqué une fortune en spécialistes. Toujours la même inexorable sanction : pas viable.

Françoise- Mais quand vous dîtes "tout essayé", même l'insémination artificielle.

Anne- Inutile, ça vient de moi.

Françoise- Et le don d'ovocyte ?

Anne- J'étais désespérée certes, mais au point de pondre un gosse qui n'a rien de moi, non. Je ne suis pas une poule. Je voulais être une vraie mère, la mère de mes enfants, de ma chair. Celles qui recourent à ça, j'ai vraiment du mal à les comprendre. Vous les comprenez vous ?

Françoise- Oh, un peu, j'essaie en tous cas.

Anne- Vous imaginez si Sacha n'était pas votre chair, si elle n'avait rien de votre patrimoine génétique ?

Françoise- Je ne préfère pas, vous avez raison.

Anne- Au bout du compte, j'ai tenté l'adoption, mais mon dossier a été refusé. Mais à force de passer du temps pour avoir un enfant, je me suis retrouvée trop âgée déjà pour en adopter un. Mais bon, il ne faut pas que je me plaigne, ça me laisse des forces pour aider les autres comme ça.

Françoise- Et votre mari ?

Anne- Il est décédé il y a deux ans, accident du travail.

Françoise- Vous tenez le coup ?

Anne- C'est pas en étant déprimée qu'on apprécie des journées comme celle-là. Quand on voit tout le bien que l'amour fait autour de vous malgré tout, on n'a pas le droit de se plaindre, non ?

Françoise- Oui.

Anne- Je dois aller aider la puce.

Françoise reste un tout petit moment seule. Geneviève réapparaît depuis la chambre. Quelqu'un est entré dans l'appartement...

Dorothée- Bonjour, je suis la voisine d'Andrée. J'ai les clefs. Je me suis inquiétée parce qu'il n'y a jamais eu un tel remue-ménage chez elle. J'ai hésité, mais bon, je me suis dit qu'il valait mieux aller demander des fois qu'il serait arrivé un malheur.

Françoise- Non, c'est juste le bonheur de sa petite-fille qui se marie.

Dorothée- Le bonheur ? Des fois, les gens ils pensent pas que le mariage c'est forcément du bonheur.

Geneviève- C'est certain que l'on peut débattre un bon bout de temps sur le sujet. Mais chère madame, je pense qu'il vaut mieux considérer que Sonia considère ce jour comme un jour heureux.

Dorothée- Sonia ?

Geneviève- La petit fille d'Andrée, celle qui se marie.

Dorothée- Oui bien sûr. Ça aurait été étonnant de voir Andrée se remarier !

Geneviève- Oui quoique l'idée est rigolote. Je vais lui dire que vous l'avez proposé.

Dorothée- Ah non, vous plaisantez, elle va m'incendier.

Geneviève- Mais bien sûr que c'était une plaisanterie. Je dirais même une idiotie. Il faudrait être vraiment bête pour croire que...

Dorothée- J'ai compris. Bon, vous n'avez besoin de rien ?

Françoise- Non, nous vous remercions.

Dorothée- Si des fois, vous avez besoin, je ne suis pas loin hein ?

Françoise- Je le dirai à ma mère. Andrée.

Dorothée- C'est votre maman ? Elle m'a dit qu'elle avait quatre filles. Vous aussi, vous êtes une d'entre elles ?

Geneviève- Moi aussi.

Dorothée- Enchantée de vous connaître. Je suis Dorothée. Enchantée de vous connaître. Voilà voilà. Bon, ben, je vais y aller. Au revoir.

Elle sort.

Geneviève- Quelle heure est-il ?

Françoise- Deux heures et demie.

Geneviève- Je vais aller m'allonger un peu, je suis fatiguée.

Françoise- Tu as encore passé une nuit blanche.

Geneviève- Mes nuits blanches, je passe à les noircir. C'est dans une chanson.

Françoise- De qui ?

Geneviève- Tu connais pas. A force de ne plus dormir, j'ai l'impression d'avoir cent vingt ans. Une vie éternelle, c'est drôle non, pour quelqu'un qui est déjà mort.

Françoise- Arrête avec ça ! Chaque fois que l'on se croise, tu racontes les mêmes bêtises.

Geneviève- Excuse-moi. Elles ne disent plus rien. Depuis la chambre d'amis on entend une flopée de rires. Françoise prend une revue télé.

Flash-back

Docteur- Asseyez-vous Geneviève. Je tenais à vous le dire personnellement, j'ai les résultats des examens.

Geneviève- Alors ? ... J'ai compris. Vous vouliez me dire quelque chose que l'on a pas besoin de dire, c'est ça.

Docteur- Vous êtes séropositive. Dès demain, vous devrez entamer une tri thérapie... Geneviève ?

Geneviève- Je viens de mourir et vous me parlez de thérapie.

Docteur- Il n'est pas question de mort. Les médicaments vous permettront de vivre normalement...

Geneviève- Docteur, permettez-moi deux questions.

Docteur- Oui ?

Geneviève- Êtes-vous séropositif ?

Docteur- Non, mais...

Geneviève- Moi si, je viens de l'apprendre et je considère que tout s'arrête. Nous sommes en décembre, je verrai le prochain été ?

Docteur- Comme j'ai essayé de vous dire, le traitement vous permettra de vivre normalement encore longtemps. Des années. Il y a juste quelques contraintes...

Geneviève- Arrêtez de parler de vie normale. Je vais m'en, aller si vous le voulez bien. Je ne veux pas que ma famille soit au courant. C'est possible ?

Docteur- Vous êtes entièrement libre de décider. Je vais dire à Karine de vous noter un rendez-vous pour demain à quatorze heures.

Françoise- Ils passent le cauchemar de Darwin la semaine prochaine, tu l'as vu ?

Geneviève- Oui, j'avais besoin de me remonter le moral ce jour là.

Françoise- On ne parle pas de la même chose. C'est une véritable horreur ce documentaire, je ne comprends pas comment on peut en arriver là.

Geneviève- Je parlais bien de ça. Tu sais, le monde, c'est pas l'île aux enfants.

Françoise- Depuis que je l'ai vu, je n'achète plus de perche du Nil.

Geneviève- C'est bien.

Françoise- Ce qui m'a choqué, c'est ce moment où tu vois cette femme qui meure du SIDA et ce missionnaire qui dit que le préservatif c'est péché. Un pantin qui répète sans comprendre ce que lui ordonne l'église. Quand je pense à tous ces gens qui en crèvent là-bas.

Geneviève- Il n'y a pas que là-bas qu'on en meure.

Françoise- C'est vrai, mais ici, quand même faut être un drogué ou une traînée pour attraper ça. Tu ne crois pas ? Un temps Tu me trouves trop catégorique ?

Geneviève- Un peu peut-être, mais, tu as sans doute raison. Je vais me faire un thé s'il y en a.

Françoise- Dans le placard de droite.

Geneviève- Merci. Elle sort.

.... à suivre.

Notes de l'auteur :

Le dernier rôle, celui d'Isabelle, est tenu par une jeune femme de l'âge de Sonia. Elle sera enceinte....

Comme tout un chacun, toutes ces femmes, ces jeunes femmes portent des valises parfois trop lourdes. Certaines pensent qu'il est temps de les poser, d'autres tiennent bon... La vie.

Le reste de la pièce est sur le même ton, comédie douce amère, parfois hilarante, parfois grinçante. Les rôles des hommes sont joués par le même acteur. Ce doit être un personnage intemporel (un changement de lumière au moment des flash-backs suffit).

  Pour lire la fin de la pièce :  le.marc.page@gmail.com

Merci

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