Du boulevard Ausrtobrun à la rue des loups en passant par le Larzac

Charles Feit

En fait, je voulais simplement aller à la boucherie, mais j’ai pas fait cent mètres que Mme Bolgui me tombe dessus et ça commence, elle me raconte ses vacances et les malheurs de son neveu, que je connais même pas, alors que dans ma tête je rêvassais en me demandant ce que je pourrais bien acheter chez le boucher ; sans me laisser le temps d’aller au bout mon idée, Mme Bolgui enchaîne sur ses soucis de santé, mais comme elle en a tout le temps je m’inquiète pas et pour clôturer la conversation, je la salue et je pars dans l’autre sens. Mais dans le mauvais sens, alors si je fais demi-tour je vais retomber sur Mme Bolgui, et j’ai pas que ça à faire avec ses histoires de varices, ma cousine elle en a eu des varices eh bien c’est pas drôle, mais si je lui dis ça à Mme Bolgui ça va être encore plus long et ça pourrait revenir à son neveu que je connais même pas, et qui gagne pas à être connu d’après ce qu’elle m’a raconté, alors me v’là dans le mauvais sens, je retourne vers chez moi, alors que la boucherie elle est derrière moi.

Donc j’ai plus le choix, si je veux manger une escalope de veau, parce que l’histoire des vacances de Mme Bolgui dans le Larzac, ça m’a donné envie de manger du veau, c’est bizarre car le Larzac ça fait plutôt penser aux moutons, mais j’aime pas ça, alors je me suis dit qu’une bonne escalope de veau ce serait pas mal.

Du coup, faut que je tourne dans la rue d’Empoi, comme ça je rattrape, la rue des loups et je peux retrouver la boucherie, en espérant que Mme Bolgui ait pas l’idée d’aller à l’épicerie grecque, car là c’est sûr je vais la croiser. Et comment j’explique que je vais à la boucherie en venant de la rue des loups alors que je viens de la croiser boulevard d’Austrobrun, y’a pas cinq minutes. Et Mme Bolgui, c’est bien le genre de chose qu’elle remarque, et après elle va raconter ça à tout le monde, et je vais me retrouver entre les vacances dans le Larzac, les malheurs de son neveu et les varices. Sinon je peux toujours aller chez le charcutier, place Alfonse, je prendrai un peu de piémontaise et un morceau de lard, c’est moins fin que le veau mais si ça peut m’éviter les varices, le Larzac et le neveu dépressif. Par contre j’ai déjà mangé de la piémontaise hier, et c’est bien pour ça que je voulais aller à la boucherie, car un peu de chaud ça m’aurait pas fait de mal.

Je vais quand même pas me priver de veau parce que Mme Bolgui a les jambes lézardées, que son neveu, que je connais même pas, il veut se foutre en l’air à cause d’une certaine Juliette qu’est partie avec le plombier et ceux-là je les connais encore moins, et puis le Larzac ça m’a toujours barbé, moi j’y vais jamais, je vais toujours en Bretagne, au moins là-bas y’a des cochons et je crache pas sur un petit bout de lard.

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