Du burin à l'âme

iletaitunefois

Dans les Temps immémoriaux, où l'Art le disputait à la Divinité, ...

Assis sur un gros bloc blanc de pierre brute, il regardait son œuvre d'un air songeur. Cet ivoire laiteux, ces courbes précises et cependant si naturelles... le sculpteur aux mains agiles aurait pu être fier de son travail. Mais son cœur solitaire semblait toujours devoir lui rappeler que de son art, rien de réel ne pourrait jamais advenir.
Il avait décidé, depuis longtemps déjà, de ne plus se complaire dans la compagnie des Humains, ne ressentant que mépris pour ces pauvres âmes perdues habitant l'île ; où était donc passée la Divine Aphrodite et ses promesses d'Amours éternelles ? Qu'était‑il donc arrivé aux femmes de Chypre pour qu'il préfère le silence de la Nuit aux éclats dorés du Soleil, le cri de ses outils d'airain aux rires sonores des Propétides ?
S'il en était arrivé à ne plus vouloir partager son temps avec aucune autre personne au cœur battant et au souffle vivifiant, c'était à ces méchantes créatures qu'il le devait, de ceci il était certain ! Laissant choir au sol marteau et burin, il n'attendit pas même que l'écho aigu ne s'éteignit pour se lever de sa stèle et lancer cette supplique :
— Ô Toi, mon Immortelle Déesse, n'entends‑tu pas ma voix ? Regarde autour de toi, et vois ce que tes créatures sont devenues : de simples corps qui ne font que se réjouir, des esprits simples qui ne peuvent plus que réagir ; de vraies personnes, elles se sont métamorphosées en fausses promesses, ne reconnaissant même plus ta nature divine ! Leur cœur est devenu plus dur et froid que la pierre, alors que ma statue, elle, ne peut me voir la regarder. Ô, Déesse qui naquit de l'écume, écoute‑moi et prête‑lui Vie !
Faisant le tour de l'Inanimée, comme pour mieux attendre la réponse espérée, il plongea son regard déjà empli de larmes dans celui de sa création. L'attente ne dura que peu de temps, et Aphrodite, ayant entendu l'appel désespéré de l'artiste, insuffla, d'un soupir serein, la Vie et l'Amour à l'Être à la blancheur laiteuse et aux divines proportions.
Alors que, dehors, les Propétides perdaient leur statut d'Humanité et devenaient silhouettes inanimées, dans l'atelier du sculpteur commença à frémir la forme callipyge qui avait exigé tant de travail et de compassion avant que d'ivoire, elle ne devienne Humaine.
Ce fut ainsi que le célèbre Pygmalion put enfin serrer contre lui son Aimé ; et se réjouir, le plus naturellement du monde, de lui avoir donner tout ce que Dame Nature avait prévu dans sa grande sagesse proverbiale.
— Tu sais que tu me plais, dis ; je suis assez fier de toi, mon grand Fou !
Et David (oui, David, pas Galatée, non mais …), de le serrer contre lui dans ses gros bras musclés, faisant là preuve, regard brûlant et bassin dardant, que son créateur ne l'avait pas loupé !

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