Du Coq à l'âne !

zez

J'adore passer du coq à l'âne !

 Chaque été ramène son lot de désillusions pour un jeune malaisé dans une société rythmée par les interminables périodes de travail et les rares moments de plaisir. Les vacances sont souvent équitablement réparties tout au long de l’année pour les étudiants. J’ai l’âge d’un étudiant et selon toute vraisemblance il semble que j’en sois devenu un malgré moi. Car comme tout étudiant, je me rends toujours dans le premier amphithéâtre de l’année avec un plaisir non dissimulé. Tout d’abord, je me mets dans les premiers rangs avec un air presque déterminé, j’ai du papier clairefontaine sur moi parce que j’ai bien aimé la pub, et surtout je prends en note tout ce que raconte le professeur  même les remarques machistes qu’il balance après s’être grassement pincé le ventre à une pauvre fille, même pas belle, qui a le malheur de se trouver sur sa route. Le va et vient des professeurs me rend amère au bout de la deuxième semaine.

Il y a deux types de professeur à la Fac : l’orateur et le lecteur. L’orateur est souvent un professeur émérite qui accumule beaucoup de fonctions à la Fac comme ces Maires/ Députés qui possède un compte en Suisse pour protéger les fonds de la République (après tout c’est notre argent). Pris de panique, pensant avoir à faire à un terrible dictateur mégalomane qui s’agite d’ailleurs de l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche de l’estrade, je m’éloigne du premier rang et me retrouve à mi-hauteur.  

Le lecteur est un autre spécimen de professeur. Il est un fils à papa qui n’a pas réussi à prendre le train en marche. Aigri au possible, le lecteur se contente de  lire mollement et à la lettre près le manuel de cours qu’il a écrit  et qui représente la seule joie de sa triste existence et d’où il tire vainement tout cet orgueil mal placé. Fanatique prosélyte de son œuvre, il passe le plus clair de son temps à paraphraser son livre sans jamais se relire quitte à reproduire indéfiniment les erreurs du passé. La plupart du temps, les élèves se bornent à surligner les passages que le lecteur aura bien voulu leur faire entendre de sa belle voix d’écrivain raté. Puis, les jours passent, et je m’éloigne de plus en plus du professeur, épicentre de l’amphithéâtre, pour aller flirter avec les derniers rangs, si près de la sortie. Et surtout je n’ai plus de papier à écrire ni d’encre sinon une cartouche de feuille OCB et du tabac que je dépense en même temps que mon âme en  fumant vite et fort comme si seule la plus terrible des maladies pouvait me libérer de ce chemin de croix quotidien. Puis vient le temps des vacances.

 Chacun est alors appelé à disparaître de la ville pour respirer et surtout pour faire respirer les autres. Au mois d’août, la population des grandes villes est déportée par TGV (fabrication française) au bord de la mer.  Les appartements se vident pour le plus grand plaisir des cambrioleurs, et les plages de l’Atlantique et de la Méditerranée se remplissent quasi-simultanément. Les derniers parisiens soldats de l’infortune, qui ont décidé de rester et d’économiser leur argent en attendant des jours meilleurs qui n’arriveront sans doute jamais ont eux aussi l’impression d’être en vacances. Croyez moi c’est n’est vraiment pas Paris Plage qui nous donne cette impression, mais le sentiment que la ville est à nous pour quelques jours, et qu’ainsi notre vie nous appartient.

 Nos ainés bénéficient pour leur part de quelques semaines de congés payés depuis que le Front populaire, seul gouvernement socialiste du XXème siècle, a réussi à les imposer au patronat. Il n’était pas question d’économie ni de baisse des dépenses publiques à l’époque, il était question de l’homme. Et cet homme nous ne le sommes plus. Nous sommes devenus un taux de criminalité pour certains, un taux d’inactivité pour d’autres, ou une quelconque unité standard dans le tableau de l’Insee. La société nous a tellement déshumanisés que derrière les chiffres aberrants que vous présentent tout sourire les bimbos de la télévision se cachent des réalités très différentes. Les politiques de droite comme de gauche s’évertuent à jongler avec des centaines de courbes pour nous montrer que celle-ci commence à baisser ou que celle-ci n’a pas fini d’augmenter. Certains d’entre eux s’étonnent même de ne pas être réélus alors que les courbes en question pointent dans la bonne direction. Mais que dire ? Les sentiments ça ne se mesure pas et on a toujours détesté les mathématiques !   

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