éclairs : L'Eté, Camus (Prométhée)

ste

[...] Prométhée rentre à nouveau dans notre siècle.

   Les mythes n'ont pas de vie par eux- mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. qu'un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève intacte. Nous avons à préserver celui-ci et faire que son sommeil ne soit point mortel pour que la résurrection devienne possible. Je doute parfois qu'il soit possible de sauver l'homme aujourd'hui. Mais il est encore possible de sauver les enfants de cet homme dans leur corps et dans leur esprit. Il est possible de leur offrir en même temps les chances du bonheur et celles de la beauté. [...] Au coeur le plus sombre de l'histoire, les hommes de Prométhée, sans cesser leur dur métier, garderont un regard sur la terre, et sur l'herbe inlassable. Le héros enchaîné maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l'homme. C'est ainsi qu'il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les dieux, c'est cette longue obstination qui a du sens pour nous. Et cette admirable volonté de ne rien séparer ni exclure qui a toujours réconcilié et réconciliera encore le coeur douloureux des hommes et les printemps du monde.

                                               "Prométhée aux Enfers", 1946 (L'Eté).

J'adore la réflexion sur les mythes qui revivent, sur les deux besoins de l'homme : beauté et bonheur, sur l'idée du révolté qui est le sauveur de l'humanité, sur la persévérance de l'homme et  sa démesure de tout vouloir (c'est comme ça que je comprends "ne rien séparer ni exclure").

J'avais découvert cet essai il y a 15 ans je crois dans la bibliothèque de jeune fille de ma mère (que de belles lectures, que de sulfure dans les classiques...), je l'avais lu en diagonale en étant toutefois éblouie par le style et les motifs méditerranéens, L'Eté était d'ailleurs précédé de Noces. Je l'ai acheté il ya peut-être un an, je ne souviens pas, et lu il y a quelques jours : ce passage (le chapitre entier), je l'ai lu trois fois avant de me dire qu'il me semblait l'avoir compris. J'étais sur une couverture au bord d'un lac de montagne entouré de roseaux, seuls (avec mon homme), le soleil était moucheté par les branches de très hauts peupliers. Ce sont des moments comme ça qui...

Signaler ce texte