école utopique

jone-kenzo

Phillipe Lelsy  sentait un peu ses yeux s’embuer. Le bâtiment qu’il avait sous les yeux n’avait rien de la terre promise. Faire demi tour ? Oui mais c’était tout ce dont il avait toujours été capable. L’état même de son espèce de trench reconvertis en redingote le faisait balbutier de tristesse. A cet instant il se sentait comme un enfant qui avait de plus vilains cadeaux de Noël que les autres. Les larmes restaient dans sa gorge. Cette satané impossibilité de soulager son chagrin depuis des mois le rendait encore plus malheureux.

Dans sa poche le dépliant précieux lui semblait comme le ticket d’or de Willy Wonka. En même temps, il était sur qu’il ne tiendrait pas. Comment est-ce que tout ce baratin était possible ? « Une école sans étude, un avenir harmonieux assuré  » . Le mot «  harmonieux  »… Tout pouvait être crédible dans cette phrase, quoique difficile à avaler en ces temps incertains, pas ce mot en revanche.

En entrant dans le hall, la salle d’attente était assignée par un écriteaux sobre en noir et blanc: «  Patientez  ». Oh oui ça faisait trente-cinq ans qu’il patientait, ça pouvait bien attendre ici. Voila ce qu’il pensait à chaque fois que ses pieds franchissaient avec habitude le pas de la porte de son psychiatre. Ce qu’il attendait le plus c’était la mort, ou d’être heureux, il ne savait plus trop à force de louper ses tentatives de suicide. D’un côté il n’avait pas donné le meilleur de lui-même quand il s’était envoyé la pharmacie en oubliant de boire l’alcool avant les somnifères. De l’autre se voir sauver à quatre heure du matin sur un pont désert il l’avait un peu en travers.

A sa droite un jeune homme pleurait. Il eut de la compassion pour lui, forcément il se reconnaissait. Que faire, lui tapoter le bras, lui demander si tout va bien ? Evidemment que non s’insurgeait-il intérieurement. Mais il ne put s’empêcher de faire sortir ces syllabes programmées socialement de sa bouche:

- « Est-ce que tout va bien ? Je sais qu’on ne se connait pas, mais bon. S’arrêtât-il trouvant que sa phrase était déjà trop longue pour lui-même.

Son hôte parût légèrement surpris Pas tant que cela, car il ne semblait en aucun cas gêné.

- Oh oui, bien sur que ça va. Je vois que c’est la première fois que vous venez ici, sinon vous ne me poseriez pas la question.

- Sans doute ! Enfin en tout cas je m’excuse, sans bien comprendre pourquoi, mais j’ai surement mis les pieds dans le plat, bafouillât-il pâle et déconfit.

Maintenant lui aussi avait envie de pleurer. C’était comme ça en ce moment il était émotif. Pourtant une légère pointe de colère le tenait. C’était pourtant bien intentionné de poser cette question, il fallait vraiment qu’il arrête de croire que les gens avaient besoin de lui. Le saule pleureur humain devinait sans conteste les interrogations de son voisin et ne le laissât pas perdre de temps, bien que cela l’amusait un peu d’être inconnus à son regard.

- Je n’ai pas été très claire je pense. Mais c’est normal. Il faudrait que je vous explique beaucoup de choses, et je ne suis pas très doué pour ça. Le Cassandre  vous l’expliquera mieux que moi. En tout cas sachez que je suis pleureur. C’est mon métier. Oh je suis encore novice en tant que professionnel, mais on s’en moque puisque je pratique au quotidien. Vous voyez c’est mon talent à moi, j’ai tout le temps envie de pleurer pour tout, et je me régal des émotions des autres. Je les absorbes, et ça sort comme ça. Ca va vous paraitre tordus, j’espère que vous ne me jugerez pas trop vite, mais j’aime quand les gens pleurent et quand ils sont joyeux aussi.

Les yeux de Lesly battaient des paupières comme un papillon pressé. Ses pommettes écrasées tombaient d’étonnement. Cet étranger lui paraissait très farfelus.

- Votre métier ? Et pourquoi vous êtes là alors ?

- Bien juste pour saluer un peu les gens, et pleurer un peu pour eux. Je sais que certains ont eut un peu de chagrin ces derniers temps, alors je viens compatir avec eux. Les gens sont toujours soulagés qu’on pleure avec ou pour eux, vous imaginez bien.

Il Fallait avouer que ce jeune prodige de la larmichette n’avait pas tort. Depuis des années  jamais personne n’avait pleuré pour Lesly, il s’imaginait souvent mourir et n’avoir que des inconnus de sa famille venir à son enterrement. Inconnus qui n’en auraient strictement rien à cirer qu’il soit mort pendu ou à cause la dégénérescence de ses cellules. Même Elsa qu’il avait fréquenté deux ou trois fois par semaines pendant trois ans le regardait avec une affliction passagère quand il piquait ses crises de nihilisme, pour autant l’instant d’après elle semblait penser que tout pouvait passer. Ou alors elle avait oublié. Souvent il avait laissé des manuscrits mal cachés ou il écrivait qu’il se sentait seul et voulait crever comme un chien. Mais personne n’était tombé dessus, ou personne n’avait voulut partager ses jérémiades. Au moins si ce type avait été là, il aurait su que quelqu’un partageait réellement sa peine.

Et vous ? Vous avez quel talent d’après vous ? Interrogeât le jeune homme pour relancer son nouvel ami de salle d’attente en train de voguer à mille lieux dans ses considérations.

- Oarf… Dans la vie je ne sais rien faire je crois. A part louper tout ce que j’entreprends. Ou même pire ne rien entreprendre.. En ce moment je ne suis capable de rien. Non, se reprit-il. Pa sen ce moment. Je ne me rappel plus de la dernière fois ou j’ai fait un truc, un vrai truc. Je veux dire à part rien glander. En fait je suis totalement paumé. Je sais même pas pourquoi je suis ici, et je suis pitoyable, j’en suis même réduit à me confier à un étranger.

L’autre se mit à pleurer de plus belle.

- Oh comme c’est pathétique effet ! Je suis très très triste ! Merci ! Vous voyez, je ne sais pas quel sera votre futur utilité, mais rien qu’à moi vous m’avez été utile. Continuez à désespérer ! Je suis sur que cela vous mènera quelque part ! les gens  avec une existence aussi morne ne sont pas extrêmement rares, mais vous êtes lucides et cela vous rend tellement affligé et misérable ! Vous êtes un vrai perdant ! Ca pourrait même être votre métier tiens !  Je suis sur qu’avec toute ces qualités le Cassandre trouvera rapidement votre place dans cette école ne vous en faite pas!

- C’est-à-dire ? Questionnât l’homme de plus en plus interloqué. Vous entendez par là qu’on va me former à rester ce que je suis ? A être un véritable no life ? Un looser ?

- Mais quelle question ! Moi aussi je me rappel je parlait comme vous, et cela me semble tellement loin à présent. Mais que pouvez vous être d’autre que vous-même ? Le plus bête des dessins animés vous dira «  restez vous-même, les autres doivent vous aimer pour ce que vous êtes «  Et bien si c’est vrai pour un enfant c’est vrai pour vous aussi. Ne vous inquiétez pas, je pense que toute la malchance est de votre côté pour réussir.

Réussir grâce à ses défauts ? N’était-ce pas ce que faisaient les business man qui appauvrissaient la moitié de la planète ? Ou les multinationales qui faisaient s’éteindre l’espèce industrialisée à coup de junk food et de rêves pourris sortis de sitcoms américains ou de soaps japonais ? Si Lesly n’avait pas été aussi maniaco dépressif, il aurait sûrement put apprécier pleinement ce qui lui arrivait.

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