Ecrire ? . Août - § 11 -

scribleruss

Copié collé d'une chronique de Charles Consigny sur le site Le Point.fr

   La Revue littéraire des éditions Léo Scheer m'a fait passer une liste des livres paraissant à la rentrée de septembre, en me demandant d'en choisir deux à critiquer.

   Il s'agissait d'un travail non rémunéré que j'ai accepté pour des questions d'image, préférant rester pauvre mais invité au prix de Flore.

   À la lecture de la liste, j'ai trouvé qu'il y avait toujours les mêmes noms, les mêmes noms de vieux schnocks qui écrivent pour écrire, qui écrivent parce qu'ils écrivent, qui vont se taper les mêmes salons que ceux qu'ils se tapent depuis dix ou quinze ans ou davantage, qui vont être invités dans les mêmes émissions de radio et,

     pour ce qu'il en reste, de télévision, et qui vont subir les mêmes louanges des mêmes journaleux avec qui ils copinent par intérêt autour des boulevards du Montparnasse et Saint-Germain - et avec lesquels ils passent leur temps à parler des autres, les autres écrivains, les autres journalistes, en général des gens qui marchent mieux qu'eux.

Des textes qui ne devraient pas paraître


   Je n'ai donc choisi qu'un seul nom, un Américain qui a plutôt bonne réputation, et on m'en a collé un second, français celui-là, au hasard ( apparemment parce que personne n'en avait voulu parmi les autres plumes de la revue ). Les deux livres étaient mauvais. L'un relevait du divertissement, l'autre était dénué d'intérêt.

    J'ai eu ensuite trois autres livres de la rentrée entre les mains et rien de valable. Je ne puis donc, aujourd'hui, prendre à part l'un de ces cinq livres et en offrir ici un compte rendu enthousiaste. Je ne peux pas non plus en choisir un pour le descendre, car aucun n'est suffisamment immonde ou indigne. Ce ne sont rien de moins ni de plus que des textes qui ne devraient jamais paraître.

    La presse estivale nous a appris que cette année plus de 600 livres allaient être proposés à la vente en septembre.

     Si mon échantillon est représentatif, autant dire qu'ils n'ont de livres que l'aspect. Les écrivains - qu'on n'ose plus appeler ainsi, les qualifiant plutôt d' " auteurs ", dans une sorte d'aveu ou de scrupule -, ou une grande partie d'entre eux - enfin je ne saurais la quantifier à moins de me taper les 50 premières pages des 600 polycopiés sus-cités -, n'écrivent plus parce qu'un texte leur brûle les doigts et les yeux, parce qu'ils ont trop de paysages en tête qui leur serrent le coeur, parce qu'ils ont trop de souvenirs, trop de beauté dans les pensées ou trop d'ardeur au fond du ventre. Ils n'écrivent plus parce qu'ils ont trop aimé ou trop souffert, ni même parce qu'ils ont aimé ou souffert. Ils n'écrivent plus parce qu'un enfant les a fait pleurer, parce qu'ils ont plus de regrets que de désirs ou parce que le temps a emporté toutes leurs chances d'être heureux.

Nécessité impérieuse


     Lesdits auteurs, qui sont 600, mais peut-être 570, peut-être peut-on en sauver une trentaine ( encore que je ne comptabilise pas ceux qui essaient, parfois depuis des années, de publier un roman ), écrivent pour faire un livre, pour explorer un sentiment, pour raconter une époque, pour rendre sa dignité à tel ou tel groupe humain, et autres fadaises qui ne cachent que leur vanité et l'insignifiance de leur existence. La plupart, croyant pouvoir devenir écrivain, ont raté leur vocation. Ils étaient faits pour d'autres métiers.

   Le législateur français devrait créer une loi subordonnant la publication de tout livre à une condition de nécessité impérieuse. La jurisprudence viendrait préciser que cette nécessité pourrait être de deux natures alternatives :

    -   Il pourrait s'agir soit d'une nécessité pour l'auteur lui-même, qui ne pourrait faire autrement que d'écrire et publier son texte, répondant ainsi à un impératif plus grand que lui ( une commande de son âme, de Dieu, de ses souvenirs, des morts) ;

     -   Soit une nécessité pour la population, pour le public, qui, si l'oeuvre devait ne pas paraître, y perdrait un apport substantiel à son élévation culturelle, morale, artistique ou spirituelle.

      Les ouvrages ne répondant manifestement pas à une nécessité impérieuse pourraient se voir attaquer devant les tribunaux, et leurs auteurs condamnés à verser des dommages-intérêts aux lecteurs et à l'État pour le préjudice subi par la collectivité.

    " Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera." Ainsi parle Marguerite Duras dans Écrire. À tous ceux qui ne connaissent pas cette solitude, abstenez-vous.


Charles Consigny

                                                        µµµ


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