Ecrits vains ou le spleen d'un auteur
junain
Pourquoi j’écris ? Je n’en sais rien… et à quoi bon ? Tout a déjà été dit et mieux dit que je n’aurais jamais su le faire… J’étais si mal parti de toute façon ; j’ai toujours vu l’écrivain comme un être malheureux, torturé, en proie à ses démons, rongé de l’intérieur… Tellement gratté, à vif, que ses tripes apparaissent en surface ; c’est là tout le secret d’ailleurs. C’est dans ces chairs mises à nue que semble reposer tout son génie créateur, mais comme un con, moi je suis né bien trop heureux. Alors, je me suis créé des problèmes. Comme tous les ados romantiques en quête de modèles, je me suis épris du mythe de l’écrivain maudit… J’aurais aimé qu’on dise de moi sous prétexte que ma prose est lourde et tortueuse, incompréhensible, que je fus incompris. J’aurais aimé être John Kennedy Toole, rejeté, balloté, incompris jusqu’à sa mort, mais qui suis-je pour me sentir lésé, moi qui n’ai jamais eu le sentiment d’avoir achevé une œuvre ? Je reste dans l’ombre, mais c’est faute d’avoir su briller. Qu’importe ; mon absence de frustration, je l’éponge dans l’excès. Je m’avance dans la trace de mes illustres maîtres : je picole comme Baudelaire, me défonce le nez à la cocaïne comme Stevenson, sans compter mes innombrables joints empruntés à Dumas, Balzac, Flaubert et bien d’autres…
J’espère par ces expédients très expéditifs, être frappé de l’éclair de génie qui leur à tant profité. Mais non ! Je n’ai jamais été touché par la grâce d’un trip révélateur ; ma pensée demeure stérile, ma créativité en berne, que ce soit pour décrire le réel qui semble déjà si las, ou enfanter l’imaginaire ; je tourne en rond, je remâche toujours ces mêmes mots tristes et sans saveur. « Trop jeune », diront certains, il n’a pas assez vécu. Si les autres ont tant à raconter, c’est surement parce qu’ils ont beaucoup vu, eux ; si ils écrivent, c’est que l’expérience les pèse et qu’ils doivent déverser sur papier toutes les vues, idées, histoires, accumulées durant leur vie et qui courbent leurs dos. Mais que dire du jeune Radiguet alors ? Lui qui publia un chef-d'œuvre de littérature à vingt ans à peine ? Que je l’envie. J’aimerais que le peu de talent que je crois posséder se rassemble soudain, se compacte en un point précis de ma tête ; comme Radiguet je partirai trop vite, mais au moins satisfait. Pressées par le destin, mes aptitudes jailliront, ma seule chance de faire mouche. Ce sera rapide, je n’aurai qu’une balle dans le barillet, je viserai juste d’autant que la cible sera restreinte. Rares seront ceux qui pourront me comprendre, qui m’apprécieront, ils diront que je ne suis qu’un fou prétentieux ; comme tous les écrivains, je me serais bien vu mourir jeune. Pour le moment je vis toujours et je sens que déjà mon talent s’évente, mon génie pourri faute d’avoir été utilisé, à quand gloire, fortune et renommée ?
Je suis un écrivain raté qui n’a jamais rien écrit de bien, donc plus raté qu’écrivain. Écrivain, c’est une distinction que je n’ai jamais pu m’offrir, moi je me contente de poser mon nom en dessous de petits bouts de phrases qui ne veulent rien dire. Je me console parfois, je me dis que par une fin tragique je pourrais rejoindre les plus grands, finir en tragédie ce qui a commencé comme une vaste comédie.
Que vais-je choisir ? Les narcotiques comme Zweig, ou le déjà un peu trop attendu pistolet, comme le grand Gary, celui qui par deux fois a porté la couronne des rois. Moi je ne demande qu’une audience auprès de ces grands seigneurs.
Quand on a manqué son entrée dans le monde littéraire autant en sortir avec panache. Ainsi, je ferai parler de moi, on me prêtera toutes les intentions et beaucoup d’attention, il y aura comme un parfum de drame et de mystère qui flottera dans l’air. On ne dit pas de mal des morts, ils sont toujours plus appréciés que les vivants, c’est peut-être pour ça que les meilleurs écrivains sont des écrivains morts et on saura reconnaitre mon œuvre à titre posthume.
Alors, ils s’en mordront les doigts, tous ces critiques très critiques qui n’auront pas su apprécier mes livres. Je n’ai jamais pu lutter contre eux ; mes romans et mon courage, des armes dérisoires, face à leurs lignes destructrices. La critique est aisée, mais l’art est difficile, qu’ont-ils écrit de si éblouissant pour pouvoir me juger avec autant d’âpreté et de condescendance ? Dire qu’il y avait tant d’abrutis pour les suivre. Ils m’ont brisé, tué mes espoirs dans l’œuf, écrasé de leur refus et de leur morgue … Pourtant, je suis encore là et à chaque fois je me relève. Pourquoi donc ? Je vais finir par croire que c’est parce que j’aime écrire tout simplement…