Ectoplasmes - Partie 3/4

punkyre

Précédemment : Attirée en Sicile par ses nouveaux souvenirs, Nell se retrouve vite confrontée à une réalité glaçante. Qui est l'homme de Cefalù ? Un allié ou un ennemi ?

Chapitre 11

 

J'avais trouvé un petit hôtel abordable à Cefalù, dans une rue proche de la cathédrale. De ma fenêtre, j'avais une vue majestueuse sur la falaise, qui revenait souvent dans mes rêves. Elle ne surplombait pas directement la mer, mais la ville était nichée entre les deux. Si je n'avais pas eu une peur constante me serrant les entrailles, j'aurais pu tomber amoureuse de cette ville. Pour l'heure, j'étais terrée au fond de mon lit, ressassant les images de la journée qui étaient gravées dans mon esprit dans leur entièreté, dans le moindre détail. Ses yeux clairs, trop clairs pour un italien, sa peau mate, son visage d'une beauté étrange… Quand mes rêves commencèrent à remplacer mes souvenirs, il était toujours là, si ce n'est plus encore.

 

Je crus durant les premières secondes que c'était encore un rêve, mais je me rendis vite compte qu'il n'en était rien. La main posée sur ma bouche et l'arme braquée sur ma tempe étaient bien réelles. Malgré l'obscurité, je reconnus l'homme, ses yeux… Il retira sa main de ma bouche et fit signe de se taire. J'étais de toute façon tétanisée. Il enleva doucement l'arme de ma tempe mais la garda en main. Il se leva du lit, s'avança vers la fenêtre et souleva délicatement le rideau pour regarder dans la rue. A la lumière lunaire, je crus distinguer qu'il était anxieux, mais peut-être me faisais-je des idées. Il vint se rassoir sur le lit, tandis que je me redressai, sans geste brusque.

―      Maintenant, dis-moi ce que tu fais là, dit-il tout bas en français.

―      Où ça ?

―      Au village, à Cefalù, en Sicile ? Tu es française non ? Qu'est ce que tu es venue faire ?

―      Du tourisme.

―      Les touristes, ça parle pas sicilien, et ça vient pas se perdre dans les villages.

Sur sa joue, la marque de la lame qui l'avait fait saigner était incroyablement bien cicatrisée. Quasi disparue. Je jetai un œil à son arme, toujours dans sa main. Il dut sentir mon malaise et la rangea dans un étui caché sous son manteau.

―      Je ne te veux aucun mal, j'avais juste besoin d'être sûr que tu ne cries pas.

―      Laisse-moi m'habiller… demandai-je en désignant mes affaires sur la chaise près du lit.

Il se contenta de détourner la tête. Je sortis du lit et me dépêchai d'enfiler mon jean et mon tee-shirt, gênée. Quand j'allumai la lumière, il se précipita pour l'éteindre et se dirigea immédiatement à la fenêtre pour scruter la rue.

―      T'as peur de quelque chose ? demandai-je.

―      C'est moi qui pose les questions.

Il avait l'air vraiment inquiet. J'eus un pincement d'empathie pour lui, et me demandai ce qui l'effrayait et si cela devait moi aussi m'inquiéter.

―      Tu es française donc ?

―      Oui.

―      Pourquoi es-tu venue en Sicile ?

―      Tourisme je te dis.

Il souffla et se retourna vers moi.

―      Tu me prends pour un con ?

Je ne répondis pas.

―      J'ai posé une question, dit-il plus fermement.

―      Non…

Il me faisait peur, et en même temps j'avais l'envie profonde de fronder face à son autorité naturelle. Et ce malgré le flingue qu'il portait sur lui. Quelque chose me disait qu'il n'allait rien faire. Peut-être que sa propre inquiétude me rassurait. Il baissa les yeux et me demanda d'une voix beaucoup moins assurée :

―      Elle vient d'où, la tâche sur ton cou ?

―      C'est une tâche de naissance, pourquoi ?

Il ne dit plus rien. J'en profitai pour enfiler mes chaussures et pour rassembler mes affaires.

―      Tu fais quoi, là ? demanda-t-il.

―      Je fais mes affaires.

―      Pourquoi ?

―      Pour me casser d'ici.

―      Tu as l'intention de changer d'hôtel ? Je te retrouverai tu sais, la ville est petite. Et n'essaie pas de quitter Cefalù tant que tu n'auras pas répondu à mes questions.

Je soufflai exagérément. Il se leva et s'approcha de moi. Du bout des doigts, il toucha ma veste, et chuchota :

―      Ne cherche plus d'ennuis… le patron pourrait te faire tuer.

Ses mots ne résonnaient pas comme une menace, mais comme une mise en garde.

―      C'est qui, ton patron ? C'est quoi votre problème…

Il remonta doucement les doigts sur mon cou jusqu'à toucher ma tâche de naissance.

―      Tu ne comprendrais pas. On ne vit pas dans le même monde.

Il finit par m'adresser un léger sourire puis s'éloigna. Il regarda une nouvelle fois par la fenêtre et se dirigea vers la porte de la chambre, qu'il ouvrit avant de m'adresser un dernier regard. Quelques secondes plus tard, il n'y avait plus aucun bruit, et j'étais seule au milieu de la chambre, décontenancée, comme sortie d'un rêve.

*

J'étais retournée à l'hôpital, tentant d'en savoir plus sur la manière dont les choses s'organisaient. J'avais sillonné les rues, les cafés, même les lieux un peu louches... Après trois jours, je n'avais toujours rien trouvé. Je m'étais même rendue en haut de la falaise, que je voyais souvent en rêve. Plusieurs fois, un enfant dont je ne voyais pas le visage apparaissait dans ce rêve, courant dans une poussière qui finissait pas le faire disparaître.

Je me rendis au centre ville tôt ce matin-là, avec la ferme intention de trouver une piste. Il y avait tout un quartier de la ville que je n'avais pas encore visité, et qui semblait très peu touristique. Je m'engageai dans une ruelle, le nez sur la carte de la ville pour trouver mon chemin. J'entendis un bruit de moteur puissant et fus surprise par la voiture qui fonçait à toute allure dans la rue, pourtant étroite. Quand elle me dépassa, je vis à l'intérieur deux jeunes qui devaient à peine avoir l'âge d'avoir le permis. Alors qu'ils allaient tourner au coin de la rue, un chien déboula de nulle part et se fit percuter de plein fouet par la voiture qui ralentit à peine. Je n'eus même pas le temps de héler le conducteur que la voiture avait disparu. Je courus vers le chien, allongé au sol, les pattes tremblantes. Quand je m'agenouillai à côté de lui, il était déjà trop tard. Il n'avait pas de collier et était terriblement maigre. Ce n'était pas le premier chien errant que je voyais, mais sa mort n'en était pas moins un crève-cœur. Quelques secondes à peine s'écoulèrent, et le voile de son âme sortit de son corps. Je ne pouvais pas la laisser là… Je la saisis et la roulai en boule délicatement pour la faire tenir au creux de ma main. Il fallait que je trouve quelqu'un pour prévenir la police, aussi, pour qu'ils enlèvent ce pauvre chien de la route. Je levai les yeux et cherchai du regard. Mon cœur s'arrêta net quand je reconnus, au loin, l'homme qui était entré dans ma chambre quelques nuits auparavant. Il me fixait, le regard noir, terrifiant. Je serrai le poing sur l'âme au creux de ma main. Que faisait-il là ? Et qu'avait-il vu ?.. Tant pis pour le chien, il fallait que je parte. Je me mis à courir en direction du centre ville, cherchant la sécurité de la foule si l'homme décidait de me suivre.

Une dizaine de minutes plus tard, j'étais en plein centre. Je me retournai régulièrement, sans voir personne. Je finis par entrer dans un café dans lequel quelques personnes prenaient un verre. Le propriétaire me salua. Je lui demandai s'il avait des toilettes et lui commandai un café pour donner le change. Il m'indiqua une porte au fond. Tout en m'y rendant, je regardai l'entrée du café et y vit la silhouette de l'homme, qui m'avait bel et bien suivie. J'étais coincée. Je voulus courir m'enfermer dans les toilettes mais il fut trop rapide. Il me saisit par le bras et me tira vers une autre porte, à l'arrière du bar. Le propriétaire éleva la voix, mais en seulement quelques mots, l'homme le dissuada d'intervenir. Il pointa du doigt les hommes assis dans le café et leur ordonna de sortir, ce qu'ils firent sans aucun aucune question. Profitant de ce moment d'inattention, j'ouvrai suffisamment la main pour y glisser le nez et respirai un grand coup. L'enveloppe de l'âme se brisa instantanément, et je sentis mes jambes trembler légèrement alors que la poussière d'âme s'éparpillait discrètement. Je n'eus pas le temps d'analyser mon ressenti, presque soulevée par la main puissante de l'homme qui broyait mon bras. Il ouvrit la porte et me poussa à l'intérieur de ce qui semblait être une réserve. Il ferma derrière lui et commença à me fouiller. Il ne trouva rien et s'énerva de plus belle.

―      Tu l'as mise où ?! m'interrogea-t-il en me poussant contre une étagère, de laquelle tombèrent quelques conserves.

―      De quoi tu parles ? me plaignis-je.

―      Je t'ai déjà dit de ne pas me prendre pour un con !

Il saisit ma mâchoire et appuya sur mes joues avec une telle force qu'il finit par m'ouvrir la bouche. Je me débattais, tentais de le faire lâcher mais ne pouvais rien faire.

―      Tu l'as avalée ? Hein, c'est ça ?!

Je cessai de me débattre, les mains crispées sur les poignets de l'homme. Avalée ? Je revis les âmes s'échappant du ventre de l'homme que j'avais tué. Les âmes sortaient de son ventre, de son estomac. Il les avait mangées. Il mangeait les âmes… Les larmes qui coulèrent de mes joues auraient pu être de peur ou de douleur, mais ce n'était pas le cas. Ces larmes étaient celles de la tristesse, profonde, que je ressentis en comprenant ce sur quoi je ne voulais pas mettre de mots. L'homme finit par me lâcher, et me regarda sans comprendre ma réaction.

―      Vous êtes qui… demandai-je d'une voix coupée par les sanglots. Vous êtes quoi ?! hurlai-je en le poussant de toutes mes forces.

Il fit un pas en arrière. Je le poussai encore.

―      Des monstres ! Vous êtes des monstres !

Je vis dans ses yeux qu'il était blessé. Il avait perdu la colère dans son regard, paraissait même regretter. Mais je me fichais bien de ses regrets. Il fallait que je sorte d'ici, que je quitte cette maudite ville. Voulant atteindre la porte derrière lui, je le poussai sur le côté. Je vis alors dans le miroir accroché à la porte un détail qui me coupa dans mon élan. Sur son cou, une tâche. Juste derrière son oreille droite, une tâche sombre ressemblant à deux disques jointés. Je touchai mon propre cou par instinct, où la même forme géométrique avait toujours été. Sans me regarder, il finit par chuchoter :

―      Je pense qu'on a des choses à se dire.

 A ce moment-là, je n'avais rien à dire. Rien à penser non plus. J'ouvris la porte et courus vers la sortie, mais sur le seuil se tenait un homme d'une quarantaine d'années qui ne semblait pas être un client. Le propriétaire avait disparu. Il n'y avait personne d'autre. « Qu'est ce qui se passe Andréa ? » demanda l'homme au seuil en sicilien. Je faillis répondre mais je sentis une présence derrière moi. « Rien » répondit l'homme que je venais de quitter. Je le regardai sous un nouveau jour en connaissant son prénom. L'autre homme s'avança sans me quitter des yeux. Ils échangèrent quelques mots sur la situation, et je sentis peu à peu la tension monter. J'eus le réflexe de m'éloigner quand l'homme qui venait d'entrer essaya d'attraper mon bras, ce qui l'énerva encore un peu plus. Il parlait de m'emmener au patron. Il ouvrit son manteau et souleva son tee-shirt, sous lequel il portait une arme. Instinctivement, je me décalai derrière Andréa. L'homme sortit son arme et pointa le canon vers le sol. Il demanda à Andréa de se décaler mais celui-ci refusa, essayant de calmer l'individu, qu'il appela à son tour par son prénom, « Marco ». Mon cœur battait à cent à l'heure. Je le vis pointer son arme vers nous. Je sentais qu'il était sérieux et en avais mal au cœur. Quand il ordonna en criant à Andréa de se pousser, j'attrapai son manteau et le serrai de toutes mes forces. Quelques secondes plus tard, l'homme s'avança, décidé, et poussa Andréa pour me saisir. Ce dernier frappa violemment le bras qui tenait l'arme et poussa l'homme contre le bar. Le pistolet vola dans la pièce et glissa sous une table juste derrière moi. Andréa tenta de maitriser l'homme mais celui-ci le frappa si fort que j'entendis sa mâchoire craquer. Il se rattrapa à une table et n'eus pas le temps de se relever que l'homme se jetait sur lui. Alors qu'il s'apprêtait à le frapper encore, je criai, pointant son propre pistolet vers lui. Il leva les mains en l'air. Les miennes tremblaient de peur. « Calme-toi » dit-il en sicilien, puis en anglais, avant de poursuivre « je ne te veux aucun mal ». Il n'eut pas le temps d'en dire plus. Andréa, qui avait lui aussi sortit son arme, lui assénât un coup de crosse sur la tempe. Il tomba comme un poids mort. Andréa vint doucement desserrer mes mains de l'arme que je pointais encore vers le corps inerte. Quand je la lâchai enfin, il la glissa dans son jean.

―      Putain, c'était quoi ça…

―      Rien, c'était rien.

Je le regardai sans comprendre.

―      Andréa, c'est ça ? C'était qui ce mec ? Tu le connaissais, non ?!

Il posa une main sur mon épaule, effleura ma joue sans me toucher.

―      Calme-toi, me dit-il. On n'a pas le temps.

Je le repoussai ostensiblement.

―      Viens, m'ordonna-t-il en prenant ma main dans la sienne.

Il m'emmena à l'extérieur du café et s'élança à travers les piétons qui, médusés, jetaient des regards inquiets dans le café où ils avaient vu se dérouler la scène.

 

Nous roulâmes une bonne demi-heure en direction de Palerme avant de nous arrêter prendre de l'essence. Il semblait savoir où il allait, mais à mesure où le temps passait, je sentais la colère et l'inquiétude monter en lui.

Alors qu'il remplissait le réservoir, je lui demandai si nous pouvions faire une pause un peu plus loin, sentant le regard du propriétaire de la station, derrière sa vitrine. Après avoir payé, il alla garer la voiture plus loin, entre les arbres. Tandis que je tentai de faire passer le stress qui me serrait les muscles, je l'observai faire les cents pas. Il finit par s'assoir sur le capot de sa voiture et plongea son visage dans ses mains.

―      Pourquoi tu as fait ça ? demandai-je.

―      Je sais pas… Minchia, je sais pas !

―      Comme tu dis…

Il leva les yeux et son regard s'encra dans le mien.

―      Qui t'es bon sang ? Je t'ai suivie. Je t'ai entendue parler sicilien, je t'ai vue fouiner dans tout Cefalù…

Il se leva, s'approcha de moi.

―      Et ça, hein ? dit-il en posant une main sur mon cou, avant que je ne me dégage. Ça, c'est quoi ?

Je baissai la tête, sans réponse à lui apporter. Il s'approcha encore un peu plus et posa de nouveau une main sur mon cou. Cette fois, je le laissai faire.

―      Je risque gros, tu sais… Ils vont me tuer.

―      Qui ça, ils…?

Il avait levé son autre main et caressa cette fois ma joue. J'avais envie de le repousser, la peur m'intimant de faire attention, et en même temps, d'une étrange manière, ses mains me rassuraient.

―      Santo cielo… qui es-tu…?

Il se crispa quand je posai la main sur l'arme qu'il avait coincée dans son jean, profitant de son inattention.

―      Je suis désolée, dis-je, mais je pense que j'ai le droit de douter de toi.

Il retira ses mains de mon visage et recula, me laissant prendre l'arme.

―      Sauf que tu ne sais pas t'en servir.

―      Je ferai attention.

Il respira profondément et dû certainement contenir la colère qui montait en lui. De toute façon, il devait se douter que c'était juste pour me rassurer, et qu'il n'avait pas grand-chose à craindre dans l'absolu.

―      C'est quoi, la suite ? demandai-je.

―      Je te dépose à l'aéroport et tu repars en France.

―      Pardon ?

―      Qu'est ce que tu crois ? Que tu peux venir ici, mettre ton nez partout sans t'attirer d'ennuis et décider de quand tu partiras ?

Je tournai immédiatement les talons et me dirigeai vers la voiture pour récupérer mon sac.

―      Tu compte aller où ?!

―      Je repars à Cefalù !

―      T'as rien à faire là-bas ! dit-il en me suivant.

―      Qu'est ce que t'en sais ?! Tu me donnes un coup de main et tu penses que tu peux décider pour moi ce qui est bien ou non ?

―      Je te sauve juste la vie ! dit-il avec une ironie non dissimulée.

―      Je t'ai rien demandé ! Je sais ce que je fais !

Il saisit mon bras et le serra sûrement plus fort qu'il ne le voulait.

―      Si tu savais vraiment ce que tu fais, t'aurais pas attrapé l'âme de ce chien en pleine rue.

Je le fixai. Il l'avait dit, à voix haute. L'âme de ce chien.

―      Maintenant qu'on est un peu plus intime, dit-il en désignant l'arme sous mon manteau, tu peux peut-être me dire que ce que t'en as fait ?

Je me dégageai de son emprise et réajustais mon sac sur mon épaule.

―      Je l'ai libérée…

Il eut un petit sourire sarcastique et inspira, prêt à dire quelque chose. Cependant, il ne dit rien. Il me fixait, et son expression changeait peu à peu. Il avala difficilement sa salive, ouvrit la bouche, la referma sans un mot. Il finit par passer une main dans ses cheveux et lâcha, la voix nouée :

―      Libérée ?

Je me tus, me contentai de le fixer, impassible, tentant de comprendre ce qui tournait à cet instant dans son esprit. A mon avis, une déferlante de questions, d'inquiétudes et de doutes. Son regard devint peu à peu noir de colère.

―      Putain de merde… finit-il par murmurer.

Il resta ainsi à me regarder quelques secondes, qui me parurent une éternité, puis sortit son arme et me braqua. Mon sang ne fit qu'un tour. J'eus le réflexe de saisir l'arme que j'avais coincée dans ma ceinture mais mes mains tremblaient tant que je faillis la faire tomber. Andréa ne se démonta pas, et me tenant en joue, me lança d'une voix menaçante et peu assurée à la fois :

―      Dis-moi la vérité.

―      C'est… c'est la vérité !

―      Tu mens ! hurla-t-il en brandissant un peu plus son arme vers moi.

Il transpirait la colère, mais semblait d'une sincérité qui me pinça le cœur. Pourquoi une telle réaction ? J'avais beau avoir le cœur qui battait à tout rompre, je pris la décision de baisser mon arme. J'écartai les mains et lui dis, la voix tremblante :

―      Andréa, je te jure que…

Il ne me laissa pas finir. Il lança une série d'insultes siciliennes, fit demi-tour, monta dans sa voiture et démarra en trombe, laissant derrière lui un nuage de poussière.

Quand la voiture disparut au loin, je tombai à genoux, submergée par l'émotion. Je regardai le flingue entre mes mains, dont le cran de sûreté était toujours enclenché.

 

Chapitre 12

 

J'avais attendu à peine cinq petites minutes avant de quitter la station service. J'avais un mauvais pressentiment. Le gérant de la station nous avait vus, j'en étais certaine, et je n'avais plus confiance en personne. Le problème, c'est qu'à pied il allait être difficile de revenir à Cefalù avant la nuit. Il fallait que je trouve un endroit où dormir pas très loin et d'après la carte que j'avais survolée dans la voiture qui devait me mener jusqu'à Syracuse, il y avait plein de petites villes balnéaires entre Cefalù et Palerme. Traversant la forêt, je me mis donc en quête d'un chemin pour rejoindre la côte.

 

Je repensais à la réaction d'Andréa. Il m'avait regardée comme si c'était moi, le monstre. Comme si j'étais la cible à éliminer. Cela voulait dire plusieurs choses : il n'était pas étranger à ce phénomène, il connaissait donc sûrement le transfert. Cependant pourquoi pensait-il que je mentais ? Dans son regard, au-delà de la colère, c'était comme s'il ne voulait pas y croire, parce que ça impliquait des choses qu'il ne voulait pas voir arriver.

Perdue dans mes pensées, je n'entendis qu'au dernier moment les craquements derrière moi. Quand je me retournai enfin, il était trop tard. Marco était là, la tempe couverte de sang, le regard déterminé. Je voyais à peine les premières maisons à deux cents ou trois cents mètres. C'était ma seule chance. Je courus aussi vite que possible mais je ne fus pas assez rapide. Après cinquante mètre peut-être, Marco me saisit par le sac et me tira violemment en arrière. La chute fut rude mais je me relevai immédiatement, dans un état second. Marco était beaucoup plus rapide et fort que moi. Il me projeta une seconde fois au sol et m'asséna un coup au visage, juste assez fort pour me sonner. Je me sentis soulevée et tirée à travers la forêt en direction de la route que j'avais quittée plus tôt. Quand je repris mes esprits, je tendis les mains dans mon dos, tentant de saisir celle de Marco qui agrippait mon sac. Il s'arrêta, saisit un couteau à sa ceinture et me le plaça sous la gorge en s'agenouillant devant moi. Il me parla en italien, répétant certains mots en sicilien :

―      Une libératrice, hein ? Tu es consciente de ce que tu avances ? Je ne sais pas pourquoi Andréa s'est entiché de toi mais visiblement il ne t'a pas crue.

Le gérant de la station avait dû nous entendre. Je ne disais rien, je n'osais même pas déglutir tant la lame sur ma gorge me brûlait la peau. J'étais pétrifiée de peur.

―      Il est encore trop jeune pour la chasse, il ne risquait pas de te croire.

Mes lèvres bougèrent malgré moi quand il prononça le mot « caccia », la « chasse ».

―      Aaah je vois que tu comprends ce que je dis. Tu pourras parler de tout ça avec le patron.

Il retira le couteau de sous ma gorge et se leva, prêt à me saisir pour me mettre debout. Je frappai de toutes mes forces une de ses rotules, ce qui le mit à genoux, mais malgré la douleur provoquée je n'eus pas le temps de déguerpir. Il saisit ma jambe pour me retenir et planta son couteau dans le sol pour avoir une prise, m'écorchant au passage. Il me tira vers lui et me retourna sur le dos mais se stoppa net quand il se retrouva face au canon de l'arme que je pointais vers lui. Il leva les mains et se recula. J'étais pétrifiée et je fus obligée de regarder l'arme pour déverrouiller le cran de sureté. Marco en profita pour se jeter sur moi, tentant de m'arracher le pistolet des mains. Quand le coup de feu partit, une nuée de voiles s'envolèrent, tâchés du sang projeté par la balle qui avait traversé le ventre de Marco. Il tomba au sol sur le dos. Ses yeux parcouraient frénétiquement les centaines d'âmes qui s'échappaient de son ventre, tandis que ses mains tentaient de les retenir. Les secondes qui le séparaient de la mort me parurent durer une éternité, et quand enfin, son souffle s'arrêta, sa propre âme se détacha de son corps. C'est à ce moment-là que je vis Andréa, qui revenait enfin. Le coup de feu avait dû l'attirer jusqu'ici. Etait-ce le corps de Marco, les voiles qui continuaient de sortir de son ventre, ou ma main refermée sur son âme qui l'avaient stoppé ? Fallait-il en arriver là pour qu'il puisse me croire ? J'approchai l'âme de Marco de mon visage. Andréa m'interpella, s'avançant vers moi. Je libérai alors l'âme, qui s'éparpilla en millions de grains de poussière. Avant de perde connaissance, je sentis ses bras me soutenir, sa main toucher mon cou. Je vis ses doigts couverts de mon sang et ses yeux qui, à présent, me croyaient.

*

Putain… putain ! C'est quoi ce délire… J'aurais dû la tuer. Dès la première fois j'aurais dû la tuer ou l'emmener au patron au lieu de me mettre dans une merde pareille. Espèce de petit con, qu'est ce que t'es allé l'aider aussi ?! Marco doit l'avoir prévenu depuis tout ce temps, ils doivent s'organiser pour me traquer. Ils vont me tuer… Sauf si je leur livre. J'y retourne, je l'embarque, et je leur amène. Mais si c'est vraiment un libérateur ? Qu'est ce qu'elle pourrait faire ? Mieux vaut les prévenir, ils iront la cueillir. Ils la tueront pas, ils vont la torturer avant. Lui faire cracher le morceau. Lui faire dire qu'elle ne l'est pas, qu'elle ment, que c'est faux. Ça n'existe pas. Ça n'existe plus depuis des lustres. Ils les ont éliminés, pour le bien de tous. Et puis elle a quel âge ? 20 ans ? 21 ? Y a pas de libérateurs de 20 ans.

Putain, son sac… Je manque de me prendre la rambarde. Merde, regarde la route putain… Elle est louche cette fille. Comment elle s'appelle d'ailleurs ? Je lui ai jamais demandé… Comme si j'avais pas besoin, que c'était naturel, que je savais qui elle était. Je me suis bien trompé pourtant. Une libératrice… et si c'était vrai ? Vincenzo et toutes ses histoires… si c'était du pipeau ? Si c'était pour nous garder bien obéissants ? Si Greg avait raison, au final ? Je peux pas croire que Vincenzo l'ait buté pour ce qu'il disait. Il m'a promis que non, que c'était un accident. Pourtant, Greg m'aurait pas menti, à moi. On était frère, il aurait pas fait ça… Même notre initiation, on l'a faite ensemble. J'oublierai jamais. J'oublierai jamais quand Vincenzo nous a fait bouffer l'âme de Moskit et Zaza. Chacun son chien… On voulait pas. Pourtant on l'a fait. Et moi qui essayais de convaincre Greg que c'était pour notre bien… Il a toujours été plus méfiant que moi. Il a toujours eu raison… Et si elle disait vrai ? Si c'était vraiment une libératrice ? Je peux pas croire qu'elle soit la plaie qu'on nous a toujours dit. Putain, pourquoi je peux pas croire qu'elle soit mauvaise ? Et pourquoi j'ai les boules à l'idée que… Merde, c'est pas la voiture de Marco, en face ? Il va la buter. Quel con. Je dois faire demi-tour, la retrouver, la protéger. Putain Andréa mais que tu peux être con !

 

Le propriétaire, cet abruti, c'est lui qui a prévenu. Je le vois rentrer vite fait dans sa station. C'est ça, va te cacher… La voiture de Marco, portière ouverte. Je sors de la mienne, sors mon flingue. Où est-ce qu'ils sont ? Personne en vue. De petites âmes flottent dans le bois, visiblement des branches cassées. Pourvu qu'il lui soit rien arrivé. J'entre dans le bois, marche quelques mètres. Du sang… Les traces de sang vont vers la mer. Il y en a beaucoup. Encore quelques dizaines de mètres dans le bois. Bon Dieu… Des dizaines d'âmes flottent dans l'air. C'est Marco, là, allongé par terre. Et c'est elle, le visage en sang, assise à côté. Elle a le flingue de Marco dans une main, et une âme dans l'autre. Il est mort… elle l'a flingué dans l'estomac. Ses yeux me glacent le sang. Que fait-elle ? Putain c'est pas vrai, elle va pas bouffer son âme devant moi ?! Je m'élance vers elle mais avant de l'atteindre, elle plonge son visage contre l'âme, et je la vois partir en poussière. En millions de grains de poussière, comme au ralenti. Elle tombe en arrière, les yeux révulsés. Je vais jusqu'à elle, prends sa tête sur mes genoux. Elle s'est évanouie. La poussière d'âme a disparu. Les dizaines d'âmes aux alentours s'éloignent peu à peu, au gré du vent. Et elle… elle a le bras et le cou en sang. Et moi, j'ai le cœur qui saigne.

 

Chapitre 13

 

Je m'étais réveillée à l'arrière de la voiture d'Andréa, juste le temps de saisir que j'étais bel et bien en vie, et que la douleur à mon bras et mon cou n'avaient pas disparu. J'étais retombée dans les vapes tout le temps qu'avait duré la route, jusqu'à ce qu'Andréa me sorte de la voiture en me portant. Il m'avait amenée dans une petite maison, ou plutôt ce qui ressemblait à quatre murs supportant un toit, sans meuble, avec des planches en guise de fenêtres… Il avait soigné et bandé mes blessures et depuis, il restait muet, debout près d'une fenêtre en scrutant la nuit tombée à travers un trou, une lampe de camping allumée à ses pieds.

Après quelques heures de sommeil supplémentaires, je finis par retrouver suffisamment mes esprits pour tenter de renouer contact avec celui qui m'avait mise en joue quelques heures plus tôt.

―      Ça va ? demandai-je sans trouver mieux pour engager la conversation.

Il ne me répondit pas, se contenta de rester immobile.

―      Merci pour les bandages…

Je finis par me lever, non sans grimacer, et par le rejoindre. Il ne regardait pas vraiment dehors, mais plutôt dans le vide. Son visage était creusé et des cernes s'étaient dessinés sous ses yeux. Son expression mêlait tellement de sentiments que je ne pus la déchiffrer.

―      Je suis désolée, pour… pour ton ami.

―      Ce n'était pas mon ami.

―      C'était qui alors ? Il te connaissait…

Il souffla et détourna le regard.

―      Andréa… tu peux m'expliquer pourquoi tu ne me croyais pas ? Pourquoi, tu…

―      Ne pose pas de question ! s'énerva-t-il en s'éloignant de moi.

―      J'ai le droit de savoir pourquoi tu as braqué ton flingue sur…

En parlant, je me rendis compte que je n'avais plus d'arme. Cela me piqua au vif.

―      Il est où ?

―      Tu crois que je vais te laisser ça dans les mains alors que t'as buté Marco ?

―      Il a essayé de me tuer !

―      Et il aurait dû réussir !

Je vis instantanément rouge. Je me jetai sur lui et tentai de le frapper de toutes mes forces. Une rage intense se déchainait en moi, comme intérieure et inconnue à la fois. La douleur me tira un cri quand Andréa saisit mon bras blessé. Il me repoussa et leva la main comme pour me gifler, mais je fus plus rapide que lui et balançai ma main vers son visage, fouettant sa joue dans un bruit sec. Quand il planta ses yeux dans les miens, je sentis la rage tomber d'un coup, et réalisai en une seconde ce qui venait de se passer. Des larmes montèrent à mes yeux.

―      C'est lui…

Je passai une main dans mes cheveux, me mis à faire les cent pas. Il était là, à l'intérieur. Sa rage. C'était un monstre. J'avais libéré l'âme d'un monstre, et il m'avait donné sa rage. Des larmes de colère montaient en moi. Je prenais conscience de mon erreur et de l'horreur de cette situation.

―      De quoi tu parles ?

―      M… Marco. C'est lui. C'est pas moi ça. Putain, j'ai eu envie de t'égorger plus d'une fois, mais là… là c'est pas moi.

―      Je peux pas y croire… souffla-t-il.

―      Mais qu'est ce qu'il te faut ?! Je te dis que c'est vrai ! Tu l'as bien vu non ? Et donc quoi ?! Je libère des âmes donc il faut me buter ?!

―      Oui.

Je restai plantée là, comme une idiote face à ce discours improbable. Mon désarroi dû se lire dans mes yeux. Il détourna le regard, inspira longuement, puis enfouit son visage dans une main avant de me regarder de nouveau.

―      C'est ce qu'on m'a toujours dit.

« Fais attention à eux. A tout, mais surtout à eux. Fuis, toujours. » Eux, c'était qui ? C'était le « on » d'Andréa ? Ceux qui allaient vouloir me tuer pour ce que j'étais ?

―      Pourquoi ?... gémis-je.

―      Parce que les libérateurs… ils sont dangereux.

Je ne trouvai rien à redire. En quoi étais-je dangereuse ? Surtout comparée à des gens qui mangaient les âmes ?

―      Pourquoi tu m'as sauvée, alors ?

Le regard qu'il plongea dans le mien fut intense au point de me faire détourner les yeux. Il se tut un long moment, dans un silence de plomb que je ne réussis pas à briser.

―      A cause de cette tâche, dit-il en touchant son cou, à cause de… d'un truc au fond de moi qui me tue quand j'imagine ta mort, qui me dit que tu dois vivre, que je dois comprendre, que je dois te suivre, que…

Ses yeux brillaient, ses sourcils froncés exprimaient une colère profonde, et ses lèvres la peur. Je n'étais pas surprise. Ses paroles résonnaient au fond de moi comme autant de pensées que j'avais pu avoir. Je lui dis simplement, répondant à son regard :

―      Je m'appelle Nell.

 

Nous n'échangeâmes quasiment plus aucun mot après cela. Il avait trop dit, j'avais trop à encaisser. Nous décidâmes d'un commun accord de quitter la Sicile, du moins pour un temps, pour protéger nos deux vies face à ceux qui vraisemblablement en voulait à la mienne et risquaient de vouloir supprimer Andréa par la même occasion. Il devait être considéré comme un traître au sein de ce qui semblait être son organisation, d'après ce que j'avais compris.

Au vu de mon état, il était impossible de prendre l'avion. Nous prîmes un bateau en direction de l'Italie, laissant la voiture à Palerme. A l'embarquement, Andréa sortit un passeport au nom de « Lorenzo Vicci », avec un naturel qui me fit penser qu'il lui était habituel de changer d'identité.

Il semblait savoir où il voulait aller. Moi, je n'en avais aucune idée. Je me contentai de le suivre, tentant de développer le peu de confiance qu'il me restait en lui… Malgré ma peur de ses réactions, la rancœur que j'avais face à ce qu'il avait pu me faire subir, la suspicion quant à ses réelles intentions, il y avait une part de moi attirée par cet homme. Quelque chose que je ne contrôlais pas, que je comprenais encore moins. Peu à peu, je m'étais mise en tête que je ne l'avais pas rencontré par hasard, et que cette tâche dans nos cous était un signe. Bien flippant, mais un signe quand même…

A mesure que nous remontions l'Italie vers le nord et que les heures paissaient, je parvenais à maîtriser l'agressivité de l'âme que j'avais absorbée. Je découvrais également de nouveaux souvenirs. Des visages, des noms, dont un en commun avec les lettres trouvées chez l'homme de Rome.

 

Même si nous avions rapidement quitté l'Italie, Andréa était persuadé que partout où nous irions, nous ne pouvions être en sécurité. « Ils ont des yeux partout » m'avait-il confié. Il cherchait donc les hôtels les plus reclus, les auberges les plus miteuses, afin d'éviter les endroits fréquentés et les potentiels indics de son organisation. Cela nous amena, dans un village suisse, à dormir dans la même chambre, dernière de libre dans les deux proposées par l'hôtel.

Cette situation aurait pu me rassurer si les circonstances avaient été différentes. Or, Andréa était sans cesse sur le qui-vive, me transmettant ses angoisses et me faisant subir son humeur. Malgré les vagues d'agressivité morbide qui m'assaillaient encore, je parvenais pour ma part à me contenir. Cela ne pouvait plus durer. Il fallait crever l'abcès d'une manière ou d'une autre.

Alors qu'il s'aspergeait le visage d'eau dans la salle de bain, je vins m'adosser contre le montant de la porte, bras croisés, un peu sur la défensive.

―      C'est quoi le plan, après tout ça ?

―      On rejoint Montreux demain matin, de là…

―      Non mais je veux dire, après tout ça. L'idée j'imagine, c'est de me ramener en France et de me laisser tomber comme si de rien était ?

Il s'essuya le visage et se tourna vers moi.

―      Je t'avoue que peu importe la solution, c'est tendu pour toi comme pour moi.

―      En effet, ça aurait vraiment été plus commode si c'était Marco qui m'avait…

Il me coupa en passant à côté de moi, me bousculant légèrement au passage.

―      Non mais c'est vrai Andréa. J'imagine que c'était pas vraiment le plan initial. Tu me l'as bien dit que j'aurais mieux fait d'y rester.

―      Arrête. Je me suis déjà excusé pour ça, dit-il.

―      En réalité, non. Tu ne t'es jamais excusé. Ni pour m'avoir laissée je ne sais combien de fois avec mes questions, ni pour m'avoir frappée ou pour m'avoir mise en joue, et j'en passe.

―      Et pour t'avoir sauvée, je dois m'excuser aussi ?!

Il commençait à s'énerver, serrant les dents pour ne pas parler trop fort. Je savais que j'aurais mieux fait de ne pas m'aventurer sur ce terrain, mais j'avais envie de le pousser à bout. Au fond de moi j'étais en rage contre ce mec que je ne comprenais pas mais avec lequel je devais composer. Et si cela me permettait de lui soutirer les informations dont j'avais besoin, alors soit, autant y aller à fond.

―      M'avoir sauvée de la situation dans laquelle tu m'as mise ?

―      Hé, à la base, c'est toi qui est venue devant la villa !

―      Non, à la base, c'est toi qui m'a poursuivie et qui m'a frappée.

Il s'avança rapidement vers moi, saisit mon poignet et me força à toucher sa joue du bout de mes doigts.

―      Je t'ai frappée parce que tu m'as balafré la figure je te rappelle !

―      Tu me tordais le bras, exactement comme tu le fais maintenant.

Il me lâcha et recula, comme pour s'éloigner, avant de revenir vers moi. Les yeux fermés, le doigt pointé vers moi, il dit entre les dents :

―      Qu'est ce que tu cherches, Nell…

―      Rien.

Il ouvrit les yeux et planta son regard dans le mien.

―      Je rêve, t'as vraiment un souci.

―      Qui a un souci ? Moi, où le mec qui frappe les femmes, qui pète un câble pour un rien, change d'avis comme de chemise, cautionne le fait de bouffer les â…

Il ne me laissa pas finir. D'un geste brusque, il saisit mon cou, me repoussa sur le lit et serra ma gorge assez fort pour me faire mal, surtout là où ma blessure cicatrisait à peine. Je saisis son bras d'une main et tentai de le pousser de l'autre, mais il attrapa mon poignet de sa main libre et m'immobilisa.

―      Tu ne sais rien ! Ni ce que j'ai vécu, ni qui je suis ! Je le fais parce que je suis comme ça, je suis fait pour ça !

C'était sorti de sa bouche. Il l'avouait directement pour la première fois. Il le faisait, lui aussi. Il était bel et bien comme eux… un monstre. Ce qui me fit le plus mal ne fut pas de l'apprendre, car je m'en doutais, mais de comprendre au fond de moi que je ne pouvais pas lui en vouloir. Il y avait quelque chose, un sentiment profond, qui m'empêchait de le haïr.

La larme qui coula sur ma joue n'était pas la mienne. Il serrait toujours mon poignet mais avait relâché la pression sur mon cou. Il le serrait comme pour se raccrocher à quelque chose. Parce qu'il était perdu. Face à ses contradictions, il ne savait plus quoi penser.

J'avançai ma main libre vers son visage et essuyai la trace de la larme sur sa pommette. Il me laissa faire, mais se raidit imperceptiblement. Puis, dans un silence que je ne pus briser, il se pencha vers moi, et s'arrêta quand je fixai mon regard dans le sien. De sous son tee-shirt glissa alors une clé, pendue au bout d'une chaîne en argent. La couleur de l'anneau attira mon attention.

―      Qu'est ce que…

Andréa suivit mon regard et se redressa en rangeant rapidement la clé sous son tee-shirt.

―      Attends, dis-je en tendant une main vers son cou.

Il me tourna le dos, comme pour se protéger de la main que j'avançais vers lui. Mon cœur battait à tout rompre. Sans un mot de plus, je me dirigeai vers mon sac et en sortis la boite de ma grand-mère. Je la serrai contre moi, consciente du risque que je prenais, mais c'était une coïncidence trop étrange.

―      Andréa…

Il jeta un œil vers moi et vit la boite entre mes mains. Son regard passa de la serrure à mes yeux, une fois, deux  fois, puis il porta une main à son cou. Il avait comme moi reconnu la couleur étrangement similaire.

―      D'où vient cette clé, Andréa ?..

―      C'est le seul souvenir que j'ai de mon passé. Mon héritage.

Je retins mon souffle une seconde avant de poursuivre sur le terrain glissant que j'avais décidé d'emprunter.

―      Cette boite. Elle m'a été léguée. Par ma grand-mère, une libératrice elle aussi.

Il tiqua en entendant le mot « libératrice », mais ne braqua pas son flingue vers moi cette fois-ci.

―      Et alors ? hésita-t-il.

―      Et alors je n'ai pas la clé. Ma grand-mère m'a dit de la chercher grâce à la mémoire qu'elle m'a transférée, et cette mémoire m'a menée jusqu'en Sicile.

―      Transférée ?

J'en disais trop… mais l'enjeu était trop important.

―      Andréa, la couleur de cette clé, sa forme… Ça fait trop de coïncidences.

J'avais posé la boite sur le lit, et tendais une main vers lui, qui se voulait rassurante, mais qui en réalité tremblait de peur et d'impatience.

Il s'approcha, hésita plusieurs fois, puis finis par retirer la chaîne de son cou. Je sentais qu'il ne me donnerait pas la clé, alors je poussai simplement un peu plus la boite vers lui. Tout cela était totalement improbable, mais j'avais envie d'y croire.

―      C'est du délire… souffla Andréa.

Il inséra le petit bout de ferraille dans la serrure, et le tourna délicatement. Après un quart de tour, j'entendis un déclic qui sembla fendre mon cœur en deux. Je m'approchai, les mains plus tremblantes encore, et soulevai le couvercle avec une infinie douceur. A l'intérieur de la petite boite, un papier plié, couvert d'une écriture que je reconnus immédiatement comme celle de ma grand-mère, une enveloppe, un carnet à la couverture rouge et deux pendentifs, comme deux gouttes de verre noir.

Je dépliai la lettre avec précaution et m'approchai de la lumière. Andréa resta debout, il semblait aussi perplexe que moi face à ce qui se passait. Je commençai la lecture d'une voix peu assurée.

« Nell,

Si tu lis cette lettre, c'est que tu as trouvé la clé pour ouvrir la boite que je t'ai léguée. J'espère que tu as bien rencontré le propriétaire de la clé, et qu'il est bien celui qu'il devrait être. Si c'est le cas, tu devrais le savoir au fond de toi.

Si j'avais pu éviter tout ça, je l'aurais fait. Ce jour-là, quand tu es revenue de la forêt, j'ai su que c'était trop tard. Je suis désolée de ne pas t'y avoir préparée plus tôt.

Excuse-moi d'avance, tout ce que je vais te révéler maintenant risque de te bouleverser. De vous bouleverser. Ne soyez pas sceptiques, ne soyez pas en colère, surtout pas l'un contre l'autre. Il y a des choses qui méritent votre colère, mais pas ce que je vais vous dire.

Il y a une vingtaine d'année, une femme a accouché, comme prévu, d'une belle petite fille. Quelques minutes plus tard, la sage femme a eu la bonne surprise de voir arriver une deuxième tête, qui elle, n'était pas du tout attendue. Un garçon, un jumeau.

On l'a laissée tenir ses jumeaux dans ses bras quelques minutes, avant de les emporter pour des examens : leur petite taille imposait la prudence. Une heure plus tard, l'infirmière n'est revenue qu'avec un seul bébé. Le garçon était mort. Le père a dû reconnaître le corps, avant son placement à la morgue. Une épreuve qui les a murés dans un silence de déni, pour toujours.

Nell. Cet homme et cette femme, ce sont tes parents. C'était le 18 juin 1996. Tu devines qui est la petite fille, et j'espère que tu comprends qui est le petit garçon. »

Chaque mot était plus dur à lire, à dire. Andréa avait déjà fait cinq fois le tour de la pièce et s'était arrêté dans un coin, dos à moi, les bras croisés.

« Le garçon n'est pas mort. Il ne l'a jamais été. Tes parents n'en ont jamais rien su, j'ai toujours été la seule à savoir. Pour te protéger, je n'ai pas pu le protéger, lui. Ceux qui l'ont pris vous auraient pris tous les deux et m'auraient probablement retrouvée.

A toi, que je n'ai jamais connu et que je ne connaitrai jamais, je suis désolée. Je sais quelle a été ta vie. J'espère qu'à partir d'aujourd'hui, tu regagneras la place que tu aurais toujours dû avoir.

Protégez-vous l'un l'autre. Il n'y aura personne d'autre pour le faire. »

Je repliai la lettre et levai les yeux. Andréa me regardait. J'ouvris la bouche mais il me coupa directement :

―      N'essaie de pas de me faire avaler un truc pareil.

C'était de la colère dans sa voix. Je ne pouvais pas y croire non plus, mais je n'y étais pour rien. Il enfila son manteau, pris ses affaires, et se dirigea vers la porte.

―      Andréa…

Il ne m'adressa pas un mot et sortit dans le couloir. A présent c'était en moi que la colère montait. Je lui emboitai le pas.

―      Mais bon sang arrête de fuir comme ça !

Il dévala l'escalier et passa sans un mot devant l'aubergiste médusé, avant de sortir dans la rue. Il faisait particulièrement froid, et je n'avais rien sur le dos. Quand il se mit à courir dans la nuit noire, sourd à mes appels, j'abandonnai. J'étais frigorifiée. Je retournai à l'hôtel et m'enfermai à double tour dans la chambre.

 

Je relus la lettre au moins dix fois avant d'ouvrir la petite enveloppe. A l'intérieur, une photo en noir et blanc des bras d'une femme tenant deux nouveau-nés. Je reconnus le bas du visage. Celui de ma mère. Dans le cou des enfants, encore couverts de placenta, une tâche de naissance identique ressortait sur leur peau.

 

Chapitre 14

 

Je restai prostrée, sans bouger, pendant un temps indéfinissable. C'était une déferlante de questions, de doutes, de colère qui m'assaillait. Il me restait une chose à faire pour vérifier tout ce qui était écrit dans cette lettre. Je saisis le téléphone de l'hôtel et composai le numéro que je connaissais par cœur. Après trois sonneries, mon père décrocha. Sa voix fit gonfler mon cœur une seconde. J'avais tout à coup l'impression d'avoir vécu cent vies depuis que je les avais quittés.

―      Papa…

―      Nell, bon sang… Tu vas bien ?

―      Oui ça va.

―      Où es-tu ? Attend, j'appelle ta mè…

―      Non, Papa. Je ne peux pas te parler longtemps.

―      Tu es sûre que ça va ? demanda-t-il, de plus en plus inquiet.

―      Oui, je t'assure. J'ai juste une question… je sais que ça va pas être facile, mais j'ai besoin de savoir.

―      Quoi ma chérie…

―      Quand je suis née, est-ce qu'il y avait un jumeau ?

Je n'entendis rien au bout du fil. Le long silence qui s'en suivit me glaça le sang.

―      Papa ? chuchotai-je alors que les larmes commençaient à monter dans ma gorge.

―      Nell… je…

Sa voix avait changé. Je ne pus retenir un sanglot et raccrochai le combiné sans dire au revoir. J'avais envie de hurler, mais j'étais bloquée sur place, ne pouvant que pleurer, les yeux grands ouverts sur le monde qui s'effondrait sous mes pieds, réalisant la monstruosité de cette vérité.

Je revis Andréa, sa tâche de naissance. Je me rappelai du noisette de ses yeux, strié de jaune, identique à la couleur des miens, la courbe de son nez et l'arrondi de ses pommettes, familiers. Ce monde se reconstruisait à mesure qu'il s'effondrait. Tout semblait plus logique, plus beau et plus cruel à la fois. Une partie de moi continuait à scander que c'était impossible, mais elle diminuait si vite que j'en avais le vertige.

 

Des milliers de questions se formaient et restaient sans réponse. Mes larmes finirent par se tarir et ma curiosité l'emporta. Je saisis le carnet rouge et y découvris des noms, des adresses, des numéros, des photos… Certains firent remonter des souvenirs enfouis dans une mémoire qui n'était pas la mienne, d'autres ne m'évoquaient rien. En page de garde, quelques mots : « Allez les voir, ils vous aideront. Nell, j'espère que je t'ai transmis ce qui m'a permis de me souvenir de tout ça. Brûle ce carnet dès que possible. » Elle devait parler de cette mémoire incroyable… mais je n'étais pas assez confiante pour me débarrasser d'informations aussi précieuses. C'était trop tôt. Je relus le mot. « Allez les voir ». Ma grand-mère devait penser dur comme fer qu'une fois retrouvé, Andréa resterait avec moi… Tout à coup, une question m'assaillit : comment Andréa pouvait-il avoir autour du cou la clé qui ouvrait cette boite, léguée par ma grand-mère vingt ans après son enlèvement ? D'après ce qu'il m'avait dit, il l'avait depuis son enfance… Jocelyne avait forcément dû entrer en contact avec lui, d'une manière ou d'une autre, et avait prévu qu'un jour, cette clé aurait à ouvrir cette boite. Peut-être avait-elle prévu que nous nous retrouverions ? Me revint en mémoire le petit garçon courant dans la poussière, présent dans mes rêves de la falaise. Etait-elle venue à Cefalù pour lui léguer cette clé ? Les réponses à ces questions, je n'allais probablement jamais les avoir. C'était trop tard, et je devais faire avec les éléments qu'elle m'avait laissés.

 

Chapitre 15

 

Le carnet recensait des adresses partout dans le monde, sur d'autres continents, dans des pays que je ne connaissais que de nom. Parmi toutes, une adresse se situait en Suisse. Je ne connaissais pas l'endroit, mais je pris rapidement la décision d'y aller le lendemain, après une nuit de sommeil agitée. Avant de partir, je pris le temps de faire le tour de la ville pour chercher Andréa, mais il n'était nulle part. J'abandonnai donc l'idée de le retrouver et commençai mon périple en faisant du stop. Il fallait que j'aille de l'avant.

Deux heures de stop et trente minutes de marche plus tard, j'étais devant une petite maison délabrée au fond d'une forêt, à l'écart d'un village perdu dans la Suisse profonde. C'était bien l'adresse laissée par ma grand-mère, avec un nom : Hans Privot. Pourtant, personne ne semblait y vivre : les volets étaient clos, cassés par endroits, la mousse poussait un peu partout sur les murs, et le toit avait perdu quelques tuiles. Je fis le tour de la maison et à l'arrière, découvris un volet ouvert sur une fenêtre cassée. Mon cœur battait à toute allure, l'appréhension montait et mes épaules se raidissaient un peu plus chaque minute, mais je devais trouver quelque chose ici. Je pris mon courage à deux mains et me faufilai à l'intérieur.

Tout était saccagé. Des tags sur les murs laissaient présager que des jeunes ou des squatteurs y avaient passé un peu de temps. Quelques gros meubles fracassés subsistaient, mais je doutais fortement de pouvoir trouver un indice quelconque. En entrant dans la chambre, les battements de mon cœur accélérèrent de plus belle. Sur un mur et au sol, je distinguai clairement des tâches et éclaboussures de sang, noircies par le temps. Alors que je m'approchai pour observer de plus près, une variation de lumière attira mon attention, comme si quelque chose était passé devant les volets clos. Je tendis l'oreille et après quelques secondes, je crus entendre un craquement à l'extérieur. Sur le qui-vive, je retournai dans la pièce par laquelle j'étais entrée. Silencieusement, j'avançai jusqu'à la fenêtre et jetai un œil. Personne. Je m'apprêtai à sortir quand j'entendis clairement un toussotement derrière moi. Une silhouette se tenait debout dans un coin sombre. Je crus que mon cœur allait exploser, mais ce n'était rien comparé à la peur qui s'empara de moi quand je reconnus la femme qui s'avança vers moi : la femme du train, qui m'avait poursuivie dans Messine.

Elle avait une arme dans la main, visiblement un silencieux. Je n'eus pas le réflexe de fuir, car mes jambes étaient bloquées, paralysées. Ni le réflexe de lui parler pour comprendre ce qu'elle voulait, essayer de calmer le jeu, car ma gorge était serrée au point que je ne pouvais quasiment plus déglutir. Comment m'avait-elle retrouvée malgré tous les kilomètres parcourus depuis cette course-poursuite ? Allait-elle simplement me tuer, comme très certainement le propriétaire de cette maison ? J'arrêtai de me poser des questions quand elle leva son arme vers moi. Mes jambes se débloquèrent enfin et je me jetai vers la fenêtre. Je posai à peine les mains sur le rebord quand un homme se plaça devant moi, à l'extérieur, et me frappa en plein visage. Je tombai en arrière en lâchant un cri. Au vu du bruit affreux et de la douleur fulgurante, je crus que mon nez était cassé. Je me relevai en titubant et reculai dans la pièce, alors que l'homme entrait à son tour en enfonçant la porte. La femme, qui me braquait toujours, afficha un petit rictus et s'exclama avec un très fort accent italien :

―      Une vraie bleue ! Comment tu as fait pour tenir jusque là ?

Mon nez saignait à flot, maculant mes mains et mes vêtements. La douleur et la peur m'empêchaient de respirer. Je vis flou quelques secondes, juste assez longtemps pour ne pas voir la femme faire signe à son gorille de me saisir. Il m'attrapa par le bras pour me mettre debout, avant de me le tordre dans le dos, ravivant la douleur faite par Marco. Je me débattis comme je pus, mais abandonnai totalement quand je reçus un violent coup au visage, asséné par la femme.

La lumière du jour m'aveugla quand je passai la porte, et je ne vis qu'à moitié la silhouette qui brandit un flingue vers moi. Je m'attendais vraiment à mourir quand j'entendis le coup partir. Pourtant, je n'avais rien. Au contraire, la pression sur mon bras disparut, j'entendis un cri, puis un coup de feu plus feutré. Je me laissai tomber à genou et mis mes mains sur ma tête, terrifiée. J'entendis plusieurs échanges de tirs, puis plus rien, pendant de très longues secondes. Quand je sentis une main se poser sur mon épaule, je sursautai et eus un mouvement réflexe de rejet. La douleur obscurcissait ma vue, mais je distinguai le visage d'Andréa penché au dessus de moi. « Est-ce que ça va ? » me demanda-t-il, les yeux trahissant une inquiétude certaine. Non, ça n'allait pas. Je me sentais honteuse, faible, terriblement faible. Je me mis à pleurer d'angoisse, de douleur et de soulagement. Alors, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, il me prit dans ses bras, posa une main derrière ma tête et me berça doucement. Je pleurai de plus belle, consciente que sans lui, je n'aurais plus été là. Consciente que sans lui, je n'étais rien, et que si je ne l'avais pas connu, ma vie n'aurait sûrement eu aucun sens.

Nous restâmes ainsi, l'un contre l'autre, pendant un temps indéfinissable. Moi pleurant, lui me consolant, pansant les blessures de mon âme par des murmures et par ses bras serrés autour de mon corps. Quand mes pleurs cessèrent enfin, il me demanda si j'étais capable de me lever, et m'aida à le faire. Je vis derrière nous le corps de l'homme, du sang s'échappant du trou au centre de son front. « Ne regarde pas » m'ordonna Andréa, mais je ne pus obéir. Mon cœur était si serré que j'en avais le souffle court. « Les âmes » dis-je. A l'intérieur de son estomac devaient tournoyer des dizaines d'âmes, prisonnières. « Il faut les libérer. » Il regarda le cadavre puis nos regards se croisèrent de nouveau. Andréa lâcha mes épaules, se dirigea vers le corps de l'homme, sortit un couteau suisse qui ressemblait à celui que j'avais perdu, et plongea la lame dans l'estomac du cadavre. Une nuée d'âmes sortit du corps et s'éparpilla, s'accrochant au passage à Andréa qui n'y prêta pas attention. Il se leva et disparut dans la maison. De nouvelles âmes apparurent à la porte et je compris qu'il avait fait subir le même sort à la femme. Après quelques secondes, je le vis ressortir, blême, comme s'il allait vomir.

Je tendis une main vers lui. Il s'avança vers moi et me prit de nouveau dans ses bras, me serrant plus fort, comme pour lui-même. Je cherchai les mots pour le rassurer, mais je n'en trouvai pas. Il murmura alors :

―      Merci de m'avoir retrouvé.

Je fermai les yeux. Les âmes continuaient de tournoyer dans la pénombre de mes paupières. A ce moment-là, n'écoutant plus la douleur et la peur, n'écoutant plus mes doutes, mais uniquement mon cœur, je sus que ma vie n'allait plus jamais être la même. C'était vrai : nous nous étions retrouvés.

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