Édouard MANET (1832 – 1883)
Dominique Taureau
Eh oui ! Le combat du Kearsarge et de l’Alabama,
– Si loin de la vue de mer, temps calme en panorama –,
Mais encore le départ du vapeur de Folkelstone,
– Si clair après l’évasion de Rochefort qui étonne
Dessous l’obscur clair de lune sur le port de Boulogne –,
Dévoilent un MANET qui toujours sur l’océan lorgne.
Ô les bulles de savon au déjeuner dans l’atelier !
Pschitt, les secrets de la lecture du chat noir affilié…
Et quoi ? Un moine en prière est dépeint si réel ;
Idem, le balcon orchestre un cynisme si cruel…
Que le jeune homme en costume de majo, le joueur
De fifre et le chanteur espagnol lancent leurs lueurs…
Car MANET a ses modèles : Victorine, Henriette,
Nina et Méry et les rivales peintres, Eva et Berthe.
Sublime Berthe Morisot au bouquet de violettes !
Énigme de nana sous mystère à la voilette ?
Nul ne sait ! Et puis, le dandy à la noire palette
Collectionne l’Olympia des refusés en rosette.
Invitant tous ses bons amis au déjeuner sur l’herbe,
Sous la musique aux Tuileries – L’impression en herbe ! –,
Mais pas encore au bal masqué à l’opéra, MANET
L’indépendant lie le cénacle des génies passionnés :
Zola, Baudelaire, Fantin-Latour et les mousquetaires
Renoir, Degas, Monet et Mallarmé en sociétaires.
Oui ! MANET, l’excentrique, le barbouilleur, le rebelle,
Incarne l’agitateur des impressions nouvelles.
Au diable la barricade des salons coagulés !
Que meurt la guerre civile au carnage étalé !
L’exécution de Maximilien ajuste l’ourdisseur…
C’est que l’Art est l’écriture de la vie du précurseur.
Au café-concert, le pinceau des émotions l’anime…
L’homme mort de la corrida et l’ironie du mime
De mademoiselle V. en costume d’espada sont géants ;
Entre le buveur d’absinthe qui rêve sur son séant,
La solide serveuse de bocks et la douce prune,
MANET est chez le père Lathuille : charmeur de lunes.
Le linge sèche ; le chemin de fer voit la vie filer ;
La partie de croquet permet encore de batifoler…
Combien de « - j’ai fait ce que j’ai vu » restent-ils à propos
Songe MANET, l’œil rivé sur la rue Mosnier aux drapeaux.
Bof ! Une marmelade impressionniste à Argenteuil,
Une fille dans le jardin de Bellevue…Et le seuil !
Un bar aux folies bergères où les plaisirs sont vendus ;
Sans illusion ! MANET demeure le maître attendu.