Elément perturbateur - Episode 13

nat28

Le roman dont la suite dépend de vos votes (faites pas vos timides !)

Gauthier était épuisé : il s'assit sur le bord du trottoir pour reprendre des forces. 


D'habitude, commettre un meurtre le mettait dans une sorte de transe qui le remplissait d'énergie et d'une sorte de joie presque enfantine, simple et sincère. Aujourd'hui, il n'en avait pas été ainsi. Il s'était senti mal, presque nauséeux, en étranglant Jane, et tuer Cédric avait été une véritable épreuve pour lui. Ce n'était pas tant le fait qu'il ait été son ami pendant plusieurs années qui le dérangeait, mais plutôt le côté improvisé et non maîtrisé de la chose. Gauthier avait besoin de tout contrôler. Et anticiper un crime lui procurait un véritable plaisir... Cette fois-ci, il en avait été privé.

 

"Reprends-toi !" se dit-il à lui-même. Le jeune homme n'allait tout de même pas rester planté là, sur un bord de trottoir, devant une clinique, jusqu'à la nuit ! Sa présence pourrait paraître suspecte, d'autant plus que son aspect hirsute et ses vêtements mal ajustés n'étaient pas du meilleur effet. La dernière chose dont il avait besoin, c'était de se faire arrêter dans la rue. Il se sentait à bout, capable de craquer pour un rien, et ce n'était pas une option très réjouissante. Ni très envisageable.


Le problème était que sa tête pointait vers le sol, comme si elle pesait une tonne, que ses bras pendaient misérablement sur ses flancs et que ses jambes refusaient de se déplier et de le remettre debout. On aurait dit que ces muscles étaient partis en pause, loin de son corps, juste pour souffler un peu et se remettre des émotions de la journée. Il avait parfois eu cette drôle de sensation, après un match de football ou une course d'endurance, quand il était encore adolescent, mais "l'abandon musculaire" ne l'avait plus touché depuis des années. Gauthier se força à faire, un par un, les exercices de respiration et de relaxation que son professeur d'EPS lui avait appris à cette époque là. Il savait que c'était le seul moyen pour reprendre le contrôle de son corps, pourtant, il était tenté de se laisser envahir par la panique... La pire des solutions.


"Je suis sur une plage, les vagues roulent lentement sur le rivage, le vent glisse sur mon visage..." Le jeune homme se créait une image mentale rassurante pour évacuer le stress, et cela fonctionnait plutôt bien. La première fois que son enseignant lui avait suggéré de s'évader dans son petit monde intérieur, pendant un match de football, l'adolescent qu'il était alors avait pensé que le concept était complètement ridicule. Il avait suivi les directives sans trop y croire, et, à sa grande surprise, il avait trouvé un second souffle et il avait pu finir la seconde mi-temps avec ses camarades. Et il avait inscrit le but de la victoire. Au fil des ans, il avait amélioré ses capacités de concentration, et il était désormais capable de se "régénérer" en quelques instants. "Je sens le sable sous mes doigts, je sens l'iode dans mes narines..."


Gauthier se redressa lentement, en remuant précautionneusement ses mains et ses pieds, et une minute plus tard, il était debout, prêt à rentrer chez lui. il jeta un coup d'œil dans la rue pour vérifier que personne ne l'avait vu. Le quartier était calme, et les piétons plutôt rares, ce qui l'arrangeait au plus haut point. Il se rendit compte qu'il n'avait pas choisi cette clinique en particulier par hasard.

"J'ai le contrôle... J'ai le contrôle..." se répétait-il tout en marchant vers son appartement, ne s'interrompant dans sa litanie que pour vérifier l'absence de voiture avant de traverser la chaussée. Il n'avait pas besoin d'un accident, pas aujourd'hui.

 

Monter les 6 étages jusqu'à son logement fut une véritable épreuve, et se retrouver devant sa porte défoncé acheva le jeune homme. Toute sa belle énergie s'enfuit à nouveau. Pris dans le tourbillon des événements, le jeune homme avait oublié l'entrée musclée de Jane dans son appartement. Et les policiers qui avaient déboulé juste au moment où ils s'enfuyaient sur les toits avaient ajouté leur petite touche. Tous ces tiroirs avaient été ouverts et fouillés, comme si les agents avaient cherché une preuve... de quoi, au juste ? C'est lui qui avait subi une violente intrusion, au saut du lit qui plus est ! A moins que le logement, ouvert aux quatre vents et laissé sans surveillance, ait été le théâtre d'un cambriolage opportuniste... Gauthier n'avait pas la force de vérifier cette dernière hypothèse, sans doute mauvaise, car son ordinateur portable était encore là... il rangerait. Plus tard. A cet instant précis, il n'avait qu'une envie : dormir.

 

Il redressa le montant de la porte qu'il coinça avec une chaise devant le trou béant qui lui servait désormais d'entrée, histoire de se créer un semblant d'intimité. Il se traîna misérablement dans sa chambre et s'écroula sur son lit défait et froid. La fenêtre de sa chambre était restée ouverte, mais il était trop faible pour se relever et pour aller la fermer. Il tira sa couette au dessus de sa tête et il plongea dans le sommeil.


Le néant. Rassurant et effrayant. Que se passait-il quand il dormait ? Le jeune homme s'était plusieurs fois posé cette question incongrue. Dans la "vraie vie", le monde continuait de tourner quand les gens s'assoupissaient, il y avait toujours des milliards de personnes éveillées, partout dans le monde... Mais dans son univers à lui, centré sur sa petite personne, est-ce que les personnages secondaires vaquaient à leurs occupations quand il dormait ? Ce n'était pas clair, dans les livres. Certains étaient centrés sur le personnage principal, qui d'ailleurs jouait parfois le rôle du narrateur, quand d'autres passaient d'un protagoniste à un autre, multipliant les lieux et les points de vue... Comment était écrit son roman, à lui ?

 

Des coups discrets frappés à sa porte d'entrée réveillèrent Gauthier quelques heures plus tard. Alors qu'il reprenait tout juste conscience, le jeune homme eut du mal à associer la présence d'une personne dans le couloir avec le léger "Toc-toc" qu'il entendait. Sa vessie était ce qui le préoccupait le plus : avec tous les cafés qu'il avait bu dans la journée, elle était sur le point d'exploser.

"J'arrive !" lança-t-il en se précipitant maladroitement vers la salle de bain. Son visiteur pouvait bien l'attendre 30 petites secondes, le temps de soulager son envie pressante...

"Tout va bien ?" demanda timidement un homme, sans doute petit et assez âgé, de l'autre côté du panneau de bois.

"Oui, oui !" répondit Gauthier qui était encore dans la salle de bain. Il se rhabilla et alla ouvrir à son visiteur inquiet.


Le jeune homme crut reconnaître un de ses voisins, un retraité qui devait habiter sur le même pallier que lui et qu'il croisait parfois dans les escaliers, en le dépassant, la plupart du temps. L'homme se présenta et confirma son identité.

"Nous venons de rentrer, nous étions chez notre fils... Quand j'ai vu l'état de votre porte, j'ai failli appeler la Police, mais j'ai préféré venir voir si vous alliez bien avant..."

L'emploi du "nous" signifiait que quelqu'un l'attendait chez lui, sa femme, sans doute. Gauthier devait donc paraître le plus normal possible pour ne pas affoler deux personnes...

"La Police... justement... C'est elle qui est responsable de tout ce bazar !"

Gauthier vit un lueur d'inquiétude passer dans les yeux de son voisin qui amorça un léger mouvement de recul.

"Vous avez des problèmes avec la Police ?"

"Non, pas du tout ! Des agents ont débarqué chez moi ce matin par erreur, à cause de mauvaises informations... Et maintenant, je vais devoir faire réparer ma porte d'entrée ! Ils n'ont pas fait dans la dentelle, eh, eh..."

Le jeune homme essayait de paraître détendu, alors qu'il n'avait qu'une crainte : que son interlocuteur remarque le désordre dans son appartement. Une porte défoncée sur un malentendu, ça pouvait encore passer, mais un salon mis à sac par les forces de l'ordre entraînerait forcément des questions gênantes. Gauthier essayait, tant que faire se peut, de boucher la vue au vieil homme, qui était bien plus petit que lui.

"Vous voulez venir dormir chez nous cette nuit ?" proposa ce dernier "Ce ne doit pas être trop rassurant de ne plus avoir de porte d'entrée..."

"Merci, mais ça va aller. Et puis j'ai un verrou, dans ma chambre, je vais m'enfermer dedans jusqu'à demain matin ! L'immeuble est sécurisé, tout va bien se passer..."

"Sécurisé... Pas tant que ça. un homme a été tué dans cet immeuble, je ne sais pas si vous le saviez..."

Gauthier réprima un sourire. Il savait parfaitement d'où venait la menace, et il savait donc aussi qu'elle était totalement inoffensive pour lui.

"Oui, j'ai entendu parler de cet horrible histoire... Le meurtrier voulait se venger de quelque chose je crois... Je n'ai pas d'ennemi, tout devrait bien se passer !"

"D'accord... Si vous changez d'avis, n'hésitez pas à frapper chez nous, nous nous couchons tard. A nos âges, Morphée se fait souvent attendre..."

"J'y penserai si je ne trouve pas le sommeil... bonne nuit !"

"Bonne nuit à vous aussi..."


Gauthier repoussa la porte et 


1/ retourna se coucher

2/ alluma la lumière pour vérifier si quoi que ce soit avait disparu




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