Elément perturbateur - Episode 16

nat28

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L'agent de police porta sa main à sa poche et en sortit une feuille pliée en quatre.

"Voilà !" dit-il avec un grand sourire en tendant le papier à Gauthier.

"Merci..." répondit ce dernier, qui n'arrivait pas vraiment à comprendre ce qu'il lui arrivait.

"Vous voulez un stylo ?" ajouta le policier en retirant un crayon aux couleurs des forces de l'ordre de sa poche de chemise.

"Non, ça ira, j'ai ce qu'il faut..."

 

Le jeune homme récupéra un Bic sur la petite table qui lui servait de bureau et il s'installa sur son canapé pour remplir le formulaire. L'agent le regardait toujours avec un sourire niais qui était presque angoissant. Gauthier eut toutes les peines du monde à se concentrer sur le formulaire et à ignorer, pendant quelque minutes, l'homme qui l'observait du coin de l'œil. Il n'y avait pourtant rien de bien compliqué : ses coordonnées, sa date de naissance, son numéro de sécurité sociale... Les informations demandées étaient de celles qu'il donnait très régulièrement dès qu'il se trouvait face à un papier un tant soit peu officiel. La vraie difficulté apparut lorsqu'il eut à cocher une case pour répondre à la question "raison de votre réclamation". Plusieurs choix s'offraient à lui : vol, agression, intrusion, cambriolage, contrôle abusif, insulte, violence et autre. "Intrusion" pourrait bien faire l'affaire, et puis "autre" était suivi de pointillés invitant le rédacteur à préciser la nature du problème. Le jeune homme n'était pas très motivé pour écrire "irruption d'une future victime dans mon appartement avec destruction de ma porte d'entrée".

 

"J'ai fini !" lança Gauthier en relevant le nez du formulaire. Le policier ne le regardait plus, il s'intéressait à la pile de livres qui avait donné quelques sueurs froides au jeune homme la veille au soir.

"Tiens, c'est drôle, je l'ai lu celui-là !" dit l'agent en brandissant "Enquêteur, un travail de fourmi".

"Un bon bouquin..." répondit maladroitement Gauthier en reposant son stylo sur le bureau et en repliant le formulaire qu'il tendit au policier.

  

"Un classique, pourrait-on dire !" poursuivit l'homme en récupérant distraitement le papier qu'il rangea dans la poche de laquelle il l'avait sorti, "plein d'informations très intéressantes, tant pour celui qui commet un crime que pour celui qui tente de faire la lumière dessus !"

L'éclat de rire qui suivit cette phrase glaça le sang de Gauthier. Dans son petit salon se trouvaient les deux entités de cette réflexion... Le policier en avait-il conscience ou avait-il dit cela pour faire un bon mot ? Quelle qu'ait été la situation, le jeune homme souhaitait qu'elle prenne fin au plus vite, c'est pourquoi il se décida à pousser l'agent de la maréchaussée vers la sortie, le plus rapidement possible.

"Je ne vais pas vous retenir plus longtemps... Surtout si vous avez des criminels à arrêter !" lança-t-il en se forçant à rire, lui aussi.

"La justice n'attends pas, vous avez bien raison ! Je vous laisse vaquer à vous occupation Monsieur ! Bonne journée !"

Le policier reposa le livre qu'il tenait toujours à la main et il se dirigea vers l'entrée. Au moment de passer le seuil, il se retourna vers Gauthier.

"Attendez..." dit-il en fouillant une nouvelle fois dans sa poche.

"Ca n'en finira donc jamais ?" pensa le jeune homme en serrant nerveusement les poings. L'agent ressortit le formulaire de son uniforme et il en détacha une feuille carbonée qu'il tendit à Gauthier.

"Tenez, pour votre assurance ! Ne vous en faites pas, les frais seront pris en charge par le commissariat. Toute cette affaire sera très vite un lointain souvenir !"  

Le policier salua une dernière fois le jeune homme d'un geste de la main puis il s'engagea dans les escaliers.

 

Gauthier attendit de ne plus entendre le bruit des pas dans les marches pour bouger. Il avait retenu son souffle jusqu'au moment où il avait été sûr du départ de l'agent. Le stress le faisait trembler. Il alla se passer de l'eau fraîche sur le visage dans sa salle de bain pour se remettre les idées en place. Il fallait qu'il mange quelque chose, aussi, pour faire taire son estomac, qui, maintenant que la menace était passée, se manifestait à grands coups de gargouillements. Un bol de céréales arrosées de lait ferait bien l'affaire en attendant l'heure du déjeuner.


Appuyé contre le plan de travail de sa kitchenette, Gauthier avalait distraitement ses céréales tout en réfléchissant à la suite des opérations. L'option la plus simple et la plus raisonnable était d'appeler son assurance pour faire rapidement remplacer sa porte d'entrée, de faire profil bas pendant un temps, et de ne rien changer à ses habitudes pour ne pas attirer l'attention sur lui. Il était bien conscient que les meurtres de Jane et de Cédric allaient remuer des choses qu'il aurait préféré ne pas voir remonter en surface, mais ce qui était fait était fait : il ne pouvait pas les faire revenir à la vie d'un coup de baguette magique. La mort de la femme qui avait fait irruption chez lui et d'un de ses amis entraîneraient sans nul doute des questions : le jeune homme pensait tout de fois avoir quelques jours devant lui pour se préparer à y répondre. Cédric était censé être en voyage, Jane était moins qu'un personnage secondaire, personne ne s'inquiéterait de leur disparition, et ce serait sûrement l'odeur de cadavre qui finirait par intriguer les voisins...


Une seconde possibilité titillait Gauthier : fourrer l'essentiel de sa vie dans un sac et partir loin d'ici. La fuite et la perspective d'une vie d'aventure avaient un certain charme que le jeune homme ne pouvait ignorer. Sa famille se poserait bien quelques questions quant à sa disparition, mais cela pourrait contribuer à sa légende après tout...

 

Et puis s'il ne les voyait plus, ils disparaîtraient du récit : dans ce cas, existeraient-ils encore ?


Une mélodie mêlant chants d'oiseaux et accords de guitare se mit à résonner dans l'appartement. Il fallut un instant à Gauthier pour réaliser qu'il s'agissait de l'alarme de son téléphone portable. L'heure de partir en cours avait sonné. Le jeune homme décida de suivre sa routine quotidienne et de se laisser le temps de la réflexion. Il saisit le sac à dos posé à côté du canapé, ce vieux sac qui l'avait accompagné durant ses années au lycée et qu'il utilisait toujours pour aller à l'université. Ses camarades d'amphithéâtre se moquaient gentiment de lui et de son air d'éternel adolescent, tout comme du fait qu'il prenait encore des notes sur un cahier. Tous les autres étudiants suivaient les cours en tapant frénétiquement sur le clavier de leurs ordinateurs portables ou de leurs tablettes numériques, certains d'entre eux allant même jusqu'à filmer l'intégralité des cours pour garder une trace des interventions des professeurs et des questions de leurs camarades. Gauthier aimait sentir son stylo glisser sur le papier, il appréciait de pouvoir ajouter des annotations dans les marges, et il cornait les pages où il inscrivait les résumés de cours. Ces petits gestes hérités de l'école primaire le rassuraient et lui donnaient l'impression d'être unique au milieu de la foule convertie au numérique.

 

Et puis il ne pouvait pas se vanter de ses activités criminelles pour se distinguer de la masse.


Certaines étudiantes n'étaient pas insensibles au côté suranné de la trousse et des cahiers, et Gauthier avait dû gentiment éconduire plusieurs jeunes filles à qui il avait simplement prêté une gomme ou un taille crayon. Celles qui étaient à son goût, et elles étaient rares, pouvaient être invitées à prendre un café, parfois plus si affinité. Le jeune homme partageait difficilement son intimité et s'il se pliait à ce genre de convention sociale, c'était uniquement pour ne pas paraître trop étrange aux yeux des autres étudiants. Se fondre dans la normalité était le meilleur des camouflages.

 

Gauthier descendit rapidement les escaliers et il sortit dans la rue juste au moment où le bus qui le conduisait trois fois par semaine à l'université s'arrêtait à quelques mètres de l'entrée de son immeuble. Le jeune homme monta dans le véhicule en présentant son titre de transport puis il s'installa sur un siège près du chauffeur. La personne assise à côté de lui écoutait une musique répétitive qui grésillait dans ses écouteurs. Gauthier se laissa bercer par les quelques notes qui s'échappaient du dispositif, au point de manquer l'arrêt où il était censé descendre. Il appuya sur le bouton "stop" pour sortir du bus quelques rues plus loin, puis il se rendit d'un pas rapide sur le campus où il avait cours ce matin là.

 

Etudier le passionnait autant que cela le fatiguait. Gauthier, conscient de sa nature de personnage de fiction, savait que suivre en classe et réviser n'avait que peu d'influence quand à l'obtention, ou non, de son diplôme. C'est l'auteur qui déciderait. Le jeune homme poussa tout de même la porte de l'amphithéâtre où avait lieu son cours d'économie et il s'installa au centre des gradins. Une étudiante était assise à deux sièges de lui, perdue dans ses pensées. Comme le professeur n'était pas encore arrivé, Gauthier :

 

1/ se pencha vers la jeune fille   

2/ relut les notes de la leçon précédente


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