Elément perturbateur - Episode 17

nat28

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Une étudiante était assise à deux sièges de lui, perdue dans ses pensées. Comme le professeur n'était pas encore arrivé, Gauthier se pencha vers la jeune fille.

"Hum... Bonjour !" lança-t-il d'une petite voix, sans conviction.

Sa voisine ne réagit pas.

"Bonjour !" tenta-t-il un peu plus fort.

Sa deuxième tentative fut la bonne car il obtint une réaction. La jeune fille tourna la tête vers lui, avec un air à la fois surpris et bouleversé. Gauthier se dit qu'il n'avait sans doute pas provoqué sa détresse avec une simple salutation, et qu'il ne devait donc être responsable que de son air un tant soit peu ahuri.

"Quelque chose ne va pas ?" enchaîna-t-il en se penchant légèrement vers l'étudiante.

 

Dans un premier temps, elle sembla sur le point de détourner le regard et d'ignorer le jeune homme. Ce dernier était à deux doigts d'abandonner sa tentative d'approche et de faire mine de fouiller dans son sac pour se donner une contenance, quand l'étudiante répondit enfin.

"Pardon, bonjour... Je... J'étais perdue dans mes pensées, désolée."

"Ne vous excusez pas, je sais ce que c'est, je ne suis pas du matin non plus !"

"Ce n'est pas ça... Dites, vous suivez ce cours depuis longtemps ?"

"Depuis le début du semestre, pourquoi ?"

"Je ne m'y suis inscrite que depuis deux semaines, sur les conseils d'une amie qui y assiste depuis trois mois. Vous la connaissez peut-être... Ou vous l'avez peut-être croisée dans l'amphi..."

La jeune fille sortit son téléphone de la poche de sa veste et elle se mit à chercher quelque chose dedans tout en poursuivant son explication.

"Elle ne rate jamais un cours, elle est très studieuse... D'habitude, nous faisons le chemin à pieds, ensemble, depuis la cité U, pour venir ici le lundi matin, mais aujourd'hui, elle n'était pas en bas de l'immeuble quand je suis sortie. Elle ne répond pas non plus à mes messages, je suis inquiète..."  

Gauthier se retrouva soudain avec le téléphone de sa voisine d'amphithéâtre sous le nez. Sur l'écran du téléphone, une photo. Sur cette photo, un visage qu'il connaissait depuis peu, mais très bien. Le jeune homme fit de son mieux pour ne pas réagir et il hocha la tête dans un signe de dénégation. L'étudiante poursuivit.

"Elle s'appelle Jane, elle ne vit pas très loin d'ici, elle est en deuxième année de Licence d'Economie. Je ne la connais pas très bien en fait... Mais je sens qu'il y a quelque chose d'anormal..."

"Désolée, je ne me souviens pas l'avoir vue en cours."

Techniquement, ce n'était pas un mensonge.

"C'est bête... Il doit y avoir trois cent étudiants à chaque cours, difficile de tous les connaître, même de vue... Je demandais, au cas où. Et puis il y a surement une explication toute bête. Elle est peut-être rentrée chez ses parents ce week-end pour une urgence, son portable est déchargé, elle a pu avoir une panne d'oreiller, ou faire une rencontre agréable samedi soir et être encore au lit..."

La jeune femme se rendit compte de ce qu'elle venait de dire. Elle se mit à rougir, tandis qu'elle rangeait prestement son portable dans sa poche.

"Pourquoi est-ce que je vous raconte des choses pareilles, moi ? Je suis désolée, je suis tellement nerveuse... Et puis je suis sûre que Jane est une fille sérieuse, pas du genre à... enfin, vous voyez..."

Gauthier se retint de sourire face à la gêne de son interlocutrice. Le moment était très mal choisi pour se moquer d'elle, même gentiment.

"Ce n'est pas grave... Je ne sais même pas qui est cette Jane, de toutes façons. Et je n'irai jamais lui répéter ce que vous venez de me dire, ne vous en faites pas !"

Il appuya ses propos d'un clin d'œil qui fit sourire la jeune fille.


"Au fait, je ne me suis pas présenté : je m'appelle Gauthier."

"Alice, enchantée."

Ils échangèrent une poignée de main maladroite et plutôt déplacée dans le contexte particulier d'une conversation sur une possible disparition dans un amphithéâtre aux trois quarts vide.

"Ne vous en faites pas pour votre amie : elle a dû se rendormir, tout simplement. Elle sera très heureuse de récupérer vos notes quand vous la reverrez, j'en suis certain !"

Le jeune homme était bien conscient de la cruauté de ses propos, mais il n'avait d'autre choix que d'assurer ses arrières et que de prétendre que tout allait bien. Si la police interrogeait cette Alice, elle ne manquerait pas de signaler "ce gars étrange croisé en cours qui avait un air louche". Il était hors de question qu'il soit ce type là. Il devait donc se montrer optimiste et... normal, jusqu'à la caricature.

"Oui, bien sûr, je m'inquiète sans doute pour rien ! Ca m'arrive aussi, de rater des cours et de ne pas répondre aux messages... Je suis désolée, j'ai toujours tendance à imaginer le pire, je suis trop protectrice sans doute."

La jeune fille ponctua sa phrase d'un petit rire qui fit naître un sentiment de culpabilité chez Gauthier. Ce dernier chassa très vite cette sensation négative de son esprit. Il devait rester sur le qui-vive. Il décida de détourner la conversation.

"Tu es aussi en Licence d'Economie ?"

"Non, j'étudie le droit social. Je n'ai pas cours à cette heure là, habituellement, alors je me suis dit qu'approfondir mes connaissances en éco pourrait toujours être utile. Et vous, vous préparez quoi ?"

"Un Master en comptabilité des entreprises. Si tout se passe bien. J'ai eu mes derniers partiels de justesse..."

"Ca arrive. Mon premier semestre à la fac a été une catastrophe ! Je passais mon temps en soirée, j'allais en cours un jour sur deux... Les bonnes semaines ! J'ai eu des notes catastrophiques et mes parents ont menacé de me couper les vivres. Comme je n'avais pas particulièrement envie de pointer dans un fast-food tous les week-end, je me suis reprise en main et j'ai terminé brillamment mon année. Je sais qu'un soutien financier parental est une chose précieuse, et que d'avoir le temps d'étudier est un luxe... Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça..."

"Il paraît que j'ai un don pour mettre les gens en confiance et pour leur tirer les vers du nez. Jamais méchamment, vous n'avez rien à craindre !"

"Il faudra que je vous présente Jane, alors ! Ces derniers temps, elle avait l'air préoccupée, mais elle n'a jamais voulu me dire ce qui la tracassait... Peut-être qu'elle se confierait à vous, qui sait ?"


Leur conversation fut interrompue, au grand soulagement de Gauthier, par l'arrivée du professeur dans l'amphithéâtre. L'enseignant descendit prestement les marches qui menaient à son estrade, il salua rapidement ses élèves, il ne put s'empêcher de glisser une remarque sur l'aspect clairsemé des gradins, puis il commença son cours en projetant un diaporama sur l'écran un peu fatigué et très jauni devant lequel il se trouvait. Gauthier sortit un cahier et un stylo de son sac, et il remarqua du coin de l'œil qu'Alice en faisait tout autant.

"Une adepte du papier... Intéressant..." se dit-il en inscrivant le titre de la leçon du jour en haut d'une page vierge.


Durant les deux heures qui suivirent, les deux étudiants se concentrèrent sur les informations délivrées par le professeur avec un débit de mitraillette. L'homme avait la réputation d'être passionné par son sujet, et passionnant pour ces élèves, mais il voulait tant en dire que, la plupart du temps, il perdait la majorité de son auditoire après un petit quart d'heure. Gauthier était un des rares étudiants qui réussissait à ne pas perdre le fil de la pensée complexe de cet enseignant. Cela ne s'était pas fait en un jour, et le jeune homme avait dû s'adapter à ce professeur un peu particulier, mais, au final, sa grande capacité de concentration, ses facultés d'écoute et son esprit de synthèse lui avaient permis de trouver la bonne stratégie pour tirer un maximum de ce cours d'économie. Gauthier avait vu ça comme un défi, une petite difficulté sur le chemin de sa vie toute tracée, où, habituellement, les problèmes se résolvaient facilement grâce à un coup de pouce de son auteur. Le jeune homme avait l'impression qu'il avait trouvé une solution tout seul, sans aide extérieure.


Mais l'avait-il vraiment fait ou était-il bercé d'illusions ?


Une sonnerie stridente mis fin à la séance de prise de notes de l'extrême. Gauthier se massa le poignet droit tout en jetant un coup d'œil à Alice qui avait l'air exténuée. L'étudiante "pratiquait" pas ce professeur depuis bien longtemps, et le jeune homme se rappelait parfaitement de l'horrible sensation de confusion qu'il avait ressenti en début d'année.

"Ca va ?" lui demanda-t-il tandis qu'elle rangeait ses affaires.

"Oui, oui, c'est juste que... il parle tout le temps ! C'est un peu compliqué de s'y retrouver !"

"Je pourrais vous prêter mes notes si vous voulez... Et peut-être même discuter du cours qui vient de se dérouler à la vitesse de l'éclair autour d'un café ?".

Alice :

1/ eut un mouvement de recul

2/ répondit : "Avec plaisir !"


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