Elément perturbateur - Episode 18

nat28

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"Je pourrais vous prêter mes notes si vous voulez... Et peut-être même discuter du cours qui vient de se dérouler à la vitesse de l'éclair autour d'un café ?".

Alice répondit : "Avec plaisir !".

 

Gauthier prit quelques secondes pour observer la jeune femme, qui, désormais, lui souriait, comme si elle avait tout oublié de la disparition de Jane ou du cours d'économie compliqué auquel ils venaient d'assister. Il avait à côté de lui une étudiante au visage légèrement hâlé, encadré par des cheveux blond vénitien coupés court, et flanqué de deux yeux verts clairs et d'un petit nez en trompette. Elle était menue et elle ne semblait pas être très grande, mais il était difficile pour le jeune homme de se faire une idée de sa taille alors qu'elle était encore assise. Elle portait un sweat-shirt orange vif et une salopette en jean trop large pour elle, et un bracelet en argent décoré de breloques ornées de strass brillait à son poignet. Gauthier se dit que cette Alice avait plus le look d'une étudiante en Arts qu'une étudiante en droit. Il ne l'imaginait pas devenir déléguée à la tutelle ou assistante sociale. Elle avait plus le profil d'une personne créative. Mais après tout, il ne faut pas juger un livre à sa couverture : elle avait peut-être adopté ce style décontracté par soucis de praticité.

 

"Ca va ?" s'inquiéta Alice devant le mutisme soudain du jeune homme, qui, un instant plus tôt, lui avait proposé un café.

"Oui, oui, désolé, je pensais à autre chose... Vous avez une préférence ?"

"Pour ?"

"Le café."

"Mais oui, bien sûr ! Euh, je ne sais pas, la brasserie en face de la fac est sympa..."

"Allons là-bas ! Ils font des sandwichs en plus, et je commence à avoir faim."

"Moi aussi... L'économie, ça creuse !"

"Tout à fait ! Surtout avec le professeur Gendreux."

Alice s'assura d'un coup d'œil que l'enseignant avait bien quitté la salle avant de poursuivre.

"Il va tellement vite ! C'est à croire qu'il ne se rend pas compte que nous sommes là pour apprendre ! J'ai toujours l'impression que si l'amphi était totalement vide, ça ne ferait aucune différence pour lui."

"Il ne s'abaisse pas à notre niveau, à nous, pauvres mortels ignorants !"

"Exactement !"      

"Il ne prend jamais en charge les TD : un groupe de douze étudiants, c'est trop pour lui."

"C'est lui qui fait les sujets des partiels ?"

"Je ne crois pas. d'après la rumeur, il ne s'abaisse pas non plus à nous évaluer ou à corriger nos copies, qui, de toutes façons, ne peuvent être que d'une nullité affligeante... J'ai entendu deux autres profs d'économie en parler, une fois, dans un couloir."

"Ouf ! Enfin, je n'ai pas d'examen dans cette matière, mais je pense à Jane..."

Le regard d'Alice s'assombrit. Elle sortit son portable de son sac pour vérifier qu'elle n'avait pas reçu de message durant la matinée, et la vitesse à laquelle elle rangea son téléphone indiqua qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de son amie.

"Désolée..."

"Pas de soucis. Vous pourrez essayer de l'appeler quand nous serons au café. On ne capte pas très bien dans cette amphi."

"Ca ne vous dérange pas ? Ce n'est pas très poli..."

"Je vois bien que vous êtes inquiète pour votre amie... Je réagirais pareil si un proche ne répondait plus à mes appels."

Le souvenir de Cédric surgit dans l'esprit de Gauthier qui se força à le chasser en se concentrant sur Alice.


L'inquiétude nimbait le visage de la jeune femme d'un voile de mélancolie qui la rendait presque irrésistible. Elle avait l'air si fragile... Gauthier avait un faible pour les femmes fragiles. Elles lui donnaient le sentiment d'être fort et protecteur. Comme lorsqu'il commettait un meurtre, il avait besoin de se sentir puissant dans une relation amoureuse : le jeune homme vivait tout intensément, à son grand désespoir. Il enviait parfois ses congénères qui se satisfaisaient d'une vie apparemment simple et sans drame. Cette addiction aux sentiments extrêmes venait-elle de son caractère et de son histoire personnelle, ou lui était-elle imposée par le narrateur cruel qui tirait les ficelles de sa vie ?

 

Quelle était donc la part de libre-arbitre d'un personnage de fiction ?

 

"Gauthier ?"

" Vraiment désolé, je suis un peu fatigué. J'ai besoin de casser la croûte, là ! J'ai mal dormi cette nuit, la porte de mon appartement a été forcée et..."

"Ah merde !"

La spontanéité d'Alice fit sourire Gauthier.

"Pardon, je veux dire, c'est nul ? On vous a volé des trucs ? Ou... agressé ?"

"Non, rien de tout ça, ils... sont justes rentrés en défonçant la porte, mais ils n'ont rien volé. Ils ont dû être interrompus par un voisin, ou un truc comme ça..."

"Vous n'étiez pas chez vous quand ça s'est passé ?"

"Non... J'étais sorti, heureusement. Vu l'état de ma porte, j'aime mieux ne jamais tomber sur les types qui ont fait ça !"


Tout en terminant de ranger ses affaires dans son sac, le jeune homme se demanda si Jane avait parlé à son amie de son statut de personnage secondaire voué à la destruction. Cette éventualité était fort peu probable : qui irait croire une chose pareille ? Et Gauthier ne se souvenait pas avoir vu Jane utiliser son téléphone : elle n'avait donc pas pu envoyer une description ou une photo de son "sauveur" à Alice. Mais peut-être se trompait-il ? Quoi qu'il en soit, l'étudiante ne semblait pas se méfier de lui. Ils se levèrent et ils sortirent de l'amphithéâtre désormais vidé de ses occupants matinaux. Durant les cinq minutes que dura le trajet entre le bâtiment de la faculté et la brasserie, ils discutèrent cambriolage et sécurité en partageant leurs expériences respectives. Si Gauthier avait retrouvé sa porte d'entrée en miette, Alice, elle, n'avait plus eu aucune nouvelle de sa voiture qui lui avait été volée sur le parking d'un supermarché.

"Non seulement j'ai perdu ma Twingo, mais en plus, j'avais un caddie énorme ce jour là ! Je l'ai poussé sur cinq kilomètres, tout le monde klaxonnait en me croisant, j'ai eu la honte de ma vie..."

La jeune femme se mit à rire, immédiatement accompagnée par le jeune homme.

"Au départ, je n'ai même pas compris qu'on m'avait volé ma voiture, je pensais que je m'étais trompée d'allée, j'ai fait trois fois le tour du parking avait de réaliser ce qui m'arrivait !"

"C'est très déroutant. Je suis resté cinq bonnes minutes avec mon trousseau de clés à la main, devant mon absence de porte, avant de pouvoir réagir !"


Ils poussèrent enfin la porte de la brasserie et ils s'installèrent à une table près d'une baie vitrée pour profiter du soleil. il faisait encore un peu frais pour rester en terrasse, et Gauthier avait bien l'intention de passer le plus de temps possible avec Alice, en partageant un déjeuner par exemple. Une banquette confortable était plus propice à son plan qu'une chaise en plastique. Les deux étudiants se plongèrent dans l'étude de la carte de la brasserie, ce qui était de bon augure : personne ne perd de temps à consulter le menu quand il ne compte prendre qu'un café.

"J'ai super faim, ça vous dérange si je commande un truc à manger ?" demanda Alice avec un petit air inquiet qui charma un peu plus Gauthier.

"Non, non, moi aussi je suis affamé, et je crois qu'ils font un super jambon/beurre ici."

Alice se mit à rire.

"Un jambon/beurre ?"

"Oui !"

"C'est un peu... basique, non ?"

"Pas forcément : avec une baguette molle et du jambon industriel, c'est juste horrible, mais quand on utilise du pain frais et de la charcuterie de bonne qualité, ça change tout !"

"Je ne peux pas rater ça ! Il fut que je goûte leur jambon/beurre !"

"Vous n'allez pas être déçue !"

 Gauthier héla le serveur et commanda deux sandwichs ainsi que deux verres de limonade artisanale. L'employé de la brasserie tourna les talons vers les cuisines après avoir déposé une coupelle de cacahuètes entre ses deux clients. Alice se mit à picorer les arachides distraitement tout en engageant la conversation sur un autre terrain.

"Vous êtes parisien ?"

"Non, je me suis délocalisé pour étudier. Et vous ? Enfin... Et toi ? C'est un peu bête de se vouvoyer, non ?"

"Oui, nous ne sommes pas à une soirée de l'ambassadeur ! J'ai grandi en banlieue, et j'ai enfin passé le périph' en entrant à la fac ! J'ai réussi à négocier une coloc' pour ne pas rentrer chez mes parents tous les soirs. Ce n'est pas la solution la plus économique, mais au moins, je suis tranquille et je peux faire ce que je veux sans avoir à rendre des comptes. J'ai plus quinze ans..."

Le serveur déposa deux grands verres de limonade devant Gauthier et Alice. Cette dernière se mit à jouer avec sa paille. Elle plongea son regard dans celui de Gauthier et elle lança d'un ton badin :

"C'est drôle, mais

 

1/ il n'y a que moi à l'appartement cette semaine

2/ ton visage me dit quelque chose

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