Elément perturbateur - Episode 19

nat28

J'écris, tu lis, nous votons !

Le serveur déposa deux grands verres de limonade devant Gauthier et Alice. Cette dernière se mit à jouer avec sa paille. Elle plongea son regard dans celui de Gauthier et elle lança d'un ton badin :

"C'est drôle, mais il n'y a que moi à l'appartement cette semaine.”


Le jeune homme resta sans voix pendant une bonne minute. Que sous-entendait donc son interlocutrice ? Il se doutait assez clairement de ses intentions, mais peut-être se fourvoyait-il... L'étudiante avait peut-être jeté cette phrase par hasard, sans arrière pensée. Il feignit de détourner son attention vers une table voisine, tout en observant Alice du coin de l'œil. Elle buvait sa citronnade d'un air distrait, comme si de rien n'était. Après tout, ils ne se connaissaient que depuis quelques heures, il était fort peu probable qu'elle lui fasse déjà des avances...

 

Gauthier toussota et se mit lui aussi à boire son verre, tout en cherchant un sujet de conversation anodin. Il hésitait entre deux options : il pouvait faire faire un virage radical à leur échange, en la questionnant sur le dernier livre qu'elle avait lu ou sur la qualité de la cuisine du restaurant universitaire, ou bien il avait la possibilité de creuser un peu le sujet ambigu qui avait été mis sur la table. Il opta pour ce second chemin, malgré le risque encouru : jusqu'où pourrait donc le mener cet étrange échange ?

 

"Et cet appartement, il est comment ?" demanda-t-il en regardant Alice droit dans les yeux.

La jeune femme sembla surprise par cette question. Le côté "immobilier" de la chose n'était sans doute pas ce qu'elle avait envisagé pour la suite de leur conversation.

"Eh bien... Il est plutôt grand pour un appartement parisien. La cuisine est correcte, le salon est sympa... Et chacun à sa chambre."

"Avec assez de place pour un grand lit ?"

"Bien sûr ! Quel intérêt sinon ?"

Alice se remit à siroter sa limonade avec un air innocent qui cachait très mal ses véritables intentions. Son approche, à défaut d'être subtile, était directe. Pour une raison sans doute obscure, le jeune homme lui avait tapé dans l'œil, et elle comptait bien vérifier si l'attirance était réciproque. La mauvaise nouvelle, c'est qu'après son week-end "chargé", Gauthier n'avait aucune envie de se retrouver au lit avec qui que se soit. La bonne nouvelle, c'est que la jeune femme semblait avoir totalement oublié son amie disparue. L'inquiétude ne se lisait plus dans son regard et elle n'avait pas touché à son téléphone depuis dix bonnes minutes. Le jeu de la séduction avait très efficacement chassé ses interrogations quand à la situation de Jane.


"Et côté déco ?"

Alice ne tiqua pas devant cette tentative de dévier la conversation vers un terrain moins glissant, et elle entra, à moitié, dans le jeu de son interlocuteur.

"Eh bien, comme l'appartement a longtemps était occupé par une famille... C'est assez sobre, avec quelques dessins sur les murs ! Le truc cool, c'est que même si la salle de bain est minuscule, il y a quand même une baignoire !"

"Sympa !"

"Plutôt grande en plus..."

Comme l'échange déviait de nouveau, Gauthier, pour s'amuser, lui fit reprendre un cours plus neutre.

"C'est pas top pour la consommation d'eau, ça, non ?"

Alice prit un air effaré, comme si la remarque du jeune homme était totalement stupide.

"Il y a une douche aussi !"

"C'est pratique ça."

"Oui... Un peu plus acrobatique par contre."

La jeune femme avait décidemment une idée bien précise en tête. Gauthier ne se laissa pas faire.

"Niveau isolation, on est sur quoi ? Toutes les fenêtres sont en double-vitrage ?"

"Oui, on a bien chaud l'hiver. Et les murs sont épais, on n'entend pas les voisins, c'est plutôt agréable... Et très pratique quand on a de la compagnie."

 

Les intentions de la jeune femme ne laissaient plus aucune part au doute. Pour une raison sans doute inexplicable, elle était fortement attiré par le jeune homme qu'elle avait croisé par hasard dans l'amphithéâtre le matin même. Du fait d'une conjecture sans doute complexe, Alice voulait mettre Gauthier dans son lit. Dans d'autres circonstances, le jeune homme aurait surement foncé sans hésiter vers cette invitation on ne peut plus claire. Mais ce jour là, le cœur n'y était pas.   


Gauthier ne craignait pas que son intimité fut exposée aux yeux des lecteurs. Depuis le début de ses "aventures", sa vie intime avait toujours était traitée avec moult métaphores et en laissant l'imagination des lecteurs faire le plus gros du travail.


Pour une raison que le jeune homme ignorait, son auteur avait toujours rechigné de décrire les détails de sa vie sexuelle. Sans doute visait-il un public jeune, voire adolescent, plus intéressé par le mystère et les crimes que par la bagatelle. Le "mom porn" ne passerait apparemment pas par lui. D'un côté, Gauthier appréciait que son intimité reste en grande partie secrète, de l'autre... Il était, littéralement, toujours puceau. Peut-être s'y prenait-il très mal au lit, mais comme ses performances n'étaient pas décrites, il ne pouvait pas s'en souvenir, et encore moins les juger. Et ses partenaires d'une nuit ou de plusieurs mois ne devaient pas non plus se souvenir de quoi que ce soit. La chair était bien triste dans son roman personnel.

 

Dans ces conditions... Pourquoi hésiter, après tout ? La jeune femme avait l'air partante pour une après-midi coquine, pourquoi ne pas entrer dans son jeu et passer un peu de bon temps ?

 

"Et cet appartement, il est loin d'ici ?"

"Pas du tout ! A deux pas de la fac, question de praticité et de sécurité. Tu veux visiter ?"

"Avec plaisir. Je n'ai pas de cours important cet après-midi..."

"Moi, je ne séchais jamais au lycée, il serait temps que je m'y mette, non ?"

"Tout à fait. Et je serai ravi d'être ton compagnon buissonnier pour la journée."

"On a assez réfléchi pour la journée, de toutes façons."

"Exactement. L'éco, c'était épuisant, on a bien mérité une petite sieste."

Alice accompagna sa dernière phrase d'un clin d'œil suggestif plutôt inutile. Le message était bien reçu. Gauthier fouilla dans la poche de son jean pour trouver de la monnaie et il régla la note en faisant signe à Alice que le déjeuner était pour lui.

"La prochaine fois, c'est pour moi."

"Pas de soucis. On y va ?"


L'appartement d'Alice était situé à cinq minutes à peine de la brasserie, mais au sixième étage sans ascenseur. Si la jeune femme sembla gravir d'un pas léger les volées de marches qui menaient à son logis, la montée fut plus éprouvante pour le jeune homme qui manquait de sommeil et qui souffrait de courbatures suite à son escapade sur les toits avec Jane. A peine la porte de l'appartement franchie, Gauthier s'écroula sur le canapé qui trônait au centre du salon de la colocation.    

"Un petit verre d'eau, papy ?" lança Alice en riant et en se dirigeant vers la cuisine.

"C'est pas de refus" répondit le jeune homme penaud et hors d'haleine.

Pendant que la jeune femme s'affairait en cuisine, il s'étira discrètement tout en s'efforçant de reprendre son souffle. Tout en mobilisant ses muscles endoloris, il parcourut la pièce du regard.  

 

La pièce était tapissée d'un papier peint à fleurs un peu suranné et très jauni. Quelques meubles, sans doute récupérés dans les familles des différents locataires, étaient disposés autour d'un imposant sofa : une table basse en chêne massif, une bibliothèque en aggloméré imitation pin, un caisson métallique supportant une télévision à écran plat, une table en formica et des chaises mal assorties se côtoyaient sur un immense tapis élimé, le tout éclairé par une collection de lampes semblant sortir d'une exposition sur les luminaires, des années 50 à l'an 2000. Gauthier fut tenté d'aller examiner les livres mal rangés sur les étagères voilées de la bibliothèque, mais Alice revenait déjà avec deux verres à la main.

"Je t'ai mis de l'eau minérale, et moi, j'ai pris de la vodka... Tu ne m'en veux pas ?"

"Non... Mais on partage ?"

"Si tu veux..."

La jeune femme s'installa aux côté du jeune homme sur le canapé, en repliant ses jambes sous ses fesses, penchant ainsi son buste vers un Gauthier un peu gêné. Ce dernier saisit son verre et le vida d'un trait, avant de poser la main sur le visage d'Alice. Elle lui sourit en buvant lentement sa vodka. Il lui caressa lentement la joue en la regardant droit dans les yeux.

"Plus bas..." murmura la jeune femme en posant les verres sur la table basse et en se rapprochant du jeune homme. Il glissa son autre main dans le dos d'Alice alors qu'elle l'embrassait, d'abord doucement, puis de plus en plus langoureusement. Le contact des lèvres chaudes de la jeune femme était des plus agréables, et le jeune homme lui rendit ses baisers, tout en intensifiant ses caresses. Il changea de position pour se retrouver au dessus d'Alice, quand tout d'un coup :

 

1/ un portable se mit à sonner

2/ elle le repoussa violemment pour s'allonger sur lui    



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