Elément perturbateur - Episode 20
nat28
Il changea de position pour se retrouver au dessus d'Alice, quand tout d'un coup elle le repoussa violemment pour s'allonger sur lui. . Il changea de position pour se retrouver au dessus d'Alice, quand tout d'un coup elle le repoussa violemment pour s'allonger sur lui.
"Je préfère prendre les commandes, si ça ne te dérange pas..." murmura la jeune femme à son oreille.
"Pas de soucis..." répondit-il en l'embrassant à pleine bouche. La langue d'Alice était douce et chaude, et ses mains se montraient de plus en plus audacieuses. Gauthier s'imaginait déjà une relation sexuelle torride et sauvage quand une ellipse, cruelle mais attendue, vint interrompre leurs ébats.
Le jeune homme était allongé sur le canapé de la colocation, nu et recouvert d'un plaid en polaire rouge. Il n'y avait aucune trace d'Alice dans la pièce, mais en tendant l'oreille, il perçut une voix qui chantonnait, sans doute dans la salle de bain de l'appartement. La jeune femme avait dû prendre une douche après l'acte donc le jeune homme n'avait malheureusement aucun souvenir. Il maudit intérieurement son auteur qui le privait des plaisirs de la chair, avant de se redresser pour récupérer ses vêtements qui avaient volé à travers la pièce. Il était en sueur et tous les coussins du canapé était à présent sur le sol. "Ca a dû être chaud..." se dit le jeune homme, en se référant, faute de mieux, aux quelques écrits et œuvres audiovisuelles érotiques qu'il avait été amené à "consulter" dans sa vie.
"Après tout, se dit-il, les personnages des romans que je lis ne sont pas plus réels que moi... Tout ça ne leur arrive pas vraiment non plus, alors pourquoi me plaindre de mon sort ? Je ne suis que 8 pauvres petites lettres écrites sur une feuille de papier, rien de plus. Je pourrais changer de prénom à la faveur d'un "rechercher/remplacer" si "Gauthier" ne convenait plus à mon auteur. Il pourrait modifier mon âge, mon sexe, ma taille, mes cheveux, ma couleur de peau, mon passé, mon présent et mon futur, rien qu'en tapotant quelques minutes sur son clavier. Il m'a donné la vie, il pourrait me la retirer, si ça le chantait. Et encore, ça pourrait être pire ! Si mon auteur décide de supprimer son roman de son disque dur, il le fera à la suite d'une réflexion intense et d'une prise de décision motivée et assumée. Mais je ne suis pas à l'abri d'un accident ! Un disque dur endommagé, un cloud piraté, un vol, que sais-je encore... Je suis à la merci de tant de choses..."
Gauthier frissonna, tant de froid que d'angoisse, tout en enfilant son T-shirt et son caleçon. Un héros littéraire oublié ou abandonné en cours de récit est-il considéré comme mort ou comme un dommage collatéral ? Qui se soucie de la disparition d'une ébauche d'intrigue ? Qui pleure les protagonistes éliminés ou les héros dont on interrompt la série ? Le jeune homme se demandait parfois ce qu'il adviendrait de lui s'il arrivait quelque chose à son auteur. Quelqu'un d'autre reprendrait-il le fil du récit ? Ou serait-il perdu à jamais au milieu d'un chapitre dont il ne verrait jamais la fin ?
Le retour d'Alice dans le salon coupa court aux pensées morbides de Gauthier. La jeune femme avait enroulé son corps sublime dans un immense drap de douche qui ne laissait entrevoir que ses épaules parfaites et ses chevilles délicates. Elle portait une serviette sur la tête et sa peau était encore rougie suite à la morsure de l'eau chaude sur son épiderme si fin et si doux. Alice vint s'asseoir aux côtés de Gauthier qui venait de remettre son pantalon.
"La sieste est déjà finie ?" miaula-t-elle en se lovant contre son amant du jour.
"Oui... Je dois rentrer, un... un ami doit passer en début de soirée."
"C'est dommage..." dit Alice en glissant une main sous le T-shirt de Gauthier.
"On remettra ça une prochaine fois, OK ?"
"Quand tu veux... Attends, je ne t'ai pas donné mon numéro."
La jeune femme se releva et alla chercher son téléphone dans son sac de cours.
"Je n'arrive jamais à retenir mon propre numéro, c'est fou non ?"
Elle déverrouilla l'appareil d'un geste du doigt puis se figea.
"Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda le jeune homme, contaminé par l'inquiétude.
"J'ai au moins... 20 messages ! C'est dingue ! Attends, il faut que je les lise."
Alice s'appuya contre la table du salon pour ouvrir ses SMS. Plus elle avançait dans sa lecture, plus son visage se fermait. Gauthier hésitait à se lever pour la rejoindre : après tout, il ne la connaissait que depuis quelques heures, il ne savait pas comment elle réagirait s'il s'immisçait ainsi dans son intimité. Le suspens ne dura pas longtemps : après quelques minutes, la jeune femme lança :
"C'est Jane."
"Jane ?" répondit Gauthier en feignant d'avoir oublié l'amie d'Alice.
"Je t'en ai parlé ce matin, tu sais, ma copine Jane, celle qui ne répond plus à mes messages depuis hier."
"Ah oui, Jane !"
Jouer les idiots et attendre de savoir quelles informations étaient en possession d'Alice était pour Gauthier l'option la plus sûre.
"Des nouvelles ?" demanda-t-il innocemment.
"Pas vraiment... Pas venant d'elle en tout cas. D'autres personnes de ma classe qui la connaissent aussi ont répondu à mes messages. Personne ne l'a vu aujourd'hui, personne ne l'a eu au téléphone, et une fille qui habite près de chez elle est même allée frapper à sa porte. Sans succès. C'est comme si elle avait disparue !"
"Peut-être qu'elle est en ce moment même dans la même situation que toi..."
"C'est-à-dire ?"
"Nue sous une serviette, après une bonne... sieste !"
"N'importe quoi !"
Alice se jeta en riant sur Gauthier pour le couvrir de baisers. Il dû batailler pour se dégager et pour prendre congé de la jeune femme, tout en lui promettant de la recontacter au plus vite. Une fois sur le palier, la porte de l'appartement refermée derrière lui, il réalisa que la jeune femme ne lui avait finalement pas laissé son numéro de téléphone.
"Tant pis, songea-t-il, je la recroiserai bien à la fac un de ses quatre... ou si le scénario l'exige !"
Il descendit les 6 étages qu'il avait péniblement monté quelques heures auparavant pour retrouver la rue et les bruits de la ville.
Après un moment d'intimité avec une femme, Gauthier avait besoin de se reconnecter au monde, de se replonger dans le tumulte de la cité et de déambuler sans but dans les rues. Il faisait ainsi de longues promenades nocturnes tandis que ses conquêtes plongeaient dans les bras de Morphée après avoir soupiré dans les siens. Sur les trottoirs qui longeaient les avenues de la ville, il redevenait un anonyme, perdu dans la foule, après avoir été l'être le plus important au monde pendant quelques instants pour une femme. Il flânait, il se concentrait sur le bruit des voitures, il cherchait la lune des yeux...
Chez ses parents, il pouvait observer les étoiles, et il essayait de repérer les rares constellations dont il avait retenu le nom. La Grande Ourse, Cassiopée, Pégase, Andromède, Orion... Il lui semblait qu'à une époque, son grand-père maternel lui avait appris à retrouver tous les signes du Zodiaque... Tout ça était si loin derrière lui... Mais à seulement une centaine de pages de ses lecteurs, sans doute.
Ils en avaient, de la chance, eux. Ils pouvaient interrompre leur lecture à tout moment et aller vivre leur vie en l'abandonnant sur le coin d'une table de nuit. Ils avaient même la possibilité de revenir en arrière et de relire un chapitre entier de sa vie, si un détail leur avait échappé. Gauthier, lui, ne pouvait compter que sur les bribes de souvenirs que lui concédait son auteur.
La situation était injuste : Gauthier avait beau être un personnage de fiction, il était soumis aux mêmes problèmes existentiels que les "vrais" humains. Il ne contrôlait rien, il n'était sûr de rien et il n'avait même pas le luxe d'avoir son propre libre-arbitre ! Il était rongé par l'angoisse (mais jamais par la culpabilité) et il se sentait incapable de vivre une vie "normale"... Ce qui était plutôt logique, du fait de son statut de protagoniste principale de l'histoire. Il pouvait au moins sauter un repas ou faire une nuit blanche sans être accablé par la faim ou la fatigue... Un des rares avantages des personnages de papier sur les êtres de chair et de sang.
Les pas du jeune homme le ramenèrent en quelques minutes, sans qu'il en ai réellement conscience, jusqu'à son immeuble. Il entra les 4 chiffres de son digicode machinalement, il poussa la porte du bâtiment, il appuya sur le bouton de la minuterie et il monta jusqu'à son appartement. Ce n'est qu'en arrivant sur son palier qu'il réalisa que sa porte était toujours détachée de ses gonds, et qu'il faudrait sans doute plusieurs jours avant qu'elle ne soit réparée. Gauthier décida :
1/ d'aller manger au fast-food puis de retourner dormir chez Alice
2/ de se barricader pour la nuit et de passer la soirée devant la télévision
Encore un chouette épisode. J'ai pas mal hésité pour le vote ^^ ce sera le 2 :D (et non je ne suis pas du tout à la bourre... * sifflote en regardant ailleurs* ^^)
· Il y a plus de 6 ans ·k3m-4nyx