Elément perturbateur - Episode 21

nat28

Les orages m'ont retardé : juste après la lecture, ne tardez pas à voter !

Ce n'est qu'en arrivant sur son palier qu'il réalisa que sa porte était toujours détachée de ses gonds, et qu'il faudrait sans doute plusieurs jours avant qu'elle ne soit réparée. Gauthier  décida de se barricader pour la nuit et de passer la soirée devant la télévision. 


Le jeune homme avait besoin de se vider la tête pour oublier les événements des derniers jours. Il était de plus en plus déboussolé par la tournure que prenait sa vie depuis le meurtre de Jane. Et de Cédric... La rencontre avec Alice était arrivée si rapidement aussi... Tout allait trop vite. Ce n'était pas normal. En dehors des crimes qu'il commettait de temps en temps, Gauthier avait une existence simple et bien rangée. Après tout, les lecteurs se concentraient sur la part sombre de sa personnalité, pas sur les petites anecdotes de son quotidien...


Qui avait envie de savoir que les packs de lait étaient en promotion au supermarché du coin ou qu'une nouvelle saison de sa série préférée débutait à la télévision ? Dans l'absolu, tout ce qui passait dans sa vie était inventé par l'auteur... Mieux valait se concentrer sur les péripéties criminelles. Le lecteur recherchait le frisson de l'interdit et il voulait suivre le principal protagoniste du récit dans ses tentatives, toujours victorieuses, d'échapper aux forces de l'ordre.

 

Gauthier se disait que "gagner à la fin" était somme toute assez facile pour lui : son auteur ne voulait pas le voir moisir en prison, et il s'arrangeait toujours pour lui sauver la mise. C'était presque trop  facile. Le jeune homme n'avait plus l'impression de relever des défis, comme au tout début de sa carrière criminelle. Avant de réaliser qu'il était un personnage de fiction, Gauthier avait l'impression d'être plus fort que tout le monde, plus chanceux, plus malin, plus puissant... Depuis qu'il avait pris conscience de sa condition, il perdait petit à petit goût à la vie. Une existence écrite et imaginée par un autre valait-elle la peine d'être vécue ?

 

Et est-ce que la vérité existait seulement dans le vie de Gauthier ? Que pouvait-il réellement croire ? Chacune de ses pensées et la moindre des observations qu'il était amené à faire sur le monde venait, au final, d'un autre. Le jeune homme devait-il tout accepter comme véridique et authentique ou bien tout rejeter en bloc au prétexte qu'une simple réécriture dans un traitement de texte pouvait radicalement modifier le cours de son existence ?


 Ce genre de réflexion engendrait invariablement chez Gauthier une crise de migraine particulièrement douloureuse. Pour couper court aux ruminations et aux idées noires sur le sens de sa vie artificielle, le jeune homme s'écroula dans son canapé et appuya sur le gros bouton rouge de sa télécommande. Les images colorées et joyeuses d'une publicité pour un yaourt à boire se mirent à défiler sur l'écran. Gauthier baissa le son de la télévision afin de ne pas déranger ses voisins et il se laissa entraîner par le flot hypnotique des réclames. Après la horde de préadolescents surexcités dopés aux produits laitiers, il eu le droit à une ménagère ébahie par les performances exceptionnelles de sa nouvelle lessive, puis à une "invitation au voyage" dans une voiture hybride de luxe, et enfin à une virée dans le monde peu ragoûtant des bactéries peuplant les sanitaires avant de pouvoir regarder la suite d'une émission de divertissement. Trois animateurs questionnaient deux invités, un chanteur et une femme politique, au sujet de l'actualité de la semaine. "Parfait !", se dit Gauthier qui trouvait toujours ce genre de spectacle très soporifique.

 

Il glissa sur l'assise de son canapé et il cala sa tête sur un des coussins qui servait d'accoudoir au clic-clac acheté lors de son installation à Paris. Avec un peu de chance, il s'endormirait en quelques minutes, bercé par la voix grave et chaude du présentateur vedette. Les paupières du jeune homme était de plus en plus lourdes, et il ne saisissait plus qu'une phrase sur deux dans la conversation télévisuelle.


"C'est quand même incroyable, ce que l'on peut faire de nos jours avec..."

"Oui, je me rappelle un concert à Dijon..."

"Le législateur n'a pas toujours le pouvoir de..."

"Alors moi je me demandais, pour ou contre..."

"Parce que faire un album, c'est pas aussi facile qu'on le croit !"

"Mais vous avez été élue pour représenter le peuple Madame..."

"Les questions relatives à l'agriculture biologique..."

"J'ai adoré la chanson sur..."

"Les attaques incessantes contre..."

"Vous ne pouvez pas ne pas répondre !"

"Je donne juste mon avis, moi..."

"C'est toujours..."

"Je ne suis pas d'accord car..."

"La presse écrite..."

"Ce que j'ai lu sur les réseaux sociaux..."

"Non, je pense que..."

"Je n'ai jamais..."

"Qui a lu ce..."

"Et si..."

"Moi je..."

"Enfin, vous ne..."

"C'est..."

 

Gauthier était sur le point de s'endormir quand la dernière zone de son cerveau encore sur le qui-vive le réveilla en sursaut. La femme politique venait apparemment de prononcer la phrase :

"Une jeune fille morte ne doit pas être oubliée."

Le jeune homme se redressa d'un bond sur son canapé et il augmenta légèrement le volume de la télévision. Ses pensées n'étaient pas très claires et il avait du mal à se concentrer sur les échanges auxquels il assistait par écran interposé. Pourquoi cette invitée avait-elle donc dit cela ? De quoi parlaient-ils sur le plateau avant qu'elle assène cette affirmation ? Gauthier tentait en vain de rattraper le fil de la conversation. Un des présentateurs semblait parler d'une exposition, son voisin de gauche riait à gorge déployée tandis que le chanteur avait un air navré et que la femme politique déployait toute son énergie pour garder son sérieux. Et le public semblait s'amuser, lui aussi ! Le sujet ne pouvait qu'être léger au vu de ces réactions. Le jeune homme se dit qu'il avait surement rêvé cette phrase, ou mal entendu. Il s'apprêtait à éteindre la télévision et à rejoindre son lit lorsque le réalisateur fit un gros plan sur le chanteur, qui, s'adressant à la caméra, lança : "Un crime ne reste jamais impuni".    


Gauthier sursauta et il manqua de tomber de son canapé sous l'effet de la surprise. Cette fois-ci, il était sûr d'avoir bien compris ce que l'invité venait de dire. Cette phrase tombait de nulle part et, une seconde après l'avoir dite avec le plus grand sérieux, le chanteur semblait déjà l'avoir totalement oublié. Il se prêtait désormais au jeu d'une interview" comparaison" totalement loufoque.

"Je suis sans doute épuisé" se dit le jeune homme en se levant péniblement pour gagner sa chambre. Au moment où il éteignait son téléviseur, un adolescent dans le public sembla murmurer "Je sais", ce qui accentua la sensation de malaise qui s'était emparée de Gauthier. Ce dernier appuya rageusement sur le bouton marche/arrêt de l'appareil avant d'aller se jeter dans son lit.


Sa nuit fut agitée, ponctuée de réveils en sursaut et de cauchemars effrayants. Dans l'un d'entre eux, il se poursuivait lui-même dans une forêt sombre et labyrinthique, avec un couteau à la main, pour se trucider. Il était simultanément dans le corps du chasseur et du chassé, ce qui le rendait à la fois euphorique et paniqué. Il s'était levé pour passer aux toilettes, puis pour boire un verre d'eau, et enfin pour aller chercher un roman dans son salon faiblement éclairé par la lumière du palier qui filtrait entre les interstices du montant de sa porte mal calée dans l'embrasure. Il porta son dévolu sur un recueil de nouvelles humoristiques qu'une cousine lui avait offert pour son dernier anniversaire. Il feuilleta l'ouvrage sans réellement se concentrer sur les textes, œuvres d'un jeune auteur Belge, jusqu'à ce que son attention soit attirée par un titre assez particulier. Le jeune homme secoua la tête pour se réveiller un peu plus car il était intrigué.  

 

"L'inavouable secret". La nouvelle racontait l'histoire d'un étudiant, beau garçon mais un peu timide, contraint de quitter le domicile familial pour poursuivre son cursus, qui cachait un horrible secret à ses proches. Au côté abject de son mystère s'ajoutait une fascination morbide pour l'interdit qu'il transgressait. Gauthier commença à lire le premier paragraphe avec attention, mais après avoir relevé une demi-douzaine de similitudes avec sa propre vie, il ferma le livre et le jeta violemment au pied de son lit. Il n'avait pas besoin de cela, pas ce soir là. De guerre lasse, il fouilla dans le tiroir de sa table de nuit pour mettre la main sur une boite de somnifère. Un petit cachet blanc était la garantie d'un endormissement rapide et d'une nuit sans rêve. Pourquoi s'en priver ? A peine le cachet avalé, Gauthier sombra dans un sommeil de plomb.

 

Extinction des feux. Fin de service. Rideau. interruption du récit jusqu'au réveil. Comme tous les jours.  

 

Tandis que les premiers rayons du soleil venait le titiller, et qu'il tentait de s'en protéger avec son oreiller, Gauthier réalisa :

1/ qu'un oiseau tapait en rythme contre la vitre de la fenêtre de sa chambre depuis plusieurs minutes

2/ que son téléphone portable sonnait frénétiquement, signe de l'arrivée de multiples messages  

 

  • Encore un épisode cool :D J'ai bien aimé le personnage qui est un peu parano avec les phrases qu'il entend ^^

    J'ai hâte d'avoir la suite ;) et j'ai pas mal hésité sur le vote xD mais j'ai bien envie de voir ce que tu vas nous faire avec l'oiseau ;) Je vote donc 1 !

    · Il y a presque 6 ans ·
    Default user

    k3m-4nyx

Signaler ce texte