Elément perturbateur - Episode 22

nat28

Elément perturbateur : la série qui permet de voter sans retourner dans une école primaire un dimanche matin

Tandis que les premiers rayons du soleil venait le titiller, et qu'il tentait de s'en protéger avec son oreiller, Gauthier réalisa qu'un oiseau tapait en rythme contre la vitre de la fenêtre de sa chambre depuis plusieurs minutes.


Gauthier lança un livre qui était posé sur sa table de nuit en direction de la fenêtre de sa chambre, dans l'espoir de faire fuir l'incommodant volatile. La couverture molle de l'ouvrage rebondit mollement sur le carreau, sans pour autant chasser l'oiseau. Ce dernier continua à frapper la vitre avec son bec, d'une manière irrégulière, qui, cependant, semblait se répéter. Le jeune homme essaya en vain d'ignorer ce bruit agaçant en enfouissant sa tête dans son oreiller, mais il finit par réaliser que la seule solution était de sortir de la pièce. Il se leva péniblement de son lit, il se gratta l'épaule gauche tout en cherchant son jean sur le sol de la chambre, et il se dirigea vers le salon en trainant son pantalon derrière lui. Il Claqua la porte de sa chambre avant de s'habiller, puis il se rendit dans sa cuisine pour se faire un café bien serré. Gauthier avait besoin d'un bon coup de fouet pour se réveiller.

 

Taaac. Une pause. Tac Tac Taaac. Une pause. Tac. Une pause. Tac Tac Taaac. Une pause. Tac Taaac Tac. Une pause. Plus longue, celle-ci. L'importun oiseau était à nouveau là, à la fenêtre de la cuisine. Taaac Tac Tac Taaac Tac Tac Tac Taaac Tac Taaac Tac... Cette boucle de petits coups rendait Gauthier fou. Il renversa la première tasse de café qu'il s'était préparé, et il était sur le point de jeter le contenant en porcelaine contre le carreau quand l'oiseau s'arrêta et sembla... lui jeter un regard accusateur. Le jeune homme stoppa son geste, le bras levé et la tasse derrière lui. Et l'oiseau reprit son étrange manège.


Gauthier déposa sa tasse vide dans l'évier et il se saisit d'une éponge pour nettoyer la flaque de café qu'il venait de faire sur le sol. Il s'agenouilla et il essuya la tâche sombre qui commençait à s'étaler sur le linoleum. L'oiseau, lui, continuait sans relâche à taper au carreau... Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Ses coups de bec semblaient vouloir délivrer... Un message ?

 

Gauthier se releva et, tout en allant rincer son éponge à l'eau froide, il se concentra sur le Tac Tac Tac qui provenait de la fenêtre de la cuisine.

"Qu'est-ce que tu me veux, sale piaf ?" lança-t-il hargneusement.

"Taaac Tac Tac Taaac Tac Tac Tac Taaac Tac Taaac Tac" répondit l'oiseau, imperturbable.

"On dirait... du Morse" songea Gauthier, tout en essayant de retenir l'enchaînement des coups de bec. Afin de ne pas faire d'erreur, il s'empara d'un crayon à papier et d'un post-it qui étaient posés au dessus de son réfrigérateur. Il retranscrit les coups longs et courts qui résonnaient contre la vitre, puis il vérifia qu'il n'avait pas fait d'erreur en laissant passer la série deux fois supplémentaires. Sûr de ses notes, il se rendit dans son salon pour récupérer son portable qu'il avait mis en charge et pour chercher la signification du code Morse sur Internet.

Taaac : T. Tac Tac Taaac : U. Tac : E. Tac Tac Taaac : un autre U. Tac Taaac Tac : R... T U E U R. Tueur... Est-ce qu'un banal oiseau était en train de l'accuser de meurtre ?

 

Gauthier s'écroula sur son canapé et il se prit la tête entre les mains. Alice qui lui parlait de Jane, la chroniqueuse à la télévision, l'adolescent anonyme, la nouvelle dans le livre et maintenant, un oiseau ? C'était du délire : le jeune homme devait être épuisé nerveusement... Il était impossible que ces signes aient une quelconque logique...

 

Ou alors, c'était une facétie de son auteur... Un tour cruel, pour lui rappeler qu'il ne contrôlait rien dans le récit, et, qu'à tout moment, une astuce scénaristique plus ou moins grossière pouvait le perdre à jamais.

 

C'est alors que Gauthier réalisa qu'il avait éliminé celle qui aurait pu devenir sa meilleure alliée : Jane.


Jane Do avait été le seul protagoniste de l'histoire qui, à sa connaissance, avait pris conscience de son état de personnage de fiction. Elle était l'unique femme à avoir compris qu'elle n'était pas réelle, mais aussi qu'en agissant, elle pouvait modifier son destin littéraire... Elle était juste tombée sur la plus mauvaise personne qu'elle aurait pu rencontrer... Son futur assassin. La rébellion de Jane avait forcément un sens et Gauthier devait le découvrir pour se sauver lui-même.


Mais avant, il devait se restaurer. Son ventre gargouillait de manière intempestive depuis que le jeune homme s'était levé, et il était pris de vertige dès qu'il changeait de position. Gauthier réalisa qu'il n'avait rien mangé depuis le déjeuner, la veille, et entre son après-midi avec Alice et les émotions fortes de la soirée, il avait largement épuisé toute son énergie. En s'appuyant sur un mur, le jeune homme se leva et retourna dans la cuisine pour trouver quelque chose à grignoter. Il dénicha un morceau de fromage dans le réfrigérateur et une tranche de pain de mie un peu rassise, mais pas encore moisie, dans un placard.

"Dommage que la fonction "remplissage automatique du garde-manger" n'existe pas dans mon univers" se dit-il tout en mastiquant sa tartine. Il fit passer son maigre repas trop sec avec un grand verre d'eau, puis il se versa le café qu'il attendait depuis son lever avant de retourner dans le salon.

 

Gauthier devait reprendre tous les événements des derniers jours et les analyser avec calme et pragmatisme. Tout avait commencé quand Jane avait déboulé dans son appartement et...

 

Des coups discrets furent tapés à la porte, ce qui fit sursauter le jeune homme. "Bonjour..." lança timidement une voix masculine de l'autre côté du chambranle.

"Bonjour" répondit Gauthier en déposant sa tasse de café sur son bureau et en se levant précautionneusement du canapé pour éviter un nouveau vertige.

"Je suis venu réparer votre porte" continua l'homme qui était sur le palier.

"OK... Je viens vous ouvrir" dit Gauthier en tirant sur le buffet qui maintenait la porte.

 

Un homme brun d'une trentaine d'année, vêtu d'une salopette en jean et tenant une boîte à outil dans la main gauche apparut sur le seuil. Il tendit sa main droite à Gauthier qui la serra machinalement. L'ouvrier jeta un coup d'œil à la porte arrachée et à la serrure défoncée.

"Eh bah dites donc, le gars qui a fait ça était déterminé à entrer !"

"C'était pas un gars", songea Gauthier, qui répondit "Oui, on peut le dire !" avec un petit sourire de connivence. Le jeune homme avait pris le parti de la légèreté : il en avait besoin.

"Il était temps que j'arrive, dites ! C'est pas super, une porte défoncée, n'importe qui aurait pu rentrer et découvrir vos petits secrets !"

Le sang de Gauthier se glaça.

"C'est votre assurance qui m'envoie. La Police l'a prévenue, pour l'effraction. Monsieur... Ca va ?"

"Oui, oui, je viens juste de me réveiller, je suis encore un peu vaseux... Ne vous inquiétez pas."

"Vous êtes tout pâle... Vous voulez pas vous asseoir ?"

"Non, non, ça va aller. Je vais aller me rallonger un peu et vous laisser travailler. Je suis juste à côté si vous avez besoin de quoi que ce soit."

"Ca devrait aller, je suis bien équipé !" dit l'artisan en tapotant sa caisse à outils. Cliiing... Cling Cling Cliiing... Le bruit des outils qui s'entrechoquèrent ressemblait étrangement aux coups de bec de l'oiseau... Gauthier se réfugia dans sa chambre dont il ferma la porte. Dans le salon, un léger sifflement se fit entendre : le réparateur était à l'œuvre.


Le jeune homme se laissa tomber en travers de son lit, les bras en croix. Ses yeux fixaient le plafond, sans but précis, et sans vouloir se fermer pour replonger dans le sommeil. De toutes façons, comment Gauthier aurait-il pu se rendormir, avec le bruit que faisait l'ouvrier et le flot de pensées qui se bousculaient dans sa tête ? Il n'arrivait pas à organiser sa réflexion, ce qui le plongeait dans une colère sourde. La solution était surement là, à portée de main, mais il n'arrivait pas à se concentrer pour l'atteindre...

 

La clé n'était pas le fait qu'il soit un personnage de fiction. Ca, il le savait depuis très longtemps. Il ne pouvait donc pas appuyer sur ce levier pour arranger la situation. La mort de Cédric avait-elle déclenché cette cascade d'événements inattendus ? Après tout, la disparition de son ami n'était, a priori, pas au programme. Gauthier ne tuait pas les gens qu'il connaissait... Du moins pas ceux qu'il fréquentait autant qu'il avait fréquenter Cédric. Mais il était impossible de le ramener à la vie... Ce qui signifiait qu'il était vraisemblablement dans l'impasse.

 

Jane était une femme, Alice aussi... Cette piste était-elle à creuser ? Son salut viendrait-il d'une compagne ? L'amour était-il la solution ? Le jeune homme rejeta cette idée : elle était bien trop fleur bleue pour le style de roman dans lequel il évoluait.

 

 

Gauthier :

1/ ferma les yeux et ralentit sa respiration

2/ se leva d'un bond et se précipita dans le salon



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