Elément perturbateur - Episode 24

nat28

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"Tu ne vas jamais le croire, dit la jeune femme, mon appartement est inondé !"   

Alice se mit à rire et son hilarité agaça profondément Gauthier. Qu'y avait-il de drôle à voir son logement envahi par les eaux ? Cette mésaventure aquatique rappelait de surcroit au jeune homme le corps qui encombrait sa baignoire. Il imaginait le cadavre gonflé d'eau, flottant lamentablement sous les sacs plastiques, le visage boursouflé... Gauthier en avait la nausée. Et pendant ce temps là, Alice continuait à rire.

"C'est dingue, non ?"

"Ce sont des choses qui arrivent..."

"Il y a des hasards, parfois, dans la vie..."

"Des hasards plus ou moins malheureux..."

"Comment ça ?"

"Un dégât des eaux, c'est jamais marrant à gérer..."

"Mais non, je ne te parle pas de l'inondation ! Je te parle de toi !"

"De moi ?"

Le jeune homme était totalement perdu.

"Bah oui, de toi !"

"Pardon, mais... Je ne comprends pas très bien..."

"Eh bien je te rencontre hier, et aujourd'hui, je suis à la rue..."

Gauthier compris enfin où la jeune femme voulait en venir.

"A Paris, je ne connais vraiment que Jane, et elle est aux abonnés absents, mais heureusement, on s'est rencontré hier, et... Le courant passe plutôt bien entre nous, non ? Alors je me suis dit... Gauthier va pouvoir m'héberger le temps que les dégradations soient réparées ! Ca ne devrait pas prendre plus de 2 ou 3 jours..."

Un filet de sueur glacé descendit le long du dos de Gauthier.

"Oui, je sais, c'est un peu tôt... On se voit pour la première fois hier, et aujourd'hui, je te demande de m'héberger chez toi ! C'est rapide, mais c'est exceptionnel, et dès que tout sera rentré dans l'ordre, je réintégrerai mes pénates, ne t'inquiète pas ! En tout cas, j'ai eu une sacrée chance de tomber sur toi, comme ça, dans la rue, figure-toi que je n'ai pas remis la main sur ton, numéro de téléphone !"

"Normal, songea Gauthier, je ne te l'avais pas donné..."

"T'imagines un peu ! J'ai besoin de toi et... te voilà, devant moi !"

Le sourire d'Alice se figea devant le visage, pâle et anxieux, de Gauthier.

"Ca va pas ?"

"Si, si... Un truc qui passe pas..."

"Tu as mangé ce matin ? Ma sœur fait des hypoglycémies tout le temps, et..."

"Non, c'est pas ça !"

La réponse très sèche du jeune homme provoqua un mouvement de recul chez la jeune femme. Instinctivement, elle desserra son étreinte et elle croisa les bras devant sa poitrine, dans un geste d'auto-protection.

"Je suis stupide... On ne se connait pas, toi et moi, qu'est-ce que je m'imaginais ? Quel homme saint d'esprit sauterait de joie à l'idée d'accueillir chez lui une fille qu'il s'est envoyée une fois et dont il ne connait rien ? Si ça se trouve, je suis une grande malade, hein, du genre à voler tes affaires et à t'étrangler dans ton sommeil ! Qui sait ?"

Un frisson d'horreur parcourut le corps glacé de Gauthier.

"En fait, si je n'ai pas retrouvé ton numéro, c'est parce que tu ne me l'avais pas laissé, hein, c'est ça ? Quel intérêt ? Ca y est, tu m'as..."

"Arrête !"


Gauthier fit un pas vers Alice qui, instinctivement, recula. Il s'avança de nouveau vers elle et il la prit dans ses bras.

"Ne dis pas des choses pareilles, c'est horrible !"

La jeune femme était recroquevillée sur elle-même, et Gauthier essaya de la détendre en lui caressant doucement le dos.

"Comment peux-tu croire que..."   

"Pendant un instant, je me suis imaginé que tu faisais ça avec toutes les filles que tu croisais à la fac..."

"Mais pas du tout !"

Alice décroisa les bras et passa ses mains dans le dos de Gauthier.

"Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris..."

"C'est moi qui suis désolé de t'avoir mis dans cet état... J'étais juste surpris de te voir, je ne m'y attendais pas..."

La jeune femme serra Gauthier dans ses bras.

"Ce qui s'est passé hier était tellement... inattendu. Je crois que je ne me suis pas encore remise."

Gauthier sourit et planta un baiser sur les lèvres d'Alice.

"Toi aussi tu m'as fait de l'effet, tu sais..."

La jeune fille se remit à rire.

"Eh bien, tomber sur toi dans cet amphi, ça a été comme monter sur des montagnes russes ! Je n'arrête pas de penser à..."

"Moi aussi !" répondit Gauthier en l'embrassant à nouveau pour couper court à l'évocation d'une scène dont il n'avait aucun souvenir.

"Désole d'insister, mais pour mon problème de logement..."

Gauthier mobilisa toute son énergie pour garder un air naturel.

"Je serais ravi de t'aider, le truc, c'est que..."

Alice se dégagea des bras du jeune homme.

"Je savais bien que c'était une erreur de te demander de m'héberger."

"Pas du tout ! C'est juste que ma porte d'entrée est toujours défoncée, et mon appartement est pas hyper sécurisé... D'ailleurs, tu connais la meilleure ? En sortant de chez moi, je me suis dit "et si je retournais chez Alice pour lui demander si je pouvais passer quelques jours chez elle, le temps que ma porte soit réparée ?", c'est dingue, non ?"

La jeune femme se blottit à nouveau dans les bras de Gauthier.

"Si je croyais à ce genre de truc, j'y verrais presque un signe..."

"Un signe que nous ne sommes pas très chanceux, niveau immobilier !"

"Ca, c'est sûr ! Qu'est-ce qu'on va faire alors ?"

"Attends... J'ai peut-être une idée... Tu as des cours importants cette semaine ?"

"Si par "important" tu entends "plus important que toi", la réponse est non !"

"Génial ! Rentre chez toi, prends quelques affaires et une brosse à dents, et on se retrouve devant l'amphi d'économie, dans... une demi-heure ? Ca te va ?"

"Tu crois vraiment que je vais pouvoir préparer mon sac en si peu de temps ?" répondit Alice avec un petit sourire.

"C'est que j'ai besoin d'un peu plus que d'une brosse à dents quand je voyage, moi..."

"Bon, disons dans une heure, ça te va ?"

"OK, à dans une heure !"

La jeune femme déposa un chaste baiser sur les lèvres de Gauthier avant de faire demi-tour et de partir en courant d'un pas léger. Le jeune homme soupira de soulagement : elle était partie, et il avait désormais une heure devant lui pour arranger un tant soit peu la situation compliquée dans laquelle il s'était fourré.

 

Gauthier retourna rapidement chez lui, sans avoir retrouvé le chantier qu'il était sorti chercher. Ce n'était d'ailleurs plus sa priorité. Avant toutes choses, il devait trouver une solution au problème "Alice". Comme il était hors de question qu'elle vienne chez lui, du fait de la présence d'un cadavre dans la baignoire et d'une porte en parfait état, deux éléments qui la feraient douter de l'honnêteté de son nouvel amant, et appeler la Police, si elle ne s'évanouissait pas de peur, Gauthier se mit à réfléchir à un plan B. Si les corps de Jane et de Cédric n'avaient pas été abandonnés dans l'appartement de ce dernier, le deux pièces de son ami aurait pu faire l'affaire... Décidemment, les macchabés étaient bien encombrants dans la vie de Gauthier depuis quelques jours. Sécher les cours et partir à Deauville restait l'option la plus pratique et la plus romantique à la disposition du jeune homme. Il n'avait pas vraiment les moyens de financer une chambre dans un quatre étoiles, mais il ne doutait pas de trouver un petit hôtel sympathique bien que dénué de vue sur la mer qu'il pourrait financer. En jeunes tourtereaux transis qu'ils étaient, ils se nourrirait d'amour et d'eau fraîche, voire de glaces à l'eau dégustées sur les planches. Passer de longues heures les yeux dans les yeux en écoutant le bruit des vagues suffirait à les occuper une bonne partie du temps, et les galipettes (censurées) accapareraient le reste de leur énergie.

 

La question de l'artisan mort restait tout de même en suspens : Gauthier ne pouvait pas laisser un cadavre pourrir dans sa baignoire jusqu'à son retour. L'odeur serait rapidement remarquée par les voisins, et un corps à moitié décomposé serait surement plus difficile à déplacer. Le jeune homme s'imaginait déjà perdre des morceaux de l'homme dans les escalier, tandis qu'il le traînait péniblement jusqu'au rez-de-chaussée...


Ces pensées répugnantes lui donnèrent envie de vomir. Même après avoir assassiné des dizaines de personnes et avoir participé à autant d'enquêtes policières, Gauthier ne supportait toujours pas la vue des corps décomposés. Le jeune homme dût s'arrêter une minute dans le hall de son immeuble avant d'entamer l'ascension des six étages qui le séparaient de son appartement. Chaque marche était une épreuves, et pour se changer les idées, il se forçait à faire la liste de ce qu'il aurait besoin d'emporter pour son séjour au bord de la mer. Alors qu'il arrivait sur son palier, Gauthier :

 

1/ réalisa qu'il était sorti de chez lui sans ses clés

2/ sentit le téléphone du réparateur vibrer dans sa poche  


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