Elément perturbateur - Episode 25
nat28
Alors qu'il arrivait sur son palier, Gauthier sentit le téléphone du réparateur vibrer dans sa poche. Le jeune homme sursauta et sortit prestement l'appareil pour couper la sonnerie stridente. Il jeta un coup d'œil à l'écran du smartphone : "Police" encore une fois. Cale devenait préoccupant : si les autorités cherchaient à joindre l'artisan, et si ce dernier ne répondait pas à leurs appels, elles ne tarderaient pas à localiser le téléphone et à débarquer dans l'immeuble de Gauthier... Pourquoi n'avait-il pas jeté l'appareil dans une poubelle, pendant qu'il était sorti ? Sa rencontre avec Alice avait totalement bouleversé ses plans. Il devait retrouver son sang-froid et agir de manière calculée et rationnelle. L'improvisation n'était pas la bonne solution dans le cas présent.
Gauthier récupéra sa clé dans le fond de la poche arrière de son jean et il déverrouilla sa porte toute neuve pour rentrer chez lui. Il referma rapidement le battant derrière lui, puis il arracha la batterie du téléphone de l'artisan avant de se diriger vers la cuisine pour effacer ses empreintes et emballer l'appareil dans un sac poubelle. La porte de la salle de bain était légèrement entrouverte et elle grinçait sur ses gonds, comme mue par un courant d'air. Toutes les fenêtres de l'appartement étaient pourtant fermées, et Gauthier mit cette illusion auditive sur le compte du stress. Cela ne lui ressemblait pas : il avait toujours agi de manière calme et réfléchie, depuis ses débuts dans le monde du crime.
Une fois le téléphone débarrassé de toutes traces d'empreintes ou d'ADN, Gauthier retourna dans le salon et il s'assit sur le canapé. Tout partait à vaut l'eau, ce qui signifiait que quelque chose avait changer... Mais quoi ?
Jane. C'était forcément Jane. C'était elle, l'élément perturbateur. Ce que Gauthier avait pris pour une simple anomalie dans le scénario était en fait un immense bouleversement qu'il espérait réversible.
"Il faut que je retourne chez Cédric" pensa-t-il. "Il faut que je retourne là-bas et que je la fouille... Je suis sûr que l'auteur a planqué un indice sur elle." Gauthier se leva d'un bond, il alla fermer la porte de la salle de bain d'un geste brusque, mais au moment où il ouvrait sa porte d'entrée, il se rappela qu'il devait retrouver Alice. Alice qui allait l'attendrait dans... 45 minutes maintenant. il lui était donc impossible d'aller chez Cédric, de fouiller Jane et de revenir dans les temps...
"Eh merde !" grommela-t-il entre ses dents. Il était revenu au point de départ d'une course perdue d'avance : il avait toujours un cadavre sur les bras.
Gauthier devait parer au plus pressé, ce qui, à ce moment là, était de réunir quelques affaires pour partir au bord de la mer avec sa dernière conquête. Il se rua dans sa chambre où il récupéra un sac de sport à peu près présentable sur la plus haute étagère de son placard. "Ca fera l'affaire" se dit-il en jetant dans le sac des sous-vêtements et des T-shirts. Il ajouta une serviette de toilette dont il vérifia la propreté en la reniflant, ainsi qu'une paire de tong et une casquette. Il réalisa ensuite que s'absenter quelques jours nécessitait de se constituer une trousse de toilette. Et donc d'aller dans la salle de bain.
Les quelques mètres qui le séparaient de la pièce d'eau lui semblaient être une distance infranchissable. Le jeune homme était paralysé par l'horreur et par la perspective de se trouver dans le même espace que le cadavre du réparateur de porte... Qu'est-ce qui lui arrivait ? Il n'avait jamais ressenti de dégoût ou de peur en présence d'un mort avant aujourd'hui. Etait-ce le côté trop "spontané" de son acte qui l'avait perturbé à ce point ?
Gauthier n'avait pas ressenti cela en présence du corps de Jane, ni même en s'affairant près du cadavre de son ami Cédric... Pourquoi un parfait inconnu le mettait-il dans cet état là ? Il ne pouvait tout de même pas partir en escapade romantique sans une brosse à dents ! Afin de retarder l'inévitable confrontation avec le macchabé encore tiède qui gisait dans sa baignoire, le jeune homme passa lentement en revue toutes les affaires qu'il avait regroupé dans son sac, comme si toute notion d'urgence avait soudainement disparu. La priorité semblait être désormais de vérifier qu'il ne ferait aucune faute de goût (vestimentaire) pendant son séjour à la mer avec Alice. Une fois son inutile inspection terminée, Gauthier récupéra une boite de préservatifs dans le tiroir de sa table de nuit, et boite qu'il dissimula sous ses chaussettes pour éviter qu'elle soit trop voyante. Il n'avait pas envie que la jeune femme pense qu'il n'était avec elle que pour le sexe. D'un autre côté, il n'était émotionnellement pas en état de construire une relation stable, durable, et basée sur la confiance avec une personne rencontrée 2 jours plus tôt...
Dans le doute, mieux valait passer pour un gentleman.
Gauthier ne s'était jamais vu comme un séducteur ou comme un amant attentionné. Dans toutes ses relations, il avait essayé de se montrer galant et impliqué, mais comme nouer des relations avec les autres n'était pas son fort, il avait toujours été un peu trop maladroit aux yeux de ses (rares) conquêtes féminines. Il n'avait jamais pris le temps d'étudier sérieusement ses congénères pour pouvoir adopter un comportement "normal" qui lui aurait pourtant garanti une certaine sécurité. Qui se méfie d'un jeune homme en couple et qui semble heureux en ménage ?
Une petite amie régulière aurait pu lui fournir une excellente couverture. Et peut-être même un alibi, en cas de besoin. Mais même s'il arrivait à jouer au gendre idéal, un problème persisterait : Gauthier vivrait avec un autre être humain. Etre humain qui verrait des choses, et qui poserait des questions. Questions sans nul doute embarrassantes. Et embarras difficilement dissimulable. Et là, on ne parlait pas d'une petite manie un peu honteuse ou d'un secret inavouable, comme un enfant caché ou une Love Doll en silicone remisée dans un placard. Il s'agissait de meurtres, actes condamnables tant aux yeux de la loi que de ceux de la morale. A moins de trouver une partenaire pour ses crimes, il semblait difficile de dénicher une compagne compatible avec son mode de vie. Et puis Bonnie et Clyde n'avaient pas vécu heureux au milieu de leurs innombrables enfants.
Le jeune homme n'avait pas oublié la réaction de sa première petite amie, une lycéenne de son âge qu'il avait rencontré en Première, lorsqu'il lui avait parlé de son envie de commettre un larcin sans importance dans un magasin proche de leur établissement scolaire. Ils sortaient ensemble depuis plusieurs semaines, et, grisé par l'euphorie des débuts de leur relation amoureuse, il lui avait ouvert son cœur en lui dévoilant les parts les plus sombres de sa personnalité. Et à cette époque, elles n'étaient pas aussi inacceptables que les pulsions meurtrières qui guidaient désormais sa vie. La jeune fille l'avait écouté avec stupéfaction puis l'avait immédiatement quitté au prétexte qu'il avait des idées "trop chelou". L'incongruité de cette formulation triviale en des circonstances si dramatiques l'avait marqué. Son premier amour lui brisait donc le cœur en lui parlant en verlan ? Et au delà du choc, Gauthier avait réalisé que l'idée d'un simple vol n'était pas acceptable pour la grande majorité des filles qui l'entouraient. Alors passer de "j'me disais que j'piquerais bien un stylo à la maison de la presse" à "j'ai assassiné des dizaines de gens" sans imaginer des conséquences irréversibles et destructrices était totalement utopique.
Le jeune homme était un loup solitaire, et il le savait.
Alice ne serait pas la femme qui le sauverait de lui-même, ni celle qui entrerait sans broncher dans la spirale infernale du crime qui était sa vie. Elle ne serait pas non plus sa prochaine victime, elle était à la fois trop douce et trop insignifiante pour terminer ainsi.
"Insignifiante". Gauthier se demandait pourquoi ce qualificatif lui était passé par la tête. Sans doute ne connaissait-il pas assez la jeune femme pour l'apprécier à sa juste valeur. D'un autre côté, n'ayant pas réellement envie de s'impliquer, il valait mieux qu'il ne cherche pas à en savoir plus sur elle. Un bon moment, voilà ce qu'elle était et ce qu'elle devait rester, rien de plus.
Le jeune homme jeta un coup d'œil au réveil matin posé près de sa tête de lit : l'heure du rendez-vous approchait dangereusement. Gauthier ne pouvait plus reculer : il devait aller chercher ses affaires de toilette pour les mettre dans son sac. Tout en forçant ses pieds à avancer, il se récitait à voix basse la liste de ce dont il avait besoin, comme une rassurante litanie. "Brosse à dents, dentifrice, rasoir, mousse à raser, déo, gel douche, peigne... Brosse à dents, dentifrice, rasoir, mousse à raser, déo, gel douche, peigne..." Sans s'en rendre compte, il venait de traverser son salon, et il se trouvait désormais sur le seuil de la pièce maudite. Gauthier prit son courage à deux mains et il poussa la porte de la salle de bain. Il se figea, paralysé par l'effroi, lorsqu'il :
1/ vit que le corps du réparateur n'était plus dans la baignoire
2/ fut assailli par l'odeur pestilentielle du cadavre
J'avoue que j'imagine bien la scène ^^. Et pour le vote... hum... ça sera le 1 :D j'ai bien envie de voir ce qui va arriver avec ça ^^
· Il y a plus de 6 ans ·k3m-4nyx