Elément perturbateur - Episode 26

nat28

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Il se figea, paralysé par l'effroi, lorsqu'il vit que le corps du réparateur n'était plus dans la baignoire. Gauthier, les yeux écarquillés, restait à l'entrée de la salle de bain. Il n'arrivait pas à comprendre ce qui se passait.  Après de très longues secondes, il réagit enfin et il se précipita vers la baignoire. Il agita le sac qui était tombé au fond, comme si le fait de farfouiller dans le plastique allait ramener le corps disparu.

 

Gauthier s'écroula sur le carrelage glacé du sol de sa salle de bain et il prit sa tête entre ses mains. Il essaya de se souvenir de l'instant où il avait déverrouillé sa porte d'entrée...  Tout lui avait paru normal, personne ne l'avait forcée... Et il se souvenait du "clic" du verrou, ce qui signifiait qu'il avait bien fermé son appartement à clé avant de sortir. Par ailleurs, il était le seul à détenir les clés de la nouvelle serrure qui avait été changée le matin même, et seul un acrobate aurait pu monter jusqu'au sixième étage en passant par la façade, et redescendre avec le corps !

"Les fenêtres n'étaient pas ouvertes de toutes façons" murmura-t-il, dans une tentative désespérée de donner un sens à la situation absurde qu'il était en train de vivre.  

 

Gauthier releva lentement la tête et il parcourut la pièce du regard. Il cherchait un signe, une trace de passage, un élément inhabituel ou un accessoire qui n'aurait pas été à sa place, mais tout semblait être comme il l'avait laissé la dernière fois qu'il avait utilisé sa salle de bain. Seul le sac poubelle roulé en boule dans le fond de la baignoire témoignait du drame qui avait eu lieu dans l'appartement. Frappé par une pensée dérangeante, le jeune homme se retourna brusquement et se mit à genoux au bord de la baignoire. Ayant bougé trop vite, il fut pris de vertiges et il dû s'agripper au pare-douche et fermer les yeux un instant pour ne pas s'évanouir. Lorsqu'il sentit qu'il allait mieux, il ouvrit lentement les yeux et il scruta le fond de la baignoire.

 

Rien. Pas une trace. La céramique blanche était immaculée, alors qu'elle aurait dû être souillée de sang...


Gauthier sentait les battements de son cœur résonner dans ses oreilles. Il suait à grosses gouttes et la pièce commençait à tourner autour de lui. Que quelqu'un ait volé le cadavre, c'était improbable tout en étant possible, mais que ce quelqu'un ait pris le temps de nettoyer avant de partir ? C'était complètement illogique ! Et le jeune homme n'était pas parti pendant très longtemps de son appartement... Il se rassit sur le sol et il prit de grandes inspirations pour retrouver son calme. Ses narines captaient des effluves de savon et de mousse à raser, ainsi qu'une très faible odeur d'urine, mais aucune molécule odorante habituellement présente autour d'un cadavre ne semblait flotter dans l'air. Pas de relent de produits d'entretien non plus...


Gauthier se releva lentement et il se plaça devant le lavabo pour faire face à son miroir. Il appuya ses mains sur le meuble en Mélaminé qui renfermait ses produits d'hygiène puis il se regarda un long moment dans les yeux avant d'affirmer : "OK, la cohérence est brisée". L'ampoule nue fixée au mur au dessus de la glace clignota pendant une seconde, comme pour répondre au jeune homme. Ce dernier eut un petit sourire et il ajouta : "On joue comme ça, maintenant ?". Nouveaux clignotements. Le jeune homme se mit à rire. "On va se bien s'marrer !". Il récupéra sa brosse à dents et son rasoir dans le verre en plastique posé sur le bord de son lavabo, puis il sortit de la salle de bain en éteignant la lumière d'un coup rageur sur l'interrupteur pour faire cesser les clignotements intempestifs. Il passa rapidement dans sa chambre pour prendre son sac et son téléphone portable, puis il sortit de son appartement, qu'il verrouilla soigneusement.


Gauthier avait presque oublié l'artisan assassiné : après tout, si les cadavres disparaissaient spontanément, pourquoi s'inquiéter ? Si les nouvelles règles du jeu étaient à son avantage, il n'était pas utile d'aller contre elles. Accepter de ne pas tout contrôler : facile à dire, pas compliqué à faire quand on pouvait en tirer un bénéfice. Le jeune homme profita du temps nécessaire pour descendre les escaliers pour se vider la tête et se concentrer sur son futur séjour au bord de la mer avec Alice. Il se voyait déjà sur la plage, les pieds enfouis dans le sable, une glace à la main et une jeune femme charmante blottie contre lui...

 

Le jeune homme revint à la réalité en poussant la porte de son immeuble et en étant frappé par les bruits de la rue. Le vrombissement des moteurs était assourdissant, le chant des oiseaux lui vrillait les tympans, et la conversation téléphonique d'une passante résonnait dans son crane. Tout ce qui l'entourait l'agressait, et Gauthier se sentait de plus en plus mal. Il avait l'impression que quelqu'un avait monté le volume de l'environnement extérieur afin de créer une barrière sonore pour le dissuader de sortir de chez lui. Le jeune homme fouilla dans sa poche pour récupérer son téléphone et mettre ses écouteurs pour se protéger en écoutant de la musique. Cela lui permit de créer une bulle autour de lui et de reprendre sa route. Il jeta un coup d'œil à l'écran de son portable pour vérifier l'heure. Si Alice était le genre de fille qui voyageait léger, elle devrait déjà être revenue au point de rendez-vous. Si elle faisait partie des gens qui ne pouvait pas partir de chez eux sans vider la moitié de leurs placards, il avait un peu de marge. Il pressa cependant le pas pour ne pas être trop en retard.


Cinq minutes plus tard, Gauthier avait rejoint le point de rendez-vous. Alice n'était pas encore là mais une jeune femme, relativement menue, semblait attendre quelqu'un sur le trottoir. Elle était de dos, mais son carré châtain clair rappelait vaguement quelque chose à Gauthier. En entendant les pas du jeune homme, la femme se retourna et, en le voyant, elle se mit à sourire et à s'avancer vers lui.

 

Gauthier, sous le choc, laissa tomber son sac sur le sol avant de retirer les écouteurs de ses oreilles. La personne qui venait à sa rencontre n'était pas Alice, mais Jane. Jane qui, en toute logique, aurait dû se trouver allongée sur le sol du salon de Cédric. Morte. Et refroidie, sans doute. Mais à cet instant, elle avait l'air bien vivante, et ravie de retrouver son meurtrier, par dessus le marché.

"Enfin ! J'ai failli attendre !" lança-t-elle en arrivant à sa hauteur.

Elle passa ses bras autour de son cou et elle l'embrassa sauvagement.

"Une minute de plus et je partais avec le premier inconnu qui passait dans la rue ! Tu sais bien que je n'aime pas attendre !"

Gauthier restait sans voix, abasourdi par le retour inattendu d'un personnage secondaire dont il pensait s'être débarrassé.

"Bon, on y va ? On va finir par rater le train ! Et dire que tu me reproches tout le temps d'être à la bourre... Pour une fois qu'on a un horaire à respecter, c'est toi qui lambines !"

Elle ramassa le sac tombé à terre d'un geste vif puis elle se mit à marcher d'un pas rapide en s'éloignant de Gauthier.

"Je pars devant ! Qui m'aime me suive ! Mais n'oublie pas que c'est moi qui ai tes caleçons maintenant ! "

Le jeune homme, incrédule, se mit à la suivre d'un pas maladroit et mécanique.


Son cerveau n'arrivait pas à intégrer les bribes d'informations qu'il venait de récolter : Jane était en vie, ils sortaient visiblement ensemble, et il devait partir en voyage, relativement loin, d'où la nécessité de prendre un train. Sa réalité avait définitivement pris un tournant inattendu. A moins qu'elle n'ait opéré un demi-tour pendant un moment d'inattention...   

 

Ou alors son créateur était en train d'explorer plusieurs pistes narratives... Gauthier se demandait parfois si son "histoire" avait été publiée en plusieurs tomes ou si elle était racontée dans un seul volume. Un livre énorme, sans doute, de plus de 500 pages... Après tout, son passé avait peut-être déjà été publié, et son présent s'écrivait... au présent de son auteur ? Il était possible que ce qu'il vivait à ce moment précis soit un simple brouillon, une ébauche d'intrigue qui pourrait être conservée ou rejetée au hasard d'une relecture.

 

Mais Gauthier ne voulait pas que sa vie soit malléable et corrigeable ! Ce qu'il expérimentait au quotidien manquait déjà cruellement de réalisme, parfois, alors si chaque action pouvait être modifiée, quel était le sens de son existence ? Et comment se battre contre une créature capable de supprimer des pans entiers de votre histoire personnelle pour les réécrire ?

 

Quelque chose n'allait pas, pourtant. Le jeune homme n'avait jamais été confronté à l'illogisme ou à une quelconque impression que des événements absurdes se produisaient. La situation actuelle était inédite, fascinante et  effrayante à la fois. Tout à sa réflexion, Gauthier n'avait pas remarqué qu'il avait rattrapé Jane.

 

1 : il lui arracha son sac des mains et il se mit à courir pour s'éloigner d'elle

2 : il la saisit tendrement par le bras          


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