Elément perturbateur - Episode 28
nat28
Le jeune homme ouvrit les yeux et vit Cédric, penché vers lui. Gauthier sursauta et tenta de se dégager de la poigne de l'homme qui le tenait par le bras.
"Ca va monsieur ?" lui demanda Cédric, sans le lâcher malgré son agitation.
Gauthier se débattait tout en essayant de se lever, mes ses muscles étaient encore endormis et ils refusaient de lui obéir.
"Vous avez besoin d'aide ?" continua Cédric, qui ne semblait pas le reconnaître.
"Lâchez-moi" dit Gauthier d'une fois faible et tremblante.
"Oh pardon !" répondit Cédric en desserrant son étreinte.
"Vous n'aviez pas l'air d'aller bien alors..."
"Ca va, ça va ! Je me suis juste endormi."
"OK... Bonne journée alors, et... pardon pour le dérangement !"
L'homme était sur le point de faire demi-tour et de s'éloigner, mais Gauthier ne pût se résoudre à le laisser partir sans lui demander :
"On se connait ?"
Ce visage, cette voix, cette manière de se déplacer... Le jeune homme était persuadé d'être face à son ami. Il n'avait aucun doute sur ce fait.
"Monsieur ? On se connait, non ?"
Cédric se retourna vers lui et le dévisagea pendant plusieurs secondes.
"Je ne crois pas, non..."
"Vous êtes sûr ? Je suis à la fac et..."
"Je pense que vous faites erreur : je suis arrivé à Paris la semaine dernière pour travailler dans un cabinet d'assurance... J'ai fini mes études l'an dernier, et je les ai faites à Montpellier, alors..."
"Désolé. J'ai dû vous confondre avec quelqu'un d'autre..."
"Y'a pas de mal. Mais éviter de vous endormir dans le métro, je ne pense pas que ce soit la meilleure idée du monde. Avec les pickpockets... Et en matière de vol, je m'y connais, je suis assureur !"
L'homme qui ressemblait à s'y méprendre à Cédric éclata de rire en entendant sa propre plaisanterie. Devant l'absence de réaction de Gauthier, il reprit rapidement son sérieux.
"Bon... Bon... Bon voyage !" dit-il, l'air un peu gêné, en s'éloignant de la banquette.
Gauthier se redressa sur son siège tout en regardant l'homme partir s'installer un peu plus loin dans le wagon. "OK, nouvelle épreuve... OK, je vois où tu veux en venir..." marmonna-t-il en regardant ses genoux. "On efface tout et on recommence... Tu veux jouer à ça... C'est bizarre, mais ça me va. Peut-être que ça vient de moi, après tout. Peut-être que je ne suis pas allé là où tu voulais que j'aille. Qui sait... Le plan initial, c'était pas de tuer cette fille, c'est ça ? Je devais la séduire ? Le coup de la porte défoncée, c'était pas génial comme indice, pour m'emmener sur cette voie là... Une soirée sympa et quelques bières, ça m'aurait plus mis sur la piste... Et tu me voles mes amis aussi ? Tu trouvais que j'en avais trop ? Ou alors ça t'amuse de me laisser seul face à moi-même... C'est hilarant, ouais. J'ai pas d'amis et je bute des gens. Génial. La vie idéale dont je rêvais quand j'avais 6 ans."
Gauthier stoppa son monologue en réalisant que les autres passagers de la rame commençaient à le regarder bizarrement. Il plaqua un sourire forcé sur son visage et il recommença à marmonner des phrases sans queue ni tête pour donner le change. Passer pour un fou... Une technique imparable. En moins d'une minute, tout le monde détourna le regard et reprit le cours normal de sa vie. Le métro ralentit et s'arrêta le long d'un quai légèrement arrondi. "Attention en descendant sur le quai" débita une voix nasillarde dans les haut-parleurs du wagon. "Entre ça et le lapin qui nous dit de na pas mettre nos doigts dans les portes... ils nous prennent vraiment pour des abrutis !" songea Gauthier, qui jeta au passage un coup d'œil au nom de la station. Même s'il s'estimait assez loin de son point de départ, le jeune homme ne descendit pas de la rame. S'éloigner était une chose, trouver un point de chute en était une autre... Gauthier se rassit et il vérifia que l'homme qui ressemblait à Cédric était toujours à la même place. "Et si je le suivais ?" se dit-il, pris d'une inspiration soudaine. "Si le "destin" me l'a mis entre les pattes, c'est sûrement pour une bonne raison !".
Prendre l'inconnu qui ne l'était pas tant que cela en filature devint donc la priorité de Gauthier. L'homme lui tournait le dos, ce qui facilitait la surveillance dans le wagon. Une fois dehors, les choses se compliqueraient un tantinet... Gauthier suivait rarement ses victimes avant de les exécuter, il n'avait pas particulièrement l'habitude de ce genre d'exercice. Il savait se montrer discret quand il le fallait, mais ne risquait-il pas de se faire repérer par "Cédric" ? Ce dernier pouvait également lui échapper au détour d'une rue ou à la faveur d'un attroupement sur un trottoir... "Tant pis, j'me lance, on verra bien !" se motiva Gauthier pour se donner du courage, sentiment dont il manquait cruellement à cet instant.
Trois stations plus tard, l'homme se leva lorsque la rame commença à ralentir. Gauthier fit de même et il se plaça près de la porte la plus proche pour descendre sur le quai en même temps que sa cible, afin de repérer la sortie qu'elle emprunterait. Par chance, la station n'avait qu'une issue, il n'était donc pas étrange que les deux hommes partent dans la même direction. Après cinq longues minutes de marche dans des couloirs froids égayés d'affiches publicitaires, et une volée de marche gravies quatre à quatre, "Cédric" et Gauthier refirent surface dans une rue commerçante. L'homme ne s'était pas retourné et le jeune homme s'était efforcé de faire le moins de bruit possible derrière lui. Les choses semblaient donc bien allées, mais ce n'était que le début. Sortir du métro était facile et naturel. Si l'homme habitait près de la station, la filature serait facile. Mais s'ils marchaient pendant plus de dix minutes...
Plus le temps passerait et plus l'opération serait périlleuse. Gauthier en savait quelque chose. Les rares fois où il avait surveillé ses futures victimes, il avait failli se faire repérer. C'est pour cela qu'il avait rapidement éliminé Jane : le temps était son ennemi. Plus il attendait, et plus il gravitait autour d'une potentielle victime, plus il avait de risques de se faire repérer.
D'un autre côté, Gauthier avait une fascination morbide pour les gens qu'il projetait de tuer. Il cherchait toujours à en savoir un maximum sur eux, sans pour autant entrer dans leur vie. Il se plaçait en spectateur pendant quelques semaines avant d'agir, et il lui arrivait souvent de passer un peu de temps, seul avec le cadavre, dans le logement de ses victimes. Les livres qui prenaient la poussières dans leur bibliothèque, le parfum de leur gel douche, leur marque de soda préférée, la hauteur de la pile de vaisselle dans l'évier... Tous ces petits détails en disaient long sur les occupants des nombreux appartements que Gauthier avait été amené à visiter.
Et puis il y avait aussi les petits secrets bien cachés. Certains d'entre eux étaient émouvants, certains étaient honteux, et d'autres... Carrément inquiétants. Gauthier se demandait parfois s'il était le seul tueur en série du roman, ou s'il avait des congénères. "Un jour, je vais tomber sur une pièce secrète remplie d'esclaves sexuels ou de corps démembrés" s'était-il dit un jour en trouvant un journal intime au contenu particulièrement troublant.
Ce que le jeune homme ne faisait jamais, c'est emporter un souvenir, un "trophée" comme disaient les experts. Trop risqué. Et puis son appartement n'était pas très grand... Comment était celui du Cédric de cette réalité alternative ? Identique à celui que Gauthier connaissait déjà ? Etait-il loin du métro ? Le jeune homme parviendrait-il jusque là sans se faire repérer ?
Gauthier n'eut pas le temps de s'inquiéter quant à une filature trop longue : l'homme poussait déjà la porte d'un immeuble situé à deux rues de la bouche de métro. Gauthier s'engouffra à sa suite mais resta un instant dans le hall, faisant mine de chercher un nom sur les boîtes aux lettres. Il tendit l'oreille pour repérer à quel étage montait l'homme qu'il suivait. Bruits réguliers de pas gravissant des marches... Enjambées plus rapides sur un palier. A nouveau des marches... Une pause... Le tintement d'un trousseau de clés... Le grincement d'une porte... "Deuxième étage..." conclut Gauthier qui parcourut la liste des noms des occupants de ce niveau. Heureusement pour lui, chaque patronyme était suivi du numéro de son étage. "Un coup de chance... ou un coup de pouce" songea Gauthier en éliminant une femme de la liste d'identités potentielles pour le clone de Cédric. Restaient en lice un Marcel ("Trop vieux"), un couple ("Peu probable"), et deux hommes, Simon et Julien. Gauthier jeta un coup d'œil dans les boîtes aux lettres de ses deux finalistes. L'une d'entre elle était pleine de prospectus et d'enveloppes, ce qui signifiait que son propriétaire avait dû s'absenter depuis déjà plusieurs semaines, et l'autre était vide. Le jeune homme lut le nom sur la boîte :
1/ Simon V., expert comptable
2/ Julien H., DevLog Digital
Un vote récupéré : le 2 !
· Il y a plus de 6 ans ·nat28