Elément perturbateur - Episode 29

nat28

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Le jeune homme lut le nom sur la boîte : Julien H., DevLog Digital.

"Tiens, un geek" se dit Gauthier en fixant l'écriture manuscrite maladroite de l'étiquette de la boîte aux lettres.

 

Le jeune homme n'était pas très familier des nouvelles technologies. Il avait un Smartphone et il passait beaucoup trop de temps sur Internet, mais il ne s'était jamais penché sur le fonctionnement des appareils électroniques et il n'avait jamais plongé dans les méandres de la programmation informatique. Le langage binaire était une grande inconnue. Communiquer avec d'autres êtres humains se révélaient déjà assez compliqué parfois...

 

Le fil des pensées de Gauthier fut interrompu par le bruit de la porte de l'immeuble, qu'une jeune femme venait d'ouvrir. Elle avait les bras chargés de sac de courses et elle tentait de faire passer une poussette devant elle, sans grand succès : une petite rainure métallique bloquait les roues avant, et les secousses avait réveillé le bébé transporté dans le landau. Le nourrisson hurlait de peur ou de colère, peut-être même de frustration, et son visage était rouge vif. Sa mère semblait exténuée, et Gauthier lut un immense soulagement sur son visage lorsqu'il vola à son secours en maintenant la porte ouverte et en tirant la poussette vers l'intérieur.

"Merci !" soupira la jeune femme avant de poser ses sacs près de la porte d'un ascenseur que Gauthier n'avait pas encore remarqué. Avant d'appuyer sur le bouton d'appel, elle prit son enfant dans les bras pour tenter de calmer ses pleurs.

"Désolée, il a faim et il est fatigué ! Je ne pensais pas que j'en aurais pour autant de temps... Il faudrait que j'arrive à le faire taire avant de monter chez moi, mes voisins ont fait une pétition pour que je quitte l'immeuble ! Vous y croyez, à ça ? C'est un bébé, c'est normal qu'il pleure ! Les gens ne supportent plus rien... J'espère qu'il ne vous dérange pas trop..."

"J'habite pas ici..."

La jeune maman jeta une regard suspicieux à Gauthier avant de lui demander sèchement :  

"Ah bon ? Qu'est-ce que vous faites là alors ?"    

"Je... J'ai passé un entretien pour travailler chez DevLog Digital !"

La femme poussa un soupir de soulagement.

"Ah, d'accord ! Désolée, je suis fatiguée en ce moment, je stresse pour un rien... Et puis on entend tellement de chose ! Une femme s'est faite égorger à deux rues d'ici ! En pleine journée, dans son appartement ! Vous vous rendez compte ? Ca fait peur... Elle était étudiante. Et la Police n'a aucune piste... J'évite de sortir le soir et je m'enferme à double tour depuis cette histoire. Et puis je m'inquiète pour mon bébé... Ce type doit être capable de tout..."

"C'était peut-être... personnel ?"

"J'espère, je n'ai pas d'ennemi ! Enfin, quand je dis "j'espère"... Cette pauvre fille... J'ai de la peine pour elle. Et pour sa famille. et ses amis aussi ! C'est horrible ! Quel genre de monstre peut tuer comme ça ?"

"Des monstres comme moi" fut tenté de répondre Gauthier qui retint les mots au bord de ses lèvres. Il n'était pas utile d'effrayer inutilement cette femme.

"Bon, il a l'air calmé, je vais rentrer. Je croise les doigts pour votre entretien !"

"Quoi ? Ah, oui. J'ai pas l'impression que ce soit bien passé..."

"Julien est très froid, au premier abord, mais c'est plus de la timidité qu'autre chose. En tout cas, je vous envoie toutes les bonnes ondes qui me restent !"

"C'est gentil. Bonne journée !"

"Au revoir !"

 

Gauthier regarda la jeune maman monter dans l'ascenseur. Elle lui fit un petit signe amical juste avant que les portes ne se referment, comme si elle croyait dur comme fer que sa fausse candidature allait aboutir. Une étudiante avait donc était tué dans le quartier... Etait-ce l'œuvre de Gauthier ? Ou n'avait-il rien à voir dans ce meurtre-là ? Et qui était cette fille ? Alice ? Pourquoi pas... Tout était devenu possible dans ce nouvel univers.

 

L'enquête sur ce crime attendrait : le jeune homme devait prendre une décision : allait-il sonner chez ce Julien H. ou allait-il rentrer chez lui ? D'un côté, qu'elle était l'intérêt de discuter avec le développeur ? De l'autre, Jane risquait de l'attendre devant son propre immeuble...

 

Gauthier se prit la tête dans les mains et il se laissa glisser sur le sol. Assis contre le mur perpendiculaire aux boites aux lettres, il commença à se balancer lentement d'avant en arrière pour se calmer et pour mettre ses idées au clair. Le jeune homme aurait voulu pouvoir hurler et pleurer comme le nourrisson qu'il venait de croiser dans le hall pour évacuer son mal-être. Mais les adultes ne faisaient pas ça...


Gauthier se redressa d'un coup tandis qu'un détail lui revenait en mémoire. L'inconnu du métro lui avait dit qu'il travaillait dans un cabinet d'assurance, alors pourquoi avait-il indiqué le nom d'une société informatique sur sa boîte aux lettres ? Cumulait-il deux emplois ? Le jeune homme sortit son smartphone de sa poche et il ânonna une petite prière pour obtenir du réseau. Public, de préférence, même s'il avait toujours eu une chance insolente pour deviner les mots de passe quand il avait besoin du Wifi. C'était une sorte de don. Ou une facilité scénaristique, qui aurait pu le dire ? Gauthier vit s'afficher sur l'écran de son téléphone la connexion gratuite d'un fast-food proche de l'immeuble dans lequel il se trouvait. Il se connecta d'un mouvement de l'index puis il lança une recherche en tapant "DevLog Digital". Des milliers de réponses s'affichèrent, toutes plus inutiles les unes que les autres. Le terme "digital" renvoyait à beaucoup trop de pages... Le jeune homme recommença en ne rentrant que "DevLog" dans la barre de recherche. Il n'obtint rien de concluant. Il tenta ensuite de retrouver le Julien H. qui était l'objet de toute son attention sur les réseaux sociaux, personnels et professionnels, toujours sans succès.

"Etrange, se dit-il en faisant défiler les pages de résultats, un mec qui travaille dans le digital et qui n'a pas son propre site..."

Le mystère s'épaississait autour du sosie de Cédric. S'il était développeur, pourquoi avoir menti dans le métro ? Et s'il était réellement assureur, pourquoi ajouter ce nom qui ressemblait à celui d'une entreprise sur sa boite aux lettres ?

"Tu me fais tourner en bourrique, hein ?" lança Gauthier à la plante verte un peu décatie qui décorait le hall.

"Pas de bol, j'aime les défis ! Et celui-là, je vais le relever. J'ai que ça à faire de toutes façons... Je suis sûr que Jane sait où j'habite, et je suis sûr qu'elle est allée m'attendre là-bas ! Quand on revient du royaume des morts, c'est pas pour baisser les bras à la première difficulté, non ? La vache... Moi qui voulait juste mater une série, pépère, dans mon canapé... C'est raté !"   


La réflexion de Gauthier fut à nouveau interrompue par le bruit de la porte de l'immeuble. Un adolescent casqué entra, avec un carton de pizza dans une main et un téléphone dans l'autre.

"Ouais, j'me grouille, j'fais c'que j'peux j'te signale ! T'as qu'à les livrer toi-même tes pizzas si ça t'plait pas ! J'fais ça pour t'rendre service, j'te rappelle ! Alors me chauffe pas, sinon j'abandonne la bécane et sa cargaison de 4 fromages sur l'trottoir, et j'rentre chez moi ! Et j'men fous d'me faire engueuler par papa ! Dès qu'j'ai 18 ans, j'me barre de la maison de toutes façons ! Oui, j'suis au 19, le code était bon, par contre, l'autre abruti a pas donné le numéro de son étage, et son portable est sur répondeur ! J'vais devoir frapper à toutes les portes, tout ça pour une calzone..."

"Pardon... La pizza... Elle est pour moi !"

Gauthier s'était levé et il sortait un billet de sa poche pour le tendre au livreur.

"La calzone ! C'est pour moi ! J'ai oublié de préciser le numéro de mon appartement quand j'ai passé la commande, et mon téléphone est déchargé, désolé... Alors je vous ai attendu, je me suis dit que ça serait plus simple..."

"Ah... Bah merci."

Le livreur prit le billet des mains de Gauthier et il lui donna le carton encore tiède en échange.

"Gardez la monnaie..."

"Merci..."

"Bonne journée !"

"A vous aussi. Au fait, tout à l'heure, j'ai dit... Enfin, j'parlais avec mon frère, j'étais un peu énervé, j'le pensais pas..."

"Aucune importance, c'est déjà oublié ! Soyez prudent !"

"Euh... OK. Au revoir."

 

L'adolescent, un peu perdu, ressortit dans la rue tandis que Gauthier ouvrait le carton de pizza. Une calzone trop plate et mal cuite refroidissait lentement dans son emballage pas vraiment isotherme.

"Eh bien me voilà livreur de pizza !" conclut Gauthier en refermant le carton et en s'engageant dans les escaliers. Il savait d'instinct que cette pizza avait été commandé par le fameux Julien H. Il ne pouvait en être qu'ainsi. C'était le destin, et le destin était toujours avec lui.

 

Deux étages plus haut, le jeune homme se retrouva sur un palier qui comptait quatre portes. L'une d'entre-elles arborait un autocollant "DevLog". "C'est mon jour de chance, on dirait !" songea Gauthier en souriant. Il décida :

 

1/ de coller son oreille contre la porte

2/ de frapper à la porte  

 

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