Elément perturbateur - Episode 5

nat28

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Gauthier était de plus en plus perplexe. C'était comme si la jeune femme avait eu accès à ses souvenirs et à son ressenti le plus intime, ce qui était inconfortable au plus au point. Le jeune homme se sentait vulnérable, comme mis à nu par une parfaite inconnue. Cette dernière le tutoyais comme s'ils étaient proches et il s'avérait que rien ne pouvait la déstabiliser. Le jeune homme lança alors :

"Vous vous rendez compte que vous semblez tout savoir à mon sujet, alors que je ne sais même pas comment vous vous appelez ?"

"Tu veux connaître mon prénom ? C'est Jane Doe."

"Jane Doe ?"

"Jane Doe."

Gauthier pensait avoir déjà entendu ce nom, mais il n'arrivait pas à se souvenir dans quelles circonstances. 

"Vous êtes anglaise ?"

"Non, je suis de Paris. Douzième arrondissement."

Le jeune homme cru enfin comprendre. Il posa sa tasse de café et dévisagea la jeune femme qui lui faisait face. Etait-elle folle ? Est-ce qu'elle se moquait de lui ? Est-ce qu'il avait été piégé pour une caméra cachée ? Et est-ce que leur escapade sur les toit faisait partie du canular ? La mascarade devait cesser. Il attaqua : 

"Jane Doe, vraiment ? Comme les cadavres non identifiés aux Etats-Unis ? C'est un hasard ou une mauvaise blague de vos parents ?"

"Ni l'un ni l'autre. Et mes parents n'ont rien à voir là-dedans. Ils n'existent même pas de toutes façons."

"Je suis confus... Ils sont morts ?"

Gauthier se serait giflé lui-même en s'entendant prononcer cette question stupide.

"Non. Ils n'existent pas."

"Vous êtes orpheline ?"

La jeune femme soupira.

"Non. Ils... Je ne sais pas comment vous le dire autrement : Ils. N'existent. Pas."

Le jeune homme fronça les sourcils.

"C'est... impossible... Tout le monde à des parents, qu'on les ai connu ou non, et qu'ils soient encore vivants ou pas ! C'est absurde de dire qu'ils n'existent pas !"

"En fait, c'est tout à fait logique. Leur existence n'ayant aucune influence sur le récit, elle n'est donc pas indispensable."

"Quoi ?"

La jeune femme consulta sa montre et se mit à fouiller dans ses poches.

"Bon, ce petit-déjeuner était fort sympathique, mais nous avons trop traîné dans ce centre commercial. Il est temps d'y aller. C'est moi qui invite."

Elle but d'un trait ce qui restait de son café, elle jeta une poignée de pièces sur la table, et elle se leva en faisant signe à Gauthier de l'imiter.

"Et où va-t-on exactement ?"

"Ni chez toi, ni chez moi, ce ne sont pas des lieux sûrs. Nous n'avons pas les moyens pour une chambre d'hôtel, alors... Tu sais s'il y a un squat dans le quartier ? Ou une médiathèque, histoire de se planquer derrière un bouquin jusqu'à l'heure de la fermeture. "

"La bibliothèque est fermée le dimanche..."

"Ah zut... Et un parc ? Il n'y a pas un parc dans le coin, du genre plutôt grand avec plein de petites familles qui font prendre l'air à leurs enfants ? Il n'y a que dans la foule que nous serons en sécurité..."

"Oui, il y a un parc, à deux rues d'ici..."

"Génial, on y va."


Ils sortirent rapidement du centre commercial, en vérifiant que personne ne les suivaient et se rendirent au square, bondé en cette fin de matinée. Jane (s'il fallait l'appeler ainsi) trouva un journal sur le banc sur lequel ils prirent place et elle s'en servit pour dissimuler leurs visages à la vue des passants. Un observateur extérieur aurait pu facilement les prendre pour un jeune couple en quête d'intimité au milieu des cris et des jeux des bambins du quartier. Il n'aurait pas pu être plus loin de la vérité. Car ce qui se passait derrière les pages froissées de l'hebdomadaire était loin d'être romantique. Le jeune homme voulait des réponses, et jusqu'à présent, il ne pouvait pas s'estimer satisfait des explications de la jeune femme.

"Jane, donc, étant donné que vous dites vous appelez Jane... Qui êtes-vous et pourquoi avez-vous débarqué dans ma vie ?"

"Je te l'ai dit et je te le répète : ma vie dépend de toi."

"Mais pourquoi ?"

"C'est un peu complexe à expliquer... Et très difficile à croire aussi. Je ne pense pas que ce soit le lieu et le moment pour mettre tout ça sur la table. Il faut qu'on se trouve une planque."

"J'ai tout de même le droit de..."

"Plus tard ! Je dois me concentrer et réfléchir à la suite des événements."

"Parce que votre plan, c'était de débarquer chez moi, de défoncer ma porte, de me forcer à fuir devant la Police, et... rien ? A moins que le petit-déjeuner ait été planifié à l'avance..."

"OK, je n'ai pas de plan, voilà, tu es content ? J'ai paré au plus urgent, il fallait que je vienne te chercher, voilà, c'est fait. La suite... Je ne pensais pas vraiment réussir, alors je n'ai pas réfléchi à la suite."

"Mais c'est quoi votre objectif ?"

"Sauvez ma peau, c'est assez clair ? Et arrête de me tutoyer, ça devient ridicule."

Gauthier allait répliquer mais Jane le fit taire d'un signe de la main. 


Le jeune homme était toujours aussi perdu. Il commença à lire un article dans le journal, pour s'occuper, mais réalisa rapidement qu'il était à la page des faits divers et des crimes. Il voyait assez de cadavres comme ça, il n'avait pas besoin d'en rajouter. Il tourna la tête vers sa voisine de banc, qui était absorbée par sa réflexion. Inconsciemment, son nez se plissait, sa bouche se tordait en d'improbables grimaces, et l'index de sa main gauche jouait avec une mèche de ses cheveux. Elle n'avait rien de particulier, pourtant Gauthier sentait qu'il n'était pas insensible à son charme. "Un syndrome de Stockholm peut-il se développer aussi vite ?" se demanda-t-il en détournant le regard pour ne pas se mettre à rougir. Il se dit que lui aussi, ferait bien de réfléchir à la situation pour essayer de les en sortir. Connaissait-il un endroit sûr et discret où ils pourraient se cacher, au moins pendant quelques heures ? Et puis pourquoi cette femme répétait-elle sans cesse que sa vie dépendait de lui ?


Est-ce qu'elle voulait lui prendre un rein ? "N'importe quoi !" s'exclama intérieurement Gauthier dont le cerveau ne fonctionnait plus correctement. Il essaya de se remémorer les exercices de concentration qu'il avait appris en classe, au lycée. Son professeur d'Histoire-Géographie était un adepte des pédagogies alternatives et il avait donné, au fil de ses cours, des trucs et des astuces à ses élèves pour mieux apprendre et pour être plus détendu, surtout en périodes d'examen. Faire le vide dans son esprit, résoudre des opérations simples de calculs mental, remonter le fil de sa journée, se concentrer sur sa respiration... Facile à dire et à faire dans une salle de classe, bien tranquillement assis sur une chaise, beaucoup moins évident à mettre en oeuvre dans un parc bruyant, avec la peur de voir débarquer la Police à chaque instant. Gauthier n'était pas un fugitif, c'était un gentil garçon qui, s'il avait l'habitude des uniformes, était du côté des gentils, de ceux qui résolvaient les crimes, pas de celui des méchants qui cherchaient à s'échapper.      


Le jeune homme se força à focaliser son attention sur le bruit régulier d'une balançoire qui grinçait pour remettre de l'ordre dans ses idées, et sa stratégie paya rapidement. 

"Je sais ! Cédric, un de mes amis est parti en vacances pour la semaine, je connais le code de son immeuble et je sais où il cache le double de ses clés ! Son appartement doit être à cinq minutes à pieds d'ici, allons-y !"

Jane le regarda d'un air surpris, comme si l'éventualité que la solution vienne de lui ne lui avait pas traversé l'esprit.

"OK. Allons-y. Je te suis."


Le trajet jusqu'à l'immeuble de Cédric fut rapide et sans embûche. Arrivé devant la porte, Gauthier croisa les doigts pour que le code n'ait pas changé, mais comme la chance semblait lui sourire au milieu de l'absurdité qu'était devenue sa vie, les quatre chiffres et les deux lettres qu'il composa sur le clavier lui ouvrirent la voie vers l'intérieur de l'immeuble. 

"C'est au cinquième étage. Sans ascenseur"précisa Gauthier en se dirigeant vers les escaliers. 

"Cinq étages ? Même pas peur" répondit Jane en lui emboîtant le pas. 

L'ascension consuma les dernières réserves d'énergie du jeune homme, alors qu'elle ne sembla pas affecter la jeune femme. Une fois sur le palier, Gauthier tenta de reprendre son souffle et ouvrit le panneau qui dissimulait les compteurs électriques pour fouiller au dessus de l'un d'eau et ramener de son exploration une petite clé et une grande quantité de poussière. Il montra fièrement sa prise à Jane qui resta de marbre face à cet exploit très relatif. Elle était toujours sur le qui-vive, et pressée de s'enfermer dans l'appartement. Gauthier se dirigea vers la porte de son ami, frappa deux coups discrets par acquis de conscience, déverrouilla l'entrée et s'introduit dans le logement sombre et vide. Un bruit sec retentit soudain et Gauthier 

1/ réalisa avec horreur que c'était un coup de feu.

2/ constata avec soulagement que ce n'était qu'un morceau de bois sur lequel il venait de marcher.  


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