Elément perturbateur - Episode 6

nat28

Que se passera-t-il la semaine prochaine ? A vous de voter pour la suite !

Gauthier se dirigea vers la porte de son ami, frappa deux coups discrets par acquis de conscience, déverrouilla l'entrée et s'introduit dans le logement sombre et vide. Un bruit sec retentit soudain et Gauthier constata avec soulagement que ce n'était qu'un morceau de bois sur lequel il venait de marcher. 

"Tu ne peux pas faire attention ?" le houspilla Jane en le poussant à l'intérieur de l'appartement dont elle referma rapidement la porte. Elle tendit la main pour récupérer la clé et en donna deux tours dans la serrure avant de s'écrouler le long du mur de l'entrée.

 

Pour la première fois depuis le début de cette journée particulière, la jeune femme semblait avoir perdu son assurance et son énergie.  Elle était assise sur le sol, les jambes pliées devant elle et la tête dans les mains, muette et perdue. Gauthier profita de ces quelques instants de répit pour ramasser les morceaux d'une cagette à légumes qui encombraient le passage. C'est l'un d'entre eux qu'il avait écrasé en entrant. Son ami n'avait pas dû avoir le temps de s'en débarrasser avant de partir en voyage. Ou alors il n'avait pas jugé utile de le faire. Le petit espace dans lequel ils se trouvaient était jonché de boîtes à chaussures, de vêtements et de divers objets comme une raquette de tennis, des piles de livres, ou encore un patin à roulette. Cédric ne semblait pas être le genre d'homme qui passait du temps à entretenir son intérieur. Il n'était pas non plus adepte du "less is more". Gauthier essaya de se rappeler l'état de l'appartement lors des rares soirées qu'il avait passé ici... Il ne se souvenait pas d'un tel bazar, sans doute son ami faisait-il un effort lorsqu'il recevait du monde. En entassant tout son fatras dans les placards, probablement. Comme la lumière provenant des volets mal fermés de la fenêtre de la pièce à vivre ne suffisait pas à dissiper la pénombre dans laquelle se trouvait le jeune homme, il appuya sur le premier interrupteur que sa main rencontra sur le mur, afin d'y voir un peu plus clair et d'éviter une chute. Jane n'avait pas bougée, elle était toujours prostrée sur le sol. Gauthier se dit qu'un café lui ferait du bien, c'est pourquoi il se rendit dans la cuisine afin d'en préparer. Et lui aussi, avait besoin d'une dose de caféine.

 

Alors même que ses enquêtes l'avaient amené bien des fois à fouiller dans les affaires de parfaits inconnus, à la recherche d'indices, Gauthier était toujours gêné d'ouvrir des placards qui n'étaient pas les siens. Et puis dans une affaire de meurtre, la victime ne risquait pas de venir lui reprocher de ne pas avoir remis un mug à sa place ou d'avoir fouiner dans ses sous-vêtements. Et puis tout était fait sous le contrôle de la Police, au milieu de la foule des experts et des inspecteurs, l'ambiance n'était pas la même. Ici, dans le silence et l'obscurité, le jeune homme était envahi par un sentiment de malaise. Et si Cédric revenait plus tôt de vacances, là, dans la seconde ? Et s'il se rendait compte qu'on était venu chez lui pendant son absence ? Comment réagirait-il ? Pourrait-il encore faire confiance à son ami ? Après tout, l'excuse de Gauthier pour venir ici était, somme toute, très bancale. "Une fille m'a demandé de lui sauver la vie et de trouver une planque" c'était léger.


Quelle excuse crédible pourrait-il inventer ? Car il était hors de question qu'il cache à Cédric son incursion dans son intimité. Et il suffisait qu'il replace mal la clé au dessus du compteur électrique pour être découvert. Il avait déplacé les morceaux de cagette aussi ! Gauthier réfléchissait à son alibi tout en ouvrant les placards de la cuisine à la recherche de café. Il essayait de mémoriser la place de chaque chose pour tout remettre exactement où il l'avait trouvé, mais le stress l'empêchait de se concentrer. Il trouva des tasses et des dosettes de café, il remplit le réservoir de la machine et la rebrancha, puis il prépara deux tasses fumantes et odorantes qu'il emmena dans le couloir.

"C'est ma tournée !" lança-t-il à Jane qui sortit aussitôt de sa léthargie et qui se saisit d'une des tasses. Gauthier s'assit en face d'elle et fit mine de trinquer en lui souriant. L'apathie de la jeune femme le refroidit immédiatement.


"Je suis stupide..." dit-elle, laconiquement.

"Pourquoi dites-vous ça ?"

"Trouver une planque, c'est bien joli, mais on est enfermé ici maintenant, pour je ne sais pas combien de temps et... je n'ai aucune idée de la suite des opérations."

"Vous m'avez dit, et répété, que j'étais le seul à pouvoir vous sauver. Vous sauver de quoi ? Et comment ?"

"Me sauver de quoi, je sais, comment... aucune idée."

"Bon, vous pourriez déjà me dire de quoi je suis censé vous sauver alors..."

"De la mort. Et arrête de me vouvoyer."

Gauthier recracha la gorgée de café qu'il venait d'avaler.

"Quoi ?"

"OK, balancer "de la mort", c'est un peu violent. N'empêche que c'est vrai. Si je ne m'étais pas carapatée et si je ne t'avais pas trouvé, je serais morte à l'heure qu'il est. Ce qui ne t'aurait pas empêché de me rencontrer, soit dit en passant..."

"Comment aurais-je pu vous rencontrer si vous étiez décédée ?"

"Oh, je n'aurais pas été le premier macchabé qui aurait eu l'honneur de faire ta connaissance..."

"Vous voulez dire que vous deviez... vous faire assassiner ce matin ?"

"Oui, c'est ce qui était prévu au programme."


Gauthier n'en revenait pas : la jeune femme lui racontait son supposé assassinat avant tant de calme ! Comme si elle parlait d'un sujet très abstrait et sans importance.

"Comment êtes-vous au courant ?"

"Au courant de quoi ?"

"Du fait que vous étiez censé être... tuée ce matin."

"Eh bien, je dirais que... c'était écrit. Non, pardon, que ça allait être écrit !"

"C'était votre destin ?"

"Mon sort, plutôt."

"Et qui vous a informé de votre... sort, comme vous dites ? Une voyante ? Un rêve prémonitoire ? L'horoscope du programme télé ? "

"Premièrement, les voyantes n'annoncent jamais la mort à leur client, c'est une question d'éthique, deuxièmement, je n'ai jamais rêvé, et troisièmement, je ne crois pas aux horoscopes."

"Vous n'avez jamais rêvé ? C'est n'importe quoi, ça, tout le monde rêve !"

"Je n'ai pas encore rêvé, si tu préfères."

"C'est tout aussi absurde."

"Bon, pour rêver, il faut dormir ?"

"Oui."

"Eh bien je n'ai jamais dormi."

"N'importe quoi..."

"Je n'ai pas encore dormi, pour être plus précise, je me doute bien que ça va m'arriver d'ici peu."

"Vous êtes en train de me dire que vous n'avez jamais fermé l'œil ? En vingt ans et des poussières ?"  

"J'ai 19 ans, d'abord, et non, je n'ai jamais dormi."

"C'est impossible."

"C'est sûr que dans ta temporalité, ça ne marche pas, mais dans la mienne..."

"Ma temporalité ?"

"Ton historique personnel. Toi, tu es né, tu as dormi, tu as mangé, tu as joué, tu as grandi, tu as été à l'école, tu as fêté ton anniversaire... Et tous ces trucs que font les gens. Moi, avant ce matin, je n'existais pas, alors le dodo... J'ai pas encore testé."

"Vous n'existiez pas ?"


Gauthier se leva et se dirigea vers le salon qui servait également de chambre à son ami. Il ne pouvait plus écouter les divagations de cette femme. Elle était folle, il en était sûr à présent. Alors comme ça, elle avait 19 ans mais n'existait que depuis quelques heures ? Elle n'avait jamais dormi ni soufflé les bougies d'un gâteau d'anniversaire ? C'était du grand n'importe quoi. Il était hors de question qu'il entre dans son délire. Et il fallait qu'il sorte d'ici au plus vite, si possible en enfermant la dingue dans l'appartement pour que la Police ou les urgences psychiatriques la récupère au plus vite. Elle n'avait pas l'air violente, et même si elle se mettait à tout casser dans l'appartement... Eh bien tant pis, Gauthier expliquerait ce qui s'était passé à Cédric et il l'aiderait à tout ranger. Le jeune homme but le reste de son café d'un trait, il retourna dans l'entrée, il fit un geste à jane pour qu'elle lui rende sa tasse, puis il alla faire la vaisselle dans la cuisine, le tout sans un mot. La jeune femme ne disait plus rien non plus. Elle était toujours au sol, tournant la tête à droite et à gauche, comme si elle découvrait le bazar qui l'entourait. Ou comme si elle cherchait quelque chose. Gauthier choisit de l'ignorer et il se concentra sur l'essuyage des tasses. il débrancha la machine à café, vida le reste d'eau que contenait encore le réservoir, et remit les tasses dans le placard où il les avaient trouvées, en faisant particulièrement attention à l'orientation des anses.


Il entendit la jeune femme qui se levait, qui ramassait quelque chose sur le sol et qui venait vers lui. Quelles pouvaient donc bien être ses intentions ? S'était-elle saisit d'un objet contondant ? Mis à part la raquette de tennis, Gauthier ne voyait pas ce qui aurait pu lui servir d'arme. Il était trop loin des tiroirs pour espérer s'emparer d'un couteau. Sa meilleure option restait donc l'effet de surprise. Il se retourna brusquement et se retrouva nez-à-nez avec Jane qui brandissait :

 1/ un livre

 2/ un morceau de verre

    

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