Elément perturbateur - Episode 8

nat28

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Gauthier se mit à rire. 

"OK, très réussie la blague."

Jane lui lança un regard grave qui déstabilisa le jeune homme. Il enchaîna, moins sûr de lui.

"C'est... Une caméra cachée ? Ca se fait encore ? Ou alors tu t'amuses à piéger les gens, comme ça, pour le fun ? Je te préviens, tu vas devoir me la rembourser, ma porte !"

"Si tu savais à quel point je m'en fous, de ta porte..."

Gauthier ne savait plus quoi répondre, mais il avait besoin de parler pour se rassurer. Il continua, tout en s'occupant les mains en manipulant un coussin.

"Le coup des flics, c'était fort. J'y ai vraiment cru ! Comment tu as fait ? Tu as une armée de figurants à ton service ?"

La jeune femme fixait le mur et elle avait l'air d'être sur le point de pleurer, ce qui, dans un premier temps, inquiéta Gauthier. Il se pencha vers Jane mais il se reprit rapidement.  

"Bien essayé. Tu veux m'attendrir ? Après l'intrusion musclée, la balade sur les toits et le coup du morceau de verre, ça va être compliqué ! Je sais que tu es une fille solide, alors arrête ton cinéma."

"Si seulement j'arrivais à te convaincre..."

"Ca risque d'être long."

"Mais c'est nécessaire..."

"Mais bien sûr."


Gauthier s'étira et ferma les yeux un instant. Il se rendait compte qu'il était épuisé et qu'il aurait donné n'importe quoi pour faire une sieste, malgré tout le café qu'il avait ingurgité. Le stress avait toujours eu cet effet sur lui : dès qu'il se trouvait dans une situation dangereuse, angoissante ou décisive, il piquait invariablement du nez, alors que c'était bien la dernière réaction à avoir dans ce genre de cas. Quand il avait passé son baccalauréat, il avait baillé en continu pendant presque toutes les épreuves, ce qui avait fortement agacé les surveillants, car les autres élèves étaient perturbés par le bruit. Les premiers rendez-vous étaient un cauchemar pour le jeune homme, qui s'était, plus d'une fois, endormi au cinéma. Et même une fois durant un concert de rock. La puissance de sa narcolepsie réactionnelle était sans limite. Et nombre de ses conquêtes féminines avaient très mal pris ses ronflements et n'avaient jamais accepté de le revoir. Il avait essayé, une ou deux fois, d'expliquer son problème dès la première rencontre, mais la méthode n'était pas très efficace, une femme appréciant rarement d'être la cause de l'endormissement de son interlocuteur.


Gauthier hésitait à céder au sommeil, car il se demandait encore si Jane était inoffensive. Elle l'avait agressé dans la cuisine, que serait-elle capable de lui faire pendant qu'il dormait ? Il jeta un coup d'œil vers la jeune femme qui était prostrée et silencieuse à l'autre bout du canapé. L'appartement ne comportait qu'une pièce à vivre, le jeune homme ne pouvait même pas aller s'enfermer dans une chambre. Et la salle de bain était trop petite pour qu'il puisse s'allonger sur le sol. Il décida de jouer la carte de l'honnêteté.

"J'ai besoin de faire un somme... Tu peux me promettre qu'il ne m'arrivera rien ?"

Jane tourna lentement la tête vers lui, avec un air incrédule sur le visage.

"Quoi ?"

"Tu ne vas pas m'attaquer pendant que je pique un roupillon au moins ?"

La jeune femme mit un moment à comprendre puis répondit :

"Non, bien sûr que non !"

"J'avoue que j'ai eu un peu peur tout à l'heure..."

"Je t'ai expliqué que j'avais fait ça pour te prouver que..."

"J'étais le héros de l'histoire, j'ai bien compris."

"Dors sur tes deux oreilles, il ne t'arrivera rien..."

Jane prit un magazine sur la table basse et se mit à le feuilleter distraitement. Malgré ses réticences, Gauthier glissa sur l'assise du canapé pour trouver une position confortable, il cala un coussin derrière sa tête et il ferma les yeux.


Le jeune homme dormit d'un sommeil lourd, sans rêve, comme à chaque fois qu'il s'assoupissait sous la contrainte de ses émotions. Lorsqu'il se réveilla, il sursauta en ne reconnaissant pas l'environnement dans lequel il se trouvait. Il se redressa d'un bond et parcourut la pièce des yeux avant de se rappeler où il était. Et pourquoi il était là.

"Bien dormi ?"

Jane était toujours assise sur le canapé. Un livre avait remplacé le magazine.

"Euh... oui. J'ai somnolé longtemps ?"

"Une petite heure. Et c'était un gros dodo. Avec option ronflement. Difficile de se concentrer quand tu es dans les bras de Morphée..."

La jeune femme posa son livre sur le sol, elle se leva et elle s'étira.

"J'ai une petite faim, je peux jeter un coup d'œil dans les placards ?"

"Fais comme chez toi... J'ai besoin de... faire un tour dans la salle de bain. Je reviens."


Gauthier s'enferma dans la salle d'eau et il se laissa tomber sur le sol, le dos appuyé sur la porte. Il avait besoin d'uriner, mais aussi de souffler. Sa sieste lui avait fait du bien, mais il ne savait toujours pas quoi faire. Et il comprenait pas non plus pourquoi il n'arrivait pas à prendre la décision la plus raisonnable qui soit : faire sortir la jeune femme de l'appartement et la planter sur le trottoir. Bien que son histoire n'ait ni queue ni tête, il ne pouvait se résoudre à la rejeter complètement. Après tout, il s'était déjà trouvé devant des victimes de meurtre, Jane aurait pu être la suivante... Le truc, c'est que les futurs assassinés étaient rarement au courant de leur mort prochaine, alors pourquoi elle, elle l'aurait su ? Si seulement il avait eu le réflexe de prendre son téléphone portable avant de partir de chez lui, il aurait pu appeler la police... Mais elle l'avait surprise quasiment au saut du lit, et il n'avait pas eu le temps de réfléchir. Le jeune homme se releva péniblement en grognant, il soulagea son envie qui se faisait de plus en plus pressante et il déverrouilla à contre cœur la porte pour sortir et retourner dans le salon. Jane, dans la cuisine, lui tournait le dos. Elle l'entendit dans le couloir et lui lança :

"Je fais des pâtes, tu en veux ?"

Gauthier nota dans un coin de sa tête qu'il devait un paquet de nouille à Cédric désormais et répondit sans conviction :

"Pourquoi pas..."    


Manger était la dernière de ses priorités et lorsque Jane revint dans le salon avec des fourchettes et deux assiettes fumantes, il se saisit de la sienne et commença à piocher dedans sans faire attention à ce qu'il ingurgitait.

"J'avais rien à mettre dedans, désolée, c'est un peu fade."

"Pas grave..."

"OK... Bon appétit quand même."

"Merci. Pour les pâtes et pour... Bon appétit aussi, quoi."

Jane s'attaqua avec entrain à son plat, mais s'arrêta au bout de quelques minutes, l'air pensif et la fourchette figée entre le tas de coquillette et sa bouche.

"Dis-moi, Gauthier..."

"Oui ?"

"Entre le moment où je t'ai proposé des pâtes et le moment où je t'ai servi, il s'est écoulé combien de temps ?"

"J'en sais rien..."

"Je ne te demande pas une réponse précise, mais une estimation, à la louche."

"Je ne sais pas... Dix minutes ? C'est le temps de cuisson pour ce genre de truc, non ?"

"Généralement, oui, mais j'ai dû les égoutter et les mettre dans les assiettes aussi... Mais ce n'est pas le propos."

"Ah bon ? Alors on parle de quoi ?"

"De ton attente. Avant de manger. Tu as eu l'impression que ça durait combien de temps ?"

Le jeune homme posa son assiette sur ses genoux et se mit à réfléchir.

"Franchement, ça n'a pas pris longtemps... Je n'ai pas fait attention."

"Et c'est toujours comme ça ?"

"Comme ça quoi ?"

"Tu n'as pas l'impression que, la plupart du temps, tout va très vite ?"

"Pas quand je fais la queue à la Poste, non."

"Je ne te parle pas de ça. Enfin, un peu, mais pas que... Oh, tu m'embrouilles ! Ce que je veux dire, c'est : tu ne penses pas que tu passes à côté des moments chiants de la vie ?"

"Je ne comprends pas."

"Reconnais que la machine à laver finit son cycle pile quand tu passes devant, que le bus arrive à l'arrêt en même temps que toi, et que tut trouves toujours ce dont tu as besoin, sans avoir besoin de chercher... sauf si ça fait partie de l'intrigue bien sûr."

"Quelle intrigue ? Tu ne vas pas remettre ça !"

"Avoue ! Avoue que tout se goupille toujours bien !"

"Peut-être ! Je ne me suis jamais posé la question ! Et si les choses se passent comme ça, c'est sans doute parce que je suis prévoyant et organisé !"

"Et quand tu enquêtes sur un vol ou sur un meurtre, tu vois toujours un petit détail qui a échappé aux autres, je me trompe ?"

"En effet, je suis observateur..."

Jane posa violemment son assiette sur la table basse.

"Stop ! Arrête de nier l'évidence !"

Gauthier se rapprocha d'elle.

 

1/ Avec un air affolé, il murmura : "Ce serait donc vrai..."

2/ Avec un sourire inquiétant, il murmura : "Je le sais depuis toujours..."


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