Elément perturbateur - Episode 9
nat28
Gauthier se rapprocha d'elle. Avec un sourire inquiétant, il murmura : "Je le sais depuis toujours..."
Jane n'eut pas le temps de réagir. Faisant preuve d'une rapidité et d'une agilité insoupçonnées, Gauthier se jeta sur elle et la plaqua sur le sol. La tête de la jeune femme heurta violemment le sol dans un bruit sourd, et les mains du jeune homme se placèrent autour de son cou. Il referma ses doigts sur la carotide de Jane, il coinça la jeune femme contre la table basse et il serra, encore et encore. Jane se débattait comme elle le pouvait, mais son petit gabarit et le manque d'oxygène l'empêchait d'utiliser ses muscles. Elle essaya de griffer son agresseur pour échapper à son emprise, mais elle dût se rendre à l'évidence : elle était sans défense, à la merci d'un homme dont l'air incrédule avait été remplacé par un regard haineux et un rictus maléfique. Jane comprit trop tard qu'en cherchant à fuir son meurtrier potentiel, elle s'était jetée dans ses griffes. Les coups de la jeune femme étaient de plus en plus faibles et un voile noir commençait à obscurcir son regard. Ses poumons ne se remplissaient plus et la douleur lui déchirait la poitrine. Elle allait mourir, là, sur cette moquette élimée, dans un appartement inconnu, tuée par l'homme qui était censé la sauver...
Est-ce que toutes ses autres victimes avaient été conscientes de leur sort ? Ou bien les avaient-elles surprises, dans leur sommeil, au coin d'une rue, sous une porte cochère ? Jane n'aurait pas l'occasion de le savoir, car dans quelques secondes, elle serait morte. Elle s'était faite avoir comme une débutante, ce qui était tout à fait excusable dans un sens, elle ne se faisait pas assassiner tous les jours...
C'était donc lui, Gauthier, qui allait lui ôter la vie... Pendant une seconde, au moment où il s'était jeté sur elle, Jane avait cru à une plaisanterie, une sorte de petite revanche après toutes les épreuves qu'elle lui avait fait subir depuis le début de la matinée... Mais sa poigne était trop forte, son air trop déterminé, et sa souffrance trop réelle pour que la jeune femme puisse encore espérer s'en sortir. Son cœur s'affolait dans sa poitrine, son cerveau lui envoyait des informations par flashs, incohérentes, inutiles... La seule arme qu'elle aurait pu utiliser pour se défendre était la fourchette qu'elle utilisait, une minute plus tôt, pour manger des pâtes. Quatre piques dérisoires, qu'elle ne pouvait même plus atteindre. Elle n'avait plus d'énergie. D'un seul coup, la douleur disparue : tout était fini.
Gauthier s'assura que Jane ne respirait plus avant de relâcher la pression de ses doigts autour de son cou. Ce n'était pas la première fois qu'il étranglait quelqu'un à mains nues. Ce n'était pas sa méthode favorite car elle était plutôt exténuante et elle entraînait une promiscuité dont il n'était pas friand. Et puis la victime avait parfois le temps d'essayer de se défendre, de le frapper ou de le griffer, et le jeune homme savait qu'il devait à tout prix éviter de garder des marques à la suite de ses... activités.
C'est ainsi qu'il nommait ses meurtres : ses "activités". Chaque individu à sa part d'ombre et ses petits secrets. Lui, il tuait des gens puis il s'impliquait dans l'enquête qui suivait invariablement ces morts suspectes afin de faire accuser, à tort, un pauvre quidam qui n'avait rien demandé. Pourquoi ce dernier ne clamait pas son innocence et pourquoi la Police ne parvenait jamais à le démasquer ? Jane l'avait dit : il était le héros de l'histoire, le personnage principal, le protagoniste qui pouvait s'autoriser toutes les fantaisies, même celle de réduire au silence des coupables désignés par ses soins.
Gauthier avait découvert cette toute puissance sans trop la comprendre juste après avoir fêté ses cinq ans. Dès qu'il faisait une bêtise, il lui suffisait d'accuser sa sœur ou un voisin pour passer au travers des tempêtes parentales. Tricher en classe ? Un jeu d'enfant. Séduire une fille ? Trop facile, c'est d'ailleurs pour cela qu'il restait célibataire la plupart du temps et qu'il affichait une timidité touchante pour donner le change. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire... A quoi bon essayer de flirter si l'issue de l'opération est garantie par le scénario ?
Le jeune homme se demandait parfois qui tirait les ficelles de sa vie imaginée. Tout personnage a un auteur, homme ou femme de l'ombre caché derrière sa plume ou son clavier d'ordinateur... Qu'avait-il donc en tête, ce gratte-papier, pour le laisser agir ainsi, violemment, sans aucun scrupule ?
Car Gauthier ne savait pas ce qu'était le remord, la peur, ou la culpabilité. Quand il avait mesuré à sa juste valeur l'étendue de son pouvoir, il s'était mis à en tester les limites, et il avait constaté qu'il n'y en avait tout simplement pas. Il pouvait faire ce qu'il voulait, quand il le voulait, et comme il le voulait, sans aucune conséquence pour lui-même. Et pour ce qui était des autres, ceux dont il trahissait la confiance, ceux qu'il abusait, ceux qu'il volait, et même, bien plus tard, ceux qu'il avait tués... Il les ignorait, tout simplement, ce n'étaient après tout que de vulgaires personnages secondaires, parfois même de simples figurants qui n'avaient même pas une ligne de dialogue... Ses victimes ne hantaient pas ses rêves et il les oubliait bien vite après les avoir assassinées.
Un personnage de fiction consacre peu de temps à l'introspection.
La vie du jeune homme s'articulait autour de périodes "classiques", telles que les vacances en famille ou les cours, ponctuées de temps à autres de crimes et agrémentées de ces enquêtes qu'il aimait tant. Les temps de pause n'existaient pas, ils n'intéressaient pas le lecteur. Et Gauthier, qui, pour un œil extérieur, pouvait passer pour un monstre froid et sanguinaire, n'était pas qu'un tueur précis et calculateur. Il lui arrivait de ressentir des émotions, parfois, au milieu de ses proches, dans les bras d'une femme, et, bien sûr, en plantant un couteau dans le ventre d'un parfait inconnu.
Pas très utilisé, le couteau : trop salissant. Mais il fallait savoir se renouveler, parfois.
Gauthier vérifia que Jane était bien morte et il l'allongea précautionneusement sur le canapé. Il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille droite, il remit de l'ordre dans ses vêtements et il vérifia que rien n'avait été cassé ou déplacé pendant la bataille. Il s'assit ensuite sur le sol pour finir de manger ses pâtes encore tièdes : ôter la vie à cette femme avait été rapide.
Une fois son déjeuner terminé, le jeune homme alla laver les assiettes et les couverts dans la cuisine. Il s'efforça de remettre tout ce qui avait été bougé à sa place, puis il sortit une paire de gants en vinyle de la poche arrière de son jean. Il en avait toujours une paire sur lui, pour pouvoir effacer les traces avant de quitter les lieux du crime. Gauthier avait à cœur de faire disparaître ses empreintes ainsi que les traces de son passage. L'ADN ? Peu lui importait, son auteur ne s'embarrassait pas de techniques d'investigation moderne. C'était plutôt un adepte des enquêtes à l'ancienne : observation de la rigidité cadavérique, relevé d'empreintes, recherche d'objets cassés, interrogatoire des voisins et déduction. Le Luminol ou la chromatographie, c'était bon pour les séries télé.
Gauthier fit rapidement le ménage dans l'appartement de son ami, qui, dans un futur proche, serait reconnu coupable du meurtre de Jane. Le jeune homme coupa le chauffage central et ouvrit les fenêtres de l'appartement en grand pour refroidir au maximum la pièce et fausser ainsi les conclusions du médecin légiste. Avec un peu de chance, la date et l'heure de la mort pourrait coïncider avec le départ en vacances de Cédric... Bien entendu, le jour de son retour, Gauthier devrait revenir sur les lieux du crime pour fermer les baies vitrées et rallumer les radiateurs. Il connaissait les horaires de train de son ami, et même si se balader près d'un cadavre n'était jamais une bonne idée, le jeune homme se disait que son cher auteur se débrouillerait pour qu'il ne croise aucun témoin. Depuis le temps, ils avaient dû nouer une relation particulière, tous les deux, l'un étant la marionnette de l'autre, à tour de rôle.
Un dernier coup d'œil avant de sortir et de replacer la clé, soigneusement essuyée, dans sa cachette, au dessus du compteur électrique... Tout était en ordre, et les volets fermés dissimulaient les fenêtres ouvertes. "Parfait !" se dit Gauthier en descendant les escaliers. Son plan avait fonctionné à merveille. Sa victime s'était jetée toute seule dans la gueule du loup et son "ami" Cédric croupirait bientôt en prison. Pourquoi lui ? Parce que c'était pratique, tout simplement. Et puis Gauthier passait pour sympathique aux yeux des gens, il n'aurait aucun mal à trouver quelqu'un d'autre pour manger des pizzas et jouer aux jeux vidéos...
Le jeune homme ne se détendit complètement qu'une fois arrivé dans la rue. Bien qu'il ait plusieurs dizaines de meurtres à son actif, il ressentait toujours une sorte de malaise quand il restait trop près de sa victime. Tuer son voisin avait été difficile : il sentait sa présence, à quelques mètres de lui, en permanence... Voir le corps être enlevé par les employés de la morgue avait été un véritable soulagement. Gauthier entra dans le premier bar qu'il croisa sur son chemin et s'assit à une table près de la vitrine, pour observer les passants. L'établissement était pratiquement désert et la serveuse s'approcha rapidement de lui. Elle lança :
1/ "Je sais ce que vous avez fait" avec un air grave
2/ "Je sais ce dont vous avez besoin" avec un petit sourire
Très bon épisode, j'ai adoré :D Par contre je suis en grosse indécision sur le vote ^^
· Il y a presque 7 ans ·Hum... Je vais me décider pour la proposition 2 ^^
k3m-4nyx