ELKGROCE AVENUE 15
Jacques Penna
Parmi les habitués du bistro « North Beach Cafe », se trouvait également une jeune femme aux allures de S.D.F., mais que l'on ne s'y trompa point à son sujet, celle-ci était loin d'être dans le dénuement le plus total. Elle portait le nom de « SEDGWICK » ; quant à son prénom, je ne m'en souviens plus.
C'était la petite sœur de Edie Sedgwick, ce mannequin devenue actrice, égérie d'Andy Warhol et membre actif de sa « Factory ».
Son père et ses deux frères avaient tous souffert de troubles psychiatriques. Minty, le plus vieux des frangins, devenu alcoolique, s'était pendu la veille de ses 26 ans.
Difficile avec une famille comme la sienne d'être tout à fait équilibrée. Elle-même était portée sur l'alcool et ne dessaoulait jamais du soir au matin.
Extrêmement riche, elle avait hérité entre autre de l'immense ranch familial qui se trouvait à Santa Barbara mais n'y était que très rarement présente. Elle lui préférait son spacieux appartement de North Beach.
Roudergues s'était lié d'une solide amitié avec la donzelle. Et comme les amis de mes amis sont mes amis, je devenais aussi le sien d'ami ; c'était mathématique.
La sœur Sedgwick était d'une gentillesse désarmante ; du moins lorsqu'elle n'était pas avachie sur sa table, ivre morte. Son seul défaut, son seul inconvénient, c'était son « boyfriend » (son mec), une grosse ventouse toujours imbibée d'alcool qui lui collait aux basques comme un chewing-gum sous la semelle. Mille fois elle avait tenté de l'éloigner d'elle, mille fois, tel un boomerang humain, il était revenu s'immiscer dans nos conversations. Un jour, en rétorsion, il lui avait même jeté le contenu de son café au lait au visage. Le problème, c'est que Roudergues et moi en avions reçu des retombées sur nos chemises. Et mon ami avait dû me retenir avec vigueur pour m'empêcher de sortir le goujat par la fenêtre.
J'ai toujours considéré les cafés comme des lieux de rencontre prodigieux, des lieux de spectacle permanent. Il suffit de s'asseoir, de regarder, d'écouter, et l'on a devant les yeux le plus grand des spectacles, celui de la vie.
Le « North Beach Café » ne dérogeait pas à la règle. Il s'y passait parfois des scènes imprévisibles, inaccoutumées, burlesques, déroutantes, qui charmaient par leur originalité et parfois par leur absurdité.
Les rencontres au « North Beach Café » étaient comme des détails qui s'intégraient dans tableau de mon existence et qui l'enrichissaient. J'y retrouvais des personnages qui ne faisaient pas partie de mon bestiaire habituel mais dont je ne pouvais plus me passer du fait qu'ils s'assimilaient si bien à mon propre récit.
-On va skier ? Me proposa Roudergues, un jour comme ça, à brûle pourpoint.
L'idée me séduisit, je ne connaissais pas encore les principales stations de ski du nord de la Californie, bien que j'en eusse entendu parler. J'appelais Sharlene pour qu'elle me fasse un compte rendu des opérations à Las Vegas… R.A.S., tant mieux.
Notre choix se porta sur Mammoth, une station de sports d'hier située sur le versant oriental de la Sierra Nevada. De plus c'était sur le chemin de retour de Los Angeles.
La station était plus grande que Big-Bear. Elle possédait 29 remontées mécaniques sur un domaine skiable de 14 kilomètres. Situé plus en hauteur, les pistes étaient plus longues et plus raides.