ELKGROVE 4

Jacques Penna

Une ballade en Allemagne


Depuis que mon père était mort, ma sœur et ma mère n'avaient jamais autant voyagé. Elles étaient toujours fourrées par monts et par vaux, à croire que mon père, lorsqu'il était encore de ce monde, les empêchait de bouger.

Depuis quelques temps, à force de vivre toujours ensemble, en milieu fermé, les deux femmes avaient déteint l'une sur l'autre. Elles s'habillaient de manière identique, portant toujours un manteau Burberry vert bouteille. A les voir toujours ainsi, on aurait dit deux Leprichauns.

Couple fusionnel absolu, comme le définissait Jacques Lacan, elles étaient d'accord sur tout et prenaient des décisions similaires sans avoir à se consulter.. Lorsque je les voyais devant moi, j'avais toujours l'impression de voir double.

 

-On va en Allemagne … Dit ma mère à l'attention d'Annie.

-On prend William avec nous ! Ajouta Liliane.

 

Annie leur fit remarquer que William était bien jeune pour un voyage pareil.

 

-A trois ans, j'allais déjà… Rétorqua Liliane.

-A Autun ! Compléta ma mère.

-Et c'était pendant… Ajouta Liliane

-La guerre ! Conclut ma mère.

 

Annie se laissa donc convaincre. Comment ne pas permettre à la grand-mère et à la tante de profiter de son fils.

 

-Elles te présenteront la note ! Avertis-je mon épouse.

-Toi tu vois le mal partout ! S'emporta Annie.

-Je le vois là où il est ! Lui rétorquais-je du tac au tac (en m'enfilant un tic-tac).

 

La voiture de ma sœur partit sur les chapeaux de roue. Liliane avait la pédale dure.

 

Les deux bessonnes emmenèrent mon fils sur les pas de l'IIIème Reich. Nuremberg, Berchtesgaden, Munich ; là elles s'arrêtèrent dans la bierstube (brasserie) où tonton Adolph peaufinait ses harangues. Les deux jumelles étaient obnubilées par Hitler. Bien sûr c'était un monstre, mais il avait commencé à nous débarrassé des gitans…

-Et quelqu'un comme cela ne peut pas être totalement mauvais ! Soupirait ma mère. Au moins en Allemagne, y'en pas des masses !

 

Ma mère ne pouvait s'empêcher d'exsuder par moment son fascisme naturel, et pourtant elle prenait bien soin de le cacher au plus profond d'elle-même… Mais là, oups… une petite crotte mentale remontait en surface.

 

Elles voulurent aller voir la « Wolfsschanze » (La tanière du loup) qui se trouvait alors à Rastenburg, en Prusse Orientale. C'était là que le führer mettait au point ses plans les plus paranoïaques (tels que « la Shoah », la destruction de Varsovie après que les polonais se soient révoltés en 1944). Mais zut, Rastenburg était maintenant nommé Kętrzyn  et ce morceau de Prusse Orientale était revenu dans le giron de la Pologne.

 

-Un pays coco ! Je n'y foutrais pas les pieds ! Gronda la mégère enragée.

 

Elles revinrent la tête pleine d'image d'époque, en couleur, et nous rendirent William, qui n'allait pas se rappeler de grand-chose de son premier voyage en Germania. Avant de partir, ma mère tendit l'addition à Annie. Tout y était inscrit, en détail. Elle avait en plus fait la quote-part essence (1 quart des dépenses, et pas un tiers, car l'enfant était encore jeune.)

Annie ne les remercia pas de la réduction. Elle paya et se jura qu'elles ne l'y reprendraient plus.

 

-Bien fait pour toi ! Lui dis-je en lot de consolation…C'est comme ça qu'on apprend ! Par la pratique.

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