ELKGROVE AVENUE 11

Jacques Penna

Plus Intgrigues


Doillon et son alter ego, Montrichard (directeur des ventes Paris) avaient monté un énorme service de contre-espionnage. C'était un officier de réserve qui, je le suppute (suppute vous-même) avait été embauché à son poste à cause de son nom. En effet, la grande aventure du laboratoire avait commencé à Montrichard, petite circonscription du Loir et Cher. Le pharmacien Toto (oncle du bon docteur), dans les années 30 avait jeté les bases de ce qui était maintenant le troisième laboratoire français d'homéopathie.

Montrichard, donc, qui avait engrossé la téléphoniste, avait accès aux infos qui transitaient par ce moyen de communication. La gentille téléphoniste engrossée ne perdait pas un mot, pas une phrase de ce qui se disait sous-seing privé du secret et répétait tout à son amant.

 

-Quand même, avais-je dis à Doillon, il est gonflé, Montrichard, parce que se taper un laideron pareil…

-Il le fait pour la bonne cause.

Bon, je n'avais rien à redire à ça.

 

Or donc, lorsque Doillon fut mis sur la sellette par Merguez, il connaissait tous les tenants et les aboutissants de la question. Le questionnement, dans cette affaire, était au cœur du sujet, et Montrichard était passé maître dans l'art du questionnement.

 

Je me mettais à penser au poète René Char et à ce qu'il avait dit sur le sujet : « Les arbres ne se questionnent pas entre eux, mais trop rapprochés, ils font le geste de s'éviter. ».

J'en concluais que la meilleure façon de perdurer dans ces entreprises modernes était de se tenir à l'écart des autres et de faire son boulot correctement sans faire de vagues. A Los Angeles, j'avais trouvé l'équilibre idéal ; et tant que les résultats couronnaient mes efforts, je faisais ce que je voulais sans en référer à Jean-Claude, Alain, Jean-Pierre, Gérard, Bernard ou François.

Les intrigues de cour, je les laissais volontiers aux forçats du quartier général parisien qui ne rataient jamais une occasion de se nuire. Et pour me prémunir contre les éclats collatéraux, j'étais moi-même passé maître dans l'art de la manipulation, de la poudre aux yeux, spécialiste des opérations du type « Fortitude »…

 

A l'époque, Dolisos était un vrai panier à crabes, une fosse à serpents (snakepit) comme disent les américains. Le meilleur moyen d'en sortir indemne était de se tenir à l'écart de tout ce micmac.

 

J'avais mis plus de dix milles kilomètres entre le siège social et moi, suffisamment pour ne pas être ennuyé par le téléphone (neuf heures de décalage horaire rendait plus difficile les appels à témoin.)

 

Merguez refusa toutes les propositions marketing que je lui avais faite, non pas parce qu'elles ne correspondaient pas à un besoin de changement fondamental des pratiques qu'il utilisait en matière de distribution de nos produits, mais bien parce que c'était moi qui les avait faite.

Le marché US était diamétralement à l'opposé du marché français, mais Merguez, totalement dénué de talents et de vision à long terme, l'avait abordé comme s'il était encore dans l'hexagone. D'où une stagnation des résultats de la succursale et une raison de plus pour ma venue sur ce marché.

Il fit tout ce qu'il pouvait pour que je me plante et que Levy me rapatrie.

La coupe était pleine, j'allais lui tailler un costard sur mesure dont il allait me donner des nouvelles.

Signaler ce texte