ELKGROVE AVENUE 14
Jacques Penna
Roudergues s'était installé non loin du quartier de « North Beach», à San Francisco. C'était un coin plutôt bohême, très sympathique.
Je lui rendais visite une fois par mois, conduisant de Las Vegas à Reno, puis de Reno à Frisco.
A l'époque, mon épouse et moi ne nous croisions que le temps d'une escale, entre mes voyages à L.A., Las Vegas et maintenant San Francisco. Cependant, tous les mercredis, en hiver, je faisais en sorte d'être à L.A. pour la saison de ski. Je quittais très tôt notre appartement de Torrance, après avoir arrimé mes skis sur le toit de ma voiture. Puis en avant la musique, direction Big-Bear, une station de montagne qui se trouvait dans la Forêt de San Bernardino, à deux heures trente de routes des plages. Les collines enneigées et plutôt pentues tombaient verticalement dans les eaux claires d'un lac où l'on pouvait voir nager des poissons et s'ébattre des écrevisses. La saison de ski s'ouvrait en Novembre et fermait selon les années en mars ou en avril. J'y étais fourré chaque semaine.
Bon ; on n'était ni à Avoriaz, ni à Courchevel, ni à Megève… Cependant, la station était très bien équipée question remontées mécaniques et certaines pentes étaient assez abruptes pour qu'on puisse s'amuser à les dévaler, à tout berzingue (comme on disait dans le temps).
En redescendant le soir de Big-Bear, j'étais toujours stupéfait par la diversité géographique du lieu, de sa flore et de sa faune. Je passais d'un environnement totalement alpin hérissé de pins et de mélèzes à celui du désert des Mojaves, de ses étendues sauvages qui échappait au regard, des jumping cholla, des Yuccas, des juniperus osteosperma, des mesquites, des jojobas et des Joshua-trees qui semblaient être les seuls plantes et arbustes capables de résister aux intempéries spécifiques de cet endroit désertifié.
Et quelques dizaines de kilomètres plus loin apparaissait San Bernardino, zone urbaine dont les sols étaient occupés par des constructions récentes.
Enfin, après avoir parcouru des dizaines de miles sur une quatre voies qui se frayait un passage parmi un dédale de « malls » (centres commerciaux) et de résidences, et postérieurement avoir quitté la vallée de San Bernardino, apparaissaient bientôt, dans le lointain, les flots scintillants du Pacifique.
Je retrouvais Roudergues à son quartier général, le « North Beach Café » à Frisco. En à peine deux mois, il s'était déjà fait adopter par tous les habitués du bistro. Il y avait Jean-Pierre Marchal, un français ingénieur du son en semi retraite qui compensait son physique désavantageux en s'affichant dans sa Rolls-Royce « Thundercloud » et en garant son carrosse devant l'établissement ; s'assurant bien que toute la gente féminine aux alentours le voit sortir de son véhicule.
Car Marchal était totalement obnubilé par le sexe faible. On ne pouvait pas avoir une conversation sérieuse avec lui sans qu'il s'interrompe toutes les cinq minutes en laissant fuser des « ouah, t'as vu le canon qui vient d'entrer ! » ou qu'il se lève pour entamer une conversation avec une petite gironde qui venait d'accéder à la longue salle de l'établissement.
-Il est toujours comme ça ? Interrogeais-je Roudergues.
-Toujours ! Un vrai obsédé !