ELKGROVE AVENUE 16
Jacques Penna
Dale Graham était la quintessence du flicaillon obsédé par sa noble tâche de faire respecter la loi, même si celle-ci n'était pas bien clairement définie par les textes. Inspecteur de la FDA, il était passé au laboratoire pendant que je skiais à Mammoth. Comme le responsable, c'est-à-dire Bibi, n'était pas dans les lieux, il avait averti qu'il reviendrait, telle date, à telle heure.
J'appris la nouvelle le lendemain, en retournant à L.A.
-Vous allez voir, m'avait prévenu Sharlene « he is a total asshole » (c'est un vrai connard).
Je l'attendis donc de pied ferme, curieux de découvrir ce qu'il nous voulait. Une fois dans mon bureau, il ouvrit les hostilités, parlant de la « X-Ray machine », un outil de dilution interdit aux USA. J'avais trois solutions : la détruire devant lui, la renvoyer à Paris où la lui remettre. Et comme je refusais de prendre cette décision de mon propre chef, j'en référais à Paris. Levy répondit que je pouvais la lui remettre, ce que je fis aussitôt.
Le soir même, sur une télé locale, l'affaire fut exposée à la vindicte populaire. De Dale Graham, l'on ne voyait que les mains, car de par sa situation professionnelle, il lui était interdit d'intervenir de la sorte. Mais Dale Graham portait à l'un de ses doigts une bague universitaire qu'il était impossible de confondre.
Une semaine plus tard Sabine Sahr débarqua à Las Vegas. C'était la première fois qu'elle venait. Elle fit un rapide audit pharmaceutique des lieux, répertoria toutes sortes d'accros aux procédures et vitupéra très en colère.
-Mais qu'est-ce qu'il foutait Merguez ?
-Le farniente ! L'informais-je. C'est du moins ce qu'il m'a dit lorsque je suis arrivé ici.
Elle convoqua Dale Graham et lui passa un savon en règle, menaçant d'avertir sa hiérarchie de son débordement télévisuel.
L'autre, qui au départ avait affiché une expression de matamore, perdit de sa superbe et se fit tout petit, petit, petit. C'est bien simple, plus jamais je ne le revis. Il était mal tombé, le pauvre, car Sabine Sahr était pire qu'un pitbull, elle mordait et ne lâchait plus sa proie.
La seule et unique culpabilité qui émergea de ce cloaque d'incompétence fut celle de Merguez. De retour à Paris, Sabine Sahr s'enferma avec Levy dans le bureau présidentiel et lui fit un rapport détaillé qui conduisit à la mise à la porte du pied-noir pour faute grave.
-Bon débarras ! Dis-je seulement lorsque Doillon m'annonça la nouvelle.
On allait pouvoir respirer. Levy m'informa qu'il avait trouvé un nouveau directeur général pour remplacer Merguez à Las Vegas. Il s'agissait de l'ancien directeur de Nelson, laboratoire homéopathique anglais, Trevor Cook.
Je m'entendis tout de suite et à merveille avec Trevor. C'était un être humain fantastique, plein d'humour, droit comme un l. Le contraire de Merguez quoi.
En tant que président de « Nelson », il avait eu affaire à la famille royale qui se soignait en homéopathie. Et il était titulaire, en nom propre, d'un document signé par la reine lui conférant la haute tâche de fournisseur accrédité de la maison des Windsor. Pas peu fier, il l'avait accroché au mur, dans son bureau, à côté de la carte des USA. Secrètement, il devait regretter la perte de cette colonie, mais il ne nous en tenait pas rigueur, à nous, les français qui avaient si activement aidée les coloniaux à gagner leur indépendance et à bouter l'armée anglaise hors de leurs frontières.
La preuve, il n'avait pas hésité à travailler pour un labo français…