ELKGROVE AVENUE 21
Jacques Penna
« N'apprenez jamais à faire quoi que ce soit ; si vous n'apprenez pas, vous trouverez toujours quelqu'un d'autre qui le fera à votre place. »
Ce principe de Mark Twain, je l'appliquais à la lettre, embauchant un comptable que je bombardais gestionnaire. Comme ça je n'aurais pas à m'embarrasser avec les chiffres.
Paris avait eu le bon goût de m'adjoindre un pharmacien, Groult, un gentil garçon qui parlait en coupant le son de sa voix, si bien qu'on ne l'entendait ni ne le comprenait jamais. Et ça faisait :
-T'as fini de planifier la fabrication des grandes séries ?
-Oui, je viens juste de finir !
Le laboratoire faisant parti d'un mini mall, sur Tropicana Avenue, nous avions comme voisin un drugstore de la chaîne « Long's ». J'avais besoin d'un second pharmacien pour effectuer les contrôles ; Groult étant responsable de la fabrication, ne pouvait bien sûr pas remplir cette fonction, c'eut été un conflit d'intérêt évident.
L'un des pharmaciens assistants du drugstore, Hack, accepta de prendre cette responsabilité sur demande de ma part. Ainsi, si j'avais une inspection de la FDA, je leur disais que le pharmacien déjeunait à côté et j'allais le chercher à « Long's ».
-Tricky, tricky, tricky ! (petit farceur serait la meilleure traduction de cette phrase) me dit Sharlene, un large sourire aux lèvres.
Farceur ? Je n'en suis pas convaincu, car avec Levy, il valait mieux que ça ne se voit pas.
Roudergues était retourné à Paris et je n'enviais pas son sort. Se faire congédier pour une poignée de moutarde, c'était pour moi une grande nouveauté. Belle illustration de l'expression « La moutarde lui monte au nez », elle lui avait bien monté au pif, à Levy.
Mes relations avec mon épouse s'étaient encore dégradées. Elle avait le chic pour se trouver des amis que je considérais à juste titre pour des bras-cassés et qui me tapaient sur les nerfs. Les derniers en date ; au niveau bêtise ; décrochaient de loin la timbale.
Aide-pâtissier, le gars était venu travailler pour son ancien patron à Huntington Beach. Le mandarin avait vendu sa boulangerie-pâtisserie dans la Meuse pour s'installer ici. Il avait donc proposé à son arpette de le suivre. Outre le choc culturel, le gars s'était retrouver l'esclave du margoulin qui le faisait trimer à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit et le payait des clopinettes.
Un : il l'employait au noir ; deux : les lois sur le travail aux USA étaient loin d'être aussi protectrices qu'en France.
Mais il était trop tard, le couple en déménageant en Californie, s'était mis pieds et poings liés entre les mains du négrier.
Annie devint l'amie de Germaine, la femme de l'aide-pâtissier. Ni lui, ni elle ne parlant un mot de français, mon épouse devint leur interprète. Lorsqu'on connait le niveau d'anglais de celle-ci, s'était un comble. A tout moment le téléphone sonnait et Germaine appelait Annie au secours. Et chaque fois, celle-ci lâchait en hâte ce qu'elle faisait pour aller aider l'incapable.
J'avais décidé d'aller passer un week-end de ski à Squaw Valley, la station de montagne de Californie du Nord, qui avait été le site des jeux Olympiques d'hiver de 1960. Annie avait absolument voulu venir avec moi. Au dernier moment, le téléphone avait égrené son appel au secours, Germaine avait absolument besoin d'Annie, et celle-ci décida unilatéralement de remettre notre week-end aux calendes grecques pour aller lui prêter main forte.
Je lui fis un vrai pataquès, la menaçant de partir seul à la montagne. Après rapide réflexion, Annie rappela Germaine puis m'accompagna à Squaw Valley
Non mais sans blague….
Comme j'avais commencé ce paragraphe avec une phrase de Mark Twain, il était normal que je le termine identiquement :
« Il y a trois choses qu'une femme est capable de réaliser avec rien : un chapeau, une salade e une scène de ménage »