ELKGROVE AVENUE 3

Jacques Penna

L'oncle Henri


 

Ma sœur et ma mère avaient rendues visite à l'oncle Henri à Moulins.

Comme à sa bonne habitude, ce dernier les avait reçues en slip et en maillot de corps.

Car les Buisson passaient leur temps à dormir, à somnoler, à roupiller, à pioncer. Lui comme elle connaissaient tous les verbes qui figuraient la sieste permanente ; ainsi un jour ils sommeillaient, un autre jour ils faisaient une bonne ronflette, un troisième jour ils faisaient un petit dodo. Leur domicile était devenu un caveau, un ergastule, un sépulcre, une concession permanente.

A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, les volets étaient toujours fermés, le silence de mort régnait sur les lieux…. De profondis somnilibus…

Quand à Nénette, la femme d'Henri, elle prétendait ne plus pouvoir se servir de ses jambes, ce qui obligeait l'oncle à la porter partout où ils allaient, à l'aider à faire ses besoins, bref à vivre dans une fusion totale.

Tu parles d'une vie…

Parfois, Henri descendait son jardin qui jouxtait les berges de l'Allier afin d'aller taquiner le goujon. Mais il n'avait pas disparu un quart d'heure que sa moitié jérémiait à tout va.

-Henri, où es-tu, que fais-tu ?

Oh, le cauchemar…

Ceci ne semblait pas l'ennuyer, le bon oncle, car patiemment il allait au chevet de la plaignante pour la rassurer de sa présence bénéfique. Quant à leur vie sexuelle, elle tenait plutôt des derniers sacrements.

Les seuls moments où Nénette faisait l'effort de se mettre debout, c'était pour nourrir et laver Pompon, le chien qui leur tenait compagnie et qu'ils élevaient comme un enfant.

-Oh il est beau Pompon ! Je te lave le museau avec un gant de toilette… Oh il a faim Pompon…Je te nourris à la cuillère… Pauvre chien, il allait bien finir par flipper, à force.

Les Buisson n'avaient jamais eu d'enfant. Du moins entre eux deux les boutures n'avaient jamais données de bourgeons. Henri avait eu un fils d'un premier mariage qu'il avait abandonné à sa mère, sans jamais tenté de le revoir, du jour où ses deux-là s'étaient quittés, en 1945.

Nénette y était pour beaucoup dans cette décision. Elle ne supportait pas l'idée que « son bonhomme » eut pu avoir un rejeton d'une autre que d'elle-même.

Je sais fort bien que le fait de ne plus voir son rejeton « Jacky » (c'était son prénom, pas son diminutif) taraudait sérieusement Henri. Mais entre les deux époux, le sujet était tabou.

La péronnelle portait d'ailleurs, autour de son cou, un mojo qui contenait, dans son sac de flanelle, une mèche de cheveux de sa mère, sorcière notoire, et qui avait pour but de jeter des sortilèges à qui aurait osé aborder ce chapitre.

Ma mère avait rejoint son frère cadet dans la cuisine. Ce dernier nettoyait les radis qu'il venait de cueillir dans son jardin. Elle jeta un regard rapide autour d'elle et ne put s'empêcher de faire des commentaires.

-Mais, vous n'avez pas de casseroles, vous n'avez pas d'ustensiles, vous n'avez pas de poêles, vous n'avez pas de cocotte….

-On n'a pas trop l'occasion de sortir pour faire ce genre de course ! Nénette ne peut plus marcher !

-Tu parles ! Murmura ma mère.

-Tu dis ? Demanda Henri.

-Rien ! Rien ! Liliane et moi on va faire des courses !

Les deux femmes disparurent pendant plus de deux heures. Lorsqu'elles revinrent, elles avaient les bras chargées d'ustensiles de cuisine.

-Des casseroles, des cocottes minutes, des poêles, des faitouts. Mais c'est trop ! C'est trop ! S'exclama Henri, en fondant en larmes ! Qu'est-ce que vous nous avez gâtés !

-J'veux que mon p'tit frère soit dument équipé pour faire la cuisine ! Répondit ma mère.

Dans le même temps, elle lui tendit un bout de papier.

-Qu'est-ce que c'est ?

-La p'tite note ! Bien sûr ! Tu ne t'attends tout de même pas à ce que ce soit moi qui raque pour tout ça ?

Le sourire béat d'Henri s'estompa et fit place à une grimace de dépit. Il jeta un coup d'œil sur la somme et se mit à gémir.

-Dis donc ! Vous y avez été sec à la manœuvre ! Trois mille balles ! Mais c'est la peau du cul ! Vous avez dévalisé le magasin !

-En cuisine faut ce qui faut ! Tu seras gentil de me rembourser en liquide ! La maison ne fait pas crédit et ne prend pas les chèques ni les cartes de crédit.

 

 

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