ELKGROVE AVENUE 6

Jacques Penna

Première publication avant le départ pour le Nevada


Durant tous mes moments de libre, j'avais repris la plume et rédigeais un roman que je confiais à mon frère de sang Mordillat pour qu'il me donnât son avis. Il dirigeait alors les pages critiques du journal  « Libération »  et son opinion m'étais précieuse, d'autant plus que lui aussi venait de mettre le mot fin sur son premier roman « Vive la sociale ».

 

Il aima aussitôt l'histoire et nous travaillâmes ensemble à resserrer l'écriture et le rythme du roman.

 

Par son intermédiaire, je trouvais un éditeur qui me pris sous son aile et décida de me publier. Pierre Drachline, des éditions Plasma, me fit signer un contrat et l'affaire était jouée.

 

Vers la moitié de l'année 1981, mon roman était sur les étagères de la FNAC et des autres librairies importantes de Paris. Je n'en étais pas peu fier. J'allais donner un nouveau tournant à ma vie mais je savais à l'avance que mes décisions allaient créer de nouveaux heurts dans mon couple, mon épouse ne pouvant envisager ni comprendre qu'on veuille vivre une vie de bohême au détriment d'une bonne et solide carrière dans le monde du travail « sérieux ».

 

Pour elle sérieux voulait dire conforme à la masse, pour cela il fallait rentrer dans certaines cases comme celle des travailleurs portant cravate. Ce monde-là, je le haïssais de toutes mes forces et je l'avais toujours rejeté. J'étais en perpétuelle recherche de travail. Je ne gardais jamais une place très longtemps, car très vite, je tentais de faire imploser la structure qui m'hébergeait professionnellement.

 

J'adaptais le roman sous forme de scénario, puis expliquais à ma femme mes projets personnels d'avenir. Ce fut la troisième guerre mondiale. A l'époque, ma philosophie, dans ce genre d'incident, pouvait se résumer à  "Quand tu as deux solutions, choisis la troisième!" ; donc ce fut la troisième que je choisis, en m'expatriant aux Etats Unis d'Amérique. Une occasion s'était présentée, prendre la direction marketing et ventes du laboratoire Dolisos aux USA. Je sautais à pieds joints sur cette aubaine.

 

Le laboratoire était localisé à Las Vegas, dans le Nevada, car cet Etat était l'un des trois, aux USA, à avoir reconnu l'homéopathie. Il était actuellement dirigé par un pharmacien, Gerald Merguez, qui avait été collé là, après plusieurs échecs. Son poste était considéré par la haute direction comme un placard à Balai.

 

A Paris, Dufour, le chef du marketing, m'avait prévenu.

 

-Méfie-toi de Merguez, c'est un faux-cul. Il te fait des sourires tout en te plantant un couteau dans le dos !

Je prenais bonne note que l'ami Dufour n'aimait pas Merguez. Ceci allait me servir dans le futur.

-Les merguez, je me les bouffe en couscous ! Avais-je répondu au bon Dufour.

 

Contrarié par ce que m'avait dit le ci-devant nommé, je décidais de relire Sun Tzu et durant les douze heures que prenait le voyage Charles de Gaulles-L.A.X., je me plongeais dans son ouvrage « L'art de la guerre ». J'en soulignais un passage que j'apprenais par cœur.

 

« Qui connaît l'autre et se connaît lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en péril. Qui ne connaît pas l'autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite. Qui ne connaît ni l'autre ni lui-même, perdra inéluctablement toutes les batailles. Le stratège connaît l'environnement, l'autre ainsi que lui-même. La connaissance et son utilisation mène à une victoire quasi assurée. » 

 

Merguez m'avait déplié le tapis rouge, à mon arrivée à Las Vegas. Il m'avait même invité à déjeuner, chez McDonald, montrant ainsi qu'il gérait les finances du labo avec parcimonie et bon escient.

 

-D'accord pour parssimoni, c'est un gars du pays, m'aurait dit Franchi, en bon Corse, mais méfie-toi de Bonessian, on ne sait jamais avec ces arméniens… (Histoire stupide qu'il aimait me raconter en boucle).

-Tu vas voir, ici, c'est le farniente ! Me déclama le pied-noir en m'accueillant.

 

Je n'étais pas dupe, le salopard ferait tout son possible pour que je me plante. A la première occasion il ne me raterait pas. Donc, comme dans les westerns, c'était celui qui dégainait le plus vite qui remportait la mise.

 

-Oui, oui ! Fis-je en me promettant bien de faire exploser les chiffres d'affaires, et démontrer que l'autre nul s'était laissé vivre.

Comme disait Napoléon, « la meilleure défense, c'était l'attaque ».

 

Ce que j'avais cherché à éviter à tout prix, les manigances politiciennes d'entreprises, les coups sous la table, les petites combines, les magouilles, les micmacs, les intrigues de bureau me revenaient dans la poire, comme un boomerang.

A Paris, je me servais de Doillon, le directeur de la succursale pour faire remonter des informations qui mises à bout les unes des autres allait me servir de siège éjectable à l'encontre du gars Merguez.

 

 

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