ELKGROVE AVENUE 8
Jacques Penna
Le Grand Duduche, notre estimé directeur général, avait fini par péter un plomb. Depuis quelques temps, Levy, le président, était toujours sur ses endosses, le gratifiant d'un lot de critiques et d'humiliations publiques. A un point de tension précis entre les deux hommes, un sandow mental avait cédé dans la boite noire du D.G. ; déclenchant une déconnexion interhémisphérique et un dédoublement cérébral
Durant le grand symposium annuel à Montrichard, Duduche avait convoqué tout son staff dans sa chambre d'hôtel. Merguez, tout frais émoulu de l'avion L.A.X-Paris, anesthésié par 12 heures de vol, s'était rendu à l'invitation. Avec stupeur il avait trouvé son boss en train de faire ses besoins (la grosse commission), la porte des vécés grande ouverte.
-Allo ! Merguez, vous m'entendez, avait-il immédiatement crié en voyant le pied-noir et en se collant un rouleau de papier hygiénique sur l'oreille…. Il devait y avoir de la friture sur la ligne, car des bruits de débourrade intense parasitaient ses paroles.
Voilà qu'il se croyait au téléphone. Confondre une chiotte et une cabine téléphonique est un signe qui ne trompe pas et qui laisse présumer de l'étendue des dégâts mentaux dont souffrait le sujet en cause.
Je faisais la grimace et me plaçais au point le plus éloigné de la chambre car ça ne sentait pas la rose.
Il n'en avait fallu pas plus à la mère Duduche, une grande bourgeoise flétrie et pédante, pour faire interner son bonhomme.
-Dans notre monde, les fous vont à l'asile ! Avait-elle martelé à qui voulait l'entendre…
J'allais lui dire que dans celui d'Adolph, ils allaient direct au crématoire, mais je refreinais cette envie de provoquer. Duduche avait été mon ami et j'avais de la peine pour lui.
Levy, qui ne faisait confiance à personne, repris la fonction et s'installa dans le bureau du pauvre Duduche, au dernier étage de l'immeuble Beaubourg, siège social du labo.
Doillon me fit venir dans son bureau.
-Tu vas voir ! Me dit-il un sourire narquois aux commissures des lèvres.
Curieux, je le rejoignais.
-Regarde ! Me dit-il en entrouvrant sa porte.
L'immeuble comptait cinq étages. Doillon était au troisième. Deux escaliers menaient aux étages, l'un devant, l'autre derrière. Le bureau de Doillon, qui auparavant avait été celui de Merguez, jouxtait celui du Docteur Toto, le directeur médical du labo, qui nous honorait de sa présence une fois par semaine, le jeudi.
Ce jour-là, il convoquait ses maîtresses, et c'était un défilé de mode incessant, les heureuses élus venant le retrouver en empruntant l'escalier de derrière. Le palier sentait la cocotte, le bureau de Toto, le musc et les crustacés pas frais, quant à nous c'est le fou rire que nous sentions monter dans nos zygomatiques.
-Je connais ça ! Dis-je à Doillon.
-Et ça tu connais ?
Il dévoila dans le mur un œilleton qui avait été creusé à même la paroi par Merguez du temps où il occupait les lieux. Et par ce judas on pouvait visionner les bacchanales infernales qui se passaient de l'autre côté du mur.
-C'est pas un labo, c'est un lupanar et un asile de fou ! Commentais-je tout haut en regardant le bon docteur chevaucher sa conquête d'un instant, une bourgeoise B.C.B.G, comme il les aimait et qui devait faire partie de son cheptel de patiente.
-« A dada sur mon bidet, à dada prout-prout cadet », se mit à chanter Doillon en se rinçant l'œil à son tour.