Elle est revenue d'ailleurs la martingale invisible

a-rebours

Elle est revenue d'ailleurs la martingale invisible

Celle qui jadis au front soutenait mes chimères

Elle attendait, latente, sous mes plis, mes revers

Que je lui concédât qu'elle est inextinguible


Les temps avaient passé pourtant dans de semblables dissemblances

Quelques nuits d'orage et de feu, beaucoup de jours de bruine

Avaient empreint sur mon coeur quelques fragrances, moult rapines

Sans que je pus bien savoir si j'en prenais offense


Le goût des choses s'était au fur lénifié

Les peurs indistinctes n'avaient plus la saveur du sang qui s'écaille

Les plaisirs à mesure glissaient sur mes entrailles

Tandis que les maux perdaient leur gravité


Refuge désert, platitude encéphalographique

Je t'avais accueillie comme on accueille l'oasis

Après les quarante jours et les mille et une nuit

C'était le sanatorium après les flots éthyliques

La ruée pitoyable dans mes Ardennes franchies

La trouvaille du soulas dans la lie du calice


Il n'y avait plus rien à faire et plus rien à dire

Les mots des autres devaient bien à eux-mêmes se suffire

Et je leur laissais le domaine de la conscience

Moi j'ensevelissais mes profondeurs sous une couche de béton allemand

Et je jetais sur la dalle le voile impavide de mon détachement

Avec l'espoir d'en proscrire jusque la prescience


Ainsi, je me conformais à mon nouvel apophtegme 

Mes yeux se détournèrent de la ligne d'horizon

Mes coordonnées se plièrent aux lois newtoniennes

Et l'astrométrie put déterminer ma nutation


Enserrés de silence, asservis par l'hiver

Mes desseins émoussés ne franchirent plus la margelle.

Les années imprimèrent sur mes flancs leur martel

Dans un demi-repos, et un semi-calvaire


Il y eut bien des aurores hagardes

Où la perspective d'un volte face m'apparut opportune

Je m'y soustrayais en flattant ma rancune

Et travaillais à m'équarrir le péricarde


A mesure que mon pouls ralentissait

J'enveloppais mon atonie de paréidolies stoïciennes

Mon ordre à l'ordre du monde assimilé

N'en devait plus ravoir quelqu'envie olympienne 


Souvent je jouais un peu la fable du gendre idéal

J'étais rassuré que beaucoup y trouvassent des vraisemblances

Ma servitude était serviable à d'autres engeances

Et j'en retirais quelque satiété mentale


Je croyais parfois au signal qui viendrait d'une aube différente

Mais les horizons dans ma plaine se faisaient désertiques

Tout finalement se raréfiait, et mon âme abstinente

Nécrosait de ses résolutions cataleptiques


Je n'approchais plus mes semblables qu'à quatre pas de distance

Et, seulement quand le temps était clair

Mes songes  me tenaient lieu de cohérence

Et ma main seule était habilitée à extraire

A ma verge tendue quelque semence

Pour les trop longues soirées d'hiver


J'étais toujours davantage cet être empêché de lui même

Ce que j'avais cru fuir me rattrapait quand même 

Et le poids des ans commençait à me faire captif

J'attendais peut être qu'un dernier récif

Vint me dire que le fanal ne serait jamais ravivé

Et que c'était là le sens par lequel les aiguilles tournaient


Je m'attachais encor' quelque forme d'importance

Quand des nuits de hasard me menaient à des rades

Où de douces compagnies me sonnaient  l'algarade

Et me faisaient bombance


Et dans ces troquets au fort de nuits oblongues

J'allais parfois encore excaver en renforts

Quelques fragments fanés de mon ancienne faconde

Quelques restes usés de mes antiques transports


Ces revifs conquis des charges d'intempérance

Témoignaient du précaire de mon eurythmie

Quelque part j'attendais que le fil se rompit

Et que se fissurassent mes indifférences


Je ne sais pourquoi ou comment ce jour finit naître

Fut-ce mon corps me criant ses prochaines défections 

Ou je ne sais quel mot, quel visage, quelle vision

Qui bouleversa mon tensiomètre.

Des fureurs d'exister m'envahirent d'une traînée

Une partie de moi-même menaça de me vendre à l'encan

Et cela décima toutes mes digues intérieures


Alors, tous mes sens me recossèrent

Et j'étais comme innervé du monde

Pour la première fois


                              **


Qu'elle revienne encore la martingale invisible

Elle soutiendra toujours au front mes chimères

Je lui fais place au creux de mes plis et revers

Et lui concède bien qu'elle est inextinguible. 


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