EMBROUILLES SUR KAMEROON

Evelyn Dead

Une aventure de Jean-Jacques Trou Noir...

Prologue: enter Piaz Adora

Le soldat Pantérax lève son fusil mais Piaz Adora est beaucoup plus rapide. Elle lui loge un trait de laser dans le front, l'air de ne pas y penser très fort. La créature s'effondre. Piaz l'enjambe, et presse la commande du sas qui s'ouvre en chuintant.
De l'autre côté l'attendent d'autres félins humanoïdes armés jusqu'aux crocs et qui font feu, immédiatement. Piaz laisse passer la première salve. Puis elle quitte sa couverture, roule-boule dans la salle, allume un premier furieux en se redressant, évite très professionnellement les projectiles des autres timbrés en se précipitant vers un pylône de soutien qui pourra l'abriter quelques instants. Les impacts claquent tout autour de la jeune femme échevelée, mais le chargeur de son arme de poing affiche complet. Et elle n'a oublié aucune des leçons de son entrainement.
Piaz Adora, 26 ans, est fraîchement nommée Lieutenant-Colonel des Forces Françaises Inter-Spatiales. Pour ses supérieurs, qui connaissent ses qualités et l'ont vu marquer de son empreinte de nombreux théâtres de conflit, il n'y a rien d'usurpé dans cette promotion. Surgissant du pylône, elle cabriole sur cinq ou six mètres en défouraillant à outrance, jusqu'à tenir en joue le dernier Pantérax encore debout et qui a le temps d'un feulement dépité avant que sa tête ne se volatilise.
Une explosion secoue soudain le croiseur sidéral qui prend instantanément de la gîte et commence à glisser vers la planète GB 307, quelques centaines de kilomètres plus bas. Mieux vaut ne plus trop traîner et se ruer au contraire sur le premier module de sauvetage disponible. La mission s'achève de toute manière. Et par un succès.
- Emmanuel, vous me recevez ?… Manu ?
L'émetteur au poignet de Piaz Adora crachote quelques gribouillis mais une voix masculine finit par lui répondre:
- Colonel, je vous reçois cinq sur cinq !
- Quelle est votre situation, Manu ?
- Un joli pandémonium, par ici. Je me suis coltiné quelques matous mais je suis passé.
Une nouvelle explosion, plus importante, ébranle le vaisseau Pantérax,. Le sol se met à vibrer avec colère.
- Vous avez récupéré le dossier D, Colonel ? s'enquiert Emmanuel.
- Je l'ai, et je propose une évacuation immédiate. Rejoignons-nous sur le pont 16. M'est avis que ce navire n'en a plus pour très longtemps...
- Dans ce cas, en route ! Et à tout de suite !
Piaz Adora traverse la salle, laisse un autre sas derrière elle et s'élance dans un couloir bordé de larges vitres donnant sur l'Espace. Le spectacle à l'extérieur ne laisse aucun doute quant à l'issue du bordel. Plusieurs corvettes Pantérax volettent autour du gros croiseur en l'arrosant de leurs plus féroces torpilles à photons. Alertés de l'espionnage en cours, les félins préfèrent visiblement détruire le dossier D plutôt que le voir filer dans la besace de l'ennemi. Le temps est vraiment compté.
Le Colonel Adora accélère sa course. Une vingtaine de mètres plus loin, le couloir fait un coude à droite, après lequel on devrait normalement tomber sur un ascenseur desservant le pont 16. Mais c'est un énorme Pantérax qui surgit tout à coup, armé d'un désintégrateur moléculaire. La jeune femme, emportée par son élan, n'a guère le temps de corriger sa trajectoire. Elle rentre proprement dans le lard du tigre, et chute avec lui. Par malheur, l'humanoïde à fourrure se relève le premier, écumant de rage. Hurlant comme un lunatique angoissé, il baisse la gueule surdimensionnée de son arrosoir vers son adversaire toujours au sol et presse la détente ! Mais rien ne se passe, parce que l'arme s'est enrayée, ou quelque chose comme ça.
Piaz Adora s'en voudrait presque d'une chance aussi scandaleuse, mais ce sentiment ne vit qu'une seconde de plus que le gros chat sur lequel elle vide une bonne part de son chargeur. Se relevant, elle prend un moment pour retrouver son souffle et essuyer son front ruisselant. Le sang bat à ses tempes, il s'en est fallu de très peu, cette fois-ci. De presque rien. Mais pas de place au doute ! Le Colonel se reprend, rejoint l'ascenseur en trois enjambées et met le pied deux minutes plus tard sur le pont 16. Ce qui l'attend là-bas ne lui fait pas vraiment plaisir.
« Oh, mais que vois-je ? Qui nous rejoint à cette heure étrange et compte bien profiter d'une navette de sauvetage ? »
Merde, laisse tomber la jeune femme.
Et dans ce « merde », il y a toute son analyse professionnelle de la situation. Une douzaine de gros Pantérax armés et furieux (la queue est hérissée, les oreilles sont couchées sur le crâne), lui font face, encadrant l'un de leur congénère encore un peu plus costaud: une brute au regard particulièrement vicieux, et qui est armée elle aussi. Surtout, ce gros chat n'est pas un inconnu. Celui-là est mauvais comme la pire des pestes et il a un nom: Arkhill Brantax. Dans la hiérarchie Pantérax, c'est une huile, un mogul. Un pâté de tête. Piaz connait par coeur tous ses états de services, et lui aussi laisse des traces, partout où il va. Des traces rouge sang. C'est que ce Brantax est un fieffé coquin, une horrible créature, responsable tout au long des deux décennies écoulées de dégâts humains considérables. L'État français a souvent rêvé d'épingler sa fourrure, une bonne fois pour toute.
Le Colonel Piaz Adora ignorait que Brantax se trouvait à bord. Elle songe un instant que river son dernier clou à l'infâme constituerait un bonus inespéré à sa mission initiale. En même temps, rien ne sera moins facile. Clairement, la jeune femme n'a pas l'avantage, et quand bien même. Le temps manque, le navire sombre très vite…


1. JJTN en a gros.

« Bon alors, résumons… »
Jean-Jacques Trou Noir lâche dans un verre une immense capsule effervescente, et se perd instantanément dans la contemplation des bulles qui filent vers la surface pour y crever dans un long prouschhhhhhhh complètement somnifère.
Et soudain il revient à lui, dans un petit sursaut.
« Parce que j'ai pas tout compris. Ou plutôt, j'ai peur d'avoir tout saisi. »
La scène se passe dans la grande cuisine du Maracuja, tandis que le majestueux vaisseau croise en silence au large de Xeilatlol-426, dite la « Paresseuse ». Trou Noir, une migraine atomique entre les deux orbites, s'est assis en bout de table. Face à lui, de gauche à droite, une belle brochette d'incapables.
Cassiopée, quinze ans, stagiaire pirate. Résolument volontaire et que peu de choses effarouchent jusque là. À ses côtés, Lila, la plante masseuse, sorte de mascotte fièrement dressée entre ses deux tuteurs, plantée dans un pot aéro-glisseur mais qui fait pas la fière, en fait. Pas aujourd'hui. Aujourd'hui, ses nombreux bourgeons fixent le sol, et c'est pas par manque de flotte. Vient ensuite Turbine, le petit dernier: une espèce de génie de la poil à frire. Un poil taiseux mais gravement bon cuisinier et c'est pour ça qu'il est là, du haut de ses vingt-et-un ans. Pour faire le coq. Trou Noir fronce les yeux en le dévisageant, c'est moi ou il bave un peu, cet abruti…?
Et enfin Mathilda, censément l'adulte de la brochette. Une intelligence artificielle qui tient d'habitude dans une clé usb, mais qui ces temps-ci s'est enchâssée dans une armure au formes fuselées, très féminines. Elle est la partenaire du Capitaine, depuis les premiers jours. Et c'est à elle, tout à fait naturellement, qu'il a confié en son absence la responsabilité du navire. L'androïde baisse la tête, comme les autres.
« Donc, je vous laisse une petite semaine, histoire de souffler un peu, et de me dorer la pilule au bord de la mer, je vous laisse avec l'ordre express de ne toucher à rien, de ne RIEN tenter qui soit bizarre, même de très loin, et qu'est-ce que je vois, à mon retour ?!? »

Deux jours plus tôt…

Lila, affolée, qui dévale les coursives du Maracuja jusqu'à une large baie vitrée donnant sur l'univers. Dehors, à quelques encablures par tribord, un énorme galion de commerce se disloque dans un éclair d'or.
- Oh mon Dieu, oh mon Dieu…! gémit la belle plante en plissant ce qui lui sert de paupières.

Un peu plus tard, dans la cale du bateau pirate, Turbine et Cassiopée finissent de compter les caisses de marchandises qui composent leur butin. La gamine, à genoux, lève les bras en l'air en signe de victoire:
- Vingt-sept ! hurle-t-elle surexcitée. Wouahou !
- Tu sais que vous avez eu de la chance sur ce coup-là, remarque Mathilda en s'accroupissant près de sa stagiaire. Je pensais pas qu'ils iraient jusqu'à s'autodétruire. Vous avez mis des plombes à sortir du galion, j'ai bien cru que vous étiez cuits.
Turbine renifle:
- Ouais bon... On est toujours là, c'est ce qui compte.
- Et qu'est-ce qu'y a dans les caisses ? interroge Cassiopée, que son premier abordage transporte au bord de l'extase.
- Ça, on va le savoir tout de suite, lui répond Mathilda en exhibant un superbe scanner de poche, format carte de crédit.
Elle pointe le scanner vers la caisse la plus proche et presse un bouton minuscule. L'appareil vibre en grondant doucement (ou l'inverse), et au bout de quelques secondes affiche une information que Mathilda s'empresse de découvrir.
- Merde, c'est pas vrai...
Cassiopée, au bord de l'hystérie :
- Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est ???
- Des lamprosites, fait Mathilda.
Turbine renifle à nouveau, un peu plus fort que tout à l'heure. Avant de confirmer que « c'est la merde. » Le regard de Cassiopée passe de l'un à l'autre de ses partenaires.
- C'est quoi, des lamprosites ? demande la gamine, folle d'impatience et de curiosité.
Mathilda fait le tour de l'amoncellement de caisses. Elle laisse glisser ses doigts d'adamantium sur les couvercles parfaitement scellés.
- Il faut qu'on s'en débarrasse, fissa.
- Est-ce que quelqu'un va m'expliquer ce qu'il y a dans ces caisses de merde, MERDE ?!?
Mathilda se retourne en fronçant les sourcils.
Surveille ton langage, jeune fille ! Les lamprosites, c'est… c'est des espèces de boules de poils, rigolotes de prime abord mais très envahissantes, et qui se reproduisent très vite.
La bouche de Cassiopée dessine un joli O muet.
- Ça porte malheur d'en avoir à bord, ajoute Turbine.
- C'est une vieille superstition, continue Mathilda.
Sourde à ces deux précisions, la jeune stagiaire pirate pose à son tour ses mains sur l'une des caisses. Son visage s'est éclairé, comme devant une énorme pochette surprise.
- Je peux en voir un ? supplie-t-elle.
- Certainement pas ! lui rétorque Mathilda. Il est hors de question de les laisser se balader partout. Tu ne sais pas quel fléau ça peut devenir. Non, non, on va foutre tout ça dehors !
Cassiopée croise les bras sur sa poitrine. Sa nuque et son visage rougissent tout à coup, violemment. Bouillant littéralement à l'intérieur, la gamine se met à haleter. Turbine, qu'une précédente expérience a bien échaudé, recule de quelques pas.
- MAIS C'EST MON ABORDAGE ! C'EST MA PRISE !!! explose tout à coup la jeune fille.
- Dis donc ! la reprend Mathilda.
- Je trouve ça dégueulasse !!! insiste Cassiopée. Et en attendant, les types à qui on les a volés, y z'avaient pas l'air très superstitieux, eux.
Mathilda décide de hausser le ton:
- Je te dis qu'on va jeter ces caisses par dessus bord, et puis c'est tout ! Non mais !!
Turbine renifle alors une troisième fois, et ce qu'il ramène de son nez à sa gorge fait un tel raffut glavioteux que la tension retombe à la seconde, remplacée par un énorme écoeurement. Mathilda le regarde, atterrée.
Turbine, sans déconner…
Y a peut-être une autre solution, fait l'enrhumé. Faudrait voir avec le Capitaine.

De retour dans la cuisine.
Le Capitaine, d'une voix lugubre: « Bande de crétins… » La migraine tape fort dans son crâne, mais on peut espérer que d'ici peu, le cachet fera effet.
- Pour résumer, reprend Trou Noir. Profitant de mon absence, et passant outre mes ordres, vous vous livrez à la piraterie la plus crasse sans tenir compte des règles les plus élémentaires, au premier rang desquelles, j'ouvre les guillemets: « si l'on ignore tout de la marchandise du bateau qu'on aborde, TOUJOURS scanner ses soutes, avant toute chose ». On est bon, jusque là ?
Silence coupable, à l'autre bout de la table.
- En conséquence de quoi, continue-je, vous ramenez à mon bord une cargaison dangereuse et redoutée, pour peu que l'on soit à cheval sur la tradition, et un poil superstitieux. Il se trouve que JE SUIS SUPERSTITIEUX !!! (Et vlan !, un franc coup sur la table, du plat de la main, le verre d'aspirine en sursaute et manque se renverser.)
JJTN ferme les yeux. Il prend une large inspiration, expire lentement d'un filet d'air entre ses lèvres, se calme, en apparence, avant de poursuivre:
- Et au lieu de vous débarrasser de cette maudite encombrance, vous gardez tout au chaud dans ma cale de mon navire, parce que toi, Turbine, tu as un plan. J'ai bon, toujours ? (Le Capitaine fixe maintenant la petite rouquine, mortifiée.) Cassiopée, après ce coup d'éclat, ça sent pas bon pour ta note de stage, crois-moi. Mathilda, tu m'as déçu, je sais pas le dire autrement. Lila, tu perds tes feuilles. Quant à toi, le coq…
- Les Sulvaniens ! le coupe Turbine avec audace. Les Sulvaniens, Capitaine ! On sait pas trop ce qu'ils en font, mais on sait  qu'ils rachètent à prix d'or tous les lamprosites qu'ils peuvent dégoter ! Vu ce qu'on a en cale, il y a une fortune à se faire, c'est certain. Toujours mieux que tout jeter dehors, non ? C'est mon plan, Capitaine !
Le jeune cuistot a lâché sa tirade comme une rafale, il en est rouge de trac. Trou Noir, dont le mal de crâne commence à refluer, le cloue du regard durant de longues secondes. Le pirate se livre à un rapide calcul mental, sur la base d'aucun chiffre précis, et prend sa décision.
« Quant à toi, le coq, j'aime ton style. »

                                              ***

JJTN à la barre de son navire, concentré. Le paisible Maracuja dérive dans le vide stellaire, au large des Deux Cousines, superbes planètes jumelles d'un rose de nacre. Le Capitaine pianote sur un clavier, à la recherche du meilleur taux d'échange pour sa cargaison de bestioles. Le programme sonde des plougiga-octets de données, avant d'afficher une liste décroissante de places adéquates, où l'on n'est pas regardant sur la provenance de la marchandise, ni sur l'allure des vendeurs. Le nom des planètes est marqué en gras. L'un de ces noms joue une petite musique dans l'esprit dans l'esprit de Trou Noir.
- Kameroon, se murmure-t-il à lui-même. Et ben voilà...
Quelques instants plus tard, le Maracuja modifie son cap, et Mathilda hisse la grand voile, d'une certaine manière.

2. JJTN s'amarre.

Au réveil, Jean-Jacques Trou Noir n'est pas exactement le foudre de guerre que ses ennemis ont appris à craindre. Encore moins ce matin-là, comme les excès de rhum de la veille se font sentir avec une présence peu commune. Devant sa glace, le pirate peine à soulever ses paupières. À tâtons, il trouve sa brosse à dent, son tube de dentifrice, et sent tout à coup quelque chose grimper le long de son dos jusqu'à son épaule.
- Dhaaaah !!!.... sursaute-t-il.
Dans le reflet du miroir, et qui le dévisage, une petite peluche blanche au crâne minuscule surmonté d'une unique oreille longue et rose. Le Capitaine voit rouge.
- Ah non, merde ! s'écrie-t-il, et il chope l'inoffensive créature qui se défend mollement en battant l'air de ses griffes translucides. Mathilda !
La voix ouatée de l'intelligence artificielle, qui en plus d'être son assistante est aussi l'ordinateur de bord du Maracuja (par un système compliqué de jumelage), lui parvient à travers de minuscules haut-parleurs dissimulés dans le faux plafond.
- Bonjour, capitaine.
- Ouais, c'est ça, fait Trou Noir, mauvais. Ben, tu réveilles la gamine et tu lui dis que j'en ai trouvé une autre. Et tu lui dis aussi qu'elle a intérêt à TOUTES les avoir réunies d'ici ce soir, je veux plus voir traîner ces machins partout. Et je veux plus jamais QU'ON ME DÉSOBÉISSE !!!
- Bien, capitaine.
- Et c'est Capitaine ! Avec un C majuscule, fuck !!!

En début de soirée, le Maracuja descend lentement dans l'atmosphère kameroonéane. Un glisseur de maintenance artisanal se porte à sa rencontre.
- Un coup de main pour l'approche finale, Monsieur ? demande une voix féminine.
- Merci, je connais par cœur, répond Trou Noir.
- Ok. Sinon, j'ai des fruits, des légumes, du rhum...
- Non, c'est bon, promis.
- Je fais le service des ordures aussi.
- NON, C'EST BON ! PROMIS !
- Oh, dis donc, hé ho ! On peut rester poli, quand même. Abruti !
Le glisseur décroche dans un sifflement vexé et remonte vers d'autres clients. Le Maracuja, lui, pique du nez, donne de la bride, peaufine son alignement. La carlingue vibre, Cassiopée se cramponne aux bras de son siège. Elle est aux anges, et à quinze ans, l'expression n'est pas encore galvaudée. Après des semaines d'espace profond, trop sombre et monotone à son goût, l'imminence d'une planète peuplée et de sa capitale, ça lui fait comme un miracle, un Noël. Ses pupilles gourmandes dansent au rythme des lumières qui tressautent et grossissent de l'autre côté des baies vitrées de la cabine de pilotage. Zantibo, la capitale de Kameroon n'est pas très grande, mais elle est pleine comme un oeuf de distractions, de trésors, de magie pure pour une enfant qui n'en a pas encore beaucoup vu.
Une heure plus tard, son bateau solidement amarré à l'un des nombreux corps morts de l'astroport, JJTN a réuni sa team pour un ultime briefing avant le débarquement.
« S'il y en a parmi vous qui se sont posés la question, et même si en fait vous vous en foutez, la réponse est oui. J'ai quelques ardoises à Kameroon. Il est possible que je n'aie pas laissé que des bons souvenirs, alors tout ça, c'est du passé, mais quand même. On va adopter une approche de type low profile, ça vous parle ? Pas de vague. Pas de hissage de couleurs. C'est pseudonymes et compagnie, on entre, on sort. Vous me laissez gérer les détails. Cassiopée, Turbine, vous prenez ça comme quelques jours de vacances. Vous voyez ? Je suis pas rancunier. Turbine, tu as l'âge, tu fais ta vie, on se fait un point tous les soirs. Juste, tu ne quittes pas la capitale. »
Trou Noir pointe du doigt la benjamine du groupe.
- Gamine, tu joueras ma petite fille, je ferai ton papa (Cassiopée lui jette un regard dans lequel passent tout un tas de sentiments contradictoires). Tu restes avec moi, tu me colles aux basques, et dès que je te lâche la bride au coup, tu en profites. Filez, maintenant ! Allez préparer vos paquetages, on se retrouve dans une demi-heure sur le pont de débarquement. Allez, ouste ! »
Turbine et Cassiopée détalent, Trou Noir retient Mathilda un instant:
- Comment tu te sens dans ce truc ? s'inquiète-t-il.
L'androïde lève ses mains de métal et les regarde, comme si elle les découvrait pour la première fois.
- J'ai déjà été incarnée, tu te souviens ? Écoute, ce truc est pas mal. Assez polyvalent, assez confortable. Et puis, ça change. J'ai jamais rien eu contre l'idée de me dégourdir les jambes, et ça faisait longtemps, alors tu as bien fait. Merci, Capitaine, fait-elle dans un sourire.
- De rien, Fille. Il y a un autre avantage, c'est que personne ici ne te connait dans ce machin. Tu passeras inaperçue, ça veut dire que tu peux descendre avec nous et surveiller nos arrières.
- Parfait pour moi.
- Va faire chauffer l'annexe.
Mathilda hoche la tête avant de quitter la pièce. Trou Noir la regarde s'éloigner, vaguement troublé par le roulis des hanches métalliques sur lesquelles brillent en s'y réfléchissant les plafonniers ronds.

Trente minutes plus tard, tout le monde pose un pied dans l'annexe et l'on dit au revoir à Lila, lui promettant de lui ramener un souvenir. L'annexe s'élève dans les airs, s'arrache à vitesse lente du pont de débarquement du Maracuja. On se tasse dans le petit appareil. Turbine a mis juste un peu trop d'eau de toilette, Mathilda en plaisante et fait s'esclaffer la galerie. Cassiopée serre contre elle son baluchon. Elle rigole aussi mais très vite son attention est attirée par le hublot de gauche. Les lueurs de Zantibo, en bas, l'intriguent et l'appellent. Son coeur de gamine en fait un raffut du diable dans sa poitrine. Elle a peur, elle a envie. Elle se demande ce qui les attend, là-bas. À quoi ça va ressembler.
 Trou Noir oriente le museau trapu de son engin vers le sol, et fait siffler les propulseurs. La soudaine prise de vitesse repousse les passagers contre le dossier de leurs sièges.
- N'oubliez pas une chose, tout le monde, professe le Capitaine. Les Kamerooneans sont beaucoup plus intelligents et futés que nous autres humains. Ne les prenez jamais pour des idiots, ne jouez pas aux plus malins. En plus d'eux vous allez croiser d'autres types, des bizarres, des louches, et d'autres pirates. Ne jouez pas aux plus malins.
- On descend où ? demande Cassiopée.
- À l'Hôtel Ivoire, fillette. C'est pas un quatre étoiles mais dans mon souvenir, ça n'était pas si mal. Et tu vas aimer: je te laisse ta soirée. Chacun pour soi. Au moindre soucis, tu sonnes. Sinon, on se retrouve demain au petit-déj. T'as pris ton appareil photo ?
- Tu m'étonnes ! Je vais faire des milliards de clichés !...
Le Capitaine sourit et s'en revient à ses manoeuvres. La bonhommie naturelle de JJTN est reparue au galop. Il ne tient aucune rigueur à son équipage pour le malencontreux abordage d'il y a quelques jours. « Tout ça tombe finalement très bien », se dit-il. Un peu de tourisme à terre leur fera le plus grand bien, au bout d'un deal qui s'annonce simple et lucratif. Cassiopée a appris une leçon de plus, quant à Turbine, le nouveau, il a marqué des points de par son sens de l'à propos. Tout va bien se passer. La vie est belle.
L'annexe réduit son altitude. Dans les yeux de Cassiopée, les néons de la ville sont maintenant énormes et multicolores.


3. JJTN joue et renoue.

L'hôtel a perdu en qualité, depuis la dernière fois. Devant les mines circonspectes de sa stagiaire et de son jeune cuisinier, Trou Noir est bien obligé de l'admettre. Ce qui n'a pas changé, en revanche, c'est le sens commercial du manager, qui sait pallier les défaillances de son établissement en misant énormément sur le personnel. La kameroonéane, derrière le desk, est d'une beauté renversante. Et c'est d'une voix tout à l'unisson, enjouée et sensuelle, qu'elle énonce le numéro des chambres en leur tendant trois clés patinées par les saisons. Trou Noir se perd plus d'un instant dans les reflets mordorés d'un regard dessiné pour tuer, avant que Cassiopée ne le ramène sur Terre, d'un coup de coude dans les côtes.
Laissant la stagiaire et le rôtisseur à leurs étages respectifs, le Capitaine rappelle l'ascenseur et grimpe jusqu'au sien.
La chambre est très bien, malgré les quelques craintes que l'on nourrît. On jette sa valise sur son lit, s'étire, fait quelques pas jusqu'aux fenêtres. S'oublie de longues minutes dans la contemplation d'une lagune noire aux contours faiblement éclairés par de trop rares lampadaires, et qui s'étend sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés sans être la plus large de ces trouées d'eau qui poinçonnent la ville sur toute sa superficie. L'Hôtel Ivoire a peut-être perdu de sa superbe, mais la vue à elle seule mérite toujours le déplacement.
Ceci dit, business first. Trou Noir récupère son cube Phonix, aveugle l'i.p. et compose un numéro. Au bout de la ligne, un autre cube sonne. Trou Noir attend la troisième sonnerie avant de raccrocher. Si ce code enfantin est toujours valable, on le rappellera vite. Le pirate entreprend ensuite de se déshabiller. La nuit est chaude, sauvage, et belle pour ses otages. Une douche brûlante, une douche glacée, et zaï !

Une mélancolie inattendue fond sur lui, comme il termine de s'habiller pour la soirée. La climatisation ronronne, rassurante. Un très discret parfum de jasmin monte de quelque part.
Kameroon est une petite planète de l'archipel des Purpurines. Ce n'est pas comme si les lois relatives au commerce galactique y étaient totalement méprisées, disons plutôt qu'ici on s'en arrange suivant la vitesse du vent, sa direction... Kameroon est l'une de ces places d'échange, de troc, de trafics qu'il a toujours été vain d'essayer de règlementer. Et pour tout dire, la planète étant sans réelle influence sur le reste de l'univers, tout le monde s'en contrefout. Il y a des choses plus graves que le recel de marchandise volée. Sauf si c'est la vôtre, on est d'accord.
« Où est ce fichu mini-bar ? » s'agace Trou Noir sans vraie raison. Apostrophant l'ordinateur de chambre :
- Peut-on se faire monter quelque chose à boire ?
- Mais certainement, Monsieur.
- Bravo, c'est ça ?
- Tout à fait, Monsieur.
- Une vodka citron, Bravo. Glacée. C'est possible ?
- Mais tout à fait, Monsieur.
- Bravo !
- Monsieur ?
- Hein ?
- ...

Chaque fin de semaine est célébrée, sur Kameroon, et d'une manière gentiment décomplexée. Au crépuscule, les rues mal pavées se remplissent de piétons hilares et alcoolisés qui vont tanguer rapidement autour des nombreuses sonos artisanales posées un peu partout, au petit bonheur. La bande originale de la fiesta est un brouet musical sans repos, parfaitement agressif aux tympans exogènes.
Repoussant avec plus de vigueur que nécessaire un autochtone pressé de lui vendre quelque chose de vivant et d'agité (de quoi s'agit-il exactement ?), Trou Noir constate que son agacement du début de soirée ne l'a pas quitté. Ce n'est pas le meilleur sentiment à éprouver, quelques minutes avant de rejoindre une table de crépole, mais on fait avec ce qu'on a, comme on dit. Le Capitaine déambule dans les ruelles bondées du quartier du Plateau, contigu au centre-ville, et finit par repérer l'enseigne lumineuse parfaitement inoffensive derrière laquelle se cache un club clandestin dont il espérait qu'il fût toujours là. Jouant des coudes, il traverse la rue et s'engouffre dans le magasin de literie étonnement ouvert à cette heure-ci de la soirée.

                                              ***

Le joueur à écailles prend le temps de commander une nouvelle coupe, de se la faire servir et de la vider à demi, avant de tendre ce qui lui tient lieu de main vers l'éventail de cartes devant lui. La créature en choisit une qu'elle fait lentement glisser vers son voisin de droite, tandis que la salle toute entière retient son souffle.
Ne rien déduire de ce geste en apparence sans conséquence. Les règles de la crépole étant d'une complexité frôlant l'abstraction mathématique. C'en est au point qu'une légende tenace court dans tous les tripots de la galaxie: Antis Padigua, le fameux champion interstellaire, aurait mené la carrière que l'on sait sans une seule fois comprendre le jeu qui le rendait célèbre (et très riche). Sans doute est-ce exagéré. Toujours est-il que lorsque le joueur au complet pourpre assis à sa gauche retourne la carte que vient de lui choisir JJTN, et que cette carte est noire, il met un certain temps à saisir la portée du mouvement. On pourrait même affirmer que c'est le murmure épouvanté des spectateurs de la partie qui met tout à fait la puce à l'une de ses nombreuses oreilles.
Quoi qu'il en soit, le perdant va pour dégainer, le regard planté dans celui de son adversaire. Mais quand la chance vous boude... L'un de ses appendices ne s'est même pas refermé sur la crosse de son revolver qu'un rayon vert frappe déjà son front, grillant des milliards de neurones sans espoir de retour.
Quelques applaudissements fusent. Tandis que les officiers de table embarquent le cadavre flasque en signalant la fin de la partie, Trou Noir rengaine avant de se pencher pour ramener à lui les jetons brillants : un joli pactole qui ne lui fait rien regretter de cette soirée off. Tout autour, la tension retombe et la salle reprend vie, après cette manche disputée sans merci.
Sa voisine de droite, joueuse experte, un poil trop orgueilleuse mais splendide humanoïde (et qui ne repart pas bredouille, elle non plus), se tourne vers le vainqueur pour le féliciter.
- Une partie remarquable...
Trou Noir répond d'un sourire.
- Accepteriez-vous un verre ? demande la femme.
Le pirate termine d'empocher son dû avant de tendre le revolver à l'armurier-croupier, ainsi qu'un pourboire adéquat. Il se lève de la table et prend un air désolé.
- Écoutez, n'en prenez surtout pas ombrage. En temps normal, je n'aurais espéré mieux que partager un peu de votre temps. Mais cette soirée me laisse sur les genoux, et je déteste décevoir.
La joueuse ne cherche pas à cacher sa frustration. Le Capitaine s'éloigne pourtant.

« Monsieur, permettez-moi de vous dire que j'ai rarement vu un humain maîtriser avec autant de brio les règles de la crépole. Elles sont réputées pour leur caractère abscons, et il faut en général des années de pratique avant de pouvoir prétendre à un tournoi. Quant à le remporter… »
Le Xarxien exagère l'onctuosité naturelle de ceux de sa race. Il meuble, et je m'en passerais bien. Lui et moi patientons depuis plusieurs minutes dans un petit salon, attendant deux choses: une confirmation par les assesseurs que je n'ai pas triché, et la livraison de mes gains, en gruirkts républicains. Une somme rondelette, qui paiera plus que les frais de cette équipée.
Un panneau coulisse dans l'un des quatre murs de la pièce, et un immense Volture apparait, qui n'a visiblement pas choisi la bonne taille de costume. L'ensemble, haut, bas et chaussures, parait sur le point de craquer de partout. Le Volture s'approche du Xarxien et se penche à son oreille. Je ne perçois qu'un murmure inintelligible, mais pas une once d'inquiétude ne me souille. Je n'ai pas triché.
Le Xarxien écoute attentivement avant de hocher la tête, gravement. D'un geste, il congédie le Volture avant de revenir à moi.
- Et bien, Monsieur Phillibert…
La créature enfonce deux mains dans les poches de son smoking tandis que le troisième bras s'étire pour permettre à la troisième main de venir toquer à un autre panneau coulissant.
- Notre guichetier vous attend, prêt à vous remettre le montant de vos gains. Pour ma part, je vous abandonne ici. Je gage que vous avez passé une excellente soirée. Peut-être, à bientôt ?
Le panneau glisse vers une autre pièce. Nous nous levons ensemble de nos sièges.
- Avant de nous quitter, dit-je, voudriez-vous connaitre mon secret ?
Les Xarxiens sont aussi curieux qu'ils sont polis. Celui que j'ai en face de moi ouvre des yeux comme des soucoupes (trois). Baissant la voix et me penchant légèrement, j'avoue:
- Moi non plus, je n'ai jamais compris les règles de ce foutu jeu.
Et je conclus de mon plus large sourire, avant de le quitter.

                                             ***

La crépole m'a entraîné tard dans la nuit. Le quartier a maintenant désempli. Ne restent plus à trébucher sur les trottoirs que les soulards réguliers pour qui chaque soir est un vendredi soir. L'esprit vaguement cotonneux, le cœur nappé d'un blues léger mais tenace, tel que je me connais, j'engage mes pas en direction d'une station de taxis. Une pluie molle et tiède se met à tomber. Les ruelles que j'arpente sont bientôt toutes huileuses sous l'éclairage artificiel, et malgré l'heure, je ne me résous pas à laisser tomber cette journée. D'autant qu'il me vient tout à coup une idée absolument stupide. Et comme souvent, cette idée-là étincelle dans mon crâne comme un fichu Graal. J'imagine que rien ne change.
Je marche une bonne demi-heure vers le nord. Trempé, je finis par atteindre l'embouchure d'une impasse étroite qui au premier coup d'oeil n'a pas non plus bougé, depuis ma dernière visite. Au fond de l'impasse, deux portes se font face. C'est celle de gauche qui m'intéresse. La pluie ne ralentit pas, je sens les gouttes glisser le long de mon nez. Tu repasseras, pour une meilleure impression…
Je tape. Deux coups, puis deux coups, puis deux autres. Un autre code. J'attends. Un grondement enfle depuis la rue, à l'entrée de l'impasse. Je vois passer un Dinosaure de marque 4, une vraie antiquité. Le mastodonte de métal a très certainement terminé son service, il doit se traîner jusqu'à son dépôt, à l'autre bout de la ville. Le bruit d'un verrou que l'on tire. La porte s'ouvre et derrière, il y a Vigdis Andreassen, je crois que je l'ai tirée du lit. Je lui souris. Je dois avoir l'air le plus con du monde. Elle ne montre aucune surprise. Son regard ensommeillé est aussi glacial qu'il y a cinq ans. Mais je ne sais pas voir ce genre de choses.
- Vig ? je fais, et mon sourire s'étire un peu plus.
Elle sourit elle aussi, et même, elle a un petit rire, comme un hoquet. Et puis elle ouvre la porte en grand et me décoche une droite qui me cueille sous la pommette. Vache, j'avais oublié cette puissance, c'était très séduisant, à l'époque. Elle suit d'une gauche, dans le ventre, je me plie en deux, le souffle coupé, et elle me termine d'un coup sur la tempe. Noir.

Quand je rouvre les yeux, ma première pensée est pour me demander combien de temps je suis resté out. Douleur et pluie. Je me redresse avec peine mais je reste assis le temps de bien reprendre mes esprits. Et puis je me relève. Je remonte l'impasse, jette un oeil à ma montre. Le cadran me montre qu'il est temps que je rentre au dépôt, moi aussi.
En chemin, je sens la bosse cuire sur le côté de mon crâne, là où elle a touché. Ses phalanges m'ont coupé, aussi, au dessus de la joue. J'essaie de ne pas trop y penser. J'ai voulu tester ma connerie, le test est positif. Qu'est-que j'imaginais ? L'hôtel n'est plus très loin quand je remarque enfin que je suis suivi. Les rues que j'emprunte sont vides et sombres depuis un bon moment. La pluie a cessé, en revanche. C'est toujours ça. Je ralentis mes pas. Les gruirkts gagnés à la crépole pèsent lourd dans mes poches. Ok. Je me retourne, ils sont trois. Visages masqués, vêtements noirs, style uniforme, portés près du corps. Humains, je dirais. Jeunes, athlétiques. À leurs postures, à leur manière de se placer les uns par rapport aux autres, je peux ajouter qu'ils sont entrainés et qu'ils ont sans doute l'habitude de faire ça ensemble. Ça ne sent pas le gang de rue. Pas sûr qu'ils en veuillent à ma thune, et ce n'est pas une bonne nouvelle. Je me lance.
- Ok. Euh… Messieurs ? Qui parle d'abord ? Vous ? Moi ? Ou on parle pas ? On tire ?
L'un des trois zigotos, celui du milieu, fait un pas en avant et a l'air de vouloir me prendre aux mots. Un pistolet se matérialise dans sa main droite, qu'il lève vers moi.
- Merde, mec, je le préviens. Fais gaffe à ce que tu vas faire.
Avant que le bonhomme n'ait eut le temps de presser la détente, les deux types à ses côtés s'effondrent. Ils ne font pas beaucoup de bruit en tombant, mais ce qui les a abattus n'en a fait aucun.
Pistolet-man regarde ses copains sur le sol, et comme prévu, ça lui coupe l'envie d'insister. Il se retourne pour décamper mais il y a Mathilda derrière lui, et je ne crois pas vous avoir encore montré à quel point Mathilda peut être dangereuse quand il y va de ma vie (ou de la sienne, d'ailleurs). Surtout quand elle n'est plus dans sa clé usb. Bref. Mathilda plaque sans prévenir ses deux mains d'acier sur les oreilles de mon assaillant, et tire. Elle lui arrache la tête, si vous voulez. Ce bruit-là n'est pas terrible, mais on s'y habitue.
Je la rejoins d'une enjambée.
- Tu étais là, tout ce temps ? je demande alarmé.
- Pourquoi ? Tu me paies pas pour ça, Capitaine ?
- Non, je veux dire… Tu as vu ce qui s'est passé, devant chez Vig ?
- Écoute, tes conneries avec cette nana, ça m'est toujours passé au dessus de la tête. Tu fais bien ce que tu veux, mais tu as remarqué qu'on vient d'essayer de t'assassiner ?
J'acquiesce et vais me pencher un peu sur les macchabées tout de noir vêtus. Des pros. Bien morts, mais des pros. Rien dans les poches, aucun signe distinctif sinon leur tenue. Chacun la même arme, et plutôt du vilain calibre. Définitivement pas de la délinquance.
Je reviens vers mon androïde préféré.
- On rentre à l'hôtel, on voit ça demain. Ok ? J'ai ma dose.

Suivi de Mathilda, Trou Noir avance à travers le hall en direction du comptoir.
- La 726, s'il vous plait.
Miss Galaxie derrière le desk récupère la clé et la lui tend, en même temps qu'une boite de taille moyenne parfaitement emballée.
- On a livré ça pour vous, Monsieur, il y a tout juste une heure.
Méfiance et circonspection. Mathilda s'est approchée. Trois paires d'yeux baissées sur le même cube de plasti-craft. Trou Noir hésite devant la boite, suffisamment longtemps pour que la jolie concierge lui propose d'intervenir avec une paire de ciseau.
Le couvercle saute et révèle une carte de crépole toute noire engluée dans le sang qui a coulé des deux oreilles et de la langue fraîchement désolidarisées du reste de quelqu'un. La très jolie concierge a un mouvement de recul, une main sur les lèvres pour étouffer un cri. Trou Noir soupire, épuisé, et commande un morning call.

Au même moment, à bord du Jacques-Chirac…

L'énorme destroyer ventru, siège des Forces Françaises Inter-Spatiales. En orbite stationnaire autour de Châlons, le satellite français de Terra-Bis.
Deux jours plus tôt.

Le Commandant Olivier Roelens, d'une main nerveuse pianote sur son bureau. De l'autre main, il joue avec son Bic noir. Un clignotement sur la console devant lui, suivi d'un ding ! ouaté. Il presse un bouton:
- J'écoute.
- Commandant, lui répond une voix épaisse, elle vient d'arriver.
Roelens coupe la communication, empoche son Bic et sort de son bureau.

Elle l'a sentie à l'affût toute la sainte journée. Il est à présent vingt heures passées et la voilà qui se décide enfin à pointer le bout de son maudit museau.
Celle-là sera coriace. Difficile à amadouer. Et compte tenu des circonstances, il n'est pas question de louvoyer. Si la douleur grimpe trop vite, on filera voir le docteur Durteste et on demandera une injection. Pour l'heure, L'Amirale Marion Subotal s'administre quatre dosettes d'une poudre blanche qu'elle laisse fondre sous sa langue, avant de se retourner vers l'espace, derrière la baie de super-plexi qui entoure son bureau.
Deux minutes plus tard, on toque, alors que l'Amirale se masse consciencieusement le plexus. En pure perte.
- Entrez ! lance-t-elle.
La porte s'ouvre sur un jeune haut gradé d'une trentaine d'années, long et fin, au charme discret mais au regard brûlant d'intelligence. L'homme salue prestement.
- Amirale, elle est ici !
- Bien. Je vous veux en salle de briefing dans un quart d'heure. Prenez Pinson avec vous.
- À vos ordres, Amirale !
Le Commandant Roelens disparaît. L'Amirale Marion Subotal grimace de douleur mais c'est le maximum qu'elle s'accorde avant de reléguer son affreuse oesophagite au second plan.

La salle de briefing du Jacques-Chirac, à cette heure plongée dans une pénombre étudiée. Seuls trois néons blancs vivent et viennent doucher une longue table d'acajou pourvue d'une dizaine de chaises. L'Amirale Subotal préside, en bout de table. À sa droite le Commandant Roelens. À gauche, qui fait face au Commandant, un officier de liaison gentiment enrobé: le Lieutenant Pinson. En retrait derrière Pinson, hors du halo lumineux, une silhouette féminine.
Roelens prend le premier la parole:
- Il n'y a malheureusement pas de doute, les débris signalés dans le secteur 38 sont bien ceux du Danaë.
- Ils ont dévié de la route prévue, comme nous le suspections, précise le lieutenant Pinson.
- Largement dévié, ajoute Roelens. Il était extrêmement hasardeux que l'une de nos patrouilles tombe sur ces débris.
- Et aucun message de détresse avant leur disparition, soupire l'Amirale Subotal. Quelle est la taille moyenne des débris ? Quel est leur rayon de dispersion ?
Roelens et Pinson échangent un regard.
- Il est clair qu'ils n'ont pas été coulés, Amirale, dit Roelens. Une avarie soudaine et sévère, peut-être, dont on ignore pour l'instant l'origine. Ou bien, plus improbable, ils se seront sabordés.
- Hum… grogne l'Amirale dont l'esprit tourne à plein régime. Un sabotage depuis l'intérieur ? Un agent ennemi infiltré ?
C'est Pinson qui lui répond.
- Cette éventualité a été envisagée, et rejetée. L'équipage du Danaë avait été rigoureusement trié en vue de cette mission. Nos services peuvent répondre du moindre matelot.
L'Amirale Marion Subotal se plie discrètement en avant. Son affliction ne s'en laisse plus compter, c'est un torrent de lave qui remonte le long de son oesophage. Prenant grand soin de ne rien laisser paraître de sa souffrance, elle élève un petit peu la voix, à l'attention de la silhouette qui se tient toujours dans la pénombre et qui ne la quitte pas du regard, elle peut le sentir.
« Messieurs, je n'ai pas besoin de vous expliquer en quoi la disparition du Danaë est une nouvelle désastreuse pour nos amis les Clopariens. »
Silence lourd et concerné autour de la table.
- La réussite de cette mission d'exfiltration, poursuit l'Amirale, était essentielle à la conduite de la lutte de la résistance cloparienne.
- Et les pirates ? intervient soudain la silhouette assombrie.
Roelens et Pinson échangent un nouveau coup d'oeil, gêné cette fois.
- Le Danaë transportait très officiellement des lamprosites, explique l'officier de liaison. Quel pirate au monde viserait une telle cargaison ?
- Un pirate idiot, continue la silhouette. Ou bien un audacieux. Un audacieux informé des prix du marché noir.
C'est au tour de l'Amirale de scruter la silhouette, le visage qui la surmonte dont on devine à peine les traits.
- Qui d'autre que nous est au courant ? demande Subotal.
- L'équipage du patrouilleur qui a retrouvé les débris, et qui d'ailleurs attend nos instructions, lui répond Roelens.
- Intimez-lui le silence absolu. Cherchez, à partir du secteur 38, une route directe vers une place où la vente de lamprosites sera très lucrative.
La silhouette fait un pas en avant et se révèle dans la lumière des néons.
- Nous tomberons sur une planète poubelle, insignifiante, dit-elle. Je dirais San Pedro, Big-Bassam ou Kameroon, peut-être.
- Faites votre choix, Lieutenant-Colonel Piaz Adora, pare que c'est votre prochaine destination. Vous avez carte blanche, et crédits illimités. Ramenez-nous ces fichus lamprosites !
« Rien n'est encore perdu, poursuit l'Amirale, mais le temps est notre adversaire. Et c'est un joueur redoutable. »
Pinson, Roelens et Piaz Adora hochent en même temps la tête.
- Et par pitié, faites-moi monter le docteur Durteste…


4. JJTN offre son beignet.

« Et toi, ta soirée ? »
Cassiopée enfourne une énorme portion de banane frite et prend le temps de bien la mâcher, comme on lui a appris. Ses branchies frétillent d'un plaisir évident.
La stagiaire et son Capitaine sont installés sur la terrasse immense et partiellement couverte de la seule suite de l'Hôtel Ivoire. Un dédommagement légèrement excessif mais que Trou Noir n'a pas eu le cœur de retourner, devant la mine sincèrement contrite du manager de l'hôtel et son désir ardent de se faire pardonner les préjudices consécutifs au coup de la boite. « Une mauvaise blague de ce genre, c'est inadmissible », avait reconnu le type grassouillet en s'épongeant le front d'une main tremblante.
- Ma soirée ? Euh... (Cassiopée hésite). D'un tout autre genre que la tienne. Quoi que.
- Ah ouais ?
JJTN a peu et mal dormi. De vilaines cernes de contrariété surlignent le bleu de son regard. Penché au dessus d'une tasse pleine et froide, il n'a pas touché à son petit-déjeuner (gracieusement offert, également).
- Ben, poursuit la gamine, moi aussi je me suis retrouvée dans un truc clandestin bourré de monde, et il y avait des paris, mais c'était sur une compétition de rock-breaking.
- Non ! s'exclame Trou Noir. Ils font encore du rock-breaking ?
- Attend, Patron, un truc de fou. Soixante-sept morts au bas mot !
- J'y crois pas !
- Que des Krogans, remarque. Dans deux jours, ils sont tous re-vivants.
Le Capitaine hausse un sourcil.
- Re-vivants, tiens, tiens... Dis-moi, Cassiopée, c'est Motu-Motu qui te faisait les leçons ?
- Non, il avait pas trop le temps. Chuis autodidacte. Pourquoi ?
- Comme ça.
JJTN soupire, vide sa tasse froide dans un bac à fleur tout proche avant de la remplir à nouveau d'un peu de ce thé joliment parfumé.
- Plus sérieusement, JJ. T'y crois pas, à ce truc vaudou nullos, la carte noire dans la boite. Pas vrai ?
- Tu veux savoir si je peux être encore plus stupide que d'habitude ? (Cassiopée répond par une grimace et lui chipe un beignet de mangue intact.) Non, plus sérieusement, comme tu dis, j'ai d'autres problèmes en tête, et c'est du 24/24, j'te jure. J'ai vraiment hâte que ce deal de lamprosites se fasse. Je veux qu'on se débarrasse de ça le plus tôt possible, et après on met les voiles. Tu vois, fillette, j'aurais parié le contraire mais je découvre que je suis plus très sensible à la « magie » de Kameroon. Note que j'adore le climat, ceci dit.
- Oh non, on part déjà ? se désole la jeune fille. Parce que moi, j'adore, ici.
- Ouais, ben toi, tu lâches pas mes basques, jusqu'à ce qu'on file ! Et tu fais comme moi, tu ouvres l'œil !
Sous l'éclat de voix, Cassiopée se ferme, blessée. Trou Noir culpabilise dans la seconde.
- Non mais, attends, j'ai pas dit qu'on partait tout de suite, c'est quoi ce flippe ? Ne t'inquiète pas. Allez, sois pas tristoune, je te dis. Excuse-moi, j'ai crié. Excuse-moi… (Il a un geste tendre qui fait naître un sourire.) Et Turbine, des nouvelles ?
- Oh, il fait sa vie, comme tu lui as dit. Je crois qu'il va visiter un marché aux poissons, ce matin. Il a l'air de s'amuser.
- Qu'il soit prudent, c'est tout ce qui m'importe.
- Bonjour, tout le monde !
Trou Noir et Cassiopée se retournent vers Mathilda qui vient de poser un pied sur la terrasse et les rejoint en quelques enjambées. Trou Noir se lève pour l'accueillir et lui tend les joues.
- C'est trois, ici, figure-toi, fait l'androïde.
- Ah oui, pardon.
- Je peux rester ? demande Cassiopée.
- Ben évidemment ! lui répond Trou Noir. Ça compte, pour ton stage. (Il enchaine à l'adresse de son assistante). Alors, Poupée ? Tu as trouvé quelque chose ?
- Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour poser beaucoup de question, et je fais chou blanc. Rien sur ces tueurs qui en voulaient à ta couenne hier soir, et rien sur la boite mystérieuse.
- Je me doutais que ça ne serait pas aussi facile.
- En revanche, poursuit l'androïde, j'ai reçu un appel de Dolan Belllock.
- Le salaud ! s'écrie Trou Noir. J'attends qu'il me contacte depuis hier soir. Pas pressé, l'animal !
- Il m'a demandé si c'était une farce. Pour être honnête, Capitaine, il était furax. J'ai réussi à le calmer en lui expliquant le deal, et il a fini par accepter moyennant une gentille commission. Je me suis permis d'accepter de ta part, la commission.
- Laisse tomber, je veux pas savoir. Le fumier !
- Je ne sais pas ce que tu leur as fait, à tous, la dernière fois…
Trou Noir fusille l'androïde du regard, lui intimant le silence en désignant d'un coup de menton la jeune fille assise à côté d'eux et qui se régale d'un sixième beignet sans plus d'attention à l'échange en cours. Mathilda la boucle quelques instants, avant de reprendre à voix basse.
- Ah, il a émis une autre condition.
- Vas-y, j'ai peur, ironise JJTN.
- Il ne veut pas te parler. Tout passera par moi. Il veut bien t'avoir dans son champ de vision, mais pas à moins de dix mètres. Je te jure, il a dit ça.
- Pfffff ! Quand tu penses à tout ce qu'il s'est gavé sur mon dos…
- Il me recontacte à la mi-journée avec des noms, et tout peut aller assez vite, il aura peut-être déjà un rendez-vous.
- Et ben, c'est parfait. Tout est parfait, s'énerve soudain Trou Noir. (Il se lève de sa chaise, balance sa serviette.) Je vais me recoucher, puisque c'est comme ça. Hé ! Cassiopée !
La gamine relève la tête, les lèvres brillantes du gras du petit déjeuner, la bouche pleine.
- Si t'aimes pas les beignets, on peut te commander aut'chose !!
Et le pirate s'éloigne, vexé comme un pou.
- Qu'est-ce qu'il lui prend ?
- T'inquiète pas, Mignonne. Il a arrêté le café, ça l'irrite.


5. JJTN parle la langue.

Dans l'annexe qui file vers la banlieue maritime de Zantibo, JJTN fait un effort de mémoire. Voyons voir, deux oreilles, une langue... Ferme-la, et tâche de pas l'ouvrir. Non, c'est pas ça. C'est un truc dans ce goût-là, mais c'est pas ça. T'as entendu ce qui fallait pas, t'as intérêt à rien baver. Oui, presque. Mais non, pas encore. Pfffuuuu, fichu code pirate ! Jamais le même, jamais constant. Changeant, comme les femmes. Et Trou Noir, malgré sa réputation, ne se tient pas forcément au courant des modes et travaux (!).
Le coup de la carte noire, ça, c'est de l'inédit, même si l'essentiel du message est passé : on t'aime pas, tu devrais aller voir ailleurs. Dire qu'il était question de faire profil bas, sur Kameroon. Entre ça et la tentative d'assassinat inexpliquée… En tout cas, il y a peut-être une piste du côté de la crépole.
Trou Noir pilote pendant une bonne demi-heure au-dessus de l'immense mosaïque des maquis populaires et miséreux de Zantibo Ouest. Puis ce sont les quartiers portuaires. Les grues antiques et rouillées, les bateaux en cale sèche, les galions mal fichus en manque de marchandise, attendant qu'on leur emplissent les soutes, qu'on les gave de denrées plus ou moins légales.
Sous l'aéronef, finalement, la terre disparaît. Une lagune placide, irisée, pendant de longues minutes. Côté passager, Mathilda est silencieuse, occupée à une mise à jour de son système. Derrière eux, Cassiopée s'est assoupie.

La terre, de nouveau. Un chapelet d'îlets dont certains s'hérissent d'habitations étrangement sophistiquées. Des lamprosites, twenty gods ! Les prendre pour de simples peluches inutiles serait une grossière erreur. Turbine avait raison. Trou Noir l'avait oublié mais ces minuscules créatures peuvent valoir très cher. Il suffit de trouver la bonne personne. Et merde ! Il faudra bien les vendre, on ne va pas ré-embarquer les caisses dans le Maracuja, tout de même ! En plus, ces histoires de porte-malheur, ce ne sont que des conneries. Des fables idiotes pour envoyer les gosses de pirates au lit.
L'annexe finit par ralentir avant de piquer vers un archipel constitué de trois îles dont la plus étendue doit avoisiner les cinq mille mètres carrés. JJTN se tourne vers Cassiopée, qui s'est réveillée. Le ton du pirate se fait confidentiel.
- Gamine, les gens qu'on va croiser à partir de maintenant ne sont pas des rigolos. Plutôt des types sérieux qui n'aiment pas les entourloupes. Alors, quoi qu'il se passe, tu nous laisses parler, Mathilda et moi. T'en rajoutes pas.
Cassiopée fait oui de la tête, captivée.
- On va se mettre d'accord sur un code, poursuit son mentor. Si je fais allusion au rock-breaking, c'est qu'un truc tourne pas rond. À ce moment-là, c'est méfiance multipliée par mille, et on cherche la sortie fissa. Pigé ?
- Grave.
- N'oubliez pas que je suis là, si ça devient bizarre, les rassure Mathilda.
- Ça, t'inquiète pas qu'on l'oublie pas.
L'annexe se pose dans un tourbillon de sable blanc, au sud de l'île la plus large. Ses passagers débarquent sur une plage déserte, aveuglante sous un soleil qui refuse de décliner. Rien non plus dans les oreilles, hormis le clapotis des vaguelettes en fin de course.
- Il fait chaud, ou c'est moi ? se plaint aussitôt Cassiopée.
- C'est pas toi, lui accorde le Capitaine. Regrimpe dans l'annexe, va nous chercher des chapeaux, y en a dans le coffre à gant. Ou sinon dans le sac, sous la table à cartes.
La cabine est minuscule. Qui peut croire qu'on puisse y accumuler autant de bric à brac ? La gamine fouille et farfouille, en nage, jusqu'à dénicher deux casquettes informes et auréolées par l'usage. À son retour, elle constate avec surprise que quelqu'un les a rejoint sur la plage. À une cinquantaine de mètres environ de l'annexe, un humain discute avec Mathilda, tandis que JJTN s'est retranché sous la carlingue de l'aéronef, cherchant l'ombre. Cassiopée se rapproche de lui.
- Dolan Belllock ?
- Yep, fait Trou Noir en secouant la tête de dépit.
Hors de portée de leurs oreilles, Belllock et Mathilda sont lancés dans un palabre plutôt animé. L'homme en particulier, semble s'échauffer de plus en plus. Sa voix, que la distance rend inintelligible, monte en volume, et il l'accompagne de gestes exagérément véhéments, se permettant même plusieurs fois de pointer JJTN du doigt. Mathilda de son côté temporise, visiblement, les mains tournées vers le sol en signe d'apaisement. Cela dure quelques minutes mais la discussion finit par se dégonfler. Belllock sort alors un truc de ses poches, sans doute un cube Phonix. Il s'éloigne de quelques pas pour un échange rapide, raccroche, revient vers Mathilda. Il lui claque trois bises avant de repartir en sens inverse, vers le petit hors-bord qui l'a amené sur l'île.

- Dolan Belllock, cette enflure, te fait la bise ? À toi ?
Mathilda n'en croit pas ses oreilles, de retour auprès d'eux.
- T'as pas fini ? En tout cas, il est très fort. Dans un quart d'heure, ici même, on a rendez-vous avec des acheteurs fortement intéressés par notre cargaison.
- Wouah ! laisse échapper Cassiopée. Qu'est-ce que t'en dis, Capitaine ?
- Que c'est la meilleure nouvelle de la journée. Mets la main sur ce maboule de Turbine, dis-lui que ce soir, on fête ça dans le meilleur restaurant de la ville.
Quinze minutes plus tard, comme convenu, une petite navette se pose à son tour sur la plage. La créature qui s'en extrait a le pas lourd. Elle est massive et dégage une puissance face à laquelle Trou Noir ne sera jamais tout à fait à l'aise. Heureusement, le pirate sait ce qu'ils ont dans la caboche.
- Trop fort ! souffle Cassiopée dont c'est la première fois. Un Sulvanien !
D'un doigt sur la bouche, JJTN intime à sa protégée le plus grand silence. L'extra-terrestre avance, et chacun de ses pas fait un peu plus trembler la plage, ou bien tout cela est dans leur tête ? La bestiole finit par s'arrêter devant eux. Son appendice nasale se soulève lentement et frétille, comme pour humer l'air chargé d'iode. Dans leurs orbites, deux yeux minuscules et rouges roulent, sans but précis. Ceci dit, le Sulvanien est trompeur, d'une manière générale.
- C'est un mâle, indique Trou Noir.
- Et c'est grave ? s'inquiète Cassiopée.
La créature lève un énorme bras gris et désigne le nord de l'ile, à l'opposé de la plage.
- Pourquoi pas ici ? demande-t-on.
Sa trompe s'étire vers le ciel et le bonhomme pousse un barrissement gigantesque qui fait reculer Cassiopée de quelques pas. Trou Noir, mieux planté sur ses jambes, ne détourne que le visage. Mais c'est plus pour l'odeur, en fait.
- Les femelles sont moins patientes, explique Mathilda.
- Ok, ok, fait Trou Noir. Je suggère qu'on cesse de faire attendre le Monsieur, on y va, sans rouspéter.
Laissant la plage derrière eux, la petite bande marche une dizaine de minutes vers l'intérieur de l'île, sans rien croiser d'autre que de minuscules crabes palmistes qui à leur approche s'immergent frénétiquement dans le sable, ne laissant affleurer que leurs yeux en têtes d'épingle. Un balai comique qui fait pouffer Cassiopée.
 Ils finissent par atteindre une clairière entourée de hauts palmiers indolents dans la brise de l'après-midi. Le Sulvanien, qui ouvrait la marche, avance jusqu'au centre de la clairière et barrit de nouveau, un truc long, plutôt dans les graves, cette fois. Au signal répond un bruissement végétal et soudain, un second Sulvanien émerge du sous-bois, bientôt suivi d'un troisième, et puis d'un autre. Débouchant de toute part, c'est une vingtaine de créatures qui apparaissent, posant leurs pieds lourds dans la clairière et convergeant en cercle vers leur rendez-vous. Les bêtes en imposent franchement. Et elles sont toutes armées.
- Vas-y le style, s'écrie Cassiopée ! Ils soignent leur entrée, y a pas à dire.
- Si tu veux tout savoir, lui explique Trou Noir, ils nous observent depuis le début. Le fait qu'ils se montrent est une preuve de confiance. Mais leur nombre, c'est un message clair. À la première entourloupe, ils nous piétinent.
- Regarde, Capitaine…
Trou Noir suit le regard de Mathilda. Un dernier Sulvanien vient de faire son entrée. Celui-la ne porte pas d'arme. Il avance mains derrière le dos, et il est d'un gabarit bien inférieur aux autres. À ses côtés trottine un humain sec et fin comme un expert comptable. Cassiopée pour qui c'est une première déguste le tableau, ne laissant aucun détail lui échapper.
Le petit Sulvanien s'arrête en face de JJTN et le désigne d'un doigt épais, tout en accompagnant son mouvement d'un râle enrhumé. L'homme tout maigre à ses côtés traduit immédiatement:
- Monsieur Schlümpfplisser souhaite connaître votre prix.
- Mon prix, c'est l'argus, dit Trou Noir. Rien de moins, rien de plus ! Je ne cherche pas à vous entuber.
L'acquéreur lève sa trompe et baragouine autre chose. Sans attendre la traduction, Trou Noir répond du tac au tac.
- La cargaison est en orbite, camouflée. On fait affaire, vous me donnez les crédits républicains, je vous donne les coordonnées du paquet. Simple. Rapide. Pas de bla-bla superflu.
- Ben, vous êtes bilingue ? s'étonne le traducteur. C'est bien. C'est vachement rare, pour un humain, de parler le Sulvanien. Du coup, je suis un peu venu pour rien.
- Mais en fait, précise Trou Noir, je comprends leur langage, mais c'est pour le parler, c'est plus compliqué, je trouve. C'est parce que c'est un truc de taille de…
Le petit Sulvanien coupe l'aparté d'un barrissement furax et décoiffant. Ceux qui n'ont pas de trompe en sursautent. Le traducteur, comme pris en faute, retourne à son job dans la seconde.
- Monsieur Schlümpfplisser veut savoir comment on sait si la came est de qualité ?
- C'est normal, reconnait Trou Noir. On n'achète pas les yeux fermés.
Il se tourne vers Cassiopée. La gamine plonge la main dans une poche latérale de son short treillis et en sort un lamprosite qu'elle remonte au-dessus d'elle comme on exhibe un trophée victorieux. La panique se saisit des Sulvaniens qui reculent tous de plusieurs pas en levant leurs armes vers la peluche. Dans la clairière, la tension est montée de plusieurs crans, en une poignée de secondes, et c'est maintenant un concert de râles alarmés. Trois bêtes parmi les plus massives rejoignent d'un bond l'acheteur pour faire écran de leur corps énorme. Le lamprosite, lui, lâche un chapelet de petites crottes noires et dures qui vont rebondir sur le sol.
- Ok, ok, tout va bien ! lance Trou Noir à la cantonade. Tout va bien ! (Il s'adresse ensuite au traducteur.) Essayez de les calmer, bordel ! Ou bien venez voir par vous-même, qu'on range la bestiole avant d'en finir.
- Capitaine…, souffle Mathilda.
- Attends, Poupée, pas maintenant. Alors, qu'est-ce qu'y dit, le patron ? Il vous plait, le produit ?
Levant les bras, le traducteur émet un barrissement assez surprenant mais qui trouve plusieurs échos et semble produire l'effet escompté. La tension se dégonfle légèrement. Le boss des Sulvaniens écarte ses gardes du corps et d'un geste envoie son humain d'assistant vérifier la marchandise. Le traducteur s'approche de Cassiopée en retroussant son nez. Inquisiteur, il se penche vers le lamprosite mais la boule de poil lui décoche sans crier gare un méchant coup de griffes.
- Aïe ! Ah, punaise ! Il m'a niqué le pif !
- Ça, ça veut dire que c'est de la bonne, en général, s'esclaffe Trou Noir.
- Mais vous êtes con, en fait, constate le traducteur en massant son tarin martyrisé. (Il revient vers son employeur.) Braaaaooouuuummmmpfffff !!!
- Braaaoouummpfff ! confirme Schlümpfplisser.
Trou Noir adresse un clin d'oeil à Cassiopée.
- Je crois que c'est dans la poche, gamine.
- Capitaine ! insiste Mathilda.
- Attends, Poupée, je t'ai dit ! la supplie Trou Noir. Regarde, on est à deux doigts de se faire un bon pactole…
Mathilda lui attrape alors le bras, et dans un murmure:
- La veste du traducteur.
Trou Noir jette un oeil. Une pastille rouge et brillante, celle d'un viseur laser. Elle passe sur la poitrine du bonhomme, remonte lentement vers son visage.
- Rock-Breaking, dit le pirate.
- Quoi ? demande Cassiopée.
- TOUT LE MONDE À TERRE !!!
L'instant d'après, l'Enfer ouvre un de ses tiroirs et en renverse le contenu sur la clairière.


6. JJTN s'épaissit (comme le mystère).

Trou Noir, Mathilda et Cassiopée, le nez dans le sable, et tentant de se faire aussi plats que des limandes. Au-dessus de leurs têtes, c'est la mort assurée: un entrelacs fatal de projectiles divers doublés du zoooof sinistre des lasers. Le Capitaine du Maracuja serre sa stagiaire contre lui. Il n'y a rien qu'il puisse faire pour mieux la protéger du pandémonium dans lequel ils sont plongés.
Les agresseurs, quels qu'ils soient, sont invisibles. Cachés par la végétation qui borde la clairière, ils défouraillent à l'aise. Les Sulvaniens, eux, sont à la peine. Plusieurs des leurs se sont écroulés, mortellement touchés, avant qu'ils ne songent à répliquer à l'assaut. Malheureusement, leur silhouette en fait des cibles plus que faciles, et la clairière devient vite une souricière sans merci, ce qui ne manque pas d'ironie. Chaque corps massif qui s'effondre fait trembler le sol. L'une de ces bêtes chute tout près de Trou Noir. Le pirate a le temps de frémir en s'imaginant aplati comme une crêpe avant qu'une pauvre idée ne lui vienne. Il cherche Mathilda du regard.
- Derrière ! lui hurle-t-il. Derrière le monstre !
L'intelligence artificielle comprend dans la seconde. Elle rejoint en rampant le cadavre énorme, à l'abri duquel se terrent déjà ses deux compagnons.
- C'est pas bézef, mais ça nous fera un répit !  
- Qu'est-ce qui se passe ? crie Cassiopée en se bouchant les oreilles (c'est vrai que les déflagrations font un boucan du diable.)
Mais avant que quiconque ne se risque à un prognostic, le grondement d'un moteur vient soudain recouvrir le raffut ambiant. Au-dessus de la clairière apparaît alors un gros engin noir de type « transporteur de troupe », équipé de plusieurs berthas tri-cylindres qui se joignent à la fiesta, dans l'instant. Prenant visiblement partie pour les Sulvaniens, chaque salve de ces redoutables canons hache menu un bosquet ou un palmier, ce qui finit par réduire le nombre d'assaillants et partant, par assainir l'air.
Le dieu de la bataille a bien changé de camp, mais trop tard. Ce coup de pouce inespéré, plus aucune bête à trompe n'est debout pour le célébrer ou en témoigner. Sans cesser de tirer vers les arbres, le transporteur vient se placer en vol stationnaire juste au-dessus de Trou Noir et de ses girls. Une écoutille s'ouvre dans le ventre de l'aéronef et une échelle métallique en descend.
- Grimpez ! ordonne un haut-parleur.
Depuis les fourrés encore intacts plusieurs tirs continuent de jaillir, qui ciblent à présent l'outsider du match. Les berthas impitoyables répondent en beuglant, et Cassiopée remarque alors seulement l'odeur de chair grillée qui sature l'atmosphère. Une minute plus tard, tout le monde est à l'abri derrière un blindage salvateur, et l'on s'arrache enfin de cet ilet maudit.

                                             ***

Un peu plus tard, quelque part sur Kameroon.

« Capitaine, je voulais te dire, je suis désolé pour tout à l'heure. J'ai pas fait grand-chose pour assurer votre protection, à la petite et à toi. J'ai pas… Enfin, tu vois… »
JJTN pose une main amicale sur le genou froid de son androïde préféré.
- Arrête-ça tout de suite, Poupée. Il y avait trop de bruit, trop de lasers. À part te faire rôtir la carte mère, qu'est-ce que tu aurais pu faire ? Ne te tracasse pas avec ça, je sais de quoi tu es capable. Et je t'interdis, tu m'entends ? Je t'interdis de culpabiliser.
- Ouais.
- Souris, idiote. Où est la gamine ?
- Je crois qu'elle s'est trouvée un coin pour un petit somme. Ils lui ont filé une couverture, tout à l'heure.
- C'est bien. Qu'elle récupère un peu. Dis-moi, tu as reconnu les tenues de ces types ?
- Les tenues et le style.
- Tiens-toi prête à tout. On a peut-être juste troqué un enfer contre un autre.
- Monsieur Trou Noir ? (Un homme jeune, autour des vingt-cinq ans. Roux. Un visage très doux au regard empli d'intelligence. Mais sous la combinaison noire para-technique qui le moule presque, un corps mince, que l'on devine athlétique.) Tenez, c'est pour vous. Attention, c'est peut-être un peu chaud.
JJTN prend le mug et jette un oeil au breuvage fumant qui empeste la cannelle.
- C'est quoi ?
- Une tisane revigorante, répond le type sympa.
- … Y a pas de l'alcool, plutôt ?
Ça fait rire le bonhomme, mais sans moquerie ni mépris aucun.
- Je vais voir ça. Mais je vous conseille quand même de goûter. Ça vous étonnera.
Et il s'éloigne.
Dans la pièce, il y en a sept autres comme lui. Affables, souriants. Aux petits soins. Revêtus tous de la même manière: un uniforme sans sigle ni galon, mais un uniforme, à n'en pas douter. Et sans aucun doute non plus, le même que celui des trois gugusses qui ont essayé d'avoir la peau de Trou Noir il n'y a pas vingt-quatre heures. Alors à quoi avons-nous faire ? À une milice ? Un groupuscule de terroristes ? Tous les sept sont armés, et assez sérieusement. Absolument pas menaçants à part ça, mais Mathilda et son capitaine se sentent assez démunis, assis sur un banc de bois installé contre le mur du fond. L'endroit est sans fenêtre, et ne compte qu'un seul accès.
Dès qu'ils ont mis les pieds dans le transporteur de troupe, tout à l'heure, on leur a recouvert la tête d'une cagoule aveugle, dont on ne les a débarrassé qu'une fois qu'ils ont atterri. Atterri où ? On ne sait pas. Pas très loin de Zantibo, on peut le parier. Le vol n'a pas duré assez longtemps pour s'éloigner vraiment de la capitale. On pourrait peut-être même s'y trouver, qui sait ?
Quelques minutes s'écoulent avant que le rouquin ne revienne. Trou Noir baille en le regardant approcher. Le type a l'air sincèrement embêté.
- Je suis désolé, s'excuse-t-il, je n'ai pas trouvé d'alcool. En revanche, notre Shogun va vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre ?
- Pardon. Votre ?…
Le garçon abandonne son air contrit pour un large sourire plein de fierté.
- Notre Shogun. Le leader maximo, si vous préférez. Je vous conduis à lui.
Trou Noir et Mathilda échangent un regard qui veut dire « ne faisons pas de vague inutile ». Ils se lèvent de leur banc et toujours sur leur garde, se laissent guider dans un réseau de couloirs et de pièces plus ou moins spacieuses, dans lesquels de nombreux autres « soldats » sont occupés à des choses.
- Tu as une idée ? murmure Trou Noir.
- J'hésite vraiment. Des branquignoles ? De vrais pros ? Ceux que j'ai neutralisés ne m'avaient pas semblé aussi terribles qu'ils voulaient le faire croire…
- Ouais, ben, si c'est vraiment la même bande, gardons cet épisode pour nous, tu veux bien ? Jusqu'à ce qu'ils en parlent les premiers.
Le dernier couloir finit par les mener à une porte métallique frappée d'une étoile noire à cinq branches. Le rouquin toque, trois coups brefs, avant de presser la poignée et de s'effacer.
- Savourez votre entrevue, glisse-t-il mystérieusement comme JJTN et sa partenaire lui passent devant.
Pour abriter un leader, la pièce n'est pas spécialement plus grande que toutes celles qu'ils ont croisées jusque là. Elle est chichement meublée, d'un petit bureau qui fait face à l'entrée, de quatre ou cinq chaises, de quelques placards. Ce qui attire immédiatement le regard, en revanche, c'est la décoration sur les murs. Celui de droite en entrant se targue d'un poster géant offrant un panorama de bord de mer. Quant à celui du fond, il est recouvert d'une tenture minimaliste: une autre étoile, immense, noire sur blanc.
Les yeux des visiteurs passent d'un mur à l'autre, incrédules, avant de se poser sur l'homme debout derrière le bureau, qui leur tourne le dos. Comme les autres, il est vêtu de noir. Et le même laser de poing pend à sa ceinture.
Lorsque l'homme se retourne, Trou Noir ne peut cacher sa surprise.
- Wouah, fait le pirate.
- Wouah, répète Mathilda.
Car leur hôte est d'une beauté si frappante qu'elle en est presque douloureuse.
- Je suis tellement. Tellement. Tellement désolé ! s'exclame le Shogun.
Et joignant ses deux mains pour appuyer sa prière:
- Pourrez-vous jamais pardonner à mes hommes ? Nous pardonner ?
- Beuh…, articule Trou Noir. (Il aimerait bien sortir autre chose, mais son trouble le domine complètement.) Pleurflarggh
Peut-être est-ce dû à sa nature électronique, toujours est-il que Mathilda se remet plus rapidement du choc.
- Excusez-moi, vous êtes ? demande l'androïde.
- Ah ! fait le bonhomme. Pardon ! Pardon ! Je ne me suis pas présenté. (Faisant le tour du bureau pour rejoindre ses invités.) Pardon ! Je suis Rodrigo Superbe. Enchanté !
Plus que circonspecte, Mathilda saisit la main que l'homme lui tend et la serre. Superbe attrape ensuite celle de Trou Noir.
- Asseyez-vous, pardon, pardon ! (Il désigne les chaises, avant de retourner à la sienne.) Je suis ravi de vous rencontrer. Mais je suis tellement désolé. Pardon !
- Attendez. De quoi, exactement ? C'est un peu confus pour nous, pour le Capitaine ici présent… (Trou Noir n'arrive pas à détacher son regard de la divinité assise en face de lui.) Il nous semble que nous vous devons… un remerciement ?
- Pourquoi ? s'étonne Superbe. Ah, pour le… Mais non, mais non ! Au contraire ! Vous ne comprenez pas.
- Non, on comprend pas, confirme Mathilda.
- Je vous explique. En revanche, excusez-moi, on va faire ça vite, parce que mes gars et moi, on a plein de boulot. On dirait pas comme ça, mais je vous assure, faire tourner la Fraternité Noire, c'est un truc de dingue !
- La fra… ?
- La Fraternité Noire. Mais je vous explique, je vous explique. Pardon, pardon ! En deux mots: mes gars se sont trompés, l'autre soir. On s'excuse, hein ? On s'est trompé. (Superbe se tourne vers Trou Noir toujours hypnotisé.) C'était pas vous ! Ah ! C'est ballot, pas vrai ? Bon. On avait été prévenus de l'arrivée sur Kameroon d'un gars un peu comme vous, voyez ? Il y avait un contrat sur sa tête, mais c'était pas vous. Ça peut arriver, non ? Voilà. On est bons, à la Fraternité, hein ? Mais des fois, on se plante. C'est comme ça. Par contre, on est beaux joueurs. Si, si. Quand on chie, on paie. Déjà, les trois frères que vous avez massacrés, c'est ok, c'est pour nous. On passe l'éponge. Et pour le dérangement, pour remettre l'ardoise à zéro, on attendait la première occasion. Bref. Je fais court, je fais court. On vous a suivis, depuis, et quand on a pu saisir une chance de réparer notre bourde, on l'a fait ! On vous a aidés, on vous a sorti d'un beau guêpier, pas vrai ? Pauvres Sulvaniens… Eux, par contre, ils ont mangé… Bref. On vous a sauvé la mise, on est quitte ! Pas vrai ?
Mathilda et Trou Noir dévisagent le Shogun de longue secondes (et pas pour les mêmes raisons). Les nano-circuits de l'intelligence artificielle carburent, mais une réponse valable à pareille tirade n'est pas facile à débusquer.
- On est quitte ? insiste le très bel homme.
- Écoutez, euh… Voilà, on est quitte. Si c'est bon pour vous ?
- Ah ! Génial ! (Superbe frappe dans ses mains, un coup franchement sonore qui a le mérite de secouer Trou Noir.) Vraiment, la Fraternité Noire vous remercie ! C'est génial !
JJTN secoue la tête comme s'il s'éveillait d'un songe. Se penchant vers son assistante:
- Qu'est-c'y dit ?
- Je te ferai un petit résumé, mais pas là.
- On vous dépose quelque part ? propose le Shogun.


7. JJTN enquête aux quais.

Les eaux de la lagune s'assombrissent avec le ciel, comme la journée penche vers sa conclusion. Au-dessus de la terrasse, un vol de chauve-souris s'égaye, les bêtes furtives seront bientôt invisibles dans le crépuscule galopant. Turbine a rejoint son équipe. Rien de précis n'est prévu, et pour l'heure, chacun est plongé dans ses pensées.
Trou Noir s'est accoudé à la rambarde. Son attention est retenue par les lumières lointaines d'un croiseur-cargo qui vient de s'arracher à l'astroport de Zantibo. Le colosse d'acier semble jeter toutes ses forces dans un effort titanesque qui va le porter à travers l'atmosphère jusque dans le vide galactique. Poésie du lourd, mystère du métal plus léger que l'air. Magie. Mathilda s'approche et lui tend une bière.
- Tu as vu ce truc énorme ? lance le pirate.
- …
- Ce truc est… énorme. Non ?
- Ce cargo, là-bas ? Qui décolle ?
- Oui. Il est gros, non ?
- JJ…
Trou Noir se tourne vers l'androïde, avale une gorgée avant de continuer.
- Ce Shogun, là…
- Hun hun ?
- Ce type, Superbe. Tu crois que moi ? Avec un peu de chirurgie ?
- JJ, arrête ! éclate Mathilda. Tu fais ça quand tu as la flemme d'affronter les vraies questions. Et tu ne crois pas qu'on a de vraies questions à se poser, là ?
Trou Noir la regarde. Il a horreur de ça, quand elle fait ça. Quand elle a raison. Il soupire.
- Ok, ok. Rassemble tout le monde dans le salon.

« Je ne peux m'empêcher de relier la méprise de la Fraternité Noire (quelle bande de schnocks, on est d'accord ?) et donc l'arrivée sur Kameroon en même temps que la mienne d'un autre pirate, au deal raté avec les Sulvaniens. Quelque chose est en train de se jouer, qui reste nébuleux pour l'instant, mais il nous faut mener l'enquête. Vous ne croyez pas ?
Cassiopée et Mathilda hochent la tête de conserve. Turbine se mouche.
- D'autant que cette fichue cargaison de lamprosites nous reste toujours sur les bras. Et que, connaissant les pachydermes, il est plus que probable qu'ils viennent demander des comptes au principal intéressé: moi. Ils sont très certainement à ma recherche, à l'heure qu'il est. Loué soit Phillibert, mon nouveau pseudonyme.
Cassiopée, qui passerait tout à son capitaine adoré, acquiesce une nouvelle fois. Convaincue.
- Première chose, annonce Trou Noir, il faut remonter la piste du pirate mystérieux. Il faut savoir qui il est, et qu'est-ce qui l'amène ici. C'est mince, comme initiative, je vous l'accorde, mais c'est tout ce que j'ai.
- Non, c'est bien, s'exclame la stagiaire. C'est ça qu'il faut faire. (Mathilda lui lance un coup d'oeil en biais.)
- Dans le vol retour, j'ai un peu discuté avec le rouquin gentil, l'espèce d'aide de camp du Shogun. Même eux ne disposaient pas de beaucoup d'information. Une très vague description physique, une date d'arrivée, un type de navire qui correspond à celui du Maracuja. Pas grand chose. D'autant que si un pirate veut rester sous les radars, à Zantibo, il le peut sans problème. La preuve ! Hé hé…
Là, Mathilda, Turbine et Cassiopée échangent le même regard.
- Qu'est-ce que vous en dites ? demande Trou Noir. Vous avez mieux ?
Turbine lève la main pour demander la parole.
- Chef, c'est chaud, quand même. Vous avez failli y passer, deux fois. Peut-être que mon idée était merdique, au départ. Je me disais qu'on pouvait aussi laisser tomber. Abandonner les bestioles et remonter dans l'espace. Pas vu, pas pris. Non ?
- Mais Turbine, dit Cassiopée, si on fait ça, on aura jamais la fin de l'histoire ! C'est nul !
- La gamine a raison, mon gars. Faut pas te sentir coupable de ce qui nous arrive, tu sais ? C'est la vie de pirates ! C'est l'aventure ! L'aventure tous les jours, si on peut.
- Oui, oui, ok, concède le cuistot morveux. De toute manière, je vous suis.
- Il faut commencer par les quais, suggère Mathilda.
- Tu as gravement raison, Poupée, confirme Trou Noir. Comme souvent.

                                                 ***

JJTN survola la banlieue de l'astroport jusqu'à repérer un terrain vague sur lequel pourrissaient quelques carcasses tordues, dans une éternité de rouille. Il y posa l'annexe, tous feux éteints. Une précaution que Mathilda jugea superflue, au vu du voisinage quasi inexistant. L'intelligence artificielle se permit une autre réflexion quant au fait que l'enceinte de l'astroport était distante de plus de deux kilomètres, mais Trou Noir ne voulut rien savoir. Ils abandonnèrent momentanément leur véhicule, non sans s'être équipés pour plusieurs effractions possibles. Ils emportèrent également de quoi voir sans être vus, et bien sûr, de quoi se défendre. Sur ce dernier point, l'androïde ne trouva rien à redire.
Cassiopée et Turbine ne les accompagnaient pas, cette fois-ci. Les deux gamins avaient bien protesté, surtout elle, mais le Capitaine s'était montré inflexible. Les choses, depuis le massacre des Sulvaniens l'après-midi même, avaient pris un tour imprévisible. Cela avait de quoi fouetter le sang, on n'en disconvenait pas. Mais revenant sur ses propres mots, Trou Noir avait trouvé finalement inutile, et même irresponsable d'entrainer dans son équipée nocturne ces deux jeunes recrues encore par trop inexpérimentées. Au mieux, leur présence aurait ralenti l'expédition. Au pire, elle l'aurait mise en péril. S'il fallait faire le coup de feu, au moins Mathilda et lui auraient les coudées franches et l'esprit tranquille, à ne devoir sauver que leurs propres fesses.
La progression se fit en silence et à une allure soutenue, à travers un immense bidonville fantôme, lugubre et puant. Une vingtaine de minutes après avoir laissé l'annexe derrière eux, Trou Noir et Mathilda atteignirent la bordure de l'astroport, entourée d'un grillage d'environ cinq mètres de haut, en piteux état général. Le déchirer pour s'y faufiler fut un jeu d'enfant.
Une fois encore, Mathilda s'interrogea à voix haute au sujet de leur stratégie de discrétion maximale. Après tout, sous de fausses identités, ils avaient bien amarré le Maracuja dans ce même astroport, ce qui leur accordait de pouvoir aller et venir autant qu'ils le jugeaient nécessaire, sans crainte d'éveiller aucun soupçon. Trou Noir ne changea pas d'avis. Rien n'était clair dans l'affaire qui les préoccupait, mais le pirate sentait qu'il lui fallait devenir une ombre pour approcher au plus près de la lumière. Et puis, depuis combien de temps n'avaient-ils pas joué à ça ? N'était-ce pas fun ? Mathilda en convint, et cessa de le mettre en doute.
À l'endroit de leur effraction, les quais accueillaient les cargos, masses énormes et plus ou moins angoissantes sur fond de nuit étoilée. Après venaient les moyens courriers, à vocation également commerciale. Et seulement ensuite la plaisance: des bateaux de petite à moyenne taille, le gabarit du Maracuja, dont certains modèles valaient leur paquet de gruirkts républicains. Cette troisième zone de mouillage étant la plus étendue, et vu le peu d'indices en leur possession, Trou Noir craignait que la nuit ne fût longue en recherche, à supposer que l'on finisse par trouver. Il leur fallait à tout prix réduire le champ des possibles. Et pour cela, rien ne serait aussi efficace que de plugger Mathilda dans le terminal de l'astroport, ou à défaut du bloc principal, dans l'une de ses bornes. Chaque zone de mouillage disposait d'une DMR, une dispatch and management room, il suffisait de s'y introduire, Dolan Belllock l'avait confirmé à Mathilda. Celui qui avait monté le deal avec les Sulvaniens ne décolérait pas, à l'autre bout du cube Phonix. S'il ne pouvait tenir rigueur à Trou Noir du fiasco sanglant, pour sa propre réputation d'intermédiaire, en revanche, le coup était rude. Et puis, sans l'avouer, l'homme devait se sentir coupable à un endroit ou un autre. Vis à vis des deux parties, d'ailleurs. « Ces enfoirés de Sulvaniens vont vouloir me mettre le grappin dessus » avait-il lâché d'une voix blanche.
Aussi, tout en refusant toujours de s'adresser à Trou Noir, Belllock avait accepté, sans se faire prier cette fois, de fournir à Mathilda plusieurs codes d'accès dont l'un fonctionnerait immanquablement.
Dépassant les deux premières zones de mouillage, ils finirent par atteindre leur but. Ils se mirent alors en quête d'un point d'observation assez haut pour permettre un scan efficace, et Mathilda passa une large portion du terrain au peigne-fin de son translucidateur. La chance leur sourit puisque la DMR se signala au premier passage. Cinq minutes plus tard, ils crochetaient subtilement la serrure de la porte du petit bâtiment à un étage dont trois murs sur quatre se lézardaient sous les néons pisseux et pris d'assaut par des nuées d'insectes. Une minute de plus et Mathilda entrait les codes de Belllock dans la borne poussiéreuse. Comme prévu, l'un des codes sonna juste. L'intelligence artificielle fit ce pourquoi elle était redoutée (entre autre chose, il est vrai) dans le petit monde de la piraterie inter-sidérale: elle déploya ses connections et en une nano-seconde vampirisa tout le système de l'astroport de Zantibo. La ligne était lancée, il fallait maintenant zieuter le bouchon et attendre la prise.
Ça mordit, sept secondes plus tard. D'ordinaire, le trafic autour de Zantibo était assez dense. Chaque jour voyait plusieurs dizaines de vaisseaux s'arrimer ou laisser leur place. Par chance, à la date de l'arrivée du Maracuja, seuls deux autres navires d'un gabarit similaire avaient rejoint l'astroport, et tous deux étaient à quai au niveau zéro (le bateau de Trou Noir avait trouvé une place à +2, c'est à dire 200 mètres au-dessus du niveau de la mer). Mathilda fit part de sa découverte en énonçant les noms et matricules des candidats.
- Le Psalmodiar, BX-TZ32, et le Demeter, 74-BGH3. Le premier a enregistré quatre passagers, en plus du capitaine, un certain Roland B. Panini. Ils arrivent du système Cordelia.
- Oublie, fit Trou Noir. Cordelia, c'est le système du troisième âge. Je te parie qu'ils sont en pèlerinage après avoir vécu ici vingt ou trente ans.
- Le Demeter, alors.
Trou Noir hocha la tête.
- Le capitaine n'a enregistré que lui-même, révéla Mathilda. Et… un droïde de protocole.
- On n'enregistre jamais les droïdes de protocole. Ces machins ne servent à rien.
- Le type se fait appeler Tibérius White-Dwarf.
- C'est une blague ? White-Dwarf ? Naine-Blanche ?
- Ok. C'est énorme, je suis d'accord. Mais ne nous emballons pas, ça reste aussi fin que du papier à clope. Capitaine, si ça ne donne rien…
- Si ça ne donne rien, la coupa Trou Noir, on n'aura pas avancé d'un mètre, et on rentrera se coucher. Mais là, j'ai plutôt envie de dire « bingo » !
Ils s'appliquèrent à ne laisser aucune trace de leur passage. Mathilda se déconnecta du réseau informatique de l'astroport sans avoir bousculer le moindre bit, du grand art. Et une fois hors de la DMR, ils continuèrent à raser les murs des hangars, ombres parmi les ombres, jusqu'à se retrouver devant le Demeter. Il ne fit plus de doute alors qu'ils avaient tiré quelque chose. Car le Demeter n'était pas seulement du même gabarit que le Maracuja. Il en était la copie conforme.
- Au moins, tu n'auras pas de mal à nous faire entrer, lâcha Trou Noir avec un clin d'oeil.
Tandis qu'ils s'en approchaient, plusieurs coups de feu retentirent soudain à l'intérieur de l'aéronef. Au mépris de toute prudence, Trou Noir et Mathilda s'élancèrent vers la passerelle reliant le quai au pont extérieur du Demeter.


Planète Big-Bassam, 38h43 (heure locale).

Et sa capitale: Bassam tout court.
Mieux que Bassam, le marché central de Bassam. En milieu de journée. Vertige à plein gaz.
Piaz Adora ne veut pas être ici. Elle est déjà venue à Bassam, une seule fois. Elle était assez jeune, à l'époque, mais elle n'a jamais oublié à quel point les odeurs, les couleurs et les sons du marché central peuvent vous agresser. Vous opprimer. Vous compresser, si vous n'en avez pas l'habitude. Seize milliards de bassamois au mètre carré, en exagérant à peine. Une sur-stimulation permanente pour tous les sens humains. Un tsunami d'informations qui submerge le cerveau et le laisse groggy au bout de la matinée. Sur les conseils de son contact des FFIS sur place, Piaz Adora a gobé un cachet avant de plonger dans l'arène. Un ibutractyl 1000 qui finalement n'est pas de taille.
Il a fallu près d'une heure au Lieutenant-Colonel pour atteindre l'un des noeuds du marché, à l'intersection de huit allées qui toutes charrient leur flot ininterrompu de badauds. Un nombre incalculable de races extra-terrestres se croisent ici, se saluent, s'ignorent ou s'invectivent. Une chose est cependant garantie: quoi qu'il arive, on en reste au palabre ou à l'insulte. Pas de jeux de mains. Une loi non écrite mais scrupuleusement respectée interdit tout accès de violence. Au marché central de Bassam, on ne se bat pas, on ne blesse pas, on tue encore moins. Au marché central, on commerce. Et la règle suprême est celle-ci: tout est commerçable.
Piaz Adora porte une main à son oreille, vers son nano-com.
- Chrisco, tu m'entends ? Tu me reçois ? (Elle est presque obligée de hurler.)
- C'est bruyant autour mais je t'entends, ça va aller, lui répond une voix masculine.
- Ouais, pour moi aussi, c'est compliqué. Mais je suis à l'endroit convenu.
- J'ai vu. Toi, tu ne me vois pas mais je te promets que je ne te lâche pas d'une semelle (la voix se veut rassurante). Par contre, pour l'instant, rien qui ressemble à notre bonhomme. Il est Bromulien, je pourrai pas le rater. Même dans le bordel ambiant. Je te tiens au courant.
 - C'est ça. Et pourvu qu'il se grouille, j'ai horreur de cet endroit…
Trouvant refuge près d'un étal moins fréquenté que d'autres, Piaz Adora se met à observer les dizaines de silhouettes qui vont et viennent. Les corps qui se bousculent. Les « pardons » et les « désolés » exprimés en une tétrachiée de langues, et la jeune femme en comprend quatre sur sept. Pour le bromulien, ça devrait aller. Elle n'a pas séché tous les cours, elle saura se débrouiller.
Piaz sent que quelqu'un lui tire la manche, tout à coup. Elle se retourne sur un (une ?) lamproïde.
- H'chu apenkee, bêle la créature.
- H'chu apenkee, répond la jeune femme en maudissant son accent de touriste. Euh… Ah'chuba da naga ?
- To bedwana lickmoomoo kimbabaloomba.
- Hein ? Excusez-moi, j'ai pas bien entendu, qu'est-ce que vous dites ?… Kesenono ?
- To bedwana lickmoomoo kimbabaloomba ! répète un peu plus fort le lamproïde avant de tourner les talons.
Piaz veut essayer de le retenir mais c'est peine perdue, une seconde plus tard, l'extra-terrestre a déjà été avalé par le courant ininterrompu de dizaines de bassamois.
- Ah, merde ! Chrisco, tu me reçois ?
- Yep ! On a essayé de te vendre une camelote ?
- Pas du tout ! Je crois qu'on a pris contact avec moi, mais j'ai rien compris. Tu pourrais traduire ça: kimbabaloomba ?
- Kimbabaloomba… (Un instant d'hésitation). Végétarien, ça veut dire. Je crois.
- Ils veulent que j'achète végétarien ? Un dessert végétarien ? (Piaz Adora essaie de se concentrer. La foire et son tintamarre dans lesquels elle patauge ne l'aident pas beaucoup.) Je sais, lance-t-elle soudain ! Des fruits ! Des fruits ! Il faut que j'achète des fruits ! (Elle balaie les alentours du regard.) Des fruits, des fruits !!
- Tu as un stand, à une trentaine de mètres au nord-est. La troisième allée devant toi.
Piaz s'élance mais la foule est si dense que même en jouant des coudes et en s'excusant dans toutes les langues de l'univers, il lui faut vingt bonnes minutes avant de rejoindre sa destination. L'étal est énorme. Et malheureusement pris d'assaut par un groupe de Caamasi. Peste ! Ces types sont capables de négocier deux heures pour le prix d'une pomme. Tant pis. Flirtant dangereusement avec l'interdit, Piaz Adora bouscule l'attroupement d'un grand coup d'épaule et se retrouve face à un marchant sidéré par une telle audace.
- Lickmoomoo kimbabaloomba ! hurle la jeune femme pour couvrir le brouhaha des protestations.
Mais le marchand n'a pas l'intention de laisser passer. Fulminant, il se commence à insulter l'impudente, et à son chahut s'ajoutent bientôt les invectives des Caamasi, qui sont placides d'habitude mais faut pas les chercher non plus. Surprise, Piaz Adora doit reculer sous l'assaut verbal.
- Chrisco, je suis dans la merde !
Soudain, une employée apparait aux côtés du patron furieux et tend à la jeune femme un sac de papier craft rempli de victuailles. Piaz s'empare du sac sans hésiter et se replie, manquant s'égosiller en multipliant les excuses.
- J'en peux plus, Chrisco, faut que je sorte de là ! Je te jure !…
- Qu'est-ce qu'il y a dans le sac ?
- Attends, je jette un oeil… Des cheedos, tout mûrs. Et, là ! Il y a un mot, au milieu des fruits ! (Piaz Adora retire la note du sac et la déchiffre.) 358, Pince de Thrawn !
- C'est une adresse, dans la ville basse. Sors de là, maintenant. Je pars devant repérer le terrain.

Deux heures plus tard, Piaz Adora lutte toujours contre ses acouphènes en quittant le Fly-taxi qui l'a conduite jusqu'au quartier dit de la Pince de Thrawn. Le petit véhicule brinquebalant s'élève en toussotant, et la jeune femme se retrouve seule face à une avenue déserte, bordée de façades qu'une décrépitude avancée défigure sans retour.
- Charmant…
Elle lève la tête vers le ciel d'un bleu parfait et cherche Chrisco du regard. Elle finit par le distinguer, à la faveur d'un éclat de soleil. Le drone plane très haut au-dessus des immeubles. Sa reconnaissance n'a rien donné, jusque là. Le quartier est en totale déshérence. Abandonné par les autorités municipales, quasiment dépeuplé. Tout à fait le genre de cadre qu'ils imaginaient pour l'affaire en cours.
Piaz Adora se met en mouvement. Elle repère un numéro aux trois-quart effacé près d'une énorme lézarde, et estime son temps de marche à quinze minutes.
Le 358 est à l'unisson du reste. L'endroit pue l'urine animale. Près de la porte fissurée sur toute sa hauteur, à l'endroit d'un intercom, il n'y a qu'un trou. Piaz essaie quand même la poignée, en pure perte. La pièce de métal lui reste presque dans la main. Soupirant de dépit, elle se retourne et embrasse l'avenue du regard.
Quelqu'un l'observe, depuis le trottoir opposé. Quelqu'un qui n'était pas là trente secondes auparavant. Un Bromulien.
- Chrisco ?
- J'ai vu.
Le Bromulien, d'un geste, invite la jeune femme à le suivre. Il repart sans attendre qu'elle ait traversé pour le rejoindre, aussi Piaz Adora, sans forcer son allure pour le remonter, marche-t-elle une dizaine de mètres derrière lui. Le Bromulien ne ralentit ni ne se retourne jamais. Il se contente d'avancer jusqu'à la porte d'entrée d'un bâtiment qu'il pousse et dans laquelle il disparait.
Le Lieutenant-Colonel Piaz Adora, des Forces Françaises Inter-Spatiales, rejoint la porte restée ouverte, derrière laquelle naît un vestibule plongé dans la pénombre. Elle dégaine d'un holster sous son aisselle son foudroyeur réglementaire, un Manhurix modèle MR600, calibre .357 Magnum-laser triphasé, et en vérifie la charge, avant de le rengainer.
- Chrisco, je rentre. Je suis le Bromulien.
- Roger-Roger, fait le drone en retour.

Elle rattrape son contact au fond du vestibule. Le Bromulien l'attend près d'un escalier en colimaçon qui s'enfonce vers le sous-sol. Piaz Adora descend à sa suite, et ils débouchent trois niveaux plus bas dans une cave poussiéreuse, minuscule et basse de plafond, faiblement éclairée de quelques torches retenues par des appliques rouillées. Sans être claustrophobe, Piaz Adora n'est jamais à l'aise dans les espaces trop confinés. Elle se demande un instant si elle ne va pas regretter le marché central à ciel ouvert.
Le Bromulien a disparu. Il est descendu devant elle et s'est effacé vers la gauche au bas des marches. Elle ne l'a perdu de vue qu'une minute, et voilà qu'il s'est proprement volatilisé.
- Chrisco ? tente la jeune femme dans un murmure.
Silence au bout de la ligne. Et soudain, l'écho d'un feulement. Le corps tout entier du Lieutenant-Colonel se tend. Il y a plusieurs sortes de feulements dans l'immensité de l'univers connu. Celui-là, elle a appris à le reconnaître sans l'ombre d'un doute. Pantérax.
Piaz Adora sort son revolver et l'arme. Elle fait quelques pas dans la cave, tentant de percer du regard les coins où la lumière des torches ne va pas. Plusieurs colonnes au revêtement écaillé soutiennent le plafond. Tout en les contournant, la jeune femme découvre que la cave est plus longue qu'elle ne l'a cru.
- Vous ne craignez absolument rien, ma Chère.
Une voix grave, aux accents puissants. Et fauves. Une seconde plus tard, comme une gifle, le musc de la bête. Adora affirme sa prise autour de la poignée de son Manhurix.
- J'en ai déjà neutralisé des dizaines comme vous, lance-t-elle sur un ton bravache.
- Et je le répète, vous n'avez aucune raison d'avoir peur, non ?
- Je n'ai pas peur !
Elle a crié, presque. Elle se maudit pour ça. La dernière chose dont elle a besoin, c'est qu'ils s'imaginent qu'elle flippe. Et puis combien sont-ils ? Piaz parie sur un seul individu. L'endroit empesterait, dans le cas contraire. Fumiers de Pantérax. En bande, ils sont souvent patauds, rapidement désorganisés. Mais un tigre isolé, c'est une autre paire de manche. Une toute autre blague.
- Je n'ai pas peur, répète-t-elle d'une voix glacée.
Une autre colonne, d'autres torches, les flammes crépitantes dessinant d'autres zones d'ombre. Et puis finalement un mur, cinq ou six mètres en face d'elle. Le fond de la pièce. Elle se retourne, à l'affut du moindre bruit autre que son coeur cognant dans sa poitrine.
- Vous m'avez manqué, de peu, reprend la voix.
Un mouvement sur sa droite. Une demi-seconde pour pivoter et mettre en joue. Il y a quelque chose dans le coin, là-bas, le coin tout noir.
- Ne tirez pas, Colonel. Je vous en prie.
Le Pantérax sort enfin du sombre, lentement. Ce n'est pas le plus gros qu'elle ait affronté, mais le fauve humanoïde est tout de même d'une taille impressionnante. Ce qui est inédit, en revanche, c'est qu'il boite et s'aide d'une canne. Et la surprise est complète lorsque Piaz rencontre son regard, fixe et vitreux.
- Vous ne vous attendiez pas à ça, non ? Vous avez demandé à rencontrer les yeux de Big-Bassam, les seuls yeux capables de vous dire ce qui rentre, ce qui sort. Ce qui s'achète, ce qui se vend. Mais vous étiez loin d'imaginer que ces yeux étaient ceux d'un de vos pires ennemis, non ? Aveugles, de surcroit !
La bête part dans un rire qui se mue rapidement en une longue quinte de toux. Elle reprend son souffle avant de faire quelques pas, sa canne balayant l'espace devant elle.
- Vous avez les cheedos ? s'enquiert-elle.
- Je les ai laissés dans le Fly-taxi.
- Dommage, regrette le tigre. Ça m'aurait fait mon quatre-heures. Oui, parce que je suis aussi végétarien. Encore plus surprenant, non ?
Un nouveau rire, une nouvelle quinte de toux. Le Pantérax est à présent assez près pour qu'on puisse le dévisager. La fourrure de sa gueule, blanchie autour du museau, trahit un âge avancé. Elle porte aussi les traces évidentes d'une vie d'action et d'escarmouches. Le regard est mort, c'est une certitude. Pour le reste, on est bien en face de l'un des créatures qui donnent tant de fil à retordre à la République Française.
- Je ne suis pas comme les autres, je ne vais pas vous sauter à la gorge. Il serait inutile de vous assommer de détails, sachez simplement que certains d'entre nous ne partagent pas les velléités agressives et expansionnistes de notre race. Et dans ce cas, il ne reste que la mort, ou bien l'exil volontaire. Une autre fois, peut-être, je vous raconterai comment et pourquoi j'ai choisi Big-Bassam. Pour l'instant, posez-moi votre question, Mademoiselle. Et si vous le voulez bien, ensuite, je vous en poserai une à mon tour. Dans cinq petites minutes, vous serez de retour à la surface avec votre réponse.
- Je n'aime pas le « mademoiselle ». Je préfère « Colonel », de loin. Ceci dit, je suis à la recherche d'une cargaison de lamprosites.
- Ah, oui, soupire le Pantérax sans relever le reproche. Les lamprosites, c'est vrai. De si petites créatures, tellement insignifiantes… Ma question à moi est la suivante: comment avez-vous réussi à abattre Brantax et à vous échapper avec le dossier D ?

Cinq minutes plus tard, comme l'avaient prédit les yeux de Big-Bassam, la jeune femme quitte le bâtiment décati. Elle est furieuse. Elle redescend l'avenue à grands pas, commande un Fly-taxi d'un coup de cube Phonix et s'adresse dans la foulée à son co-équipier volant:
- Chrisco, on déménage !
- Comment ça s'est passé ?
- Je te raconterai. On a perdu notre temps. Après San Pedro, on a encore tapé à côté. Putain, c'est pas vrai ! (Elle donne un grand coup de pied dans un carton vide qui traine.)
- Kameroon, maintenant ?
Piaz Adora confirme.
« Oui, Kameroon. Kameroon. Ça ne peut être que là. »

8. JJTN se fait doubler.

Ils se dirigent tout droit vers l'écoutille la plus proche. Mathilda fait sauter un petit panneau métallique qui jouxte l'accès, et derrière lequel se dissimulent plusieurs branchements pour les cas d'urgence. Tandis que l'intelligence artificielle se connecte au Demeter, d'autres coups de feu leur parviennent. Trou Noir jure et dégaine son pistolet laser. Mathilda, de son côté, investit l'aéronef comme elle sait le faire. Un battement de sourcils, et elle fait corps avec lui, elle est lui. Aux commandes intégrales du bateau. Sans perdre une autre seconde elle déverrouille l'écoutille et se rue à l'intérieur, Trou Noir sur ses talons. Des détonations, encore. Plus proches.
- Le pont de pilotage ! s'écrie l'androïde.
Le Demeter est un sosie parfait de leur navire, ils cavalent armes aux poings le long de coursives qu'ils connaissent par coeur et ne ralentissent qu'aux abords du pont. Se plaquant chacun d'un côté du sas d'entrée, qui est ouvert, ils reprennent leur souffle avant de compter en silence jusqu'à trois. Après quoi ils surgissent sur le pont, prêts à faire feu, mais de toute évidence, le show vient de se terminer. Et le final a été… tuant.
L'air est saturé de cordite. Les traces de la fusillade sont partout, sur les murs, le sol comme le mobilier. Le poste de pilotage est explosé, inutilisable. Et bien sûr, il y a les corps. Trois Sulvaniens à un bout de la pièce. À l'autre bout, un humain. JJTN s'approche, son pistolet toujours levé mais il rengaine vite. Le type par terre n'est pas près de se relever.
- Qu'est-ce que ça dit, de ton côté ? lance le Capitaine.
- Les babars sont fumés, lui répond Mathilda.
- Alors viens voir un peu par là.
L'androïde le rejoint, s'accroupit près du cadavre.
- Qu'est-ce que tu en dis ? lui demande Trou Noir.
- Je pense qu'on a là Tibérius White-Dwarf. Je pense qu'il ne te ressemble pas forcément, il est plus jeune. Je pense que les choses ont mal tournées entre ses potes Sulvaniens et lui, je pense qu'on ne sait pas pourquoi et par conséquent, je pense que cette histoire est un peu plus compliquée maintenant qu'il y a dix minutes.
- D'accord. Maintenant regarde ça, Poupée. Ça, ça va vraiment te faire faire un looping.
Trou Noir lui désigne du doigt l'avant-bras gauche du cadavre. La manche de la veste est relevée au-dessus du poignet, et un tatouage est clairement visible, qui part de la naissance de la main pour disparaitre en remontant sous le tissu. Mathilda a un hoquet de surprise.
- Tu te fous de moi, Capitaine ?…
Trou Noir saisit la main du mort et repousse le vêtement pour mieux découvrir le motif encré.
- C'est du délire, dit-il.
- C'est exactement le même que le tien.
- Avant que je me le fasse enlever, oui.
- Wouah.
- Comme tu dis.
Trou Noir se redresse, s'éloigne d'un pas ou deux.
- Putain. Il a fallu en plus que ce soient des Sulvaniens. Bon, réfléchissons deux secondes, réfléchissons bien, BORDEL DE MERDE ! Ce con a un nom qui fait penser au mien. Il s'est dégoté le même bateau que moi. Il porte le même tatouage ! Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il se fait passer pour moi ?
- Attend, attend. Ça n'a aucun sens. Le soir de notre arrivée, la Fraternité Noire manque de te buter mais ils avouent plus tard qu'ils se sont trompés de cible. Ils le cherchaient, lui. Mais si White-Dwarf se faisait passer pour toi, alors en te prenant toi en chasse, ces gros nazes avaient la bonne cible sous les yeux. Ça n'a aucun sens…
- Et puis qu'est-ce que ça veut dire ? s'interroge Trou Noir. Il y a un contrat sur ma tête ? Mais personne ne sait que Jean-Jacques Trou Noir est sur Kameroon.
- Ben…
- Attend, Mathilda, ce mec ne peut pas réellement vouloir se faire passer pour moi, personne ne fait ce genre de choses ! Je l'avais jamais vu avant, en plus ! Et quel rapport avec les lamprosites ?
- En tout cas, les Sulvaniens n'ont pas perdu de temps.
Le pirate explose tout à coup:
- Mais ces cons de pachydermes ne connaissent même pas mon pseudo !
Mathilda jette un dernier regard à Tibérius White-Dwarf, tout pâle, tout raide, atteint par une bonne dizaine de balles.
- Ce qui est sûr, conclue-t-elle, c'est que cet imbécile ne l'a pas jouée discrète. Et que ça ne lui a pas porté bonheur. (Elle pivote vers son capitaine.) Je me demande si on devrait pas faire comme Turbine a dit. Plaquer les peluches et se casser d'ici. Un truc tourne pas rond, je suis pas à l'aise.
Trou Noir acquiesce. Se gratte le front. Se masse le menton, se frotte les yeux. Il se sent épuisé, tout à coup. Vidé. Chaque piste de réflexion même à l'absurde, et les puzzles mentaux n'ont jamais été sa tasse de thé.
« On rentre à l'hôtel », finit-il par lâcher.

                                                 ***

Sur le chemin du retour, JJTN anticipe une nuit blanche, à s'arracher les cheveux en vaines conjectures. Que nenni ! Une fois dans sa chambre, le pirate s'écroule, sans même prendre la peine de se déshabiller. Des rêves abrutissants, sans queue ni tête, l'occupent plusieurs heures durant. Lorsqu'il rouvre les yeux, le lendemain est déjà là, et bien entamé.
Posant les pieds sur la terrasse, Trou Noir s'arrête un moment devant les reproductions en taille réelle d'antiques statues humaines, une touche kitsch dont les décorateurs de l'endroit n'ont pas songé à se priver. La déesse qu'il dévisage lui renvoie un regard de plâtre. Ses seins nus se dressent avec fierté tandis que, pudique, elle a ceint ses reins d'un voile qui, dit-on, plusieurs dizaines de siècles auparavant, sur Terra, devait être d'une couleur vive. Rouge. Ou jaune. Un peu plus loin, c'est une autre divinité qui parade dans une même nudité mais celle-ci est résolument parée au combat: casquée, et porteuse d'un glaive dont on imagine qu'il a dû faucher plus d'un destin.
Au-dessus des statues, le ciel est d'un blanc laiteux, très lumineux. Le pirate en plisse les yeux, en cherche ses Rayban (elles sont restées sur la table de nuit). L'atmosphère, plus étouffante que les derniers jours, confirme la prévision météo. Une saison d'eau s'annonce pour très bientôt. Mais suivant le nouveau plan de Trou Noir et ses résolutions de la veille, le Maracuja sera loin lorsque les premières fortes pluies s'abattront sur Zantibo.
La terrasse est vide. Les gamins et Mathilda doivent encore dormir. Ah, non, tiens. Voilà l'androïde qui arrive. Et qui rejoint son capitaine en lui tendant un cube Phonix, « Dolan Belllock. Pour toi. » Trou Noir s'empare du cube et, sur un ton enjoué:
- Tu te décides enfin à me parler, vieux crabe ?
- Les Sulvaniens tiennent tes deux protégés, connard. Ils m'ont chopé moi aussi !
Trou Noir se tourne vers Mathilda. Son regard suffit à placer immédiatement l'intelligence artificielle en vigilance 1000.
- Tu as vu Cassiopée, ce matin ? lui murmure-t-il. Ou Turbine ? Fonce,  appelle leurs chambres !! (De retour vers le cube Phonix) Dolan ? Je suis là, Dolan. Parle-moi.
- Espèce d'idiot ! s'écrie Belllock à l'autre bout du fil. Ils m'ont tatané, ils n'ont pas l'air de vouloir rigoler, du tout, du tout. Ils te veulent pour une explication. Ce soir, 19h rue T103. Note, crétin ! Rue T103, quartier Azito. Au bout du bout, tu trouveras un complexe désaffecté. Sois ponctuel. Ne joue pas au con, Trou Noir !
La communication est interrompue, brutalement. Les doigts de JJTN, crispés autour du cube. Un flot de lave inonde ses veines. Si ces pachydermes de malheur touchent à un cheveux de sa stagiaire, on les décapsulera tous ! On tuera leurs mères, on tuera leurs pères, on tuera leurs chiens ! Et on foutra le feu à leur putain de planète !! La rage manque d'étouffer le pirate. Il vient d'en balancer le cube Phonix par dessus la rambarde de la terrasse lorsque Mathilda accourt.
- Les chambres sont vides, lance-t-elle, sombre. J'ai eu la réception, personne de l'hôtel ne les a vus depuis hier soir.
- Je vais tous les buter…, gronde Trou Noir. (Les muscles de ses joues saillent sous la contraction de sa mâchoire. Il relate les maigres secondes du coup de fil.) On a un peu de temps pour se préparer, Poupée. Et quand je dis « on », c'est à toi que je pense. Je m'habille et on prend l'annexe. Tu conduis, je vais t'indiquer une méchante adresse. Tu sais quoi ?
Ce qui se passe à cet instant sur le visage de Jean-Jacques Trou Noir est irrémédiablement homicide.
« Ça se termine ce soir », assène-t-il.


9. JJTN siffle la fin.

Le bout du bout de la rue T103, à l'extrémité ouest de la capitale, est un immense terrain privé, grillagé autrement plus sérieusement que ne l'était l'astroport. Le terrain est nu à l'exception d'une usine de traitement de déchets bi-actifs, élevée en son centre et qui ne semble plus en activité depuis lurette. Reconnaissant la zone, Trou Noir et Mathilda ne remarquent aucun signe de vie. Ils se posent à l'intérieur de l'enceinte, et au moment de fouler le sol de la propriété, un éclair titanesque déchire le crépuscule au-dessus de leur tête, suivi une seconde plus tard d'un coup de gueule des plus intimidants. L'orage est tout proche. L'air a un goût de sang. « De rouille », corrige Mathilda.
Impossible de ne pas le remarquer: l'armure méta-mécanique dans laquelle s'est installée l'intelligence artificielle (un simple port usb fait l'affaire), est trois fois plus épaisse que la précédente. Trou Noir marche aux côtés d'une espèce de sumotori d'acier bardé d'électronique, à fort potentiel menaçant. Un message simple à l'attention des bêtes à trompe.
Trou Noir et sa Mathilda 2.0 arrivent devant une haute double-porte dont le métal rutile, à l'inverse du reste de la carcasse de l'usine. Un accès très certainement sur-blindé, mais il y a gros à parier que le bâtiment dans son ensemble est une forteresse difficilement prenable. Trou Noir se racle la gorge, avant de s'annoncer à voix haute:
- Salut, les maboules !
Pas un écho dans le silence qui suit.
- Hé ho ! insiste le pirate. Y a quelqu'un qui m'a dit que il était dix-neuf heures passés ! Ça vous parle ?!
- Qu'est-ce que c'est ? réagit enfin un haut-parleur sinusité.
- C'est Trou Noir ! balance Trou Noir. Le vrai ! Pas un kéké en goguette ! Bougez-vous, j'ai les vapeurs, déjà !
- N'en fais pas trop, lui conseille Mathilda. Tu vas les énerver plus qu'il ne faudrait.
- Je te jure, Poupée, ce truc me met les nerfs. Si jamais ils ont abimé les gamins…
- Mais non. Ils sont pas cons à ce point, le rassure l'androïde.
Le bruit d'un loquet, et la double-porte s'entrebâille.
- C'est au fond, à droite, reprend le haut-parleur qui aurait bien besoin de Stérimar.

Les Sulvaniens font rarement dans le compliqué, il faut le leur accorder. Ils attendent leurs visiteurs du soir dans une grande salle ronde, peut-être au coeur de l'usine, ou pas loin. Au centre de la salle, ils ont installé leur trois otages, ficelés chacun sur une chaise, et dos à dos.
« Ah, les fils de chiens ! », grogne Trou Noir en pénétrant dans la salle.
Une bonne cinquantaine de paires d'yeux minuscules se tournent vers l'entrée. Trente canons de fusil d'assaut, également. Les vingt autres restent pointés sur les otages. Trou Noir s'inquiète de son équipe, avant toute chose. Cassiopée et Turbine semblent indemnes, leurs cernes mises à part. Ils n'ont pas l'air plus choqués que ça. Belllock, lui, n'avait pas menti: il a été battu. Et assez sévèrement, comme en témoignent ses vêtements tâchés de sang, déchirés à plusieurs endroits, ses deux yeux pochés ainsi que ses deux bouches tuméfiées et bleuies par les hématomes. « Ça aussi, je leur ferai payer », se promet Trou Noir.
- Qui est le chef, ici, bande de nazes ? tonne le pirate.
Une grosse créature se détache du groupe de Sulvaniens.
- Oh, oh ! On se calme, un peu ? C'est moi, le chef. Le nouveau chef. Et ça sert à rien, les insultes. On s'en fout. Qu'est-ce que c'est, ce bordel ?
- Non, c'est moi qui demande, fait Trou Noir qui est loin de redescendre en pression. (Désignant les trois âmes ligotées). QU'EST-CE QUE C'EST, CE BORDEL ?
- Puisque tu te calmes pas, fait le boss, on va te calmer, nous. Et pour commencer, on va mettre ta copine, là, en mode « forcer à quitter ».
Un acolyte s'avance et lève vers Mathilda un petit boitier noir dont il presse alternativement les trois boutons qui l'équipent. Tout le monde retient son souffle. On s'attend bien à quelque chose, mais après une dizaine de secondes, on doit se rendre à la conclusion que quel que fût l'effet escompté, ça n'a pas marché. L'androïde se penche vers Trou Noir et le confirme.
- Nibe.
Le pirate furax éclate de rire.
- Attend, Dumbo, tu voulais tilter cette meuf, là ? Mon meilleur élément ? Mon assistante cinq étoiles ? Ma conscience ? C'est une manie, vous êtes fous. Poupée, montre-leur.
Totalement opérationnelle, Mathilda obéit en écartant les bras. Ses mains se rétractent dans leurs poignets et à la place apparaissent les museaux de deux vilains canons à ion. Des trappes dans les épaules de l'armure s'ouvrent ensuite pour laisser passer des batteries de petits missiles à guidage thermique (forcément thermique). Dans les rangs pachydermes, un certain émoi gagne, que leur boss tente de circonscrire avant que ça ne tourne à l'inquiétude. Car chez un Sulvanien, et malgré son gabarit, de l'inquiétude à la panique, il n'y a qu'un tout petit pas.
- Merde. (Le boss se retourne vers sa bande). Ok, tout le monde. Pas d'angoisse. On est toujours plus nombreux qu'eux…
- C'est Jean-Jacques Trou Noir, quand même ! le coupe une voix nasillarde, depuis le fond de la salle.
- Et puis, y a Mathilda, aussi, rajoute une autre voix.
Le boss secoue la tête en soupirant. Décidément, la chance les a abandonnés, sur Kameroon. Toute cette opération pue le fiasco. Par la malpeste ! Revenant à Trou Noir:
- Bon. Qu'est-ce que tu proposes ?
- Déjà, tu libères mes amis ! (Sur un geste de leur patron, deux créatures rengainent leur fusil et se précipitent pour aller détacher les trois otages.) Ensuite, on s'explique, gros tas. Je suis venu sur cette planète avec pour seul projet de fourguer des lamprosites. Et je me retrouve au milieu d'un machin incompréhensible.
- Nous non plus, on comprend rien ! Tout ce qu'on voulait, c'était repartir avec les bestioles, après t'avoir payé ! Un truc rapide et honnête ! Et on s'est fait tondre, l'autre jour, dans la clairière !
- Ça, fait remarquer Trou Noir, c'est pas nous. Mais je sais qui c'est, si ça t'intéresse, tout à l'heure.
- Ça peut. Mais alors, qu'est-ce qui empêche ce putain de deal de se faire ?
- Nous ! lance alors une voix féminine, attirant toutes les têtes dans sa direction.
- Par la Sainte Barbe, s'exclame Trou Noir.

« Vigdis Andreassen… (JJTN soupire). Vigdis Andreassen, c'est une histoire courte, voyez ? Mais assez passionnelle. Une histoire qui ne regarde qu'elle et moi, finalement, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle ne m'avait jamais fait part de ses inclinaisons écologistes. Imaginez ma surprise lorsque je la vois débouler entourée d'une vingtaine de gars de sa bande - en passant, j'en ai reconnu certains du bon vieux temps, qui se piquaient ce soir-là de défendre la cause animale mais qui à l'époque ne mangeaient pas que de la salade, si vous voyez ce que je veux dire… Bref. Vous auriez dû voir la tête du chef des Sulvaniens. D'autant que parmi les nouveaux venus, il y en avait bien cinq ou six, de bêtes à trompe. Trahison, lol ! Bon, je vous refais le topo: les pachydermes d'un côté, les activistes écolos de l'autre (armés, l'air très déterminé), et nous, ma bande et moi, pile au milieu. Moi, je n'arrivais pas à détacher mes yeux du visage de Vig, que je trouvais toujours très beau. Bien sûr, je lui en voulais un peu pour la dérouillée qu'elle m'avait infligée devant chez elle, deux ou trois jours auparavant, mais qu'est-ce que vous voulez ? Quand on est sentimental… Et voilà la donzelle, un pulvérisateur 16-64 entre les mains, en train de nous expliquer que ses copains et elle luttent pour sauver les animaux, et que si elle a raté son coup une première fois, la seconde sera la bonne. « Aucun lamprosite ne repartira aux mains des Sulvaniens ! », hurle-t-elle. Et d'une pierre le deuxième coup: elle débarrassera l'univers d'un ignoble trafiquant. Ce disant, elle plante son regard dans le mien. J'ai bien essayé de me défendre… »

- Hé là ! Stop, stop ! s'écrie JJTN. Je suis pas du tout un trafiquant ! Je suis tombé par hasard sur la cargaison de lamprosites, j'ai juste cherché à les revendre.
- C'est minable, tranche Vigdis en balayant de son front une jolie mèche rousse qui la gênait un poil. T'es minable, JJ ! Aussi minable que ton idiot de sosie, à l'astroport.
- Une minute ! s'étonne le pirate. Quel rapport avec le faux Trou Noir et son assassinat par les Sulvaniens ? (Et là, c'est le boss des pachydermes qu'il poignarde des yeux).
- Pffff ! moque Vigdis. Vous n'avez fait que vous tromper, tous, dans cette histoire. De vraies buses. Remarque, nous aussi, on s'était trompés. On s'en est rendu compte en interrogeant ta doublure à deux balles, dans son bateau débile. Il avait jamais entendu parler de lamprosites, ce nullos ! Mais on en a rien à faire, finalement. Tous les acteurs sont sur scène et maintenant, on va lancer le final !
Les activistes lèvent leurs armes et mettent tout le monde en joue. Mais juste avant qu'ils ne pressent la détente, une énorme déflagration emporte tout un mur de la pièce, et avec lui plusieurs bonhommes des deux bandes. Le souffle de l'explosion couche les autres, en perçant quelques tympans. Et lorsque la poussière et le fracas se dissipent, c'est pour révéler un troisième groupe de combattants, emmenés par un robot tout fin et orange, au faciès placide mais équipé de deux revolvers à canons larges !
- Alors ! lance le droïde d'une voix étrangement douce. Lesquels d'entre vous sont responsables du massacre de Tibérius White-Dwarf ?
Trou Noir et Mathilda se regardent, estomaqués. Et dans un parfait ensemble:
- Le droïde de protocole !!!

« Quelqu'un a crié « À mort ! », à l'ancienne, voyez ? L'instant d'après, c'était un carnaval de détonations et de tirs de laser. De chaque côté, des visages fous, des gueules hurlantes. Des corps à la renverse, du rouge, partout. J'ai dégainé, comme tout le monde. J'ai neutralisé deux Sulvaniens avant de m'intéresser à une grappe d'écolos qui s'étaient avancés en mitraillant et m'empêchaient de rejoindre Cassiopée et Turbine. Il fallait que je les sorte de là, ces deux zigs, rien d'autre n'avait d'importance. Oubliés, les lamprosites ! Dans tout ce barnum qui commençait à sentir le barbecue, il me semblait parfois distinguer les cris de Vigdis comme elle haranguait sa troupe. À un moment, j'ai cessé de l'entendre. J'avais réussi à rejoindre mes poussins à moi, je les avais tirés et poussés à l'abri d'un gros truc en métal, tout en arrosant à l'aveugle. Belllock, malgré son état, s'était débrouillé pour nous coller aux basques. Je lui ai filé un flingue et tous les deux, de là où on était, on a rajouté pas mal au bordel. Mathilda, de son côté, s'est négociée une dizaine de maboules (à trompe ou sans) avant de bondir sur le droïde illuminé. Je vous promets, je ne sais pas à quoi carburait ce machin mais il était lâché dans la pagaille, une vraie furie déchaînée ! Jusqu'à ce que ma Mathilda, pareille à un gladiateur obèse, ne lui tombe sur le râble. J'étais bien occupé moi-même, à cet instant, mais du coin de l'oeil, je peux quand même témoigner que je l'ai vue lui arracher les deux bras avant de lui dévisser le chapeau, comme ça ! (Le Capitaine claque des doigts.) Sans autre forme de procès.
Vous ne le savez peut-être pas, mais ce genre de bacchanale trouve vite sa conclusion, en général. Les gens meurent vite. Et plus il y a de monde au départ, paradoxalement, plus ça dure moins longtemps. Quand une grenade fumigène a explosé dans la pièce, j'ai saisi ma chance au vol. J'ai switché mon pistolet sur rafale automatique, et tout en canardant généreusement dans le brouillard, je nous ai tous fait reculer jusqu'à ce qu'on se retrouve dehors, loin du souk, et sous une pluie battante. On s'est précipités vers l'annexe. Mathilda ne répondait pas à mes appels radio mais au moment de lancer les moteurs, je l'ai vu s'extraire de l'usine en en défonçant un mur, et deux ou trois Sulvaniens s'accrochaient à elle. Quelques coups de tatane plus tard, elle nous rejoignait dans la navette et je mettais les gaz. »


Piaz Adora, en retard.

Le serveur prit son temps mais on finit par le voir revenir avec la commande. Situé sur l'astroport, à la jonction de deux zones de mouillage, le Carib Star n'était qu'un boui-boui mais on pouvait y déguster de fabuleux cocktails, étonnement. Cassiopée avait pris un « tueur sanguinaire » (rhum, vodka, nectar de pêche, jus de cranberry), et dans le même ordre d'idée, Turbine s'était décidé pour un « tue la mort », mélange de rhum blanc, de bourbon, de téquila, de vodka, de chartreuse verte et de cognac, JJTN en avait sifflé d'admiration, assurant le garçon de son éternel respect s'il arrivait à vider son verre. Un marsal'fletcher pour le Capitaine, mais il pria le barman d'oublier le sucre de canne (« après, j'ai des aigreurs », s'était-il justifié, ce qui avait fait sourire). Quant à Mathilda, elle s'abandonnait dans la contemplation distraite des fresques naïves peintes à même les murs, sans perdre une seconde, malgré tout, de la conversation qui animait la table.
Ils s'étaient installés au fond de la gargote. La matinée sortait à peine du lit, les clients étaient encore rares. Un moment parfait pour un petit débrief, et de toute manière, Trou Noir voulait décoller tôt.
Passée la première gorgée (Turbine en éternua deux fois), on sacrifia au rituel du tour de table. Cassiopée, comme à son habitude, avait adoré chaque minute passée à Zantibo. Même les plus inconfortables, et il y en avait eu quelques unes. La gamine avait trouvé magiques le début du séjour, et la découverte de la grande cité. La seconde partie de l'aventure l'avait plus secouée mais elle en revenait plus riche d'enseignements sur le quotidien des pirates, et c'était tout bénef' pour son rapport de stage. Mathilda ne rata pas l'occasion de plaisanter sur la longueur du dit rapport, et la date de sa livraison, sans cesse reportée. Faussement vexée, Cassiopée rétorqua qu'on parlait d'un document très important pour elle, dont elle ne saurait bâcler la rédaction.
Quand vint le tour de Turbine, le jeune homme confessa qu'il n'avait pas tout compris à cette histoire mais que pour lui, l'important était ailleurs. Et pour appuyer cette mystérieuse déclaration, il produisit un ustensile dont la vue provoqua la plus grande circonspection.
- …
- Ah ah ! Ça vous la coupe, hein ? fanfaronna le cuisinier.
- Ah, moi je sais ! tenta Mathilda. C'est… euh… C'est une…
- Attends, attends, dit Cassiopée. Il y a une grosse boule, avec une trappe. Il y a cette manivelle, là…
- Ça va dans le feu ! s'écria Trou Noir.
- Oui, concéda Turbine.
- On met des trucs dedans !
- Allez, je vous le dis, parce que vous trouverez pas, conclut le frimeur. C'est pour… torréfier le café ! Et ce qui est fabuleux, c'est que c'est hyper rare d'en trouver, et d'aussi bien conservés ! Sans blague, j'ai dû faire au moins six antiquaires avant de le dénicher. Et attention ! Tenez-vous bien ! Il fonctionne ! Le type m'a fait une démonstration, j'en revenais pas, je me suis dit, c'est pas croyable, une telle veine, c'est comme, je sais pas, c'est comme trouver un truc, tu vois, que tu cherches depuis des années d'une galaxie à l'autre, et alors, vous allez voir, le café que ça fait, c'est juste un truc de fou, c'est un miracle, c'est une espèce d'or noir, vous pouvez pas savoir comme je suis content, j'y croyais plus, je vous jure, c'est…
- C'est génial, laissa tomber Cassiopée du haut d'un cruel désintérêt.
Suivit une longue minute de silence gêné, au bout de laquelle Turbine remisa sa trouvaille par devers lui avant de plonger dans son cocktail.
- Y finira jamais son verre, marmonna JJTN.
- En attendant, intervint Mathilda, on est loin d'avoir les réponses à toutes nos questions. Et on a toujours ces fichus lamprosites sur les bras.
- Tu sais quoi ? lui répondit le Capitaine. Sors-nous de cette orbite, laisse-moi deux jours et je trouverai une solution. Une solution tranquille.
- Et moi, je propose un cul sec ! s'écria Cassiopée.
- Et moi je défonce le premier qui vomit dans mon bateau, menaça Trou Noir.

L'annexe s'arracha à l'astroport en sifflant et grimpa jusqu'au  mouillage du Maracuja en une dizaine de minutes. De retour au bercail, chacun s'affaira aux préparatifs du départ. Lorsque vint le moment de quitter Kameroon pour de bon, on aurait pu trouver Cassiopée le nez écrasé au plus gros hublot, emplissant une dernière fois ses mirettes des lumières scintillantes et indéchiffrables de Zantibo, loin tout en bas.

- Capitaine, avons-nous un cap ? demanda Mathilda. L'intelligence artificielle avait pris place à la barre du navire, à droite de Trou Noir. Se trouvant tout à fait à son aise dans son armure de combat maousse, et bien que cela lui donnât l'allure plutôt ronchonne, elle avait obtenu de pouvoir continuer à la porter.
- Poupée, cap sur les étoiles ! lança JJTN, gai comme pas deux.
- C'est parti, fit l'androïde. Mais… Oh ! Tu as vu ? Qu'est-ce que c'est que cette corvette, sur nous par tribord ? Ah ! Ils nous contactent. J'ouvre un canal de communication. Oui ? Il y a quelqu'un ?
- Maracuja ? Ici le Lieutenant-Colonel Piaz Adora, des Forces Françaises Inter-Spatiales, à bord du Lionel-Jospin ! Je vous commande de ne pas bouger, nous allons vous arraisonner immédiatement. Veuillez préparer votre manoeuvre !
- Euh… fit Trou Noir.
- Euh, reprit Mathilda. Qu'est-ce qu'on fait ?
- Je ne sais pas ce qui se passe, Chérie, mais j'en ai ma claque, alors PLEIN GAZ !!!
Les quatre énormes réacteurs du Maracuja se mirent à rougeoyer, et propulsèrent le navire hors de l'orbite de Kameroon. Dans le Lionel-Jospin, on n'avait pas imaginé autre chose.
- Comme prévu, ils choisissent la fuite, déclara l'enseigne Prouteau.
Un sourire carnassier naquit sur les lèvres pleines et rosées de Piaz Adora, comme elle regardait sa proie s'éloigner à grande vitesse.
- On les suit, bien sûr, ordonna la jeune femme. Vache ! On dirait bien que notre indic sur Kameroon nous a dit la vérité. Et après tout le temps qu'on a perdu jusque là, leur tomber dessus dès notre arrivée relève d'une chance folle. Une chance que je compte bien essorer jusqu'à la dernière goutte !
« Capitaine Jean-Jacques Trou Noir, on ne se connait pas encore, mais je te jure que je vais te faire passer l'envie de faire mumuse avec des boules de poils. Ça va être sport, et ça va te plaire. Ou pas. »


À SUIVRE…

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