Emmanuel et elle

thegirlwiththeeyetattoo

Il. Elle. Eux.

"Tu te rappelles pas ? 

Mais putain est ce que je dois te faire mal à chaque fois pour que tu te souviennes? 

Ce n'est pas parce que tu m'aimes qu’on doit être ensemble bordel ! 

Et de toute façon, tu ne m'aimes pas, tu me détruis, tu m'assassines, tu fais ressortir le pire de ma personnalité.

"Nous" tu vois, le nous que tu chéris tant, "nous " sommes macabres. 

Je te regarde toujours avec les yeux du meurtrier devant sa victime. Et comme à chaque fois, je te tue, je te blesse, je jubile malgré la monstruosité de mon acte, et je jouis néanmoins de ton cadavre.

Le monde me crèverait s’il pouvait voir à travers mes yeux d’aliéné. 

Et toi, toi tu couvres mon corps de baisers comme si il était sacré, et tu ne comprends rien à rien, vas t'en, vas t'en… Tu me tues. »

Il avait dit cela très calmement, avec le serpent méprisant de ses yeux, et le sourire tranchant, mais tous ses membres étaient tendus. 

Comme il savait bien jouer cette feinte indifférence, comme il était facile pour elle de voir au travers.

Et comme souvent, il l'avait encore aimée ce soir-là, parce qu'il la détestait seulement autant qu'il l'aimait et qu’elle l’aimait tout court.

Elle avait éteint ses paroles de feu à l'écume de ses lèvres et au sel de ses larmes.

Elle dilua ses douleurs sous les cascades d'un rire mutin, puis l’acheva au rythme d'une vague perpétuelle.

Et ils s’endormirent bercés par le ressac de leur affection-boomerang.

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Et le lendemain ? 

Il sourit en ouvrant un œil parce qu'il senti l'odeur du café et ça voulait dire qu'elle était encore là. 

Assise sur un coin du lit, il regardait son cul et son dos et sa nuque : une statue de porcelaine n'aurait pas blanchie davantage sous l'incandescence d'une fournaise que sa peau sous les rayons du soleil.

Elle n'était pas belle, en tout cas pas comme dans les magazines ni dans les tableaux, mais elle avait ces attaches élégantes et ce port de reine qui la rendait inestimable, la plus délicieuse des esclaves.

Elle portait sur ses poignets deux araignées  de veines et d’artères qui habillaient ses bras de dentelle bleuâtre et ajoutaient à la fragile noblesse de son corps.

Elle semblait tant s'abîmer à vivre que chaque homme qui la côtoyait s'effrayait de sa légèreté.

Comme si, en sa présence, le temps devenait trop important pour la frivolité. 

Cachée sous son nom de garçon, elle était inconsciente de tout, et elle s'amusait de ces discours grandiloquents, de toute façon, lui-même n'y comprenait rien, et elle tout ce qui l'importait c'était le dénouement, quand il se laissait enfin faire, et qu’il l'embrassait, le cœur vidé par la bouche de toute la haine et l’horreur qu’il avait pu contenir. 

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« Leur histoire n'est pas simple»  qu'on disait, mais les gens parlent tous le temps vous savez….

 Ils n'en savent rien en fait, ils ne voient pas.
Eux deux, là, Marcel et son copain, ils s'en balancent

Ils se savent, et c'est simple. Ils savent qu’eux deux c’est évident.

Lui, il sait qu'elle n’écoutera pas les murmures de son brouillard, qu'il peut inventer ce qu'il veut parce qu’elle  n’entendra que ce qui compte vraiment : ses silences.

Elle, elle voit bien qu’il parle souvent pour faire durer le moment, celui avant le baiser, celui où empli de frustration et d’excitation on compte 1,2,3,4… jusqu’à ce que la résistance abdique et que l’on  puisse se manger le visage et le cou.

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Elle porte des jupes qui flirtent pour elle, et des chemisiers trop grands.

Lui des pantalons bien coupés et des chemises trop grandes.

Cela fait maintenant 3 jours qu’ils sont enfermés à rire et à pleurer, à jouer comme des enfants, à faire des tartes infectes qu’ils mangent quand même puis à faire l’amour en riant.

Ils sont si beaux nos amants.

Ils se récitent des vers et se dévorent le corps, ils s’inventent des vies puis s’enterrent sous les draps, et ils tournent et ils valsent dans la cuisine et le balcon et ils se moquent des passants pressés en leur jetant les plumes des coussins éventrés.

Cela fait maintenant trois jours et ça ne peut plus durer.

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L’odeur du café s’estompe.

Celle du bois craquelé la remplace, il est de nouveau seul.

Il sort prendre l’air et se rappelle la première qu’il l’a vu,  la première chose qu’il lui a dite, la première fois qu’elle l’a embrassé.

Oh oui la sotte, c’est elle qui l’avait embrassé. Marcel, et ses airs de femme fatale fit un jour volte-face parce qu’il la retenait par le poignet et lui offrit un baiser comme on soudoie son gardien pour la liberté.

La première fois qu’elle se mit à nue pour lui.

 La première fois qu’il lui dit je t’aime.

La fois où elle lui fit je t’aime.

 La fois où je t’aime ne voulait plus rien dire sinon son nom tellement ils étaient synonymes.

La fois où elle était sortie de sa maison, sortie de sa vie.

Les fois où elle était revenue, la garce. 

Même que ce jour-là, il commençait à l’oublier.

En fait non, elle n’était que sur le bout de sa langue, elle est toujours sur le bout de sa langue.

Elle l’aimait aussi à sa manière. Librement. En riant de l’acide sur un ton badin. Elle se sentait comprise avec lui, pas jugée, en sécurité, elle aimait son faux calme.

Emmanuel… Il n’était jamais complet dans sa tête, que des arrêts sur pellicule avant le fondu au noir, la sensation de douceur, le bleu surréaliste de se yeux, le timbre caressant d’un frisson, le sourire réprimé dans les dents, la douceur rêche de son caractère, l’étreinte revêche qu’il lui réservait, son cou, si souvent caché qu’il faisait nu lorsqu’il était découvert et qui finalement n’attendait que les bras d’une femme pour l’habiller.

Elle le voulait heureux comme au temps de l’ivresse où elle lui demandait de l’embrasser sur les lèvres et qu’il répondait « lesquelles ? ». Elle le voulait vraiment  heureux.

Alors elle s’en fut définitivement, brisant les liens qu’ils avaient créés en se prenant la main.

Et il resta muet devant tant de vide.

Mais même le dos courbé et la nuque brisée, il savait qu’avec les bras ballants il est plus facile d’étreindre d’autres horizons.

  

« On n’épouse pas sa muse, les femmes qu’on aime pour toujours rendent la vie sereine, et les gens heureux n’ont rien à dire. »

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