En campagne

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Tout a commencé par cette idée de vacances. Il faut bien que ça commence un jour, et là, ça a débuté avec une sombre histoire de « et si on prenait le vert », j’avais compris « et si on prenait un verre ».

Me voilà donc dans la voiture, depuis trois heures qu’on roulait, je me doutais que nous n’allions pas boire un verre. Alors j’ai pris la résolution de me taire. Cela ne le dérangeait pas de parler tout seul, il devenait dingue je crois.

Nous avons fini par arriver, c’était le pays des tracteurs « so sixtys ». Je n’allais pas m’en remettre. Nous étions en plein mois de juillet, il faisait 30° partout et ici on culminait à 15° selon le thermomètre de la voiture qui est toujours très généreux. J’ouvris la portière, je posais ma sandale payée un montant monstre. Le froid me saisit, un de mes orteils manqua de geler. Ça commençait mal il tenait sa première victoire à travers ma tenue qui fleurait bon l’été.

En vérité, je ne supportais pas la campagne, je m’y sentais mal, je n’aimais pas passer mes journées à ne rien faire, un stage sur l’art de l’origami m’aurait fait le même effet pour mes vacances.

J’étais tombée dans un pays où ils parlaient encore en franc, où je ne comprenais qu’un mot sur deux, le patois, ce n’est définitivement pas mon truc. Je me suis mise à l’« entraide », je ne connaissais pas ce mot, les ploucs me l’ont gentiment expliqué en me disant qu’essuyer les assiettes c’était de l’entraide. Il aurait pu m’éviter ça, mais non. A la place de la soirée « bonne paye », je suis partie me coucher.

Le lendemain, je me suis levée, je suis descendue dans le jardin, mais juste avant de toucher la pelouse du bout du gros orteil, je me suis payée la véranda, c’était son idée la véranda, il m’assommait…

… La cloche a retentit.

C’était l’heure du déjeuner, je n’étais pas habillée, je n’avais pas encore trouvé le chemin de la douche, ni même de mon premier café. Cette cloche, c’était une idée du plus vieux paysan présent. Il fallait soit disant mettre des règles en place pour que tout le monde vivent mieux. C’était surement bien pour eux, mais pas pour moi.

Tout le monde me cherchait, j’aurais voulu me cacher sous terre, mais je n’arrivais pas à ouvrir cette satanée véranda. Des vitres fixes, je ne voyais rien d’autre. J’essayais de l’ouvrir en apposant mes mains et en poussant vers la gauche, la droite, rien. Cette vitre était complétement immobile. Je cherchais du regard une fenêtre ailleurs dans la pièce, mais il y avait juste cette véranda. Je continuais à chercher. J’ai déplacé un yucca, et derrière j’ai trouvé une serrure, j’abaissais la poignée au-dessus, avec l’espoir de trouver ma liberté.

Mais rien ne bougeait, c’était fermé à clé. Il fallait maintenant que je trouve cette clé. La véranda était emplie de plantes, aucun meuble, je commençais à chercher dans les plantes… J’étais en train de soulever tous les pots de regarder dessous, de chercher ce satané bout de métal qui me permettrait de m’échapper.

Le temps m’était compté, le vieux faisait toujours un second appel, plus pour donner l’autorisation d’entamer sa tranche de pâté de campagne maison que pour appeler les retardataires. Je fouillais, je fouillais, je bougeais tout les pots, les yuccas, les hibiscus, les géraniums, l’oranger,

et la cloche a retentit…

Je me suis rendue dans la salle à manger, je me suis assise sur la seule chaise libre de la pièce, enfin non sans mal, ce satané chat est encore dessus. D'ailleurs, à part manger et se battre avec le chien, je me demande ce qu'il fait. Je me demande s'il pense...

…Tiens voilà la gourdasse! Elle n’est pas gentille avec moi, hier, elle m’a balancé du lit. Je dors TOUJOURS sur ce lit l’après-midi, le soleil de la véranda me réchauffe. Oui, parce que j’aime bien avoir chaud. Et voilà, elle me met hors de MA chaise, elle recommence. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, tout le monde m’aime ici. Par exemple, hier, j’ai même eu le droit aux caresses d’Hector mon patron, qui pourtant préfère Caramel. Il était fier de moi quand j’ai ramené un mulot de la grange. Je suis certain que demain, j’aurais du mou, j’en ai aperçu dans le frigo. J’espère que ce ne sera pas pour Caramel.

Tiens, la gourdasse passe la main sous la table, mais que veut-elle? Je vais m’approcher pour voir. Oh du pâté, elle me prend pour un chien, j’hallucine. Je n’en mangerai pas, elle me cherche un peu trop, elle croit que je vais lui éviter le moment que je préfère dans le repas. Comme hier soir, c’était marrant. Elle n’a pas mangé le poisson, elle a déjà essayé de me le donner en douce, et je l’ai snobé. A la fin du repas, Hector lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mangé, elle a prétexté une allergie. Il m’a donné son assiette à table, comme un humain, elle était rouge, elle avait honte et je savourais ma victoire comme elle ne pouvait rien dire.

J’ai envie de m’amuser un peu, je vais aller voir Caramel, on va monter un coup tous les deux contre elle. Elle n’aime pas Caramel non plus, je la comprends un peu, il dégage une odeur douteuse, certainement parce qu’il aime aller faire sa sieste avec les moutons. Vu l’heure, il doit être dans la cuisine en train de tourner autour de ma gamelle…

Quel crétin ce chat, il a refusé ma ration de pâté, j'aurais dû procéder à sa défenestration hier après-midi quand il était sur le lit, ça m'aurait permis, en plus, de m'échapper à travers la véranda, et aussi de permettre l'aération de cette pièce qui commence à sentir le bouc.

Le repas tire à sa fin, ce n'est pas trop tôt. Deux heures et demi pour manger un quart de tranche de pâté, un plat de pâtes avec une viande douteuse et un morceau de gâteau au yaourt. Je pensais que ce dessert était interdit maintenant, mais apparemment non, surtout chez les gens qui manquent d'inspiration pour cuisiner.

Nous sommes tous dehors maintenant, je pourrais m'échapper, mais dans un grand moment d'absence, j'ai oublié de mettre des chaussures. Je me dirige vers l'espèce de mare au canard, je vais fermer les yeux, faire semblant de dormir, au moins ils me laisseront tranquille. Un bruit gronde pas loin de moi, la filtration du bassin? Ou alors le bassin n'est en fait que la station d'épuration dédiée à la maison? Ça sent mauvais, un peu comme si des animaux morts étaient en pleine macération... Inspiration, expiration, je me lève, il faut que j'aille vomir. Quand est-ce que ce calvaire va finir? Je pars vers la maison, il faut que je marche tranquillement, il ne faut pas que je leur montre que je suis mal.

Sur la terrasse, les hommes sont en pleine discussion, ils parlent du taux de pénétration de la charrue dans la terre du champ du voisin après la pluie... passionnant, je fonce vers la chambre, je veux me coucher, je me sens mal, leurs vociférations me fatiguent, je veux rentrer chez moi!

Dans la chambre, un des enfants est installé au bureau, il faut que je fasse un effort, que je sois gentille, ça va me demander beaucoup d'effort.


"Tu dessines quoi?
- Je ne dessine pas je fais des illustrations
- Tu illustres quoi?
- Le livre que tu avais dans ton sac"

Merde, ma note de service sur la restructuration des rémunérations des employés soumis à réintégration de leur service d'origine de ma boite! Je vais l'étrangler, il a dû le ressentir, il s'échappe.

Tiens, le mâle me rejoint, pour savoir si le week-end me plait. Il ne remarque rien, j'ai envie d'hurler et de lui dire que les seuls mots qui me viennent à l'esprit pour qualifier ce week-end sont "saturation, séquestration, séparation". Tout ce que je veux c'est ma libération de ce cauchemar... Je lui prends les clés de la voiture, prétextant mon besoin de procéder à une exploration des environs.

Je démarre, l'avantage de partir en week-end sans valise, c'est que la libération est beaucoup plus rapide.

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