je voyage à coté ...

danboney

d'Oscar Wilde à Christiane Singer .. En passant un peu par moi même ...

J'adore parler de rien .. C'est le seul domaine où j'ai de vagues connaissances (Oscar Wilde)... Je dois vous dire que cette petite citation rigolote, je l'avais oubliée, mais son coté malicieux et surtout sa façon de sonner avait de toute évidence imprégné quelque part un peu de ma mémoire ... Une idée, même plus où moins enfouie, en appelant parfois une autre, et alors qu'au cours de discussions diverses l'on me demandait ce que je faisais dans la vie, j'ai plusieurs fois répondu spontanément : je ne fais plus rien, et j'y arrive de mieux en mieux ... voila donc ce vague "truc", qui dans sa sonorité évoque de loin la citation de O-Wilde ... "truc" que je me suis mis à raconter à qui voulait bien l'entendre ... et qui est devenu, depuis assez peu de temps, une nouvelle façon spontanée, une nouvelle facette intuitive, que j'utilise pour me présenter à l'autre ..

Après n'y avoir entendu de moi même qu'un peu de malice désordonnée, voilà que de clic en clic, je tombe sur un extrait d'un livre de Christiane Singer, "Les 7 nuits de la reine" => 

Je me suis demandé quelle est cette force indécelable à l'œil et qui tient ensemble notre vie qui, d'une multitude atomisée d'instants, parvient à faire une unité. De quelle nature est-il cet invisible mortier ? Je crois le savoir désormais… / ... Quand je demande à ceux que je rencontre de me parler d'eux-mêmes, je suis souvent attristée par la pauvreté de ma moisson...On me répond : je suis médecin, je suis comptable…j'ajoute doucement… vous me comprenez mal : je ne veux pas savoir quel rôle vous est confié cette saison au théâtre, mais qui vous êtes, ce qui vous habite, vous réjouit, vous saisit ?
Je ne veux pas les entendre parler de cette part convenue de la réalité, toujours la même, le petit monde interlope et maffieux : ce qu'une époque fait miroiter du ciel dans la flaque graisseuse de ses conventions! ... Je veux savoir ce qu'ils perçoivent de l'immensité qui bruit autour d'eux.
Et j'ai souvent peur du refus féroce qui règne aujour­d'hui, à sortir du périmètre assigné, à honorer l'immensité du monde créé.
Mais ce dont j'ai plus peur encore, c'est de ne pas assez aimer, de ne pas assez contaminer de ma passion de vivre ceux que je rencontre.
Beaucoup persistent à ne pas me comprendre, habitués qu'ils sont à ne pas attribuer d'importance à la vie qui bouge doucement en eux […]
Vous le savez tout comme moi : ce qui reste d'une existence, ce sont ces moments absents de tout curriculum vitae et qui vivent de leur vie propre ; ces percées de présence sous l'enveloppe factice des biographies [...]

Ces mots lumineux de C. Singer, je les ai reçus ce jour là comme une évidence. Serait ce moi qui chemine ? évolue ? grandit ? oui, très probablement ... Me présenter à l'autre par mon CV ? par ma "biographie", je le faisais encore assez récemment de façon apparemment toute "naturelle".. Mais c'est bien de ces apparences, de cette enveloppe sociale faite de conventions admises de façon tacite et de ces "facilités bien pratiques de pensée", que l'on nous sert et ressert depuis "toujours", que l'on absorbe puis redémultiplie , pour faire comme toul'monde, pour être dans le moule, avoir une place, se sentir exister dans le moule ... Et par paresse intellectuelle aussi pour ce qui est donc des "facilités bien pratiques" ... C'est très proba de tout cela que j'essaie tout aussi inconsciemment depuis si peu de temps de me déshabiller en répétant intuitivement et de façon très apaisée cette nouvelle petite phrase => je ne fais rien, et j'y arrive de mieux en mieux ...

Pas facile de se sentir exister en dehors d'un moule efficacement balisé par des normes où des "facilités de pensée bien pratiques" ... et ce n'est de toute façon pas mon but ... pas facile car cela pourrait prendre la forme d'un jugement plus où moins condescendant envers ceux qui s'y sentent bien, où qui ne se posent pas, où n'ont pas envie de se poser la question d'en sortir de ce moule .... pas envie de juger, pas envie de rejeter, tout cela ne me correspond pas ... pas plus que je n'ai de message à délivrer ...
Pour y avoir baigné toute ma vie dans ce moule, et malgré l'inconfort moral dans lequel parfois il me plongeait, parce qu'il ne m'a jamais totalement convenu, parce qu'a certaines étapes de ma vie je l'ai rejeté, critiqué, avec plus où moins de force, et même parfois de violence .. aujourd'hui je sais que je n'ai pas non plus envie de le quitter définitivement ... par paresse ? par manque d'élan créatif ? par soucis de me "protéger" ? ... un peu de tout cela peut être  ... je n'ai aucune certitude sur ce sujet ... et puis, je ne m'y sens pas si mal finalement dans ce moule pourtant souvent jugé si imparfait par moi même ... Alors pourquoi le quitter ? pourquoi le rejeter en bloc ? ce n'est pas ma volonté, pas mon but disais je ...

Alors voila, je suis plutôt dans l'idée d'une très simple et très humble ouverture nouvelle vers l'impression nette que ce "moule", en nous invitant à la paresse intellectuelle, peut aller, si l'on n' y prend garde, jusqu'à nous voiler le regard sur des choses que j'ai de toute évidence toujours ressenties, mais sans vraiment en comprendre ni les enjeux , pas plus que les aspects que je trouve aujourd'hui bien plus profonds et essentiels ... je pense que ce sont ces "facilités de pensées", comme celle de débiter son CV, ou sa Bio  en guise de présentation, et qui "par le CV" sont donc bien rattachées à un moule, et pour ce que ces "facilités" peuvent avoir de faussement rassurant en nous permettant de nous cacher derrière des phrases pré machées et convenues, et parce qu'elles peuvent avoir une forme d'influence où de résonance sur nos fonctionnements intimes (c'est là qu'est la charnière), ces façons de nous présenter "toutes faites" nous permettent de ne pas avoir à aborder le sujet de notre intimité, et par là même, nous n'exposons pas à l'autre nos fragilités, nos imperfections ... c'est, je pense, ces "vieux réflexes" de protection, bien qu'étant très humains, en nous repliant sur nous même, en nous cachant derrière ces "pré machés", qui participent à freiner l'accès à l"autre, et qui, comme une forme de renoncement devant la difficulté à se livrer, à aller vers l'autre, ou à accepter de le laisser venir vers nous, en vient à poser comme un  voile sur les ressentis et les perceptions fines de toutes ces innombrables et délicieuses "percées de présence " ...  je crois que c'est en voilant ces fines perceptions que se mettent  aussi en route des freins à l' épanouissement d'une spiritualité dans ce qu'elle peut avoir de plus intime en regard de l'altérité ... non pas que cela rende impossible l'élévation personnelle , et / où l'accès à l'autre, mais plutôt que cela y constitue un frein ... 

Je ne parle bien entendu pas de ces "spiritualités religieuses" qui nous parlent d'amour de son prochain, mais qui nous sont livrées avec une morale prête à être consommée et que je mets dans le même grand sac que les normes et autres facilités de pensées ...  ça a beau être bien pratique les spiritualités prêtes à la conso, un p'tite pièce dans le tronc, et hop là, en v'la de la spiritualité ... pas comme ça que ça marche ! et pas mon truc de toute façons ! ... Non, je parle plutôt d'évolution de ma propre conscience, et surtout, par mes propres moyens .. fussent ils longs à se mettre en route ... je suis donc plutôt aujourd'hui dans l'idée de "voyager à coté" de ces moules et autres "facilités", un cheminement un peu dedans, un peu à coté, mais quitte à me répéter : surtout par mes propres moyens ... sans renier ce qui a été mon passé de pensée, mon passé de vieux réflexes de protections, qui de toute évidence se mettront de nouveau en route en cas de nécessité, pas plus que je ne renie toute cette route qui m'aura conduit jusqu'à ces dernières réflexions ...

j'en suis intimement persuadé aujourd'hui , "ces percées de présence sous l'enveloppe factice des biographies [...] " sont une part du reflet de nos âmes, le reflet de ce qu'il peut y avoir de plus profondément intime et humain en nous .. et que c'est en cela que peut devenir décelable, "cette force indécelable à l'œil et qui tient ensemble notre vie qui, d'une multitude atomisée d'instants, parvient à faire une unité " ...

Toutes ces  "ces percées de présence" , "cette force indécelable à l'œil ", ont quelque chose d'impalpable ... Elles ne pourront jamais êtres normées ni céder à aucune facilité ...

Parce qu'elle sont impalpables, invisibles, cela en fait de bons vecteurs de spiritualité ... 

Elles émanent forcément de quelqu'un(e), mais ne peuvent appartenir à personne car non matérialisables... une fois exprimées, elles s'évanouissent en laissant un souvenir ... plaisant, agréable ... d'autres fois fort, puissant, gai, triste, etc ...  peu importe finalement, car ce qui est important, c'est qu'elles nous laissent un souvenir qui nous imprègne de l'autre ...  elles ne peuvent donc vivre qu'au travers de nos ressentis ... Et je crois voir que c'est aussi grâce à ces gracieuses "percées de présence" , grâce à  "cette force indécelable à l'œil ", que l'on peut ressentir ce qui nous relie à l'autre, aux autres, et que c'est en ressentant cette force invisible du lien, cette force de "reliance", que tout un chacun(e) peut en éprouver les paisibles bienfaits ... 


C'est, dans cette idée de "voyage paisible à coté" , que je pense pouvoir me déshabiller un peu, au moins par moments, de ces freins à la simplicité, et mieux encore ressentir, apprécier, accueillir, aimer, toutes "ces percées de présence" ... et c'est encore avec cette nouvelle idée de "cheminement paisible à coté" , que j'espère , plus encore que par mon passé, pouvoir "contaminer de ma passion de vivre ceux que je rencontre"  et ceux que j'aime ...


merci à vous Christiane Singer pour vos mots lumineux ... 


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