Endormir une fée, un gendarme, un journaliste

Collectif D'auteurs Atelier Les Cris De L'écrit

Atelier du 16 novembre 2016 - Geneviève

Elfie est épuisée. Elle a transformé un méchant en crapaud, a récupéré de justesse la bague que la princesse avait glissée dans un gâteau donné par erreur au curé du village. Elle a jeté un sort à cette mégère qui ne ramasse jamais les crottes de son chien galeux ; elle a fait arrêter un voleur de poussière d'or en lui faisant un croche-pied avec sa baguette. Elle a retrouvé le pied gauche que l'arc en ciel avait perdu et s'est penchée sur le berceau des jumeaux nés chez sa voisine. Deux petits angelots tout blonds, un garçon et une fille, qui ont attendri son cœur qui, pourtant, en a vu d'autres !

Alors, pour s'endormir vite, car elle sent bien qu'elle est beaucoup trop excitée pour trouver rapidement le chemin d'un repos mérité et réparateur, elle va chercher le cadeau que son lointain cousin tibétain, Jeanzen, lui a fait parvenir par Chrononuage. Elle le règle sur le programme « Autan en emporte zéphyr », « volume des croissants de lune », place l'appareil sur la plus haute branche de l'aubépine de Mai qui forme le ciel de son lit et se couche sur son matelas de fougères et de mousse, sous un drap de brume légère.

Bientôt les bambous du carillon de Jeanzen s'entrechoquent très fort sous un ouragan déchaîné puis, petit à petit le vent se calme, la musique s'adoucit et, finalement, une brise fraîche et légère fait tinter gentiment les petits morceaux de bois creux en une charmante mélodie.

Elfie est devenue la Fée Clochette et s'endort tout doucement, au creux du bras de Peter Pan.

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Le gendarme est fatigué, mais comment dormir après la journée qu'il a vécue ?

Il allume la télé et règle le son au minimum. Pas de chance, c'est un « polar » ! Crissements de pneus et coups de pistolets le replongent dans l'ambiance de son travail.

Une autre chaîne ? Film catastrophe : un volcan déverse bruyamment sa lave incandescente sur des pauvres gens qui hurlent de terreur.

Il zappe. Quels sont ces râles bestiaux sur fond de musique rythmée ? Il est tombé sur un film érotique.

Encore un essai, au hasard. C'est la pub ! Il a le temps de se caler bien au fond de son fauteuil, il ferme les yeux, la séquence publicitaire se termine par le jingle propre à la chaîne. Il est bien, il s'endort.

Il ne se réveillera qu'à l'énoncé du morceau de musique que seul son inconscient tranquillisé a perçu :

« Vous venez d'entendre l'œuvre de Léon Jessel : La marche des petits soldats de plomb ».

Il peut fermer la télé et continuer paisiblement sa nuit.

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Ah ! C'est vraiment pour dépanner sa copine et collègue qu'elle est assise là, son stylo et son bloc sur les genoux !

Elles ont passé une bonne soirée hier ensemble, beaucoup discuté, pas mal bu et cela se ressent ce matin. Pourquoi a-t-elle accepté d'aller à sa place à cette conférence de presse ? Elle déteste la politique : écouter de vieux renards essayer de casser les dents de jeunes loups, très peu pour elle. Plus spécialisée dans les critiques littéraires, elle ne se sent pas à sa place ici.

Heureusement, pour une fois au moins, les journalistes ont le privilège d'être bien installés. Il faut dire que les pantins sur l'estrade sont (soi-disant) de qualité. Il fait chaud dans cette salle, pourtant immense.

Sa mission : prendre des notes, précises si possibles pour qu'elles puissent être comprises et utilisables !

Tiens, il est mignon celui qui parle en ce moment. Dommage, ce qu'il dit n'est pas dans ses idées. Il a une voix basse, sans variations de ton ni d'intensité… Mortel !

Elle regarde le jeune orateur plus que son calepin et l'encre du stylo coule peu, très peu. La douce chaleur, le ronron de la voix, la courte nuit, le stylo glisse à terre, la tête s'incline…

La copine/collègue aura du mal à rédiger un article fidèle !!

ø  ø  ø

 


 

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