Erratum

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Le ton de sa voix, la première fois, l'avait rebutée. Et sa manière de s'enthousiasmer pour rien et pour tout, d'être d'accord tout de suite et toujours, sa façon d'articuler "Moi ? Je suis manager en fait". Pourtant, elle ne s'était pas enfuie, presque persuadée que dans cette artificialité, il y avait surtout un relent de nervosité. On a la débilité si facile quand on ne se connaît pas et qu'on croit se plaire à moitié, déjà.

Il était trop grand et avait le pas lourd et un peu sautillant à la fois. Ils se sont assis dans les fauteuils rouges d'un bar banalement clinquant. Il avait les yeux beaucoup trop bleus et l'avalait du regard pour accompagner son verre. Il mourrait d'envie de refaire le monde, de danser et de l’inonder de questions. Les yeux rivés partout, il était aveugle : il n'avait pas vu qu'elle était assise sur le bord de son siège.

Devant la bouche du métro, son au revoir martelait à bientôt. Sourd, sur le point de sourire, il n’entendait pas son silence qui disait je ne sais pas. Et quand il l'avait appelée, l’air détaché mais pas trop parce que c’est comme ça qu’il faut faire à ce qu’il paraît quand on est intéressé, elle accepta sans conviction son invitation. Elle ne s'était pas entendue prononcer ok, trop occupée à se dire que cette voix masculine méthodiquement enjouée sonnait mal, comme le Walkman de son enfance, lorsque les piles fatiguaient.

Elle était arrivée très en retard, sans le faire exprès. Mais quand elle le vit assis sur le banc devant le musée, masquant son regard derrière ses verres trop noirs, elle sentit ses reculons. Dans les couloirs, elle ne comprenait pas que c'était ses gestes à lui, si vite trop doux, trop mous et son regard tout fondu qui lui donnait cette boule au ventre. Elle refusait de lui plaire. S'il-te-plaît, ne me dit pas que je te plais.

Un jardin, des quais, puis sa voiture qui les avaient déposés dans une rue vide à éviter. Il s’était précipité sur ce calme pour ralentir sa marche, lui cracher le morceau, ce truc qu'il ressentait qui rendait ses mains moites et perlait son front. Il avait cherché une réponse dans ses yeux qui juraient de ne pas croiser les siens. Il pensait qu'un baiser trop volé pour être beau, ça irait, pour un début.

Une salle de cinéma étriquée et ce film violent, égorgeur de rêveries, sur lequel elle fit semblant de se concentrer, tassée dans son siège. Et ces devantures de magasin à n’en plus finir qu’il commentait et qu’elle ignorait. Et cette pizzeria coupe-faim, bondée. Et sa gentillesse insistante, trop écrasante pour être vraie. Il lui donnait un mauvais tournis.

Et puis ils avaient perdu la voiture. Ils l’avaient cherché longuement, arpentant les rues, toutes jumelles dans l’obscurité. Elle riait nerveusement de cette journée où elle avait zigzagué à côté de ses pompes. Elle se demandait si elle ferait mieux de s’enfuir par la gauche ou tout droit, franche, bien en vue sur le boulevard. Il venait de trouver la voiture. On va chez toi ou chez moi ? Appuyant sur l’accélérateur, il n’avait pas un instant imaginé qu’il puisse y avoir plus de deux réponses possibles. Elle sentit grossir le nœud dans son ventre. Sa question banale, elle l’aurait bien jetée sur le trottoir ou dans la Seine, sous le Pont des Arts. Elle ne voulait pas de son oreiller, de son lendemain et de son café.

Il hésitait à la laisser claquer la portière devant la gare à cette heure de la nuit. Il parlait au futur simple et elle prenait la fuite sans promesses. Dehors dans le noir, elle semblait se réveiller d’une longue apnée. Elle s’empressa de rentrer, pour en finir avec ce début de rien.

Le mail qu’elle lui jeta en essayant d’y mettre quelques formes avait ce ton cordial qu’on emploie en l’absence de tout sentiment. Il ne comprit pas et chercha douloureusement le pourquoi de la gifle. Elle maudissait son faux pas. Il fallait bien plus que l’ombre d’une médiocre étincelle. Un début d’aimer ou rien.

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