Estime.

Clarisse Kalfon

Comment  laverais-je ces heures, ces jours, ces semaines de l'eau noire dont ils se couvrent nus, dans laquelle ils s'écoulent et se diluent ? Le matin y plonge, le soir s'y enlise, la nuit s'y complaît.

J'ai l'âme et les mains moites. Mes lèvres sales tâchent le biseau de ma flûte, que rafle un souffle incapable. Je joue sans paroles, sans conviction aucune. Honteusement. Mal. Je rejette l'instrument. J'accable la fatalité ; ma pauvre amie a la gueule cassée. La faute à ces fautes qu'il vous faut jeter, me dit-elle sagement.

Je fais face à une immense page blanche. Intimidée, je cherche ma plume. Rien ne me vient. Je pense à ceux dont les carnets sont pleins. Je pense aux talents concrets, aux visages achevés, aboutis, appréciés. Apparitions subites, gigantesques, écrites, destinées. Je les évite, partout où ils se manifestent. Je me sens lointaine. L'écart bascule, et me paraît vertical. Je me sens basse.

Je me drogue aux soins, aux habitudes claires, aux manies rassurantes. Je fixe mes sourires. Je me maquille. Puis je réagis. Je me renouvelle et m'ordonne. Je me rafraîchis. J'aveugle le miroir taquin, provocant, poursuivant. Agresseur.

Et je parais mieux.

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