Et la rose répandra ton sang
plumedesang
« Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »
Cette citation de Shakespeare ne pouvait pas mieux coller à mon personnage. Et pour cause: ma vie durant, j'avais simulé la moindre parcelle d'émotion. La joie, la colère, la peur ou encore la tristesse, que de masques de façade pour cacher le vide béant à l'intérieur de mon être. Si de l'extérieur je semblais bien vivant, à l'intérieur j'étais mort depuis belle lurette.
Je ne fus pas toujours ce gouffre de néant que je suis devenu. J'étais même à l'opposé de la loque apathique que je suis aujourd'hui. En ce temps là j'étais jeune et j'étais fou amoureux. Je coulais des jours heureux en présence de ma compagne et rien ne semblait pouvoir troubler notre bonheur absolu. Mais la roue du destin a vite tourné en notre défaveur.
En effet, un homme aussi puissant que riche convoitait, lui aussi, ma bien aimée. Fou de rage quant à la royale indifférence dont faisait preuve ma chère et tendre à son égard, l'homme fit s'abattre sur nous les pires maux. Puisque ni sa richesse, ni sa puissance ne pouvaient lui offrir le cœur de ma compagne, il lança sur elle la plus vile des malédictions: si jamais un jour une seule goutte de son sang perlait hors de son corps, alors s'ensuivrait une hémorragie qu'aucun remède ne pourrait guérir, et ma bien aimée de n'être délivrée de ses maux que dans la mort, lorsque tout le précieux liquide écarlate aurait déserté son corps. Dès lors je mis tout en œuvre pour préserver ma fiancée du sort funeste qui l'attendait.
Les jours passaient et elle se sentait de plus en plus étouffée par la protection extrême que je lui prodiguais. Un jour, échappant à ma surveillance, elle sortit de notre demeure afin de prendre l'air, lasse que je la contraigne à rester enfermée depuis des jours. Lorsque je m'aperçus de son absence, il était trop tard. Ma belle était simplement sortie se promener mais au détour d'une allée, elle avait aperçut un rosier et avait voulu cueillir une rose d'un rouge éclatant pour me l'offrir. Or, en saisissant la fleur entre ses doigts, elle s'était piquée à l'index. Malgré son refus de croire à la malédiction, cette dernière s'accomplit aussitôt: le sang ne cessait de couler. Dans les jours qui suivirent, j'eus beau faire venir les meilleurs médecins et guérisseurs, aucun ne sut soigner ma bien aimée, le sang continuant fatalement de couler. Ma bien aimée faiblissait de jour en jour, à mesure que ses forces la quittaient et que le liquide vermeil continuer de couler. Je suis resté ainsi des jours à son chevet, impuissant face à sa souffrance. Puis le jour fatidique arriva.
Si je semble toujours en vie, ce qui me rendait vivant est mort ce jour avec ma bien aimée. Plus aucune étincelle ne crépite en moi depuis qu'elle a expiré son dernier souffle. Les émotions qui semblent animer mon corps ne sont que des rôles que je me compose sur mesure pour jouer dans la pièce qu'est devenue ma vie, mais dont, au fond, je ne suis plus qu'un simple spectateur.