Et le corona dura
Odile Rousseau
Et le corona dura…..
Julien trouva la situation plutôt satisfaisante : plus d'école, pas le droit de sortir.
Pendant quelques jours il se sentit hyper heureux. Tout ce qu'il voulait lui arrivait sur un plateau : du temps pour jouer, interdiction de rencontrer les autres, désordre monumental dans la chambre. Le pied !!!!
Les parents l'obligèrent à sortir quand même avec eux une fois par jour. Trainant la patte, il finit par les décourager tant le temps de persuasion était supérieur au temps où ils allaient faire le tour du parc.
Quelques jours plus tard, le lycée lui rappela qu'il était connecté aussi avec l'institution « Putain, ils font chier jusqu'à la maison ! »
Pressé par ses parents qui voulaient absolument que les « devoirs » soient faits, après quelques ruades, il céda et commença chaque matinée, encore enroulé dans sa couette, par les obligations scolaires, probablement bâclées, comme souvent.
Julien se motivait par le seul objectif de jouer en ligne toute la journée et une partie de la nuit sur son téléphone. Un vrai luxe pour lui !!!
Et il semblait que le temps s'éternisât….
Cette génération de jeunes et de moins jeunes se posaient –ils les questions sur le sens de cet isolement obligé :
La vie allait-elle continuer comme avant, après le déconfinement ?
Allait-il retrouver les autres dans les mêmes conditions ? Allait-il checker comme d'hab pour confirmer son appartenance à un groupe ?Allait-il biser les filles pour les mêmes raisons ?
Fallait –il y voir un avertissement sur le devenir de la planète et des hommes ?
Au moins, quel comportement personnel pouvait-il modifier pour se rendre plus à la disposition de la terre ?
Se posait-il l'ombre d'une question quand il traînait dans son lit ou qu'il jouait avec d'autres sur son PC ?
Il voulait la paix ; il l'avait presque….
Les jours se succédèrent, semblables, agréablement interminables. Puis, un jour, malgré les longs délais d'acheminement de la poste, Julien reçut une longue lettre de sa grand-mère. Ah , il n'aimait pas quand elle écrivait car forcément c'était pour lui dire des choses qu'il n'avait pas envie de lire.
Dans un premier temps, il la froissa, la laissa dans un coin.
Ses parents ne lui posèrent aucune question.
Elle ne sût jamais s'il la lut entièrement.
Pourtant, l'insistance de ses parents pour conserver un rythme de vie presque normal liée à des interrogations qui sommeillaient dans son esprit créatif bousculèrent Julien . Des questions doucement se révélèrent à sa conscience, un ras le bol entre trop de confinement quand même et l'indécision de son futur proche, autre chose peut être dont il ne devinait pas l'origine ni la portée mais un mécanisme intellectuel et émotif se mit en marche.
Il pensa au théâtre, aux moments où AVANT, il faisait des matchs d'impro avec d'autres, dans le cadre du club. Il rayonnait dans ce domaine ; une répartie fraîche et surprenante, une intelligence immédiate qui rendaient ses personnages épicés et spontanés. On lui avait déjà dit combien il était brillant et créatif dans les échanges qu'il pouvait avoir avec d'autres adultes, même inconnus. On l'avait pris une fois pour un acteur dans un jeu d'énigmes alors qu'il n'était que spectateur. Oui, il aurait pu s'engager davantage. Pourrait-il reprendre cette activité qui, de plus, bonifiait sa propre perception de lui-même ?
Il devrait de toute façon reprendre le lycée. Il entendit ses parents parler des demi-classes, il se demanda comment les enseignants feraient. Si chaque groupe pouvait s'approprier un lieu dans l'établissement, où chaque élève finalement trouverait sa place, où le groupe constitué établirait progressivement des règles de vie, il aurait des idées. Dans les jeux sur son ordinateur, il était un leader, pourquoi pas au lycée dans sa classe ?
Les jeunes n'auraient plus à circuler toutes les heures dans les couloirs et les profs seuls, se déplaceraient de classe en classe. Facile quand même !!!
Son esprit se réveillait progressivement d'une longue léthargie. On ne peut pas dire que penser à l'école le ravissait mais il se sentait concerné par son devenir au moment où pour chacun l'avenir semblait bien terne et incertain.
C'était cela la prouesse de ce grand garçon qui avait sa place dans sa vie et qui voulait graver sa légende au milieu de cette pandémie qui le bloquait aujourd'hui à la maison.
Il se posa bien la question de quitter à nouveau le lycée, mais que ferait-il ? Il savait pertinemment que ni son père, ni sa mère ne le suivrait dans cette direction et que de sombres jours se présenteraient devant lui s'il décidait de tout plaquer au moment où les petits boulots allaient devenir très rares : la pandémie allait laisser derrière elle des millions de chômeurs. Bien sûr il pensait toujours au e.sport, aux compétitions de jeux en ligne mais il savait aussi que la suppression d ‘internet par ses parents était plus probable que la gagne à ces jeux. Il remit donc cette idée à plus tard. S'il travaillait au lycée, il aurait toute latitude pour continuer de jouer comme AVANT.
Mais quelle direction donner à ses études ? Ce dont il était sûr, c'est qu'il ne voulait pas travailler dans un bureau ni être sous pression dans un cadre précis, il lui fallait de la liberté et de la création, être autonome dans son boulot.
S'occuper d'animaux ? Produire des fruits et des légumes ? Travailler dans la pub ? Créer des vidéos ? S'occuper d'enfants ? Etre animateur dans une ludothèque ?Forgeron?
Les idées fusaient, arrivaient à sa conscience puis repartaient. Ils les oubliaient…un petit moment.
L important dans ce processus de réflexion et de prise de conscience était, qu'enfin, il semblait émerger de son état larvaire pour devenir un superbe papillon. Peu importait qu'il ne décidât pas aujourd'hui de devenir artiste ou agriculteur, il sentait sa vie l'envahir et remerciait en silence la ténacité, la tendresse, l'attention de ses parents mais, il n'allait pas leur dire tout de suite… Fallait pas pousser, quand même !!!!!