Et maintenant ?

sylane

Le train s'arrêta en gare de Toulon avec quelques minutes d'avance sur l'heure prévue. Cela la marqua parce qu'on dit si souvent que les trains n'arrivent jamais à l'heure !... Elle regarda sa montre et son coeur accéléra.

Les yeux grands ouverts et perdus dans les dessins que faisaient les nuages, elle souriait, inquiète, intriguée, excitée.

Quatre mois auparavant, une demande de contact sur Facebook l'avait surprise. Elle émanait de quelqu'un qui partageait la même passion qu'elle pour la plongée et avec qui, potentiellement, elle avait 2 "amis communs". C'est incroyable, finalement, ce que ces réseaux sociaux nous incitent à faire. Car dans la vie réelle, il faut des semaines, voire des mois, pour partager avec une nouvelle rencontre, des photos, une adresse, des passions, une histoire. Notre histoire. Et là, un simple clic nous donne accès à tout ce que l'autre a souhaité montrer de lui sur la toile.

Cliquer sur "accepter" n'engage à rien, n'est-ce pas ? Quel risque y a-t-il à faire passer le nombre de ses "amis" de 65 à 66 ? Ou de 123 à 124 ? Aucun, finalement. Alors, elle avait cliqué. D'autant que cette personne était un parfait homonyme d'un ami d'enfance. Elle ne pouvait donc pas être foncièrement mauvaise !

Bien sûr, elle était allée fureter sur le profil... Mais n'y avait pas découvert grand chose, si ce n'est un âge, une ville, une situation professionnelle et quelques photos de famille. Mais impossible de trouver une photo précise de ce nouvel "ami". Cela l'avait étonnée, avait piqué au vif sa curiosité, lui avait donné envie de creuser plus loin, d'explorer d'autres sites de réseaux sociaux, de trouver, coûte que coûte, ce qu'elle cherchait. Mais elle n'avait pas trouvé grand chose et avait laissé son imagination prendre la suite.

Un jour, en allumant son ordinateur, elle avait remarqué que ce nouveau contact avait répondu à un de ses mails. Surprise de la demande de mise en contact, elle lui avait demandé "pourquoi". Il avait répondu "parce que j'ai la même passion que toi pour la plongée". Avec un haussement d'épaule, elle avait souri devant cette réponse si simple et potentiellement sincère. Et avait laissé venir... Quelques jours plus tard, elle remarqua qu'il l'avait "pokée". Ce petit geste virtuel, surprenant par sa légèreté, l'avait amusée. Et elle lui avait répondu.

Après quelques jours, elle guettait son contact virtuel, voire quasiment insignifiant. Elle se disait que peut-être cela voulait dire quelque chose ? Que peut-être l'existence lui offrait l'opportunité de rentrer dans un univers inconnu et de laisser le sien pénétrer par quelqu'un de nouveau, émergé de nulle part. Ce petit jeu dura plusieurs semaines. Mais elle hésitait à lui écrire. L'incertitude et l'attente subtile associées à ces contacts qui n'en étaient pas vraiment, l'amusaient, la faisaient vibrer très légèrement, très doucement. Et elle s'en délectait. Retarder le moment où l'échange deviendrait avéré, certain, tangible (même s'il restait virtuel). Elle avait découvert quelques éléments complémentaires sur lui et se demandait parfois : "et lui, regarde-t-il les photos que j'ai publiées ?". Parce qu'il réagissait souvent à ses posts et à ses commentaires, elle en déduisait que d'une certaine façon, il s'intéressait à elle.

Un matin, elle prit son clavier et lui envoya un petit message très simple :"Bonjour... J'ai remarqué que tu me fais souvent signe sur la toile et que tu réagis à mes messages publics. Je me demande donc dans quelle mesure tu t'intéresses à moi ? Tu es libre de me répondre ce que tu veux et quand tu le voudras... "

Il avait répondu et au fil de leurs échanges, une complicité s'était installée. Jamais elle n'aurait pensé entrer ainsi en contact avec un homme. Quoique célibataire, elle fuyait les sites de rencontre et les relations sans lendemain. Mais petit à petit, il sut gagner sa confiance par ses mots, sa simplicité, sa transparence, sa gentillesse et son intelligence. Elle s'était livrée, d'abord avec retenue et pudeur, pour entretenir un peu le mystère, puis plus largement, pour se découvrir virtuellement comme on se déshabille lentement devant celui que l'on désire.

Et puis, un jour, il leur sembla parfaitement naturel de se rencontrer. Nous sommes des mammifères, n'est-ce pas ? Et l'homme, comme la femme, sont ainsi faits qu'ils doivent un jour ou l'autre entrer en contact l'un avec l'autre. Elle se sentait irrésistiblement attirée par cet homme à la fois totalement inconnu mais qui n'avait (presque) plus de secret pour elle. Lui, avait hâte de voir et de toucher celle qui le faisait vibrer à 800 km de distance.

Elle descendit du train dans un rayon de soleil qui dessinait un grand rectangle de lumière sur le quai. Il faisait doux. Fébrile, impatiente, heureuse, elle abaissa ses lunettes de soleil sur son nez et regarda vers le bout du quai. Elle devina sa silhouette et reconnut le visage qu'elle avait vu en photo.

Elle inspira profondément et se dit : Et maintenant ?..."

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