Et si tu étais toujours là...

Typhaine Outerleys

Chapitre 1 :

Parfois, la vie est trop brève. Des personnes meurent alors qu’elles devraient vivre. Elles partent comme le vent chasse les feuilles de l’automne, amène le froid dans nos cœurs et les gouttes de pluie sur nos joues.

Après un long sommeil de trois mois, il ouvrit enfin les yeux, cherchant à retrouver les perceptions qu’il avait perdues. Où était-il ? Pourquoi était-il aussi fatigué alors qu’il avait dormi comme jamais ? Que s’était-il passé ? A ses côtés, une jeune femme releva la tête et dévisagea son beau-frère comme si elle avait rêvé. Quelques larmes coulèrent sur ses joues pendant qu’elle ouvrit la bouche pour inspirer tout l’air dont elle avait besoin. « Yael ? » murmura-t-elle tandis que celui-ci clignait des yeux. La jeune femme se précipita dans le couloir et appela les médecins qui arrivèrent immédiatement et s’activèrent autour de lui. On observa chacun de ses membres, contrôla sa tension, ses blessures et on vérifia s’il ne restait aucun trouble. Dans toute cette agitation, Yael ne savait qui regarder ou qui écouter tellement le brouhaha était grand. Soudainement, la porte de la chambre s’ouvrit et alors qu’il ne savait pas mettre un seul prénom sur les personnes présentes dans la chambre, il reconnu la femme essoufflée qui venait d’entrer. Du moins son corps le savait. Alors qu’il pensait ne plus rien sentir depuis son réveil, une vague de chaleur traversa son corps tel une vague détruisant toutes les défenses qu’il avait construites sur son passage. Son cœur s’accéléra ce que les électrodes collées sur son torse ne manquèrent pas car la machine à laquelle ils étaient reliés se mit à émettre des bips sonores, montrant à tous l’affolement de son cœur. Comme dans ses souvenirs, elle restait la même. Elle avait une longue chevelure brune et de magnifiques yeux noisette qui viraient vers le brun-doré. Ses lèvres pulpeuses et parfaites étaient d’un rose pâle qui donnait immédiatement envie de les toucher de la plus belle façon qui soit. Il se redressa et se mit à lui sourire tandis qu’elle s’approchait de lui en ne le lâchant pas une seconde des yeux. Alors que son prénom lui revint en mémoire, il murmura dans un effort surhumain : « Grace… » Celle-ci s’approcha rapidement et vint le prendre dans ses bras tandis qu’elle se mit à pleurer toutes les larmes qu’elle avait contenues pour ne pas se montrer faible. « Mon dieu, Yael ! J’ai eu tellement peur ! J’ai bien cru te perdre ce jour-là. Chaque jour, j’ai espéré que tu te réveilles et tu es de nouveau là, bel et bien vivant… » Lui dit-elle en s’asseyant à ses côtés. Un des médecins se racla alors la gorge,  réclamant l’attention de tous.

  « Monsieur Provos, tout d’abord sachez que suite à plusieurs coups que vous avez reçu, vous avez été plongé dans le coma artificiel suite à une hémorragie interne. Néanmoins, il faut que vous sachiez que ça a été très grave et qu’il peut encore rester quelques séquelles qui partiront avec le temps. Mais, nous avons également découvert que vous étiez atteint d’un cancer…

  -Nous le savions, le coupa Grace. Il suit les traitements nécessaires depuis plusieurs mois, et il va beaucoup mieux, je vous l’assure.

  -Malheureusement mademoiselle, les nouvelles que nous avons à vous annoncer ne sont pas bonnes.

  -Que voulez-vous dire, docteur ?                    

  -Le cancer n’a pas été éliminé, loin de là. La maladie est en train de se généraliser et j’ai bien peur que les traitements ne puissent plus avoir d’effet à ce stade de la maladie… »

  Grace qui, jusque là, avait gardé un semblant de dignité éclata en sanglots et Yael la serra contre lui en lui caressant les cheveux pour la réconforter.

  « Tentez-vous de me dire que mes jours sont comptés ? Demanda-t-il.

  -Malheureusement, oui.

  -Combien de temps me reste-t-il à vivre ?

  -D’après nos estimations, un mois tout au plus. »

  Choqué par cette révélation, il ne su que dire. Grace, quant à elle poussa une plainte étranglée par ses sanglots et le cœur de Yael se brisa, il en ignora la raison. Au fond, mourir n’avait pas d’importance pour lui, c’était Grace qui comptait le plus. Ils se connaissaient depuis toujours, s’étaient toujours soutenus l’un et l’autre. Mais s’il partait, comment pourrait-elle survivre à ça ? Le supporterait-elle ? Embrassant sa peau douce comme de la soie, il murmura à son oreille : « Ne t’inquiète pas, nous allons trouver une solution. » C’était la seule chose qu’il pouvait lui promettre, mais était-il seulement capable d’y croire ?

Chapitre 2 :

Le soleil venait de se lever à l’est, colorant le ciel de rose et d’orange et faisant chanter les oiseaux qui étaient dans les arbres. Ce jour-là, Grace ouvrit les yeux en souriant, elle avait pris sa décision. Se levant rapidement, elle ouvrit sa fenêtre et fila dans la salle de bain s’apprêter. Elle en ressortit une quinzaine de minutes plus tard, vêtue d’une robe écrue aux motifs fleuris. Ne prenant pas le temps de faire son lit, elle descendit rejoindre sa sœur dans la cuisine. Celle-ci la salua chaleureusement tandis qu’elle se servait une tasse de café. Jasmine avait toujours été matinale et depuis qu’elle avait eu un enfant, elle se levait encore plus tôt.

  « Comment va Yael aujourd’hui ? Demanda Grace en buvant un peu de son café.

  -Il va bien. Il lit dans le salon.

  -Je le trouve étrange.

  -Comment ça ?

  -Enfin Jasmine, on lui a annoncé qu’il allait mourir dans peu de temps et il ne fait rien. Ce n’est pas normal !

  -Tu sais Grace, chaque personne est différente, on ne réagit pas tous de la même manière.

  -Quand bien même, je connais cet homme plus que quiconque. Mon meilleur ami ne réagirait pas ainsi.

  -Grace ! Il est malade !

  -Tu crois que je ne le sais pas, peut être ? S’emporta-t-elle. Que ça ne me rend pas malade ? Ce n’est peut être qu’un homme. Mais c’est un homme avec ses faiblesses. C’est un homme qui a besoin d’espoir plus que quiconque. Et je veux lui faire de nouveau croire que tout n’est pas fini. Qu’il ne peut y avoir de bonheur sans espoir. Je veux qu’il se sente vivant, plus que jamais. »

  Grace quitta la pièce avant que les larmes ne coulent. Depuis toutes petites déjà, Jasmine et elle n’étaient jamais d’accord. Elle l’aimait plus que tout et détestait être en désaccord avec elle, mais quand la discussion portait sur Yael, rien ne pouvait la faire changer d’avis. Grace et lui se connaissaient depuis l’adolescence. Ils étaient alors de très grands amis mais les études avaient fini par les séparer. Néanmoins, quand sa sœur et Allan, le frère de Yael, avaient annoncé leurs fiançailles, les choses avaient changé. Ils s’étaient retrouvés comme s’ils ne s’étaient jamais quittés et depuis le mariage, ils se voyaient dès qu’ils le pouvaient. Puis, il avait appris qu’il était atteint d’un cancer et Grace avait bien cru que son monde allait s’écrouler. Mais il avait remonté la pente et il allait bien mieux. Du moins, elle le croyait jusqu’à ce qu’il se batte avec Nicolas, son ex-petit ami qui n’arrêtait pas de la harceler. Il avait alors été gravement blessé et quand il était arrivé à l’hôpital, il avait fait une hémorragie interne, obligeant les médecins à le plonger dans le coma artificiel. Chaque journée était devenue monotone, chaque heure interminable mais malgré tout ça, elle n’avait jamais cessé d’espérer et ses efforts avaient payé, il était de nouveau là. Mais malheureusement pas assez pour vivre la vie qu’il aurait dû avoir.

Elle s’approcha du salon et s’adossa à l’embrasure de la porte. Il était rentré de l’hôpital depuis trois jours et il passait toutes ces journées dans le salon, à lire livre sur livre et ne parlant que lorsqu’on lui adressait la parole. Grace allait changer ça, elle le devait. Jamais elle ne pourrait accepter qu’il se laisse aller de la sorte. Elle voulait revoir le Yael d’autrefois, celui qu’elle avait toujours connu et elle était prête à tout sacrifier pour cela.

Profitant du fait qu’il ne l’avait pas remarqué, elle se permit de mieux le regarder. Même malade, il ressemblait toujours à un ange. Il avait le teint pâle, le visage fin, de magnifiques yeux bleus lagon, des lèvres parfaitement dessinées et pâles et ses cheveux qui avaient repoussé pendant son sommeil étaient blonds et légèrement ondulés. Une mèche tombait sur son front tandis qu’il était concentré sur sa lecture. Elle s’approcha de lui, faisant du bruit pour qu’il sache qu’elle était là puis elle s’installa sur ses genoux. Il releva alors les yeux et elle en resta sans voix. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours admiré ses traits angéliques mais davantage ses yeux qui cette fois-ci brillaient comme s’ils contenaient une centaine d’étoiles et ses joues rosirent sous l’intensité de son regard. Il ouvrit alors ses bras et elle colla son dos contre son torse, écoutant son cœur. Elle remarqua qu’il battait plus vite qu’à la normale et quand elle se mit à lui caresser le bras, il s’accéléra davantage, la faisant sourire. Elle ignorait la raison de tout ceci, mais ça la rendait heureuse. Elle n’avait pas envie de quitter ses bras, elle ne voulait rester qu’avec lui, entourée de la chaleur de son corps.

  « Ne me quitte pas, Yael, murmura-t-elle.

  -Je ne vais pas te quitter Grace, je serai toujours là.

  -Alors vis. Pour moi.

  -Que veux-tu dire ?

  -Ça fait trois jours que tu ne t’intéresses qu’à la lecture. Je veux te voir de nouveau vivre.

  -Ce n’est pas aussi simple, dit-il en se passant la main dans les cheveux.

  -La vie n’a jamais été simple et tu le sais mieux que quiconque, mais s’il-te-plaît arrête de te comporter comme si toute bataille était perdue, il reste tellement d’espoir !

  -J’aimerai avoir ta force Grace…

  - Alors laisse-moi te la donner. »

  Elle se releva et tourna la tête vers lui et leurs regards se croisèrent. Le cœur de Yael tambourina dans sa poitrine tandis qu’un frisson lui parcourait l’échine sous la caresse de ses doigts. Il ferma les yeux pendant un instant et soupira. Puis, il attrapa le visage de la jeune femme et colla son front contre le sien.

  « J’aimerai faire une liste de souhaits et qu’on les réalise ensemble.

  -Je te le promets. Je ferai tout pour toi, je te l’ai toujours promis. »

  Rempli d’une tendresse qu’il ne s’était jamais connu, il lui embrassa tendrement le front, y laissant ses lèvres un peu plus qu’à l’accoutumée. Puis ils restèrent dans les bras l’un de l’autre comme lorsqu’ils étaient encore enfants.

Chapitre 3 :

 « Hum… Ajoute : passer une journée en plein air.

  -Très bien, ensuite ?

  -Pouvoir aimer de nouveau. »

  Yael était assis, le poing sous le menton tandis que Grace écrivait chaque souhait qu’il prononçait. Alors qu’il se permettait de regarder par la fenêtre, Allan et Jasmine passèrent avec leur fils et une envie, un souhait presque primordial frappa le jeune homme.

  « Je veux être père, dit-t-il sérieusement.

  -Je te demande pardon ?

  -Je veux être père. »

  Grace se raidit soudainement et pâlit. Avait-elle bien entendu ce qu’il avait dit ? Voulait-il vraiment être père ? Il y avait de cela une heure il lui avait avoué vouloir réaliser ses souhaits avec elle, mais c’était là quelque chose qu’elle ne pouvait pas faire. Ce qu’il représentait l’un pour l’autre ne leur permettait pas.

  « Yael, je t’ai promis de t’aider, mais ça je ne peux pas me le permettre.

  -Ne t’inquiète pas, tu n’étais pas concernée, la rassura-t-il en riant. »

  Quand Grace avait prononcé cette phrase, c’était comme si son monde s’était mis à briller de nouveau. Des papillons s’agitèrent dans le creux de son estomac, son cœur s’accéléra et l’espace d’un instant, l’image de son amie portant son enfant lui traversa l’esprit. Mais elle n’était que son amie. Quelle était la raison d’un tel chamboulement de ses sens ? Etait-ce elle la seule responsable ? Au fond, voulait-il la considérer comme beaucoup plus que ça ? Secouant la tête, il refusa de répondre à  cette question et reporta son attention sur la feuille.

  « Je propose que nous arrêtions pour aujourd’hui, qu’en penses-tu ?

  -Excellente idée, lui dit-elle, je n’en peux plus ! J’ai besoin de prendre l’air. »

  Grace posa la feuille sur la table basse en bois et s’approcha de lui pour lui déposer un rapide baiser sur la joue. Mais alors qu’elle allait poser ses lèvres sur celle-ci, Yael tourna la tête à ce moment et leurs bouches se rencontrèrent par accident. Aussi surpris l’un que l’autre, ils n’osèrent pas bouger et restèrent là, à se regarder dans le blanc des yeux tandis qu’une énorme vague de chaleur les envahie de la tête aux pieds, déciment tout sur son passage. Grace fut la première à réagir et recula vivement en se touchant les lèvres. C’était comme s’il l’avait brûlée ; elle avait l’impression qu’il lui avait transmis toute l’électricité que la pièce contenait. Troublée, elle se leva en murmurant un mot d’excuse et sortit rapidement de la pièce. Yael resta assis sur le canapé à essayer péniblement de calmer les battements acharnés de son cœur. Que s’était-il passé ? Comment avait-il osé ? Bien que ça n’ai été qu’un accident, il en était responsable ; il était resté là sans bouger alors qu’il aurait dû reculer tout de suite. Poussant un soupir, il se laissa retomber contre le dossier en velours  et regarda péniblement au dehors.

                                               ***

  Cela faisait une demi-heure que Grace était sortie et il avait besoin de bouger. Il s’avança jusqu’à la baie vitrée et remarqua que la jeune femme écrivait  près des rosiers. L’écriture avait toujours été pour eux une passion commune, le seul moyen d’évacuer les moments cafardeux de leur vie tout comme les meilleurs. Yael, lui, ne racontais que ses émotions. Seule Grace arrivait à voir au-delà des mots, elle comprenait souvent les sujets qu’il mettait en évidence tout en les cachant et elle adorait ça.

Néanmoins, il savait qu’actuellement elle n’écrivait pas sur ce qu’il venait de se dérouler mais sur ce qu’elle ressentait depuis qu’il s’était réveillé. Jasmine qui l’avait remarqué se plaça à ses côtés et observa sa sœur en silence. Elle tourna la tête et dévisagea le jeune homme quelques instants. Bien qu’elle sache ce qu’ils représentaient l’un pour l’autre, elle ne s’était jamais empêchée de regarder plus loin. Ces deux là étaient beaucoup trop complices et aveugles pour s’en rendre compte, mais ils étaient faits l’un pour l’autre, c’était une évidence. C’était comme s’ils s’étaient trouvés mutuellement. Yael ne la quittait pas des yeux et plein d’émotions passèrent dans son regard. Il l’aimait tout comme Grace l’aimait, mais ils n’étaient pas encore près à se l’avouer. Jasmine posa sa main sur l’épaule de son beau-frère et la serra en signe de compréhension.

  « J’ai peur, Jasmine…

  -De quoi as-tu peur ?

  -Peur de mourir. Si je meurs, je vais la laisser toute seule et qu’est-ce qu’elle deviendra alors ?

  -Yael, elle est beaucoup plus forte que ce que tu crois. Au fond, c’est elle qui a besoin d’espoir. Tu es son bonheur, et elle a plus que jamais besoin de toi.

  -Je ne vois pas comment m’y prendre ! »

  Alors, Jasmine se retourna mais avant qu’elle ne sorte de la pièce elle le regarda et lui dit avec sincérité : « Aime-la seulement comme elle t’aime… » Puis elle sortit, le laissant encore plus perdu qu’au début.

                                                    ***

  Alors que les mots arrivaient par vague comme lors d’une violente tempête, que ses émotions s’écoulaient sur la page blanche pour s’ancrer dessus à jamais, en relevant la tête, elle aperçut une femme qui se tenait devant le portillon blanc de la maison et qui attendait. Alors Grace se leva et alla la rejoindre en souriant.

  « Bonjour, je peux vous aider ?

  -Bonjour, répondit la jeune femme, est-ce que c’est bien ici que vit Yael Provos ?

  -Oui. Je peux savoir qui vous êtes ?

  -Je suis Claire, sa fiancée. »

  Yael arriva à ce moment-là et se mis derrière Grace. Alors celle-ci se retourna, les mots prononcés l’ayant poignardée comme la lame d’un couteau, la main sur la bouche tandis qu’un hoquet s’échappait de sa gorge. Yael regarda ses yeux et il y vit toute sorte d’émotions passées : tout d’abord la surprise, la tristesse, le dégoût puis la colère. Comme prise d’une impulsion soudaine sa main fendit l’air et lui frappa la joue tandis qu’elle lui criait : « Et tu ne nous a rien dit ? Mais quel ami es-tu ? » Tremblante de rage, les larmes coulant sur ses joues comme les fleuves dans leurs lits, elle s’enfuit, entra dans la maison laissant les fiancés seuls puis s’enferma dans sa chambre. Elle se jeta sur son lit et pleura toutes les larmes de son corps et ce, pendant le reste de la journée et de la nuit jusqu’à ce que le sommeil l’emporte.

Chapitre 4 :

  Elle ne pouvait pas y croire. Il ne lui aurait jamais fait ça. Pas à elle. Pourtant la vérité était bien là, devant ses yeux. Il ne lui avait rien dit, rien ! Pas même qu’il avait une petite amie ! Il avait gardé tout ça sous silence, le lui cachant alors qu’elle était son amie, sa meilleure amie ! Depuis ces quelques jours elle essayait de remettre de l’ordre dans ses pensées, mais il n’y avait rien à faire, sa colère était plus forte que tout. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? C’était complètement absurde ! Depuis son réveil, son comportement changeait vis-à-vis de lui. Y avait-il une possibilité que ses sentiments envers lui puissent évoluer ? Assurément, non ! Depuis toujours ils étaient amis, s’imaginer représenter autre chose pour lui était interdit.

Debout, devant sa fenêtre, plongée dans le méandre de ses pensées, son téléphone sonna et elle décrocha avec hâte.

  « Oui ?

  -Bonjour Grace, c’est Jasmine, lui dit sa sœur.

  -Bonjour, pourquoi m’appelles-tu ?

  -Je voulais te prévenir que Claire est partie très tôt ce matin et qu’elle ne reviendra jamais.

  -Ah oui ? Bien. Je vais y aller alors, conclut Grace.

  -Grace, attends ! Il s’en veut tu sais… Depuis que tu es partie, il ne sort plus de sa chambre.

  -Alors comme ça nous sommes deux. Au revoir. »

  Grace raccrocha et se vêtit rapidement d’un jogging et d’un t-shirt. Elle avait besoin de se dépenser, c’était une nécessité, il fallait qu’elle évacue tous ses sentiments, elle avait l’impression d’être une véritable bombe à retardement. Elle ferma la porte d’entrée de son studio, endroit où elle s’était réfugiée durant trois jours, et commença à courir sur le trottoir de la grande allée qui menait au centre ville.

Alors qu’il arrivait dans la rue où vivait Grace, il remarqua qu’elle venait juste de sortir de son studio et commençait à courir. Oh non, elle ne lui échapperait pas cette fois ! Il se gara rapidement sur le côté, peu importe s’il n’était pas stationné correctement, il devait à tout prix la voir. Il sortit de la voiture et se mit à crier son prénom pour qu’elle puisse se retourner. Au bout de la troisième fois, elle se figea et n’osa pas se retourner. Avait-elle peur de l’affronter ? Pourtant, elle avait attendu ce moment depuis trois jours, préparant chaque geste qu’elle pourrait faire, chaque mot qu’elle pourrait prononcer mais surtout à quel point elle regrettait amèrement d’avoir réagi comme elle l’avait fait. Après tout, c’était vrai. Qui était-elle pour réagir aussi violemment ? Elle n’était que son amie et une amie ne pouvait se permettre ce genre de réaction. Elle avait été trop loin, elle en avait conscience, néanmoins le goût âcre de la déception envahissait toujours sa gorge. Ses mains se mirent à trembler tandis que dans un murmure inaudible, elle prononça : « Yael… » Mais celui-ci arriva à lire sur ses lèvres et toutes les barrières disparurent entre eux. Il écarta ses bras, lui lançant une invitation silencieuse et envahie par un flot d’émotion, Grace courut s’y réfugier, les larmes aux yeux. Il se rendit compte alors, à quel point Grace pouvait être fragile. Il l’avait toujours connu forte, fière, allègre, elle n’avait jamais abandonné. Maintenant tout avait changé, il en avait conscience, même leurs sentiments. Durant ces trois jours, il n’avait fait que se poser des questions sur ce qu’elle représentait pour lui, il en était venu à une réponse, il l’aimait, et ce depuis toujours. Aussi têtu et aveugle l’un que l’autre ils ne s’étaient pas aperçus que leur amitié s’était transformée… Mais aujourd’hui, la chose qu’il ignorait encore c’était si Grace était prête à avancer avec lui sur le même chemin en sachant que tout allait prendre fin d’ici peu et qu’elle en souffrirait énormément. Lui, était-il seulement prêt à la voir pleurer autant ? En y réfléchissant, il ne pouvait pas se permettre de lui proposer ce choix, ce serait si égoïste de sa part ! S’ils restaient amis, elle pleurerait, c’était à n’en pas douter, mais s’ils devenaient amants alors elle le pleurerait davantage et il n’était pas sûr de pouvoir le supporter.

Il serra son corps frêle contre le sien tout en passant sa main dans ses cheveux qu’il aimait tant. Elle sanglotait contre son épaule et murmurait des mots qui étaient incompréhensibles par les sanglots qui survenaient à chacune de ses phrases.

  « Je suis tellement désolé, lui dit-il. Si j’avais pu me souvenir que cette femme existait je te l’aurai dit tout de suite, mais les séquelles sont là et je n’arrive pas à me souvenir…

  -Tu n’as pas à te sentir coupable Yael, c’est moi la responsable, j’ai agi bêtement et j’en suis désolée. J… »

  Alors qu’elle allait dire autre chose, il l’en empêcha en plaçant son index contre ses lèvres pâles.

  « Grace, ne vois-tu donc pas que je ne t’en veux pas ? Tu es tout ce que j’ai de plus cher au monde, t’en es-tu seulement rendu compte ?

  -N… Non, bégaya-t-elle sous l’émotion, je l’ignorais. »

  Lentement mais avec une parfaite conscience de ses actes, il approcha son visage du sien,  Grace recula légèrement et murmura :

  « Nous ne pouvons pas, Yael.

  -Et pourquoi ?

  -Te souviens-tu ? Nous avions fait des règles, et nous avions promis de nous y tenir.

  -Ne t’a-t-on donc jamais appris que celles-ci sont faites pour être transgressées ? »

  Alors leurs lèvres se rencontrèrent pour s’unir pour toujours, jamais ils n’avaient éprouvé pareille sensation ! Une vague de chaleur les envahirent, faisant fondre tout sur son passage, un grand frisson leur traversa l’échine mais ils ne s’arrêtèrent pas. Les barrières qu’ils avaient construites il y avait des années de cela avaient été détruites, maintenant ils leur faillaient avancer dans la bonne direction. Alors que leur baiser devint aussi passionnant, qu’ardent, une même réflexion traversa leur esprit : et si la maladie et le temps étaient bien plus forts que l’amour ?

Chapitre 5 :

 Voyager, voir de nouveaux horizons, sentir l’air du début d’automne sur son visage, tout ça c’était le goût de la liberté. Au fond, qu’était-ce être libre ? Pour Yael, ce devait être différent. Être libre, ce serait être délivré des chaînes du temps et de la maladie, pouvoir voir chaque partie du monde et vivre au gré des jours sans aucune limite. Mais s’il devait choisir entre Grace et la liberté, il choisirait Grace sans hésitation.

  « Tu devrais aller dormir un peu Yael, la route a dû t’épuiser, lui conseilla son amie.

  -Mais j’aimerai qu’on puisse parler, dit-il. Tu n’as fait que dormir pendant tout le trajet ! »

  En riant, Grace lui donna un léger coup de coude dans les côtes. Il l’a saisit alors par la taille, et le rire de la jeune femme se perdit dans sa gorge.

  « S’il-te-plaît, lâche-moi…

  -J’aime te garder contre moi, comme ça.

  -Yael, j’ai choisi.

  -Comment ça ?

  -Va te doucher, lui dit-elle, nous parlerons après. »

  Sans protester, il alla s’enfermer dans la petite salle de bains et Grace se posta devant la baie vitrée en soupirant. La veille, lorsque Yael lui avait dit de préparer ses bagages pour une semaine, elle n’avait pas protesté, elle n’aurait pas pu. Elle s’était promis de tout faire pour le rendre heureux, pour faire du temps qui lui restait quelque chose d’inoubliable. Il l’avait alors amenée ici, à Fécamp, dans le petit chalet qui appartenait à Allan et Jasmine, qui était le plus éloigné de la civilisation. Ils avaient fait trois heures de route où elle n’avait pas ouvert la bouche et avait préféré faire semblant de dormir pour ne pas avoir à parler du baiser qu’ils avaient échangé. Il ne l’avait pas dérangé, n’avait rien tenté, jusqu’il y a quelques minutes. Néanmoins, elle avait une bonne raison de le rejeter. Pendant qu’elle avait fermé les yeux, elle n’avait pas cessé de se remettre en question. Etait-elle prête à vivre quelque chose avec lui ? Bien que tout laissait penser qu’elle l’était, elle ne le pouvait pas. Quand il mourrait, elle en souffrirait énormément et elle ne voulait pas avoir plus de mal. Elle trouvait cette raison suffisante pour l’éloigner d’elle. Mais Yael était un homme têtu et elle était persuadée qu’il allait tout oser pour la faire craquer. Arriverait-elle à ne pas flancher ? Elle n’en était pas certaine. Combien de fois avait-t-elle été aussi peu sûre d’elle ? Jamais !

Dans le ciel, une mouette passa, poussant sa plainte. Le prix à payer d’être loin de la population et de n’avoir aucun réseau téléphonique valait amplement la peine quand on pouvait se délecter  d’une telle vue ! Le chalet se trouvait sur le bord de la falaise et  la baie vitrée qui servait d’entrée donnait sur une autre falaise ainsi que sur la mer bleue qui était calme sous le soleil de fin d’après-midi. Les pièces du chalet étaient assez étroites, mais on y vivait très bien à deux. Passer une semaine ici, n’aurait pas déranger Grace si Yael n’avait pas été là. La chose qui l’effrayait le plus était de ne pas savoir si elle allait résister ou non.

La porte de la salle de bains claqua et Grace ouvrit la fenêtre pour s’installer dans un fauteuil qui se trouvait sur la terrasse. Yael vint s’installer à ses côtés et contempla l’horizon dont les couleurs inondèrent ses yeux bleus. Il prit la main de la jeune femme et la serra fortement dans la sienne. Il lui jeta un coup d’œil et rencontra son regard d’or. Ses yeux brillaient comme s’ils contenaient mille étoiles : elle allait pleurer. Il l’attira à lui et la serra dans ses bras tandis qu’elle poussait un long soupir.

  « J’en ai assez de me battre, Yael…

  -Contre quoi te bats-tu ?

  -Contre tout à la fois. Je me bats contre mes sentiments, contre la vie et puis contre toi !

  -Je ne comprends pas, avoua-t-il.

  -Je ne suis pas sûr de savoir ce que je veux. Les sentiments que j’avais pour toi ont évolués bien au-delà de ce que j’avais espéré, mais je ne peux pas me permettre de souhaiter autre chose qu’une forte amitié entre nous.

  -Pourquoi ?

  -Parce que tu vas mourir ! J’ai beau me répéter que ce n’est pas le cas, mais la vérité devient plus forte de jour en jour et on ne peut rien faire pour empêcher cette fin atroce ! »

  Elle pleurera silencieusement, son corps secoué par des sanglots. Que pouvait-il faire ? Être égoïste et faire en sorte qu’ils puissent vivre leur amour au grand jour ? Ou être raisonnable et ne rien tenter ? Il avait passé toute sa vie à réfléchir, désormais il n’en avait plus le temps et devait agir comme bon lui semblait. Bien qu’il voulait la rendre heureuse, il l’a voulait pour lui toute entière, son égoïsme prit alors le dessus et en la serrant contre lui, il lui murmura à l’oreille :

  « En te faisant changer d’avis, en te faisant prendre conscience que quelque chose est possible entre nous, j’ai peur que tu me haïsses, avoua-t-il sérieusement.

  -Je ne pourrai jamais te haïr Yael, j’en suis incapable.

  - Alors, prouve-le-moi.

  - Comment ?

  -Sois mienne. »

  Il sortit alors une bague de sa poche et la lui tendit. Cette bague, elle l’aurait reconnu entre mille ! Quand ils étaient encore enfants et qu’ils avaient établi leurs règles, il avait accepté le règlement en lui offrant une bague en plastique et c’était celle-ci même qu’il lui tendait sauf qu’elle était beaucoup plus grande et plus brillante. Il lui glissa lentement à l’annulaire gauche, lui laissant apprécier la sensation de l’or frottant sur sa peau puis il l’embrassa rapidement, ne s’attardant pas sur ses lèvres afin d’observer sa réaction.

  « Mon dieu ! Tu l’as retrouvé ! Je croyais l’avoir perdue !

  -C’était moi qui l’avait, et j’ai voulu t’offrir la même, mais cette fois une vraie, pour signer notre nouvel accord, répondit-il en lui souriant. »

  Tout d’abord, troublée, elle ne réagit pas puis, elle fronça les sourcils et lui demanda :

  « Quel est-il ?

  -Les règles sont brisées désormais, elles n’existent plus. Vivons à notre guise Grace, vivons ensemble jusqu’à ce que la fin nous sépare… »

  Les larmes aux yeux, elle l’attira à elle comme si elle ne pouvait plus vivre sans ses lèvres contre les siennes. Ils se perdirent dans leur baiser, se firent des promesses silencieuses et envisagèrent ensemble la meilleure façon de profiter du peu de temps qu’il leur restait, en ne pensant pas une seconde que la fin pouvait être bien plus proche qu’ils ne le pensaient.

Chapitre 6 :

  « Bien que tu sois déjà très belle, vas choisir l’une de tes plus jolie robes, je t’emmène dîner et je veux que tout le monde sache que tu es désormais mienne, lui annonça-t-il tandis qu’il se levait et rentrait dans le chalet.

  -Je peux très bien faire le repas moi-même, tu sais.

  -Grace, cela fait partie de ma liste de souhaits, alors s’il-te-plaît fais seulement ce que je demande.

  -Bon très bien. »

  Elle se leva et alla dans sa chambre sans demander davantage d’explications ; quand il prenait ce genre d’initiative, mieux valait ne rien demander mais agir.

Une vingtaine de minutes plus tard, Yael l’attendait sur la terrasse et quand il la vit sortir, il en resta bouche bée. Elle était tout simplement ravissante. Elle était vêtue d’une courte robe blanche qui montrait ses formes parfaites et portait des ballerines noires. Il se mit à sourire en se souvenant qu’elle détestait les talons. Son regard remonta pour contempler son doux visage. Elle avait laissé ses cheveux bruns à l’air libre, ses  lèvres d’habitude si pâles étaient maintenant rouges comme le sang et enfin ses yeux étaient soulignés d’un trait de crayon noir, renforçant l’intensité de son regard. S’il n’était qu’un pur égoïste, il l’aurait déjà attirée dans la chambre et lui aurait prouvée une grande partie de la nuit à quel point il l’aimait.

Grace esquissa un sourire qui ne manqua pas d’échapper à son cœur qui battit plus rapidement. Elle tourna sur elle-même en tendant les bras de chaque côté et lui demanda :

  « Alors ?

  -Tu es absolument sublime. »

  Et encore le mot était trop faible ! Elle était beaucoup plus que ça… Toute sa vie n’avait tourné qu’autour d’elle et elle était désormais le centre de son univers.

Elle le regarda de la tête aux pieds et vint à son bras.

  « Merci, je pourrai en dire autant de toi.

  -Je te remercie. Es-tu prête ?

  -Absolument.

  -Alors nous pouvons y aller. »

  Ensemble ils marchèrent le long du chemin de terre, veillant à ne pas glisser dans la boue qui avait été accumulée après l’averse qui était tombée la veille. Quand ils atteignirent la voiture, il ouvrit galamment la portière du côté passager et vola un baiser à la jeune femme.

Elle ne le rejeta pas, se contentant seulement de rire et de s’installer sur son siège. Alors qu’il faisait le tour de la voiture pour s’installer, il prit appui sur le  toit du véhicule. Sa vue s’était mise à se troubler, il n’arrivait plus à distinguer les objets alentours, tout se doublait. Le sang s’était mit à battre violemment à ses tempes, il devint pâle rapidement et la tête lui tourna quelques instants. La portière gauche s’ouvrit et Grace, qui avait pris appui sur le siège, passa sa tête dans l’entrebâillement pour voir ce qu’il faisait. Quand elle se rendit compte de sa pâleur, elle se mit à paniquer.

  « Yael ! Ça va ?

  -Oui, répondit-il, ne t’inquiète pas. J’ai sûrement dû faire un mouvement trop brusque et avec la fatigue, ma tête ne le supporte pas.

  -Nous devrions rester ici alors.

  -Non ! Ça va aller Grace, je te le promets.

  -Tu es sûre ? Je préférerai que tu rentres pour te reposer.

  -J’en suis certain, cesse donc de t’inquiéter. »

  Ayant retrouvé quelque peu ses forces, il s’installa en prenant la peine de caresser la joue de Grace qui le dévisageait avec inquiétude, puis il mit la voiture en marche, effectua une marche arrière et se dirigea vers le restaurant le plus cher de la ville. L’argent n’a plus d’importance quand le temps est compté.

                                                 ***

C’était un restaurant très luxueux avec un étage qui se trouvait face à la mer, qui était très calme à cette heure-ci du soir, au rez-de-chaussée se trouvait une piste de danse avec des lattes en bois posées sur le sable. Grace regardait les jeunes personnes enlacées sensuellement. Elle et Yael, se trouvaient au premier étage qui offrait un magnifique panorama. De chaque côté, les lampadaires émettaient leur lumière orangée qui glissait sur le sable, le faisant briller comme s’il contenait des paillettes. Une jeune serveuse vint prendre leur commande et Grace remarqua que celle-ci faisait du charme à Yael. Sous une impulsion elle posa sa main gauche sur celle de celui-ci et commença à le caresser avec tendresse. Il releva les yeux, surpris, puis lui fit un grand sourire quand il en comprit la cause. Elle prit alors le temps de le dévisager. Ses yeux bleus brillaient d’émotion. Il était quand même fou qu’elle n’est pas pu voir qu’il l’aimait à ce point, c’était si évident désormais. La serveuse, agacé, lui demanda sèchement : « Et pour vous qu’est-ce que ce sera ? » Grace secoua la tête et commanda une salade. Quand l’intruse fut partie, Yael se racla la gorge, attirant le regard de la jeune femme sur lui. Il semblait nerveux.

  « Grace, je voulais que nous parlions de ce qu’il s’est passé avec Claire. Tout a été si rapide que je n’ai pas eu le temps de m’expliquer.

  -Tu n’as pas à me donner d’explications, le rassura-t-elle, je te fais confiance.

  -Je veux que tu le saches. A mon réveil, je n’ai pas reconnu les personnes qui m’entouraient, mais dès que tu es apparue, c’est comme si c’était une évidence. Tout en moi a su que c’était toi que j’attendais. Je me suis souvenu de certains détails de ma vie ensuite mais j’étais loin de me douter qu’il m’en manquait une grande partie.

  -Les médecins t’avaient prévenus Yael, une hémorragie interne peut avoir de lourdes conséquences.

  -Oui, je l’avais compris, répondit-il. Néanmoins quand cette femme est venue, j’ai été aussi perdu que toi. Je me suis demandé comment j’avais pu te cacher une telle chose, surtout à toi. Je me suis trouvé si égoïste parce qu’en te cachant la vérité, je t’ai fait du mal et tu souffres déjà bien assez à cause de moi.

  -Non ! Je refuse d’entendre de telles inepties ! Je n’ai pas l’impression que tu t’aperçois de tout le bonheur que tu m’apportes… »

  Grace laissa sortir tout ce qu’elle renfermait en elle et plongea ses yeux dans les siens pour qu’ils puissent y lire toute son âme. Elle voulait qu’il sache à quel point elle se sentait en sécurité quand il était là, à quel point son cœur battait quand elle l’apercevait, à quel point elle souriait quand elle se prenait à penser à lui, à quel point elle l’aimait tout simplement… Yael déglutit, sachant à quel point elle allait souffrir quand il partirait, mais il se força à ne pas avoir ce genre de pensées. Ce serait gâcher ce moment qu’il avait tant souhaité.

  « Je voulais m’excuser de ne pas te l’avoir dit. Mais désormais elle ne reviendra plus.

  -Jasmine m’en a fait part, avoua-t-elle, que lui as-tu dit ?

  -Je lui ai annoncé mon accident, mes séquelles… Elle a très mal pris le fait que je ne me souvienne plus d’elle.

  -Où était-elle pendant trois mois ? Pourquoi n’est-elle pas venue te voir ? C’était ta fiancée, pourtant !

  -Je lui avais dit que j’étais en voyage d’affaires, mais quand elle s’est rendu compte que je ne répondais à aucun de ses coups de fils, elle a recherché où je vivais et elle est venue directement, dit-il en regardant dehors.

  -Pourquoi ne lui as-tu pas dit la vérité ?

  -Il faut croire que je ne lui ai jamais parlé de toi.

  -Pourquoi ? »

  Il releva alors les yeux et la fixa d’une telle intensité qu’elle ne put détacher ses yeux des siens. Il murmura : « Parce qu’à cette époque là je t’aimais déjà plus que tout. » Les larmes coulèrent doucement sur ses joues tandis qu’il se demandait ce qu’il avait bien pu faire de mal.

  « Grace… Pourquoi pleures-tu ?

  -T…Tu m’aimes ? Bégaya-t-elle.

  -Aussi fou que cela puisse paraître, oui je t’aime et je donnerai tout pour toi, tu vaux tout l’or du monde… »

  Sans pouvoir se retenir elle se leva de sa chaise et alla se jeter dans ses bras. Ils descendirent alors au rez-de-chaussée et allèrent sur la piste de danse. Ils se collèrent l’un contre l’autre et soudèrent leurs lèvres pour ne faire plus qu’un. Ils dansèrent aussi lentement que possible ne brisant jamais leur baiser puis doucement Grace s’écarta et passa la main dans les cheveux de l’homme qu’elle considérait comme le centre de son univers désormais et lui dit : « Je t’aime Yael, à en devenir folle. J’ai seulement été trop idiote et aveugle pour voir ce que tout le monde voyait. » Il lui sourit comme jamais et déposa un baiser au creux de son cou qui la fit frissonner de la tête aux pieds. Maintenant, elle était à lui corps et âme.

Chapitre 7 :

Ce fut le cri des mouettes qui la réveilla. Elle ouvrit doucement les yeux et fit glisser sa main sur le matelas. Cette matière… Ce n’était pas celle du matelas. Elle releva vivement la tête et aperçut son bras qui reposait sur le buste de Yael. Depuis tout à l’heure, c’était son torse qu’elle caressait et il ne s’était toujours pas réveillé. Elle s’appuya sur son coude et le contempla dormir. Qu’il était beau… Elle esquissa un sourire tandis qu’elle laissait ses doigts vagabonder sur sa peau. Elle les fit glisser le long de ses bras, de son cou, de ses yeux, de son nez et quand elle arriva à ses lèvres c’est sa bouche pâle qui les caressa. Yael ouvrit alors les yeux en souriant puis il l’attrapa vivement par la taille et l’attira à lui si vite qu’elle poussa un cri tandis qu’elle se retrouvait au-dessus de lui. Alors leurs regards s’accrochèrent pour ne plus se lâcher. Ils ne bougèrent plus, ne prononcèrent plus un mot, tout se passait dans leurs yeux. Seul leur respiration brisait le silence mais ils n’y firent pas attention, ils continuèrent de se regarder aussi longtemps que possible jusqu’à ce que Yael craque en empoignant la nuque de la jeune femme et en l’attirant violement à lui, ne pouvant plus supporter l’absence de ses lèvres sur les siennes. Alors ce ne fut plus leur instinct qui prit possession de leurs corps mais leur désir commun. Grace se frottait contre Yael en bougeant lentement ses hanches tandis que leurs langues se rencontrèrent pour un duel sans fin afin que l’un domine l’autre mais aucun des deux ne se laissait faire. Les mains de Yael caressèrent les côtes de la jeune femme tout en enlevant avec habileté son haut, comme si elles avaient fait ça toute leur vie. Grace, laissa glisser ses doigts le long de son torse jusqu’à ses abdos, alors qu’elle allait passer les doigts dans l’élastique de son caleçon, Yael décida d’échanger les rôles et ce fut lui qui se trouva au-dessus d’elle, envahissant son cou de baisers tandis que doucement, il lui enleva son short. Par instinct, elle releva les hanches tandis que le tissu glissait le long de ses jambes puis elle se mit à caresser son dos tandis qu’il se redressait légèrement afin de rejoindre sa poitrine pour y déposer quelques baisers langoureux. Ses mains se dirigeaient vers le dos de la jeune femme afin de détacher son soutien-gorge mais alors qu’elle se relevait pour lui faciliter la tâche, il s’arrêta d’un coup et murmura : « Merde ! » Grace se releva vivement et s’approcha de lui. Elle s’aperçut qu’il avait une main devant son nez, elle le lui prit et poussa un cri de stupeur quand elle la découvrit pleine de sang. Elle courut immédiatement chercher du coton et revint quelques minutes plus tard. Elle en prit un morceau, en fit alors une boule afin qu’il empêche le sang de couler et lui mit doucement au creux de la narine. Quand la quantité de sang diminua, Grace alla rapidement s’enrouler dans sa robe de chambre en satin bleu et revint sur le lit. Elle rapprocha Yael d’elle et caressa doucement ses cheveux tandis qu’il fermait les yeux.  Il avala une grande bouffée d’oxygène et se perdit dans les caresses de la jeune femme.

  « Grace…

  -Oui ?

  -J’ai peur, avoua-t-il.

  -De quoi ?

  -De fermer les yeux.

  -Pourquoi ? »

  Il ouvrit alors les yeux et les plongea dans les siens tandis qu’il lui répondit :

  « Parce que je pourrais ne plus jamais me réveiller.

  -Ne dis pas ça, Yael.

  -Pourtant c’est la vérité. Dans peu de temps, je m’endormirai pour ne plus jamais me réveiller. »

  Grace regarda droit devant elle pour ne pas montrer ses émotions, mais Yael sentit une goutte salée tomber sur sa joue. Il tendit alors les bras pour attraper son visage et essuyer doucement les larmes avec ses pouces.

  « Ne pleure plus, Grace.

  -Alors cesses de dire de telles bêtises !

  -Je te le promets. Ne pleure plus maintenant, plus jamais. »

  Il approcha son visage vers le sien et posa délicatement un baiser sur ses lèvres. Grace recommença à caresser ses cheveux alors il relâcha son étreinte et ferma les yeux de nouveau.

  « Je suis si fatigué, chuchota-t-il, si fatigué de tout ça.

  -Je suis là, n’aie pas peur. Dors encore un peu Yael, ça te fera du bien. »

  Elle resta là, à lui caresser les cheveux jusqu’à ce qu’il sombre dans le sommeil. Puis, en faisant bien attention à ne pas le réveiller, elle se leva du lit et sortit de la pièce. Dans la cuisine, elle se prépara une tasse de café bien chaude puis elle sortit dehors, s’installa sur le banc en plastique vert qui se trouvait sur la terrasse et se délecta de la vue. La mer était d’un bleu intense, contrastant avec le ciel clair où glissaient quelques nuages roses et jaunes, créés par les rayons du soleil. Le bruit des vagues qui s’échouaient sur le sable arrivait à ses oreilles et quand elle ferma les yeux, elle pût imaginer les rouleaux de mousse blanche qui s’écrasaient contre les falaises. Le chant des mouettes la fit sourire. De bon matin, elles étaient toujours là. L’air froid de l’aube glissa sur son visage et elle frissonna. Néanmoins, elle resta là, silencieuse, à regarder un spectacle qu’elle n’avait jamais l’occasion d’observer. N’était-il pas étrange de venir dans un endroit aussi magnifique alors que la situation virait à la comédie dramatique ? Comment pouvaient-ils autant s’aimer, être heureux alors qu’ils savaient qu’ils allaient passer la barrière bientôt ? Bien évidement, depuis toujours Grace avait remarqué qu’être amoureuse, c’était un chemin difficile. On courrait jusqu’à voir le mur, l’obstacle, mais on continuait quand même de courir, jusqu’au choc inévitable et on souffrait. Mais qu’importait la douleur, l’amour, la passion, le désir, ceux-ci n’étaient-ils pas plus importants que tout le reste ? Comment savoir où aller ? Que dire ? Quoi faire ? La jeune femme secoua la tête. Ils avaient déjà trop avancé pour pouvoir faire marche arrière. C’était trop tard. Ils auraient dû le savoir. C’était inévitable. Prévu depuis le début. Pourtant ils avaient foncé comme un train à pleine vitesse. Mieux valait continuer désormais, montrer aux autres que tout était possible et qu’ils n’avaient aucuns remords.

Elle sursauta quand elle entendit la porte de l’entrée claquer contre le battant et elle se retourna vivement. Yael, déjà habillé, était réveillé et la contemplait.

  « Désolé, elle m’a échappé des mains. Je ne voulais pas t’effrayer.

  -Ce n’est rien. Comment te sens-tu ?

  -Je me sens mieux, merci. »

  Il vint s’asseoir près d’elle et la serra contre lui en posant son menton au creux de son cou puis, ensemble, ils contemplèrent la mer s’étendre à perte de vue et se fondre dans le bleu du ciel.

  « Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, murmura-t-elle.

  -Ce qui est le plus magnifique d’après moi, c’est le monde à travers tes yeux. »

  Il déposa une ligne de baisers dans le cou, lui provoquant de longs frissons tandis qu’elle esquissa un sourire. Ils se prirent la main, caressant leur peau, leurs yeux ne quittant pas le paysage.

  « Aujourd’hui, je veux que nous organisions une journée plein air.

  -Yael, dans ton état, je ne préfère pas.

  -S’il-te-plaît Grace, laisse-moi réaliser ça. Je le veux. »

  La jeune femme acquiesça en soupirant. Ils auraient dû rester ici, pourtant elle voulait qu’il puisse vivre ces instants pour les emporter avec lui quand ses ailes l’emporteraient. Pour la remercier, il l’embrassa tendrement tandis que le vent soufflait autour d’eux les enveloppant des senteurs salées de la plage.

                                                    ***

Yael contemplait Grace se balader le long de la plage tandis qu’il écrivait sur les lignes de son carnet. Il se détestait de lui mentir comme il le faisait, mais il n’avait pas le choix, il devait la protéger coûte que coûte. Elle était trop faible ces derniers temps pour endosser le rôle d’infirmière. Qu’y aurait-il à faire de toute façon ? Il s’affaiblissait à vue d’œil, pourtant devant elle, il ne laissait rien paraître. Il avait dû mal à se nourrir, il se forçait presque à manger. Il dormait très bien, mais dès qu’il se réveillait il était très fatigué comme s’il n’avait pas dormi de la nuit. Il était faible et il détestait ça. S’il l’était trop,  il ne serait plus capable de la protéger et il ne pouvait pas l’admettre. Il allait continuer de faire semblant d’aller bien, du moins jusqu’à ce qu’ils soient de retour. Ensuite il improviserait, comme il le faisait toujours. Grace qui était arrivée à ses côtés sans qu’il puisse s’en être rendu compte, demanda : « qu’écris-tu ? » Instinctivement, il referma son carnet d’un coup sec et baissa la tête. Elle s’assit alors près de lui et posa délicatement ses doigts fins sur son menton pour lui relever la tête.

  « Pourquoi ne me le montres-tu pas ?

  -Parce que tu le verras en temps voulu.

  -Quand cesseras-tu de me considérer comme une enfant, Yael ? »

  Surpris, il n’osa pas répondre. C’était vrai, depuis toujours, il l’a considérait comme une personne plus fragile et sensible que n’importe qui. Pourtant Grace était une femme forte et indépendante mais lorsqu’il s’agissait de lui, elle était beaucoup trop faible.

  « Je ne te considères pas comme une enfant.

  - Prouve-le-moi. »

  Se rapprochant d’elle, il laissa un souffle glisser dans son cou tandis qu’il lui demandait comment il pouvait lui prouver. Elle effleura alors sa bouche du bout des lèvres et murmura : « Touche-moi… » C’est quand elle passa ses mains sous son t-shirt qu’il comprit tout de suite où elle voulait en venir. Doucement, il la repoussa. La veille, il n’avait rien tenté, attendant qu’elle soit prête bien que cela ait été plus difficile qu’il ne l’aurait pensé. En revanche, ce matin, il n’avait pas pu se contrôler et ça avait faillit déraper si son nez ne s’était pas mis à saigner. Il regarda alors la nuit qui s’installait à l’horizon puis il soupira.

  « Pas maintenant Grace. Pas ici.

  -Quand ?

  -Bientôt. »

  Alors il alla chercher le panier qui contenait le dîner dans le coffre de la voiture et déballa le tout sur la couverture qu’ils avaient installée. Quand tout fut prêt, ils mangèrent les sandwichs au thon qu’ils avaient préparés avant de partir. L’après-midi était passé trop rapidement. Ils avaient visité la ville, s’étaient arrêtés à un café, avaient mangé au restaurant puis étaient rentrés, épuisés. Pour clore  cette journée en plein air, ils avaient décidé de dîner dehors, sur les galets, en face de la mer qui accueillait encore quelques passants à cette heure tardive. Il resta là, silencieux, à contempler le va-et-vient des vagues, à comparer la taille des rouleaux d’écume, à regarder les enfants lancer des galets pour voir lequel irait le plus loin. Il regarda le phare à sa droite qui se trouvait au bout  d’un ponton et les falaises d’argile à sa gauche qui longeaient  la côte et où les vagues venaient s’écraser. Il se laissa charmer par le bruit des galets qui se heurtaient lorsque les vagues se retiraient. Elles étaient si proches d’eux, qu’à chaque fois qu’une vague s’écrasait, quelques gouttes venaient se poser sur son visage. Alors quand ils eurent fini leur repas, ils laissèrent le panier sur la couverture et Yael entraîna la jeune femme dans l’eau. Ils frissonnèrent tous les deux quand l’eau glaciale entra en contact avec leurs membres. Mais ça n’avait pas d’importance, leur désir de vivre était plus fort. Lentement, ils s’embrassèrent puis leurs baisers devinrent plus ardents, leurs mains caressèrent l’un, tandis que l’autre poussait de petits soupirs. Le feu les consumait tout entier sans que l’eau puisse l’éteindre. Le désir grandissait encore et encore et ils ne savaient quand ils s’arrêteraient. Grace recula, les cheveux en désordre, les joues rouges, le souffle court et le cœur battant à tout rompre, en chuchotant : « rentrons. » Alors, ils coururent jusqu’à la voiture, rangèrent rapidement leurs affaires puis ils s’évaporèrent dans les limbes de la nuit.

Une trentaine de minutes plus tard, ils étaient devant la porte d’entrée, à bout de souffle par la course qu’ils venaient d’effectuer. Néanmoins, ils riaient à s’en vider les poumons. Quand ils entrèrent dans le chalet, Grace, trempée jusqu’aux os, plaça quelques bougies dans la chambre et les alluma. Quand elle retourna dans le séjour, Yael avait tiré tous les rideaux et ils restèrent ainsi, silencieux, à se contempler, sachant éperdument ce qui allait arriver. Lentement comme s’ils savouraient cet instant pur, ils enlevèrent leurs vêtements mouillés et les laissèrent glisser au sol. Yael, se laissant envahir par le désir qu’il avait tant réussi à contrôler, fonça droit sur Grace et colla brutalement ses lèvres aux siennes tandis qu’il la portait doucement pour l’emmener dans la chambre. Il la colla contre le mur, laissant ses mains se promener le long de son dos nu, savourant la douceur de sa peau. Il reprit son chemin après de brûlants baisers et la posa enfin sur le lit. Alors il recula de quelques pas et la contempla, elle qui s’offrait désormais à lui. A bout de souffle il murmura : « tu es si belle… » Alors qu’il s’allongea au-dessus d’elle, il déposa ses lèvres doucement sur les siennes, l’invitant à les ouvrirent pour qu’il puisse lui prodiguer tout ce qu’il avait rêvé depuis son réveil. Ils se laissèrent portés par leur désir, laissant chaque vague les envahir les unes après les autres dans des battements de cœur irréguliers. Doucement, il descendit. Il embrassa son épaule, descendit le long de son bras jusqu’à sa main puis il remonta, rencontrant de nouveau ses lèvres où leurs langues se mélangèrent encore une fois tandis que Grace se frottait lentement contre lui. Il redescendit de nouveau, effleura l’arrondi de son sein, son ventre, l’intérieur de ses cuisses, ses chevilles. Toute sa peau passa sous sa bouche. Ses lèvres enflammèrent son corps et quand Grace ouvrit la bouche pour pouvoir avaler une goulée d’air, un gémissement en sortit. Elle fit glisser ses doigts sur son torse, le long de ses abdos puis dans son dos. Il laissa échapper un soupir lorsque ses doigts délicats passèrent le long de son sexe. Tandis qu’il l’embrassait de nouveau, elle fixa ses yeux dorés dans les siens et approcha sa bouche de son oreille. Elle chuchota alors : « S’il-te-plaît, aime-moi… » Il sourit et caressa encore son corps pendant de longues minutes lui procurant tout le plaisir qu’elle méritait puis décidant que l’attente avait assez duré, il prit appui sur ses avant-bras, il glissa entre ses cuisses et passa la barrière que personne n’avait franchi avant. Surpris, il ne bougea pas pendant plusieurs minutes puis il colla son front au sien, tremblant et respirant difficilement sous l’intensité de son désir.

  « T… Tu es… bégaya-t-il.

  -Oui, je le suis.

  -Mais tu m’avais dit que…

  -C’était un mensonge Yael, le coupa-t-elle. Un comme tant d’autre. Je savais que tu avais passé cette étape, moi, je n’ai jamais pu le faire. Et dieu sait que j’ai essayé ! Mais à chaque fois, je me figeais et je viens seulement de prendre conscience que tu étais la seule raison de ce blocage. »

  Une larme coula le long du visage du jeune homme et Grace s’aperçut que c’était la première fois qu’elle le voyait pleurer. Elle se redressa lentement et embrassa chaque goutte salée jusqu’à ce que ce soient leurs lèvres qui s’unissent. Elle se recoucha alors sur l’oreiller, ses cheveux châtains s’éparpillant autour de son visage angélique. Elle leva les hanches cherchant à avoir davantage de contact avec lui puis quand elle agrippa ses épaules, elle lui murmura : « Viens, viens… » Alors il poussa lentement en elle tandis que les ongles de Grace se plantaient dans sa peau alors qu’elle grimaçait. Ils commencèrent à bouger, glissant l’un contre l’autre, se quittant pour mieux revenir. Il poussa plus fort, plus vite sous les demandes de son amante qui passait ses mains dans ses cheveux courts alors qu’elle se collait davantage à lui. Les gémissements et les soupirs envahirent la chambre tandis qu’une fine couche de sueur recouvrait leurs corps. Grace ne le lâchait pas, ses ongles se plantant de nouveau dans la chair de son dos, et ondulait encore des hanches sous les râles sauvages du jeune homme. Elle ne voulait faire qu’un avec lui, elle voulait rester ainsi dans ses bras pour toujours. Néanmoins, cela ne dura pas éternellement et c’est ensemble qu’ils montèrent au septième ciel dans de longs gémissements.

Yael s’éloigna d’elle, se tenant toujours sur ses avant-bras et c’est quand Grace caressa son visage qu’elle vit qu’il était à bout de souffle et qu’il tremblait anormalement. Elle le poussa pour qu’il puisse s’allonger et remonta la couverture sur ses épaules tandis qu’elle lui déposait un baiser dans le cou.  Il l’attira à lui et la serra dans ses bras tandis qu’elle poussait un soupir de plaisir.

  « C’était magique…

  -Tu as été merveilleuse, Grace.

  -Toi aussi tu l’as été. Bien au-delà de mes espérances. »

  Elle se retourna et leurs visages se retrouvèrent face à face. Ils s’embrassèrent de nouveau mais plus lentement, comme la douce brise après la tempête. Elle remarqua qu’il tremblait encore alors elle posa sa main contre son torse et posa sa tête contre sa poitrine. C’était la première fois qu’elle faisait l’amour, mais jamais elle n’oublierait cette nuit-là. Elle avait pu découvrir les plaisirs ardents grâce à Yael et ça avait été tout simplement magique.

  « Je t’aime, lui chuchota-t-il à l’oreille.

  -Je t’aime Yael, plus que tu ne le sauras jamais. »

  Alors dans une étreinte passionnée ils sombrèrent dans le sommeil, leur amour glissant sur leurs corps pour mieux les envelopper.

Chapitre 8 :

Le soleil se dressait à l’Est, la brise matinale flottait sur la mer, les marins quittaient le port pour affronter les flots à la recherche de poissons frais à ramener, les gens du matin se baladaient le long de l’esplanade pour profiter de l’air frais et vif. Grace ouvrit les yeux lentement et savoura le silence pendant quelques minutes jusqu’à ce qu’elle se rende compte que leurs jambes étaient emmêlées. Lentement, elle remonta sa cuisse nue le long de la jambe de Yael, savourant la douceur de sa peau qui glissait contre la sienne. Elle toucha ses lèvres, ici-même où il l’avait embrassée avec une passion dévorante. Elle sourit lorsque les souvenirs de la veille surgirent et occupèrent toutes ses pensées. Elle se souvint de la manière dont ils ne faisaient plus qu’un, de la manière tendre dont il l’avait aimée, des moindres soupirs qu’ils avaient émis.  Sans faire de bruit, elle essaya de se dégager de l’emprise du jeune homme, enleva le drap écru de son corps et se releva. Mais au moment où elle allait quitter le lit, la main  de Yael s’empara de la sienne et il l’attira de nouveau dans le lit. Elle heurta son oreiller avec un bruit sourd puis se mit à rire. Il enserra sa taille tendrement et il lui baisa le front.

  « Déjà réveillée ? Demanda-t-il.

  -La journée est bien trop belle pour rester au lit.

  -Pourtant l’idée me plaisait bien à moi, il y a toutes sortes d’occupations à faire dans un lit quand on est deux. »

  Grace le tapa gentiment sur le torse tandis qu’elle lui dit en riant :

  « Grand malin, va !

  -Avoue que ça ne te déplaît pas… »

  Alors qu’elle allait le taper une nouvelle fois mais avec les deux mains, Yael les rattrapa juste avant qu’elles ne touchent son corps et, surprise, Grace ne bougea plus, se contentant de le fixer dans les yeux. Le silence se fit de nouveau, seulement brisé par leurs souffles saccadés, puis Yael tira doucement sur ses poignets l’amenant à lui d’un mouvement vif et il se mit à l’embrasser avec frénésie. Peu importait le temps qu’il lui restait du moment qu’il le passait avec elle, rien ne comptait plus au monde.

Et c’est avec une douceur infinie qu’ils sombrèrent de nouveau dans les tournants du plaisir.

                                                    ***

Grace tapa contre la porte en bois de la salle de bains et cria : « Bon Yael, c’est quand tu veux pour sortir ! » Le jeune homme toussota tandis qu’il prenait appui contre le rebord blanc du lavabo. Il s’y appuyait si fort que ses phalanges blanchirent. Mon dieu ! Que lui arrivait-il ? Il se sentait si bien ce matin ! Et désormais si faible… Il répondit : « Je vais sortir dans quelques minutes. » Quand il se regarda dans la glace, un frisson glacial le traversa, l’immobilisant, tandis que la migraine le prit soudainement. La tête lui tourna comme il y avait de cela un jour mais cette fois avec plus de brutalité, sa vue se brouillant à tel point qu’il ne parvenait plus à distinguer la pièce. C’était comme si on lui assenait plusieurs coups de marteaux en même temps, il entendait son cœur battre à ses oreilles comme s’il allait s’échapper de sa poitrine.

Tendant la main pour ouvrir le placard, il remarqua qu’elle tremblait comme jamais. Il baissa la tête en relâchant la pression de ses mains sur le lavabo mais il le rattrapa aussitôt, manquant de s’écrouler au sol. Maintenant, c’était son corps qui était pris de tremblements si intenses qu’il n’arrivait pas à les stopper. Il prit un gobelet en plastique, le remplit d’eau puis il ouvrit le placard et en sortit deux aspirines. Il les avala avec difficulté, l’eau se déversant sur lui à cause de ses convulsions. Quand il eu fini, il s’appuya sur le mur et se laissa tomber à terre. Alors seulement là, il s’autorisa à craquer et cria : « Grace ! » Il fondit en larmes. La situation lui échappait, il ne pouvait plus rien contrôler et il savait qu’il était en train de foncer vers la défaillance sans pouvoir s’arrêter. L’homme avait toujours eu le contrôle sur la maladie, du moins sur une grande majorité d’entres elles. Aujourd’hui, c’était la maladie qui prenait le contrôle de l’homme.

Grace entra dans la salle de bains comme une flèche mais quand elle s’aperçut de l’état de Yael, elle poussa un cri. Du sang s’échappait de son nez et la quantité était beaucoup plus importante que la veille ! Il enleva les mains qui tenaient sa tête et la regarda dans les yeux. Il craquait. Son corps le lâchait. Ses nerfs le lâchaient. Il n’était plus conscient de rien. Grace voulu dire quelque chose mais les mots restèrent coincés dans sa gorge alors elle alla rapidement chercher une serviette de toilette et quand elle revint, elle s’assit à côté de lui et essaya de stopper le liquide rouge qui coulait abondamment. Il remplaça sa main par la sienne et elle en profita pour le serrer très fort contre elle à l’en étouffer. Il continua de pleurer et son corps, de trembler.

« Qu… Qu’est-ce qu… qui m’arrive ? Bégaya-t-il.

-Ton corps lâche Yael. Tu as beau mentir aux gens mais la maladie est bien là. Cesse de faire comme si tu allais bien, comme si tu te moquais d’être malade et confie-toi ! Je suis là ! J’ai toujours été là… Tu peux croire que c’est moi qui ait besoin de ton aide, que je suis faible mais entre nous deux, c’est toi qui a le plus besoin de moi, parler et de te confier. Pourtant, tu te renfermes sur toi-même et te caches la vérité. Alors je ne te le dirai qu’une fois… »

  Elle lui tourna la tête pour plonger ses yeux dorés dans les siens et lui dit avec détermination : « Alors maintenant lâche-toi Yael ! Crie ta détresse ! Crie ton envie de rester ! Crie ta rage ! C’est ta bataille ! Toi seul peux la remporter… »

Il continua de la regarder jusqu’à ce qu’il pose sa tête contre son épaule. Elle le garda là, entre ses bras, en lui caressant les cheveux et en lui chuchotant tout ce qui lui passait par la tête pour qu’il puisse se calmer. Elle lui avait promis d’être avec lui du début à la fin, et elle tiendrait cette promesse.

                                                    ***

Yael se gara sur le parking puis ils sortirent de la voiture. Grace le rattrapa en trottinant et lui prit la main. Quand il s’était senti mieux, ils avaient eu envie de prendre l’air. Il avait donc voulu lui faire une surprise.

  « Mais enfin où va-t-on ?

  -Tu te souviens quand nous étions enfants, on voulait toujours découvrir plein de choses. Alors tu as la réponse à ta question. »

  Il l’attira contre lui, embrassant la peau laiteuse de son cou et tandis qu’il entremêlait ses doigts aux siens, il murmura : « Allons découvrir le monde… »

Pendant plus d’une demi-heure, ils se laissèrent guider par les mouettes jusqu’à arriver à un chemin en pente rempli de roches. Yael passa devant, tenant toujours fermement sa main, prêt à la rattraper si jamais elle glissait. A bout de souffle, ils arrivèrent enfin sur la plage pleine de galets. C’était absolument magnifique !

  « Je vais aller jeter un coup d’œil du côté des falaises, dit-il, tu veux venir ?

  -Non ça va aller, je préfère t’attendre ici.

  -D’accord.

  -Reviens vite, la mer commence à monter, lui dit-elle.

  -Je te le promets. »

  Il posa ses lèvres sur le sommet de ses cheveux, caressa sa joue puis partit. Grace le regarda partir puis elle enleva ses chaussures, les posa près d’une roche et alla marcher dans l’eau glacée quelques minutes. Elle chantonna les paroles de la chanson qu’ils avaient écoutées sur la route puis, ne sentant plus ses orteils, elle vint s’asseoir sur la roche en argile où elle avait posé ses chaussures. Elle regarda la mer, qui semblait verte, former ses immenses rouleaux d’écume blanche qui s’écrasaient sur les galets pour former une magnifique symphonie. Elle tourna la tête à droite et regarda les falaises, notamment le trou qui les creusait, ici même où Yael était parti. Elle commença à s’inquiéter de ne pas le voir revenir tandis que la mer commençait à monter. Les vagues étaient de plus en plus grosses à cause vent et l’écume blanche s’appropriait davantage d’espace. Elle regarda le ciel gris où quelques oiseaux essayaient de voler mais restaient sur place sans avancer tellement ils leur étaient difficile de bouger sous ces brises violentes. Elle se leva, l’estomac noué et le cœur bondissant  sous la peur de ne pas voir revenir celui qu’elle aimait, quand elle l’aperçu, là-bas, au pied de la falaise. Prise d’une vive impulsion, elle s’élança dans une course folle, l’eau percutant ses jambes nues, sa robe volant dans le vent, les galets lui faisant mal aux pieds malgré ses chaussures. Mais elle continua jusqu’à atteindre le jeune homme et lui sauta dans les bras. Il la rattrapa rapidement et la fit tourner comme deux amants fous, avides l’un de l’autre.

  « J’ai cru que tu n’allais jamais revenir ! S’écria-t-elle.

  -J’ai juste observé l’Aiguille et la Manneporte. Tu aurais dû venir, c’était magnifique. »

  Il était vrai que ces deux falaises, très célèbres, d’Etretat étaient magnifiques ! Néanmoins ce qu’elle voulait plus que tout c’était lui, et rien d’autre que lui.

Il glissa ses mains derrière sa nuque et l’attira à lui. Ils collèrent doucement leurs lèvres les laissant se caresser tendrement puis leurs langues se rencontrèrent et tout bascula. Ils se caressèrent, essayant de chercher un endroit où le tissu ne recouvrait pas leur peau. Leur désir était insatiable, les vagues de frissons se déchainaient sur eux comme celles de l’océan, plus rien n’existait mis à part le bruit des vagues, le chant des mouettes. Le temps avait disparu, la maladie aussi. Mais combien de temps restait-il désormais ?

Yael recula doucement, à bout de souffle et Grace en profita pour lui murmurer : « Je t’aime… » Il déposa un baiser juste en dessous de son oreille, l’endroit auquel elle était le plus sensible, puis rajouta : « A jamais… »

Pour beaucoup, ça ne pouvait rien signifier. Mais pour eux, c’était un tout. Une promesse. La promesse que leur amour durerait. Qu’il se battrait contre le temps, mais aussi contre la mort. Quand on avait trouvé son âme-sœur, celui ou celle qu’on aspirait à avoir depuis toujours, la passion qui les liait était toujours plus forte que tout, peu importait le destin…

Chapitre 9 :

Leur semaine était passée tellement vite qu’ils n’arrivaient toujours pas à croire qu’ils devaient déjà partir.

  « Yael ?

  -Oui ?

  -Avant de partir, j’aimerai voir Etretat une dernière fois.

  -Bien sûr, tout ce que tu voudras. »

  Elle esquissa un sourire et s’approcha de lui lentement en passant les bras autour de son cou. Elle posa la tête sur son épaule et ils restèrent enlacés tendrement, écoutant le souffle de l’autre. Il y avait tout juste une semaine, ils étaient amis. Qui aurait pu prévoir que ce séjour allait tout basculer et les lier l’un à l’autre à jamais ? S’ils n’avaient pas été aussi aveuglés par leur vie, les évènements se seraient-ils passés ainsi ? Grace était plutôt d’avis que la vie était imprévisible, qu’on ne pouvait savoir ce qui allait se passer. Le destin pétrissait la vie de chacun afin de lui donner une forme. On lui avait toujours répété que la vie était différente de la vision qu’on en avait étant enfant. Ce serait-elle douté qu’il puisse exister pareille cruauté ?

Yael laissa glisser sa main dans ses longs cheveux bruns et elle se colla davantage contre lui.

  « Comment en sommes-nous arrivés là ? Demanda-t-elle en soupirant.

  -C’est la vie Grace, on ne peut pas choisir.

  -Mais quand on a appris que tu avais un cancer on t’a tout de suite prescrit le traitement, les médecins avaient dit que tu allais mieux, que tu étais sur la voie de la guérison ; et regarde-toi maintenant, tu es si malade… »

  Elle avait les yeux qui brillaient, prête à déverser toutes les larmes qu’elle empêchait de couler. Il lui prit le menton et plongea les yeux dans les siens tandis qu’il caressa doucement sa joue avec son pouce.

  « Hey, hey ! Ne pleure pas. Je n’ai pas peur de partir, Grace. M’entends-tu ?

  -Oui…

  -Aussi loin que je serai, je veillerai toujours sur toi. Je serai toujours là près de toi, à te regarder écrire, sourire et chanter. Peu importe le temps qu’il me reste à passer à tes côtés, je suis déjà comblé. »

  Il fit glisser les doigts le long de son bras et attrapa sa main gauche pour admirer la bague de fiançailles qu’elle n’avait pas quittée. Elle était si belle sur elle. Sa fiancée… Elle était sa fiancée et le serait désormais pour toujours, même après sa mort. Elle laissa couler ses larmes et il embrassa chacune d’elles. Jamais il n’avait été aussi doux, aussi aimant. Mon dieu qu’il l’aimait !

  « Pourquoi avons-nous fait semblant, Yael ? Pourquoi ?

  -Quand avons-nous fait semblant ?

  -Lorsque tu as appris que tu étais malade, tu me l’as annoncé avec un tel naturel… On a continué à vivre, à rester ensemble, nous n’avons jamais abordé le sujet. Pas une seule fois. On vivait comme si la maladie ne te collait pas à la peau. Pourquoi ?

  -Il n’y a pas de raisons à un tel comportement. Nous avons préféré garder le bon côté des choses et ça m’a aidé, Grace. Tu n’imagines pas à quel point ! Tu es restée avec moi en me considérant comme l’homme que j’étais et non un être malade. Combien de fois pourrais-je te remercier pour ça ? Tu m’as rendu plus vivant encore et tu ne t’en rends même pas compte ! Contre toute attente, tu as réussi à retarder les effets de la maladie. J’ai survécu grâce à toi… »

  Il la serra contre lui et pressa son visage contre ses cheveux. Il l’aimait tellement… Comment renoncer à partir alors qu’elle avait besoin de lui ? Néanmoins, il ne pouvait pas rester, le temps était compté depuis le début et il sentait que la fin arrivait à grands pas.

                                                 ***

  La voiture s’engagea dans le chemin terreux et bientôt la maison apparue. Quand le véhicule s’arrêta, Grace sortit précipitamment, ne prenant même pas la peine de reprendre les clés qu’elle avait laissées sur le contact, et courut dans les bras de Jasmine.

  « Vous voilà enfin ! S’écria celle-ci.

  -Comme tu m’as manqué !

  -Vous aussi, surtout à Maxime. Il n’arrêtait pas de vous réclamer.

  -Quel enfant adorable… Allan et toi êtes des parents formidables. »

  Jasmine sourit et serra son beau-frère dans ses bras tandis qu’il la saluait chaleureusement. Elle remarqua de suite sa pâleur mais ne dit rien car, malgré les apparences, Yael allait bien mieux : ses yeux pétillaient de bonheur quand il regardait Grace, il souriait à chaque mot qu’elle prononçait. La jeune femme détailla sa sœur et remarqua la bague qui ornait son annulaire gauche. Elle pressa sa main contre sa bouche en poussant un cri de surprise. Grace sourit tandis que Yael enroulait les bras autour de sa taille pour confirmer les soupçons de sa belle-sœur. Elle leur ouvrit la porte d’entrée en leur disant : « Rentrons, il y a plein de choses que vous devez nous expliquer ».

Une dizaine de minutes plus tard, ils se trouvaient tous les quatre assis à table et discutaient gaiement :

  « Je n’en reviens pas ! S’exclama Jasmine. Vous êtes vraiment fiancés ?

  -Oui, répondit Yael en posant sa main sur celle de Grace.

  -Je n’en reviens pas !

  -Pourtant c’est la vérité.

  -C’est juste que vous êtes partis avec vos soucis et vous revenez ici plus amoureux que jamais, c’est…

  -J’avoue qu’il y a de quoi être perturbé, avoua Grace. »

  Allan et Jasmine s’échangèrent un regard, se passant un message puis ils sourirent. Ils attendaient ce moment depuis tellement longtemps ! Ils étaient si fiers d’eux…

Yael attira Grace prêt de lui et embrassa le sommet de son crâne.

  « Et si nous allions au parc ?

  -Avec plaisir ! »

  Ils se levèrent et s’excusèrent auprès du couple. Lorsqu’ils sortirent de la maison Allan et Jasmine crièrent en cœur : « Bonne balade les amoureux ! » Ils rirent encore quand ils montèrent dans la voiture. Depuis les fréquentes baisses de santé de Yael, Grace prenait toujours le volant, ne tenant pas à l’affaiblir davantage. Il avait beau faire semblant de se sentir bien, sa pâleur prouvait le contraire. Elle ne s’en formalisa pas davantage, elle voulait profiter de cette balade autant que possible.

                                                    ***

Cela faisait à présent une demi-heure qu’ils se promenaient main dans la main alors ils décidèrent de se rendre au centre-ville afin de faire les boutiques. Grace avait déjà fait trois magasins et était ressortie sans trouvailles, néanmoins elle ne perdait pas son sourire.

  « Combien de boutiques comptes-tu encore faire ?

  -Hum… Je ne sais pas…

  -Tu ne changeras jamais ! Mais sais-tu à quel point je t’aime ?

  - Montre le moi… »

Alors il l’embrassa avec ardeur, leurs bouches ne se décollaient pas, ils bataillèrent pour qu’un des deux ait le contrôle, mais ce fut match nul. Les mains de Yael caressaient ses hanches, l’enflammant toute entière. A bout de souffle, ils reculèrent.

  « Je crois que je suis convaincue. Je t’aime Yael, lui murmura-t-elle à l’oreille.

  -Ce n’est pas fini, je te prouverai davantage à quel point je t’aime cette…

  -Grace ! Grace ! »

La jeune femme tourna la tête et aperçut Julie, une amie d’enfance, qui lui faisait de grands signes. Elle regarda Yael et celui-ci l’embrassa rapidement en lui disant : « Vas-y, je t’attends ici. » Elle lui sourit et partit rejoindre son amie. C’est alors que le cauchemar commença.

La tête lui tourna comme s’il était pris dans un tourbillon, sa peau se mit à brûler comme jamais auparavant, l’air manqua à ses poumons et il se mit à haleter. Non, non ! Pas maintenant ! Ça ne pouvait pas déjà se reproduire !

Il ne voyait plus rien désormais, pas même ses mains. La douleur envahissait sa tête comme un poison qui s’infiltrait doucement afin de le faire souffrir davantage. Il poussa un cri, enfin il lui sembla qu’il avait crié car il n’entendait qu’un fort bourdonnement. Plus rien n’était clair autour de lui, c’était comme s’il avait atterri dans un autre monde.

Son corps fut repris de convulsions mais cette fois-ci, encore plus violentes que les précédentes.

Grace discutait avec gaieté quand elle entendit un cri. Elle se retourna et ne bougea pas, trop choquée pour agir. Yael se tenait à la barrière et avait le poing sur le thorax, il haletait, l’air lui manquait. Le sang sortait de sa bouche tandis qu’il toussait pour le faire sortir. La jeune femme se mit à courir aussi vite qu’elle le put et cria : « Appelez les urgences ! Vite ! »

Au moment où elle arrivait près de lui, il s’effondra à terre, pâle, sa chemise tâchée de sang et il ne bougeait plus. Elle lui cria : « Yael réveille-toi ! Réveille-toi ! Ne m’abandonne pas ! Pas maintenant ! » Elle continuait de lui crier son désespoir en essayant de le réanimer, mais les ambulanciers arrivèrent et tout se passa très vite. Ils écartèrent vivement Grace tandis qu’ils l’embarquaient sur un brancard, elle allait monter quand un ambulancier lui dit : « Désolé madame mais vous ne pouvez pas monter » Il ferma alors la porte et l’ambulance partit. Son cœur battait très vite, elle ne pouvait plus s’arrêter de pleurer et elle tremblait de la tête aux pieds. Elle s’effondra sur le sol d’un seul coup et se prit la tête entre ses mains. Non ! Il ne pouvait pas mourir ! Pas maintenant ! Il lui avait promis de se battre jusqu’au bout, il allait se battre encore. Il ne pouvait pas renoncer facilement. Alors que Julie l’aidait à se remettre debout elle dit : « Tu ne peux pas renoncer aussi facilement. » Puis elle balança ses chaussures sur le trottoir et se mit à courir. Elle ne courrait pas comme tout le monde. Cette fois, elle courrait contre le temps, contre la mort.

                                                       ***

Elle arriva à l’hôpital une quinzaine de minutes plus tard, s’étant arrêtée sur le chemin pour prévenir Allan et Jasmine qui étaient déjà arrivés quand elle arriva dans le couloir. Jasmine pleura contre l’épaule de son mari tandis que celui-ci, les yeux rouges, tentait de la consoler.

  « Où est-il ? Cria-t-elle. Où est-il ?

  -Grace, commença sa sœur.

  -Non ! Dîtes moi où il est. Il f…faut que je le vois, que je sache s’il va bien. »

  Alors, à bout de force, ses jambes la lâchèrent mais Allan la rattrapa avant qu’elle ne tombe.

  « Grace, il faut que tu te calmes…

  -Vous ne comprenez pas, haleta-t-elle. Il faut que je le vois.

  -Grace, lui dit sa sœur avec douceur alors qu’elle pleurait.  C’est fini.

  -Q…Quoi ? »

  Un médecin, celui qui s’était occupé de Yael dès son réveil, arriva et leur demanda de s’asseoir. Il regarda Grace avec une lueur de tristesse mais resta impassible tandis qu’il prit une grande inspiration :

  « Mademoiselle…

  -Provos, ajouta Grace. »

  Jasmine et Allan écarquillèrent les yeux et la regardèrent avec surprise. Elle ne les regarda pas et resta concentrée sur l’homme.

  « Votre sœur et votre beau-frère ont déjà eu les nouvelles que je vous apporte. Malheureusement, elles sont mauvaises. La date que nous avions estimée n’a pas été atteinte, monsieur Provos est actuellement plongé dans un coma dépassé, par conséquent en état de mort cérébrale et nous ne pouvons désormais plus rien faire pour lui.

  -I…Il est mort ? Bégaya-t-elle.

  -Techniquement il ne l’est pas, mais sans fonction cérébrale le corps ne fonctionne plus. Sa vie est maintenue par respiration artificielle, répondit-il.

  -Pourrait-il se réveiller ?

  -A notre connaissance, une seule personne a réussi à se réveiller, et ça relève du miracle. »

  Grace regarda la porte devant laquelle ils se trouvaient. Derrière cet obstacle se trouvait Yael.

  « Maintenant, il faut que vous choisissiez si vous voulez le débrancher ou non. A l’heure actuelle nous vous laissons disposer du temps qu’il vous faudra pour prendre cette décision.

  -Bien, je vous remercie docteur, dit Allan, la gorge nouée.

  -Puis-je le voir ? Demanda Grace qui jusque là était restée silencieuse.

  -Bien sûr. »

  Il ouvrit la porte et alors que la jeune femme allait entrer, les jambes tremblantes, Allan la retint par le poignet. Elle se retourna et il lui donna une feuille blanche pliée en lui disant : « Yael me l’a transmise en rentrant, il m’a demandé de te la donner quand il ne serait plus parmi nous. » Grace acquiesça et entra dans la pièce en serrant fortement la lettre dans sa main. C’était la seule chose à laquelle elle pouvait se rattacher. Quand elle entra, elle ne regarda pas le lit mais le mur blanc tandis que le médecin sortait en fermant la porte. Alors elle s’installa dans un fauteuil près du lit, et regarda Yael. Il était pâle, très pâle. Néanmoins, il restait toujours l’être qu’elle avait tant aimé. Il avait un tube dans la bouche, celui-là même qui lui permettait de rester encore en vie et une machine mesurait son rythme cardiaque. Grace se laissa aller dans le fauteuil et explosa en larmes. Elle n’arrivait pas à y croire. Yael, mort ? C’était inconcevable. Il ne pouvait pas l’avoir quittée aussi brutalement… Elle se rapprocha de lui, ses larmes tombant sur sa joue râpeuse par la barbe naissante qu’il n’avait pas eu le temps de raser, et elle caressa ses cheveux, comme elle le faisait quand il dormait. Elle posa ses lèvres sur son front, puis elle descendit sur ses joues, essayant de garder ces derniers souvenirs. Elle se rappela qu’elle tenait sa lettre entre ses doigts, alors elle s’assit de nouveau, s’installa confortablement et l’ouvrit. La page était envahie d’une magnifique écriture. C’était une page de son carnet qu’il avait arraché, elle se souvint alors du jour à la plage où il lui avait dit : « Parce que tu le verras en temps voulu. » C’était donc ça ! Et elle n’avait pas su le comprendre… Elle essuya ses larmes, prit une grande inspiration et commença à lire :

Grace,

Si tu lis cette lettre, c’est que j’ai déjà entamé mon grand voyage. Sache que je n’ai pas peur, au contraire. Si tu savais à quel point je t’en suis reconnaissant ! Tu as été le soleil dont les rayons ont réussi à traverser mon obscurité… La seule chose que je puisse regretter aujourd’hui, c’est de ne pas avoir vécu plus longtemps pour profiter de toi encore et encore. Néanmoins, sache que je ne regrette aucun de nos moments ; ils ont été plus magnifiques les uns que les autres.

J’ai une faveur à te demander. Tu as réalisé tous mes souhaits, sauf un, mais le temps nous a manqué. S’il-te-plaît, ne me retiens pas ici. Libères-moi…

C’était ma bataille Grace, je l’ai perdue. Mais je te passe les rennes. A toi de te battre pour être heureuse. Je ne veux plus que tu pleures. Grace, tu m’as appris à aimer de nouveau comme jamais ! Ne te blâme pas de ne pas avoir su me garder en vie plus longtemps, le ciel m’a emporté, mais au fond de ton âme, dans ton cœur, je serai toujours auprès de toi…

 

Je t’aime, à jamais.

Yael.

Grace laissa la lettre glisser de ses mains tandis qu’elle se remit à pleurer. Elle se leva, plaça ses mains de chaque côté du visage de Yael puis l’embrassa sur le front. Elle se recula doucement, posa son front contre le sien et murmura : « Je te promets de te libérer si c’est ce que tu souhaites. Je te promets de sourire et de vivre comme tu le voudrais. » Elle embrassa une dernière fois son front et sortit de la chambre où le médecin discutait avec Jasmine et Allan. Dès qu’elle sortit, ils la regardèrent.

  « J’ai pris ma décision.

  -Je suis certaine que tu as choisi la plus judicieuse, lui dit Jasmine, nous acceptons ton choix.

  -Qu’avez-vous choisi ? Demanda le médecin.

  -Je veux que vous le débranchiez. »

  Voilà c’était dit, elle ne pouvait plus reculer désormais. Yael pouvait partir en paix. Le médecin les laissa entrer dans la chambre tandis qu’il allait chercher des infirmières. Jasmine et Allan l’embrassèrent puis lui chuchotèrent quelque chose à l’oreille. Grace attendit. Le médecin revint et s’approcha du lit. Il jeta un regard à Grace et celle-ci acquiesça en silence. Lentement, à l’aide d’une infirmière, ils enlevèrent le tube qui lui permettait de respirer encore. Grace s’approcha alors de lui et l’embrassa, elle ne bougea pas et resta soudée à lui pendant que les bips de la machine devenaient plus lents.

Trois battements…

Deux battements…

Un battement…

Elle murmura : « Je t’aime, Yael. Pour toujours et à jamais. » Ce fut dans une ligne et un bip continue que la fin arriva. Elle venait de perdre sa moitié et son cœur était brisé, néanmoins elle sourit. Maintenant, il était heureux, il était délivré de la maladie. Il n’avait pas perdu sa bataille, au contraire, il l’avait gagnée.

Chaque jour, des millions de personnes meurent. Yael faisait désormais partie de ceux-là.

Chapitre 10 :

  Victor Hugo a dit : « La vie n’est qu’une longue perte de tout ce qu’on aime. » Autrefois Grace ignorait à quel point ça pouvait être vrai. Aujourd’hui, elle le constatait. Cela faisait désormais trois mois que Yael était parti, emportant avec lui la moitié de son cœur. Depuis sa mort, elle n’était plus qu’un fantôme. Elle lui avait promis de toujours garder le sourire, mais à ce moment là, il était toujours présent. Maintenant qu’il s’était envolé, le bonheur n’arrivait pas à passer l’obscurité de son âme. Pourtant elle réussissait à jouer parfaitement la comédie au travail, quand ses collègues lui demandaient comment elle allait. Elle avait pu constater que se battre n’était pas aussi facile que sourire pour faire croire que tout allait bien. Elle n’allait pas bien, non. Le treize Septembre, une partie d’elle-même était morte avec lui. Elle n’arrivait plus à percevoir les choses simples de la vie. Elle vivait désormais au chalet puisque sa patronne lui avait donné des congés pour qu’elle puisse se ménager, et elle passait ses journées dehors, sur le bord de la falaise. Elle se remémorait tout ce qu’ils avaient vécus ici, leurs souvenirs désormais perdus, elle se détruisait à petit feu et songeait à en finir. A quoi bon continuer de vivre quand on a tout perdu ? Ne valait-il pas mieux sauter et se laisser engloutir par l’eau glaciale ? Comment tenir quand on avait perdu son pilier ? Pourtant, depuis le commencement de leur relation, ils savaient qu’ils allaient se perdre l’un et l’autre. Mais ils avaient profité de chaque jour, chaque heure, chaque minute jusqu’à la dernière seconde et elle savait qu’il avait plongé dans le sommeil éternel en étant heureux. La mort n’était qu’une partie de la vie, elle se devait de l’admettre. Il avait été malade et il y avait des maladies qu’on ne pouvait pas guérir. La vie était faite ainsi et on ne pouvait rien changer.

Elle sortit des toilettes et posa un objet en plastique sur la table. Elle alla rapidement se vêtir d’une robe noire et d’un collant opaque de la même couleur puis elle enfila son manteau, mit ses chaussures et sortit dehors non sans avoir vérifié l’objet qu’elle avait posé sur la table. Quand elle eut fermé à clé, elle s’engouffra dans la brume du matin en silence, les mouettes l’accompagnant en chantant jusqu’à la falaise.

                                                  ***

  Trois mois. Trois mois que son frère avait disparu en les laissant tous dans le déni et pourtant, c’était comme si rien n’avait changé. Allan avait pleuré. Beaucoup. Mais l’automne avait amené la paix et le réconfort. Le cœur de la maison s’était éclairci et ils avaient tous repris leur vie, comme ils le souhaitaient. Ce fameux treize Septembre, le temps s’était arrêté, ensemble ils avaient fait face et désormais la poudre de la vie coulait de nouveau. Néanmoins, Allan n’était pas sûr que Grace ait surmonté cette étape. Les mois qui avaient suivi sa mort, elle s’était sentie très nauséeuse et à chaque fois qu’ils la croisaient, elle était toujours de plus en plus pâle. Elle périssait à vue d’œil mais elle refusait l’aide de quiconque. Elle avait décidé de vivre dans le chalet, loin de toute civilisation. Lui et Jasmine s’étaient beaucoup inquiétés pour elle, elle ne se nourrissait pas correctement, ça se voyait. En un mois, elle était devenue encore plus maigre qu’à l’accoutumé. Ils avaient beau essayer de lui faire la morale rien n’y faisait ! Elle était enfermée dans sa bulle. Elle était bien là, mais ce n’était pas le cas de son esprit. Au fond, ils l’a comprenaient. C’était elle qui avait pris la décision la plus difficile. D’une certaine manière, c’était elle qui l’avait fait mourir.

                                                   ***

Elle ne pouvait plus la laisser se détruire comme ça. Elle devait mettre fin à son calvaire et si pour ça il fallait l’y forcer, elle était prête à le faire. Grace avait toujours été forte. Mais dès que Yael avait fait apparition dans sa vie, elle s’était révélée plus faible encore. Jasmine ne pouvait pas lui reprocher d’avoir plongé dans le mutisme. Elle avait perdu celui qu’elle aimait, celui avec qui elle n’avait pas eu le temps de faire tout ce dont elle avait rêvé. Jasmine se souvint avoir souvent entendu : « Quand un seul être vous manque, tout est dépeuplé. » Etait-ce le cas de Grace ? Ne voyait-elle pas d’espoir dans sa famille ? Pensait-elle que désormais il ne valait plus la peine de vivre ?

Elle se gara sur le côté, sortit de la voiture et emprunta le chemin de terre qui menait au chalet. Quand elle arriva à la parcelle, elle remarqua que les rideaux de la chambre étaient tirés. Elle ouvrit le petit portillon et entra dans le jardin. Elle monta les marches qui menaient sur la terrasse et avança jusqu’à la porte d’entrée. Préférant ne pas la réveiller brusquement, elle sortit le double des clés qu’elle possédait et entra dans le séjour. Elle s’essuya rapidement les pieds sur le tapis et se rendit directement devant la chambre. Elle coulissa doucement la porte et s’aperçut Grace n’était pas là. Elle fit demi-tour mais alors qu’elle allait passer la baie vitrée, elle s’arrêta soudainement et tourna la tête pour regarder le petit objet en plastique rectangulaire qui était posé sur la table. Elle le prit dans ses mains tremblantes et le regarda avec surprise. Ce n’était pas possible ! Ça ne pouvait pas être vrai ! Elle devait à tout prix la voir. Réfléchissant quelques minutes, elle en conclut que si Grace n’était pas ici, elle devait être au bord des falaises. Jasmine courut jusqu’à la voiture, ouvrit la portière, mit le moteur en marche et prit la route qui menait aux falaises.

                                                   ***

Elle restait là sur la falaise, vêtue de son manteau noir, immobile, tandis que le vent s’engouffrait dans ses cheveux à tel point qu’on distinguait à peine son visage. Depuis la mort de Yael, elle se terrait dans le silence, à essayer de se souvenir des moments heureux. Peu lui importait le temps, l’intensité du vent, elle restait là, immobile, laissant l’horizon noyer ses yeux sans jamais perdre une seule seconde du spectacle. Elle était là pour dissiper ses malaises et ses nausées. Elle se sentait mieux quand elle était en contact avec l’extérieur. Les trois premiers jours qui avaient suivi la disparition de Yael avaient été très étranges. Le lendemain de sa mort, elle avait ri, parler, reprit sa vie comme si rien ne s’était passé. Elle s’en était voulue de ne pas avoir craqué, et s’était demandé si elle ne devenait pas folle. Néanmoins les jours qui avaient suivi, elle s’était transformée en vrai fontaine et depuis elle pleurait s’en pouvoir s’arrêter.

Quand elle entendit des pas frôler l’herbe, elle tourna la tête et remarqua sa sœur. Pourtant elle ne fit pas un geste et regarda de nouveau la mer. Jasmine vint à ses côtés et jeta un regard dans la même direction.

  « Depuis quand le sais-tu ?

  -Depuis ce matin, répondit Grace en sachant parfaitement de quoi parlait sa sœur.

  -Qui est l…

  -C’est Yael. »

  Jasmine regarda sa sœur, puis baissa les yeux vers son ventre. Pour l’instant on ne remarquait rien, on ne pouvait pas deviner qu’un petit être grandissait, mais bientôt il aurait pris de l’ampleur. Elle releva la tête puis prit sa cadette dans les bras.

  « Grace, as-tu oublié la lettre de Yael ?

  -Bien sûr que non !

  -Alors tu as sûrement dû oublier sa requête…

  -Non. Je n’ai rien oublié. Chacun de ses mots sont encore ancrés dans ma mémoire. Mais je ne peux pas accomplir ce qu’il m’a demandé. Pas sans lui.

  -Mais tu n’es pas toute seule ! Nous sommes là depuis le début. T’avons-nous lâché ? Non. C’est toi qui es partie Grace. Tu as refusé notre aide mais maintenant tu n’as plus le choix. Que tu le veuilles ou non, un bébé grandit en toi. C’est le dernier souhait de Yael, alors accomplis-le. »

  Grace se mit à pleurer tandis que le trou dans sa poitrine s’ouvrait de nouveau face au souvenir de son amour perdu. Que pouvait-elle faire ? Yael avait souhaité devenir père, mais maintenant qu’il pouvait l’être, il n’était plus là et Grace n’était pas sûre de pouvoir le faire. Pourrait-elle élever un enfant qui lui rappellerait sans arrêt son père ? Arriverait-elle à être heureuse ? La vie lui avait tellement pris… Etait-elle prête à voir cet enfant comme un cadeau ? Sa sœur la relâcha doucement et lui dit : « Crie ta peine, ton amour, tes angoisses. Libère-toi ! Tu t’es laissée enchaîner par le deuil à tel point que tu n’arrives plus à t’en défaire. Alors affronte-le ! C’est ta dernière bataille Grace. Vaincs ce que Yael t’a laissé, bats-toi pour le bonheur de ton enfant ! » Grace prit une grande inspiration et se mit à crier comme jamais auparavant. Elle cria si fort que les mouettes s’en allèrent et le vent emporta ses sentiments pour les déverser sur l’eau afin que la mer les avale. Ils ne referaient plus surface, plus jamais elle ne se sentirait faible, elle devait, pour Yael et leur enfant, être plus forte que jamais. Elle s’était trop laissée emporter par les sentiments à tel point qu’elle en avait été étouffée. Aujourd’hui alors qu’elle criait au monde entier sa rage, elle se sentait enfin délivrée. Elle pouvait désormais tout recommencer.

La mémoire, comme le rêve, dilue les couleurs, la mémoire est comme une photographie exposée au soleil. On peut souvent décider de se rappeler ou non. Grace, elle, avait seulement choisi de ne pas oublier, de garder la mémoire d’un être cher qu’on lui avait arraché. Elle l’avait perdu, elle avait perdu la moitié d’elle-même ce jour-là, mais elle était déterminée à vivre de nouveau. Avec ou sans lui.

Chapitre 11 :

  Si on lui demandait ce qui était le plus douloureux, Grace répondrait le deuil d’un être cher. Quand on vous arrachait une personne aussi vivement, on ne pouvait pas être soi-même de nouveau. On devenait alors différent. On profitait de chaque minute de la vie, ressassait les meilleurs moments puis on se découvrait soi-même. Il ne servait à rien de pleurer davantage. Les larmes empêchaient de voir le deuil encore plus. Le deuil, c’était une suite d’étape qu’on franchissait pas à pas jusqu’à pouvoir enfin accepter cette disparition.

Aujourd’hui, Grace pouvait dire qu’elle avait franchi ses étapes grâce à Jasmine qui l’avait soutenue pendant cinq mois. Désormais, elle était presque au bout de sa grossesse et son ventre n’avait plus la taille d’un ballon de football.

Elle se vêtit d’un bas de jogging et d’un t-shirt blanc puis se contempla dans le miroir. Elle était redevenue la femme qu’elle était : éclatante de vie, les joues roses, le sourire aux lèvres. Elle ne voyait plus sa grossesse comme un handicap mais comme un dernier cadeau que lui avait offert Yael. Elle plaça doucement ses mains sur son ventre et le caressa en souriant. Elle ignorait encore le sexe de l’enfant et elle ne voulait le savoir que le jour de la naissance. Jasmine était celle qui était la plus nerveuse et qui voulait à tout prix le savoir.

  « Grace ! Tu te dépêches, oui ? On va être en retard ! Cria sa sœur.

  -J’arrive ! »

  Elle rassembla ses cheveux longs d’un côté et les attacha à l’aide d’un élastique. Quand elle caressa de nouveau son ventre, un souffle glacial passa dans son cou, lui donnant la chair de poule. Elle se retourna, mais ne vit personne alors elle se regarda de nouveau dans le miroir en fronçant les sourcils. Se pourrait-il que… ? Non, non ! C’était insensé ! En réfléchissant, Yael avait toujours cru au surnaturel… Pourquoi ne pourrait-elle pas y croire ? Secouant la tête elle sortit de la pièce et descendit l’escalier prudemment, n’arrivant plus à voir où elle mettait les pieds. Jasmine l’aida à enfiler son manteau puis elles sortirent et montèrent dans la voiture. Jasmine l’aida une fois encore à s’attacher et se mit en route. Comme tous les Samedis, elles se rendaient aux cours de préparation à l’accouchement.

                                                  ***

  Quand Grace et Jasmine arrivèrent, elles enlevèrent leurs manteaux et les posèrent dans les vestiaires. Elles allèrent ensuite s’installer près de John et Maria, un jeune couple qui allait bientôt devenir parents et qui avait tout de suite été près de Grace et l’avait aidé à remonter la pente.

  « Grace ! S’écria Maria en lui déposant un baiser sur la joue. Comment vas-tu aujourd’hui ?

  -Très bien, merci. Et vous ?

  -En parfaite santé, répondit John en souriant. C’est pour bientôt alors ?

  -Oui, dit-elle en caressant son ventre. Il devrait arriver ce mois-ci.

  -Tu sais le sexe alors ? Demanda Maria. Un petit garçon ! C’est génial !

  -Oh ! Non, non ! Je ne le sais pas encore. Je préfère avoir la surprise.

  -Ne sois pas gêné ma belle, on comprend »

  Maria lui fit un clin d’œil et Grace lui sourit. Maintenant, elle n’avait plus besoin de faire semblant. Elle allait bien. Les personnes qui l’entourait avaient su lui faire reprendre espoir et remonter la pente. Désormais, elle était redevenue la femme forte qu’elle était quand elle avait connu Yael. Même s’il n’était plus là, elle voulait que leur enfant sache qui était son père ; elle avait alors fait un album où il n’y avait que des photos de Yael et des anecdotes afin que leur bébé se sente proche de lui.

Le cours commença dans la bonne humeur. Jasmine et Grace firent tout ce qui était demandé à la perfection lorsqu’au milieu du cours, Grace poussa un petit cri.

  « Qu’est-ce qu’il y a ? Demanda Maria.

  -Je viens de perdre les eaux. »

  Ce fut alors la panique générale, Maria poussa un cri, John se releva avec Jasmine.

  « Je vais vous emmener à l’hôpital tout de suite ! Cria-t-il

  -John, ça va aller, le rassura Grace.

  -Non j’insiste. Tu es notre amie et je crois que ta sœur n’est pas en état de conduire. »

  En effet, Jasmine avait l’air d’un robot, elle ne bougeait plus et suivait seulement des yeux les gestes de John. Celui-ci prit Grace dans ses bras et marcha le plus vite possible jusqu’à la voiture, où il la déposa sur la banquette arrière. Jasmine vint s’asseoir à côté d’elle tandis que Maria s’installait doucement à l’avant. John démarra tandis que Jasmine pressait doucement la main de sa sœur en lui souriant.

  « Tu vas y arriver, dit Maria. A chaque contraction, respire. Tu te souviens ?

  -Oui, oui, acquiesça Grace. C’est vrai que sur le coup, on ne se souvient plus des leçons. »

  Ils rirent tandis que Grace, inspirait profondément et soufflait comme leur avait appris leur professeur.

                                                      ***

Une dizaine de minutes après, ils arrivèrent à l’hôpital et Grace fut tout de suite installée sur un lit et emmenée en salle d’accouchement. On autorisa Jasmine à entrer tandis qu’on déshabillait la jeune femme pour lui mettre ses affreuses tuniques bleues-vertes qu’elle détestait tant. Quand tout fut prêt, une sage femme s’approcha d’elle et lui demanda : « Le nouveau papa n’est-il pas là ? » La tristesse passa dans le regard de Grace tandis qu’elle secouait la tête mais elle se reprit vite et prit la main de sa sœur.

  « Es-tu prête ? Lui demanda celle-ci.

  -Oui, finissons-en.

  -Très bien, déclara la sage femme. Alors vous allez inspirer bien profondément et à chaque contraction vous pousserez en expirant. C’est d’accord ?

  -Oui.

  -Bien, nous pouvons y aller ! »

  Grace replaça sa tête sur l’oreiller puis la sage femme lui dit : « Un… Deux… Trois… Poussez ! » Elle poussa alors de toutes ses forces, essayant de contrôler sa respiration comme on lui avait appris. Jasmine lui parlait tout le long de ses efforts en lui caressant les cheveux doucement, sachant elle-même ce qu’était un accouchement. « Allez-y, poussez une dernière fois. » Elle fit ce qu’on lui demandait et le bébé sortit enfin. Elle poussa une dernière fois et la délivrance fut faite. La sage femme coupa le cordon ombilical et donna le bébé qui pleura à une infirmière qui l’enroula dans une serviette et l’amena à Grace. Celle-ci se mit à pleurer dès qu’elle eut l’enfant dans ses bras. Il faut avant de donner la vie, l’aimer et la faire aimer. Elle avait aimé la vie comme jamais, elle l’avait fait aimer à Yael à tel point qu’il avait été en meilleure santé. Désormais, elle l’aimait de nouveau. C’était comme si les morceaux de son cœur détruit se collaient de nouveau, l’espoir renaissait de nouveau en elle. Elle allait tout faire pour cet enfant, elle  le promettait.

  « Félicitation pour cette magnifique petite fille ! Lui dit la sage femme.

  -Merci.

  -Comment allez-vous l’appeler ? »

  La question ne se posait pas, elle y avait longuement réfléchi et désormais son choix était fait. Elle fixa le petit bout de femme qui l’avait aidée et lui répondit : « Elle s’appellera Gaëlle, le mélange de Grace et Yael. » Alors elle caressa la joue de sa fille avec son pouce en souriant tandis que celle-ci poussait un petit gémissement. Elle lança un regard à Jasmine puis embrassa le front de la petite en rajoutant : « Bienvenue dans notre monde, Gaëlle. Ton papa aurait été si fier de toi… »

L’enfant poussa un cri qui s’envola dans l’air, comme si elle envoyait un message que seul son père pourrait entendre et comprendre.

Quand Grace fut ramenée dans sa chambre avec sa fille, elle resta allongée et se mit à penser à Yael. Bien qu’il ne fût pas là, elle sentait son amour comme l’attraction qu’elle avait désormais avec Gaëlle et cette nuit-là, elle rêva. Rêva des moments formidables qu’ils avaient passés ensemble, de leur amour partagé au bord de la plage, de leur seule et unique nuit où ils avaient conçu leur fille, ensemble. Tout s’insinua en elle et le lendemain, quand elle ouvrit les yeux, un courant d’air glacial passa doucement sur son visage, comme  une caresse. La fenêtre n’était pas ouverte, il ne pouvait donc n’y avoir aucun courant d’air. Depuis le début, elle n’avait pas rêvé… Elle sourit en murmurant ce qui lui semblait évident désormais : « Yael… »

Il était toujours là…

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