Et si tu me laissais vivre ?
luxaeterna
Et si, un jour comme ça, tu fermais ta gueule ?
Et si, juste un instant, tu me laissais être moi ? Tu pourrais, dis ? T'en aller, loin, oui là-bas, c'est parfait. Tu t'es déjà demandé si ce ne serait pas mieux comme cela, moi ici, toi là-bas ?
Et si on arrêtait de se parler ? Comment tu dis ? La civilité ? Je ne saisis pas ce mot, désolé. Qu'est-ce que j'en ai à faire moi, d'être cordial, d'être poli. Arrêtons de faire semblant, par pitié. Arrêtons rien qu'une fois de s'obliger à sourire, à se saluer. Ni l'un ni l'autre ne gagne à se parler. On ne s'enrichit qu'en regardant, et plus nous regardons, plus nous comprenons, et plus nous comprenons, plus nous pleurons.
Et si tu me laissais fumer ce que je veux ? Ça te dérange peut-être que je m'amuse ? Laisse-moi voir des choses, m'échapper un moment. Quoi ? Le danger ? Ah oui, le danger. Donc c'est pour mon bien. Mais tu comprends ou pas que sans ce danger je craque ? Craquer, ça te dit rien non ? Ah, t'es de ce genre alors, de ceux qui ne craquent jamais. Ah, ça existe alors. Ah, c'est peut-être moi qui ne suis pas normal alors, peut-être quand dans la vraie vie on n'a pas le droit de craquer.
Et si tu me laissais porter haut mes idéaux comme je suis fier de porter ces vêtements ? Et si tu arrêtais de stigmatiser, de haïr, de défier ? Si tu restais de ton côté du trottoir et moi du mien ?
Et si tu me laissais rouler un peu plus vite cette fois ? Allez, rien qu'un peu. Quelques mètres de plus chaque seconde qui me permettront d'être sûr de mourir et non pas d'être tétraplégique en cas d'accident. Allez, s'il te plaît, laisse-moi cet honneur.
Et si tu me laissais me promener nu ? Ah, ça te choque ? Ah, parce que toi, tu ne connais pas l'anatomie humaine ? Ah, tu ne trouves pas ça beau ? Ah bon, c'est bizarre ça. Moi je trouve ça beau. De la provocation ? Mais ce n'est pas ma faute si j'ai ce corps. Et si je n'ai pas froid, pourquoi me couvrir ? Ah, je ne pensais pas que je choquerais cet enfant, je ne penserais pas qu'il me pointerait du doigt et pleurerait.
Et si tu les laissais me débrancher ? Allez, dis, j'ai pas eu le temps de signer les papiers, je pensais pas que ça viendrait si vite. Allez, dis, j'ai mal moi. Laisse ta bonne conscience de côté, ta pseudo bonté, rentre chez toi va, et vante-toi de garder sauf un homme, car son cœur, oui son cœur bat toujours.
Et si tu me laissais aller où je veux ? Les frontières, mais attends de quoi tu me parles ? On a construit des murs ? Ah non, c'est imaginaire ? Mais attends, je comprends pas, pourquoi on ne passe pas s'il n'y a rien ? Ah si, il y a des choses, c'est ça ? Ah, et puis on n'a pas le droit ? Ah, toujours cette histoire de droit, j'y comprends rien moi, je croyais que les droits étaient faits pour nous permettre d'être libres. Ah, on n'a pas le droit à ça non plus, d'être libre ? La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ? Mais attends qu'est-ce que j'en ai à faire, moi, de celles des autres ? Tu crois que j'ai de l'importance à leurs yeux, moi, à tous ces gens qui les baissent dans la rue ?
Et si tu me laissais me foutre en l'air ? Ah, ça aussi c'est interdit ? C'est mal vu ? M'en vouloir ? Ah, donc même ça, on n'en a pas le droit.
Et si tu me laissais frapper cet homme, tiens le frapper à mort ? Oh, ça te choque ce que je dis, c'est ça ? Mais pourquoi pas, après tout ? Je n'aime pas sa façon d'être, de penser et de voir le monde. Je pense qu'il ne le mérite pas. Il ne le mérite pas, c'est sûr. Interdit ? Ce n'est pas interdit d'interdire ? Ah, un vieux dicton. Mais attends, qui t'a dit ça ? La justice ? Non, jamais entendu parler de ce drôle de terme. C'est quoi, une chose, une machine ? Des gens ? Mais eux, ils pensent qu'il le mérite où qu'il ne le mérite pas ? Attends, vous laissez des humains décider du sort d'autres humains ? Ah.
Ah.
Ah oui c'est vrai, qu'on est dans un monde où on a pas le droit. Mais certains ont le droit d'empêcher les droits des autres, c'est ça ? Vous êtes étranges, en fait.
Oui, reste là-bas. Tu es bien là-bas. Reste de ton côté du trottoir et baisse les yeux. Allez, rien qu'une fois, laisse-moi vivre.
Allez, s'il te plaît, rien qu'une fois, ferme ta gueule.